Les guerres d’Indépendance et le cercle des premiers peintres américains

La peinture dans les Treize colonies avant la naissance des États-Unis

La peinture américaine est née au tournant du XVIIIe siècle lorsque les idées, les aspirations et les convictions changèrent. Les études s’intéressant aux grands courants américains font trop souvent l’amalgame entre la peinture spécifiquement coloniale et les débuts de la peinture américaine, témoignant d’une incapacité à dégager les renversements des intérêts intellectuels et artistiques de la période. Il ne faut pas omettre les réactions émotionnelles imputables aux événements et aux renversements de l’ordre politique établi, le modèle traditionnel des écoles et des groupes artistiques ne peut suffire à lui seul pour expliquer l’émergence d’une forme d’expression en rupture avec la première moitié du XVIIIe siècle et l’époque coloniale du XVIIe siècle à proprement parler. En effet les spécificités de l’histoire du peuplement de l’Amérique du Nord et des futurs États-Unis expliquent l’inexistence d’artistes et de traditions artistiques jusqu’au milieu du XVIIIe siècle tels qu’on peut les entendre en Europe. Lorsque le Mayflower accoste, le temps n’est pas au développement des arts, non seulement à cause du milieu naturel indocile encore non peuplé, mais aussi par le puritanisme protestant des colons. Il s’agissait, certes, d’hommes et de femmes suffisamment cultivés pour fonder Harvard, mais dont la culture religieuse était incompatible avec toute jouissance esthétique et donc avec tout développement des arts. Ainsi l’artiste présent dans les colonies de la façade atlantique n’a rien de comparable avec les artistes européens. Il faudra attendre le milieu du XVIIIe siècle pour véritablement parler d’artistes et admirer des productions réalisées par des natifs des colonies américaines pouvant rivaliser, voire même concurrencer, avec la peinture européenne, et pour s’imposer comme des œuvres d’art avec leurs propres spécificités qui n’existaient pas lors de la peinture coloniale et donc avant la prise de conscience des colons de leur culture identitaire caractéristique de leur style de vie suigeneris.
La peinture n’est pas transmissible par l’étude directe d’une toile importée, d’un manuel expliquant les techniques ou encore d’après des gravures faciles à transporter et à reproduire. Pour acquérir ses lettres de noblesse, elle nécessite un environnement culturel particulier pour la formation et la diffusion. En cela la peinture n’est pas de l’artisanat. Or pendant tout le XVIIe siècle, il n’y avait aucun artiste authentique dans le Nouveau Monde, mais des artisans itinérants qui étaient des peintres de circonstance, ce qui explique que les rares productions coloniales arrivées jusqu’à nous sont majoritairement anonymes. D’un style élisabéthain tardif et relevant du canon maniériste, mais également de l’esprit baroque, ces productions témoignent de la lente diffusion stylistique des techniques picturales européennes dans les établissements fondés par les colonisateurs. L’influence hollandaise est aussi notable du fait que les Provinces-Unies conservèrent leur colonie jusqu’en 1674, même si les Anglais conquirent La Nouvelle-Amsterdam en 1664 en la rebaptisant New York en l’honneur du frère de Charles II, Jacques Stuart alors Duc d’York. Ces productions se font moins rares à la fin du XVIIe siècle avec l’arrivée d’artistes du vieux continent pour répondre aux commandes européennes, dont le but est la découverte du Nouveau Monde et de ses habitants par procuration. Il pouvait également s’agir d’artistes en quête de nouvelles inspirations ou souhaitant relancer leur carrière. Le dernier quart du XVIIe siècle est celui d’un sursaut artistique que l’on peut
expliquer par l’arrivée du peintre Freake à Boston qui était le centre intellectuel et économique de la
Nouvelle-Angleterre. Il réalise le portrait d’Elizabeth Freake et de sa fille Mary qui est aujourd’hui considéré comme la production picturale en portrait la plus aboutie de la période, dépassant celui d’Elizabeth Eggington. Freake peint également le portrait du mari, John Freake, dont la pose suggère que la toile devait être le pendant du portrait d’Elizabeth Freake avec sa fille Mary. L’ensemble représente l’organisation traditionnelle de la famille puritaine, ainsi que sa réussite sociale restituée par l’artiste avec notamment les détails des fraises en dentelle très travaillées et ceux de la veste de John Freake richement décorée témoignant d’un confort certain aux antipodes de la culture puritaine. Cette contradiction n’est pas accidentelle, mais doit restituer de manière sous-jacente la bénédiction de Dieu suggérée ici par la réussite matérielle. Les fraises portées par les trois personnes portraiturées ne sont pas qu’un simple élément du décorum, car elles rendent possible l’harmonisation des deux compositions, alors que les couleurs vives du portrait d’Elizabeth Freake avec sa fille Mary permettent de les contraster. La surface picturale des deux toiles et le procédé en deux dimensions des compositions imputable à une inhabilité technique, à défaut d’une véritable perspective, autorisent l’attribution de ces œuvres à un même artiste qui est en réalité inconnu, mais portant le nom de ses modèles les plus connus, ceux de la famille Freake. Une autre perception divine est peinte dans une autre composition qui conserve toujours le mode du portrait tout en étant en rupture avec les précédents, ponctuant corollairement la fin du XVIIe siècle.
Il s’agit de l’autoportrait du capitaine Thomas Smith, qui, au demeurant, n’a aucun lien de parenté avec le capitaine John Smith qui contribua à la fondation de Jamestown au début du siècle qui fut la première colonie britannique sur le continent américain, mais qui est surtout célèbre pour le mythe qu’on lui prête avec Pocahontas. La composition est à signaler puisqu’elle ponctue l’arrivée du style baroque au Nouveau Monde, à quasiment un siècle d’intervalle de ses prémices en Europe.
Dans ce seul portrait du XVIIe siècle réalisé par un artiste identifié, Smith s’est représenté tenant son propre crâne posé sur son testament dont la signature sert également à la toile, avec une bataille navale en fond rappelant sa carrière dans la marine et donnant à la composition une illusion de l’espace réel. On peut supposer que Smith avait étudié dans un manuel ou avec l’aide de gravures les compositions des portraits du nord de l’Europe. Le thème du destin mortel de l’homme rappelle des précédents hollandais et britanniques de la période, tout en opérant un glissement vers l’être. On attribue également à Smith plusieurs portraits bostoniens de la fin du siècle, la composition et la palette de couleur étant très similaires à son autoportrait, en particulier celui du major Thomas Savage, ainsi que celui de MadameRichard Patteshall et son enfant.
La toute fin du XVIIe siècle a vu une évolution significative de l’art du portrait dans les colonies anglaises, mais l’artiste était toujours un artisan et les véritables artistes au sens propre du terme étaient encore rares. Artiste de circonstance ou artiste authentique, aucun ne pouvait vivre de sa production, même si Boston devient, par tâtonnement, la base avancée d’une création artistique clairsemée et inégale. Néanmoins, les compositions eurent davantage le souci du traitement de l’espace en se rapprochant du XVIIIe siècle, tout en s’attardant plus longuement sur la personnalité du modèle portraituré et non sur ce qui l’entoure. Enfin, et avant de rentrer pleinement dans le XVIIIe siècle, il est crucial de souligner que les mentalités avaient évolué depuis les débuts de la colonisation. Même le rigorisme et la rigidité de la culture puritaine n’étaient plus exactement les mêmes que ceux des premiers colons débarqués du Mayflower. Pourtant les colons étaient encore tournés in extenso vers Londres pour connaître les dernières modes, les avancées techniques et manufacturées, ou encore les actualités politiques. Les colons américains se revendiquaient alors volontiers comme anglais et sujets de Sa Majesté, ils n’avaient absolument pas pris conscience de leur particularisme.
Le débarquement d’un artiste allemand dans le Maryland donne un nouvel élan à la peinture coloniale avec une production artistique véritablement baroque transcendant les compositions maladroites du XVIIe siècle. Justus Engelhardt Kühn fut actif au début des années 1710 en se spécialisant dans les portraits en pied de l’aristocratie coloniale, représentant ainsi Eleanor et Henry Darnall. Les modèles prennent place dans un décor somptueux s’ouvrant sur un jardin à la française avec en toile de fond l’opulente plantation familiale. Les balustrades en marbre accompagnées d’objets ou d’atouts baroques, dont le vase à deux anses du portrait d’Eleanor et la draperie de la colonne pour celui d’Henry, sont des leitmotivs de la composition de Kühn avec les jardins en arrière-plan. Le statut social de riche planteur du Maryland des portraiturés est rappelé, notamment avec l’esclave de maison qui est symboliquement séparé d’Henry par la balustrade en se tenant derrière lui, et la somptuosité vestimentaire retranscrite en détail par l’artiste. Kühn maîtrise l’art de la perspective et n’hésite pas à utiliser une palette très colorée et contrastée. Cependant, il ne donne pas d’essor artistique durable dans le sud des colonies puisqu’il meurt cinq ans après sa dernière huile sur toile en 1712 qui représente Charles Carroll d’Annapolis dans les mêmes codes picturaux que les enfants Darnall. Nonobstant, le peintre qui donna une réelle impulsion en posant les fondements d’une vie artistique à Boston fut John Smibert.

Travailler sur le premier courant pictural de la peinture américaine

La spécificité de la période est celle de l’édification d’un État inexistant qui s’est déclaré indépendant, qui a combattu pour son autonomie, ses valeurs en affirmant sa souveraineté, puis qui a élaboré ses institutions, sa forme gouvernementale articulée autour d’une constitution républicaine et démocratique. La conjoncture économique est peu florissante et les nouveaux états doivent reconstruire leurs économies respectives. La guerre d’Indépendance de 1776 a épuisé financièrement les ex-colonies britanniques pendant près de huit ans tout en perturbant les activités commerciales. Sur le plan religieux, les nouveaux États-Unis doivent également composer avec des consciences confessionnelles disparates parmi les chapelles protestantes allant des quakers jusqu’aux puritains en passant par l’Église anglicane. Le marché de l’art est donc peu soutenu économiquement et financièrement, de même qu’il ne peut compter sur une religion d’État qui est inexistante. Politiquement se pose la problématique de la forme d’art que pouvait adopter une jeune démocratie, qui de par ses fondements idéologiques ne pouvait instituer l’ordonnancement d’un mécénat étatique à l’image des monarchies européennes. On connaît également la position de JohnAdams qui voyait dans les arts un luxe ostentatoire contraire aux valeurs de la révolution. En outre, il existe un véritable désert institutionnel qui ne permet pas d’encourager les arts, d’assurer la promotion et l’enseignement artistique par des vecteurs structurels et codifiés, malgré la création de l’American Academy of Arts and Sciences en 1780.À dire vrai, les Salons n’existaient pas, il n’y avait pas d’académie des Beaux-Arts ni de British Museum et les expositions régulières trouvèrent peu d’écho. Les artistes devaient donc créer une vie artistique corrélativement à de puissantes institutions pour répondre aux besoins culturels de la jeune république démocratique.
La réponse se fit d’abord par une volonté didactique partisane en plébiscitant l’art des portraits, déjà très apprécié pour son utilisation sociale, et celui de la peinture de bataille et d’histoire. Concomitamment, la production picturale fut un puissant levier pour fédéraliser des territoires hétéroclites. Ainsi l’art permit de réunir les ex-colonies autour d’un projet politique commun porté par les Pères Fondateurs et transcendé par la dimension mémorielle de la Révolution avec son corollaire, les guerres d’Indépendance. De la fin de la guerre jusqu’au premier quart du XIXe siècle, les arts se sont institutionnalisés en même temps que les aspirations politiques des exinsurgés américains. L’élaboration gouvernementale de la nouvelle nation des États-Unis est ainsi indissociable de la codification des Beaux-Arts américains, de leur enrichissement et de leur vulgarisation qui furent fondés sur des principes républicains et démocratiques. De même les arts, la peinture au premier rang, sont insécables de la vie et des prétentions politiques de la période. La spécificité de notre courant pictural et de ses artistes est d’accompagner le renouvellement et le développement de la peinture certes, mais plus globalement ceux de la vie artistique américaine. Ainsi sur moins d’un demi-siècle, la production artistique s’est structurée autour de plusieurs institutions créées essentiellement sous l’égide des artistes qui ont vécu et survécu à la Première guerre d’Indépendance. L’American Academy of Fine Arts, fondée à New York en 1802, organisa des expositions annuelles de peinture contemporaine, ces dernières ont sensibilisé le public en devenant un événement de la vie culturelle à partir de 1816. En écrivant à Thomas Jefferson, le 13 juin 1805, Charles Willson Peale créa la Pennsylvania Academy of the Fine Arts pour enseigner l’art, mettre en valeur les nouveaux talents et aussi pour empêcher les jeunes artistes d’émigrer en Europe.
Les artistes et les figures de la Révolution ont participé de concert à l’épanouissement d’un civisme patriotique vertueux et héroïque en mettant en œuvre de grands projets, tout en assurant la démocratisation de la Culture. Cette véritable construction de la personnalité et du caractère de la vie artistique américaine permet d’affirmer que les artistes de la période ont su donner un caractère national, non seulement à leurs œuvres, mais aussi à leur volontarisme pour la conception des Beaux-Arts américains dans un esprit d’indépendance culturelle. Le résultat de ce processus a été la naissance d’authentiques centres artistiques, dont New York qui était d’ores et déjà reconnu à demimot comme la capitale culturelle des États-Unis. La fondation, en 1825, notamment par John Vanderlyn, de la National Academy of Design n’a fait que consolider davantage ce statut transcendé par la mission de l’académie : promouvoir les Beaux-Arts en Amérique par le biais de l’exposition et de l’éducation. L’émergence de ces institutions qui ont assuré la pratique et l’exposition de l’art a définitivement sonné la fin de l’influence de l’académisme européen dès le premier quart du XIXe siècle. En effet, ces institutions égalitaires ont fait prospérer la vie artistique en dehors du patronage aristocratique. Les académies américaines des Beaux-Arts furent en adéquation avec la philosophie politique de la jeune démocratie états-unienne en assurant l’enrichissement du patrimoine culturel par les plus hautes sphères de l’expression artistique, tout en éduquant les nouveaux artistes qui préservèrent le partage de leurs travaux avec le public. Il n’est donc pas hors sujet de définir le courant pictural étudié dans ce mémoire comme identitaire et inclusif, ce que les œuvres ne démentent pas d’autre part.
À la fin de la guerre révolutionnaire, les premiers artistes américains ne disposaient toutefois d’aucun héritage artistique sur leur territoire, puisque c’est avec eux que débute l’histoire de la peinture américaine à proprement parler. Nonobstant, la tradition du Grand Tour pour enrichir leurs techniques afin de les porter à maturité était bien installée et elle a survécu à la Révolution américaine. En effet, Benjamin West et John Singleton Copley avaient rejoint l’Europe pour étudier, mais tous deux s’installèrent définitivement à Londres lorsque la guerre d’Indépendance éclata et ils ne revirent jamais leur terre natale. La fin des batailles rangées sur le sol des ex-colonies américaines relança l’engouement des artistes américains à vouloir voyager en Europe pour découvrir les grandes collections d’art, synonymes de sources d’inspirations. Il faut savoir que pour un artiste de la fin du XVIIIe siècle Londres est un grand centre artistique et Rome reste le pôle d’attraction pluriséculaire inspirant les peintres, les sculpteurs et les architectes. Les artistes nés au sein des Treize colonies ne peuvent se soustraire à cette géographie des arts, de telle sorte qu’ils se rendirent majoritairement sur le vieux continent afin de parfaire leur art. Mais ces artistes bénéficièrent d’un atout lorsque Benjamin West réussit à s’imposer au sein de la vie artistique londonienne, son atelier devenant un point de chute et de ralliement des Américains expatriés en Europe. On peut donc avancer l’idée que la Révolution américaine a ainsi créé une alchimie particulière d’association d’expériences, de réseaux de sociabilité et de formations différentes ayant influencé les artistes et l’établissement d’un art proprement américain. D’autre part, on peut catégoriser les artistes de ce courant selon trois grands axes. Le premier par les convictions politiques et les choix idéologiques qui ont eu une influence majeure sur les productions artistiques.
Un deuxième articulé autour des générations, celle née avant la Révolution américaine et qui l’a vécue ou subie en étant contemporaine, parfois actrice, des événements et celle née pendant les turpitudes de la guerre. Enfin le troisième s’explique par les inspirations et les formations artistiques dues au Grand Tour de chacun, ainsi qu’au cadre de la vie culturelle que les artistes ont le plus fréquenté.

Les carrières artistiques et les influences stylistiques

On peut déjà affirmer que les artistes américains étudiés partagent unanimement une acculturation auprès des modèles européens anglais, français et flamand, mais également à l’égard des canons antiques que redécouvre le néoclassicisme, ainsi que vis-à-vis des maîtres de la Renaissance en Italie. Ils enrichissent leur palette de ces influences européennes après avoir été inspirés par des gravures et auprès des artistes locaux en Amérique, parfois directement par la structure familiale. Ils entreprennent tous le Grand Tour souvent grâce au mécénat, en cela ils partagent un aguerrissement acquis au sein d’une vie artistique très exigeante, car hautement concurrentielle, rythmée par ses traditions, ses référents et ses académies. Leur désir d’apprendre des écoles européennes les confronte donc à une vie artistique qui n’existait pas encore en Amérique, contrairement au sein des deux plus grands centres artistiques européens les plus actifs de la période que sont Londres et Paris. Un autre dénominateur commun est partagé par ces artistes pendant leurs parcours, puisqu’ils fréquentèrent ces foyers artistiques au moment où ces derniers sont en pleine élaboration d’une iconographie nationale pour exprimer en véritable symbole des valeurs patriotiques intrinsèques à leur modèle sociétal, ce qui fut déterminant dans leurs recherches iconographiques, en particulier dans la représentation d’événements contemporains évoquant la Révolution américaine et la guerre d’Indépendance avec, en toile de fond, la création des canons inhérents à l’identité nationale des États-Unis. Les carrières se croisèrent, de même que les peintres, et plusieurs de ces artistes américains s’influencèrent réciproquement avec pour clef de voûte la palette de Benjamin West comme vecteur d’inspiration, de technique, de couleur ou de composition.
Benjamin West est la pierre angulaire de l’éducation des premiers artistes américains, ses aspirations artistiques lui permettant de fonder la première école américaine de peinture dans son atelier à Londres. Avant, pendant et après la guerre révolutionnaire West n’a pas ménagé son temps pour accueillir les artistes américains désireux d’étudier la peinture. Dans ce sens, il n’a jamais tourné le dos à l’Amérique et à ses compatriotes en assurant un rôle majeur dans le développement de la peinture américaine par son enseignement qu’il dispensa généreusement et de manièredésintéressée pendant un quart de siècle. Pourtant rien ne l’obligeait à aider quatre générations d’artistes à perfectionner leurs techniques, lui qui avait réussi à devenir un peintre incontournable dans la vie artistique anglaise en devenant le président de la Royal Academy of Arts et en gagnant même le patronage de Georges III dont il reçut plusieurs commandes prestigieuses, ce que Joshua Reynolds n’a jamais réussi à obtenir ! Benjamin West est un artiste éclectique qui s’intéresse à plusieurs genres picturaux, dont il émaille le style avec l’apport de ses compositions. Mais il en est un qui l’intéresse tout particulièrement et au sein duquel il voulait devenir un peintre réputé dès le début de sa carrière, ce même genre pictural qui influencera plusieurs de ses étudiants américains et qui était alors considéré au sommet de la hiérarchie des genres, il s’agit de la peinture d’histoire.
D’abord Matthew Pratt, Charles Willson Peale, puis Ralph Earl, Gilbert Stuart et John Trumbull, ensuite Edward Savage, Mather Brown, et enfin la nouvelle génération d’artistes nés pendant la guerre d’Indépendance avec Rembrandt Peale et Thomas Sully, tous, en dépit de leurs différentes carrières, et à l’exception de John Vanderlyn qui fut spécifiquement influencé par François-André Vincent et le style néoclassique français, ont ramené les idées et les techniques de West aux ÉtatsUnis, fournissant une base solide à la croissance des arts au sein de la jeune république en créant in fine le premier courant pictural de la peinture américaine.
Mais revenons un instant sur le parcours et les influences qui façonnèrent la palette de West, avant que les idées et les techniques du membre fondateur de la Royal Academy of Arts stimulent la création artistique de ses étudiants américains. Dans les colonies américaines il est d’abord inspiré par les travaux de John Valentine Haidt avec ses peintures à connotations bibliques et par ceux de John Wollaston empreints du style rococo. Le temps que lui consacre William Williams fut déterminant dans les débuts de sa peinture, puisque ses conseils et les manuels académiques qu’il lui procura eurent un impact significatif. C’est par cette formation peu conventionnelle que West supplante ses référents en Amérique, offrant un traitement de l’espace, des jeux de lumières et de couleurs inégalés. Son talent lui permet d’acquérir le financement nécessaire au Grand Tour en Europe, dont il rêvait tant. À l’âge de 22 ans, il est profondément influencé par les antiques et le milieu du néoclassicisme à Rome, de même que par les maîtres italiens de la Renaissance et le glacis propre aux peintres vénitiens lorsqu’il séjourne à Florence et dans la Sérénissime. Son voyage en Italie lui offre l’opportunité de réaliser deux rencontres déterminantes pour son art avec Winckelmann qui lui donne accès aux collections papales, et Mengs dont la peinture trouve ses référents en Titien et Raphaël. Ce séjour est un tournant dans son art, il opère une transition stylistique entre ses œuvres américaines et anglaises.
En 1765, West décide de s’installer à Londres afin de conquérir la vie artistique anglaise à seulement 25 ans ! Sa décision entraîne la venue de Matthew Pratt non pas pour des raisons artistiques, mais familiales étant donné que West épousa sa cousine. En revanche, c’est bien pour la peinture que Pratt décide de rester pendant près de trois ans avec West qui n’avait pas encore acquis sa réputation internationale, mais celle d’un peintre d’histoire ancienne. Accueilli par son compatriote et cadet de quatre ans, Pratt épaula West pour la mise en place de l’école américaine tout en apprenant de lui, ce qui fait de Pratt le premier des étudiants américains. C’est d’ailleurs Pratt qui offre le seul témoignage de cette école américaine avec une composition informelle éponyme, cette dernière deviendra son œuvre majeure, la seule qu’il date et signe. The American School dépeint en effet un double portrait, celui de West assis donnant une leçon de dessin à ses jeunes élèves américains qui demeurent non identifiés à ce jour et l’autoportrait de Pratt qui se représente en portraitiste confirmé tenant la palette avec devant lui une toile sur chevalet qui attend ses coups de pinceau. La toile, avec le concours de West, fut exposée en 1766 avec le nom qu’on lui connaît aujourd’hui, elle témoigne également de la conception de la tradition académique européenne qu’avaient les artistes américains, comme le démontre Pratt. Néanmoins, Pratt a déjà un bagage artistique acquis auprès de son oncle James Claypoole pendant six ans, il avait aussi déjà obtenu un succès notable dans les colonies américaines avec ses portraits, ce qui explique pourquoi il se représente en peintre accompli en 1765. Pratt quitte Londres pour Bristol où il reste plus d’un an avant de revenir à Philadelphie en mars 1768 afin de travailler à temps plein comme portraitiste pendant deux ans. La carrière de Pratt est florissante avant la Révolution, notamment à New York et en Nouvelle Angleterre où il est en contact avec John Singleton Copley. Cependant la guerre d’Indépendance comme source d’inspiration ne lui permet pas de relancer sa carrière après le conflit. Il termine son parcours au sein de la firme Pratt, Rutter & Co. qui proposait exclusivement de la peinture de portrait et d’ornement pour laquelle son oncle l’avait en partie formé. John Singleton Copley est le deuxième peintre américain à obtenir une réputation internationale et à entreprendre le Grand Tour, il contribue à renouveler le genre de la peinture d’histoire. Il partage également un quatrième point commun avec Benjamin West puisqu’il fait le choix de s’installer définitivement à Londres en vue de répondre à ses ambitions. Pour autant Copley ne fut jamais un élève de West au sens strict, même si les deux artistes se sont rencontrés et eurent l’occasion d’échanger. Nés la même année, ils étaient d’ailleurs en concurrence dans les colonies américaines. Nonobstant, si Copley ne fut pas directement influencé par West dans ses colorations et ses techniques, il le fut pour la composition de ses toiles.

Les portraits des héros militaires et de la démocratie

Les héros des guerres d’Indépendance sont des vecteurs qui définissent l’idéal patriotique par le combat militaire et les engagements individuels pour la cause des États-Unis. Les peintres ont représenté des Insurgents devenus des Patriots, puis des Patriots devenus des Citoyens. Les portraits des acteurs de la Révolution et des guerres d’Indépendance offrent un panel d’hommes et de femmes qui ont donné corps à l’identité américaine. Copley a peint les participants de la vague de protestations qui allait se muer en véritable révolution, les Peale ont représenté des leaders révolutionnaires et des vétérans de la guerre, à l’instar de Stuart qui construit également l’imagerie héroïque des soldats de la guerre de 1812, tout comme Rembrandt Peale. Ralph Earl a portraituré des soldats de l’Union et également les nouveaux acteurs de la vie démocratique après que l’Indépendance fut acquise. Ces portraits peuvent ainsi aller des engagés volontaires des Minutemen jusqu’aux soldats professionnels de l’armée, du marchand boycottant les produits manufacturés britanniques jusqu’aux membres de la haute société continentale engagés par des libelles pour dénoncer la politique de la métropole, du délégué siégeant aux Congrès continentaux pendant la guerre jusqu’au Congrès des États-Unis dans l’entre-deux-guerres. Ces portraits sont donc marqués par la diversité des parcours individuels et la singularité des appartenances sociales, autant qu’ils sont représentatifs des éléments patriotiques consensuels et identitaires incarnés par l’Union des colonies et de leurs populations devenue union nationale à partir du 4 juillet 1776.
L’iconographie des guerres d’Indépendance démontre ainsi qu’il n’existe pas de portrait type d’un Patriot, tant par les manifestations contre l’oppression britannique que par les procédés picturaux. Des compositions présentent simplement un visuel, alors que d’autres s’attardent sur la psychologie du modèle, ses convictions ou ses activités en dehors de son engagement politique, ou à l’origine de celui-ci. Cette partie de la peinture de l’ère révolutionnaire est résolument plus intimiste en renvoyant le portraituré à sa trajectoire singulière, mais aussi à son intériorité. Les mises en scène d’icônes politiques nationales puissantes ont laissé place au déploiement de la personnalité et de l’intériorité d’un général, d’un représentant fédéral ou tout simplement d’un ardent patriote parfois retourné à sa vie privée. Les colonnes, les draperies, les faisceaux et les globes terrestres ont fait place nette à des attributs témoignant d’un engagement personnel au service des libertés américaines. Néanmoins ces symboles du pouvoir relevant de l’art officiel peuvent resurgir par l’imaginaire artistique ou lorsque le modèle souhaite exprimer une volonté ou un goût personnel.
Les peintres démontrent la qualité de leur touche respective à travers ces représentations de protagonistes, y compris étrangers, qui ont pris fait et cause pour l’Indépendance américaine. Il s’agit d’une production artistique très particulière où l’image individuelle devient une image historiographique. Par surcroît, la peinture construit esthétiquement une densité patriotique reliant les acteurs de la guerre d’Indépendance de 1776 à celle de 1812. Elle manifeste la catharsis d’un sentiment patriotique partagé par différentes générations au sein de leurs combats comme étant le meilleur rempart pour garantir les principes des textes fondateurs sur lesquels sont fondés le gouvernement et l’identité des États-Unis. Simultanément, l’enjeu est de créer sa propre image individuelle et de l’ancrer dans une imagerie patriotique collective dont l’ampleur ne manque pas d’inspirer la grandeur nationale. Ces portraits capitalisent ainsi les engagements individuels à exprimer les droits du peuple américain tout en revendiquant leur rôle personnel pour les acquérir.
Les combattants de la liberté et de la poursuite du bonheur sont donc pluriels et aussi diversifiés socialement que leurs prises de position politique en faveur de l’Indépendance. La typologie de leurs portraits est un témoignage fidèle de la multiplicité des actes de patriotisme reflétant les cultures, les religions et les économies des populations des États de l’Union. Les portraits des héros militaires et démocratiques sont aussi un élément fédérateur évoquant la nation dans toutes ses composantes et privilégient parallèlement la mise en scène de l’héroïsme américain dans toutes ses formes de combat. Les attitudes et les expressions des portraiturés ne font pas toujours référence à un événement auquel ils ont participé. Essentiellement individuels, ils mettent l’accent sur la contribution personnelle pour que l’emporte un élan collectif tout en assurant la pérennisation des valeurs philosophiques et identitaires de la Révolution en les transmettant à la jeune génération. Ces portraits expriment in fine une conscience nationale. Ainsi il n’existe pas une représentation archétypale du Patriot américain, mais une pluralité avec pour dénominateur commun le sentiment viscéral qui a balayé les Treize colonies. Ces toiles donnent à voir également le tissu des strates sociales des populations de l’Union, voire un répertoire de la représentation nationale pendant l’ère révolutionnaire plus de deux cents ans après le travail des peintres qui font partie intégrante de cette ossature par leurs autoportraits. Ces icônes patriotiques puissantes donnent l’essence d’une appartenance à une cause résolument nationale qui est au fondement de la décomposition de l’allégeance à l’Empire britannique par l’entrée en guerre des Treize colonies alors en révolution.
La composante majeure des héros militaires réside dans les portraits de vétérans ou de soldats incorporés soit dans l’Armée continentale ou engagés au sein de milices pour défendre et inscrire dans la réalité les aspirations américaines. Ces portraiturés sont des professionnels militaires expérimentés ou des enrôlés volontaires ayant acquis leur expérience des armes pendant la première ou la Deuxième guerre d’Indépendance. Ils sont peints en uniforme avec un fond de toile intemporel ou avec les attributs de leur fonction au sein de l’armée nationale. D’autres ont fait le choix d’être représentés en civil évoquant leur retour dans la sphère privée à la suite de leur prise d’armes, du moins pour ceux qui ne furent pas peints avant le conflit. Tous les soldats n’ont effectivement pas fait carrière dans les armes au lendemain de la Première guerre d’Indépendance, en laissant derrière eux leur service militaire. Les peintres les ont majoritairement représentés avec l’insigne de Cincinnati qui n’est pas un ordre national proclamé par une loi, mais une décoration symbolisant une affiliation, celle des récipiendaires de la guerre de 1776. Dans l’entre-deux guerres, l’insigne devient le symbole du courage et de la bravoure pour les combattants américains miliciens ou de l’armée régulière. Ceci explique la volonté de leur détenteur d’être représenté avec cet insigneaccroché à leur uniforme ou à leur costume civil, car devenu un emblème pour être identifiéscomme des soldats, ou fils de militaires, de la Première guerre d’Indépendance.

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Table des matières
Avertissement
Remerciements
In Memoriam
Préambule
Introduction et présentation du corpus d’œuvres
Chapitre I
A) Les guerres d’Indépendance et le cercle des premiers peintres américains
B) La peinture dans les Treize colonies avant la naissance des États-Unis
C) Travailler sur le premier courant pictural de la peinture américaine
Chapitre II
A) Les carrières artistiques et les influences stylistiques
B) La reconnaissance d’une palette spécifique
C) Les genres picturaux des compositions
Chapitre III
A) Les Founding Fathers paradigmes du sentiment national
B) Les portraits des héros militaires et de la démocratie
C) La représentation des événements et leur sacralisation
Chapitre IV 
A) Les cycles décoratifs des édifices gouvernementaux
B) L’institutionnalisation de la vie artistique
C) La volonté de patrimonialiser les œuvres
Conclusion
Introduction à la bibliographie
Plan de la démonstration
Œuvres citées hors corpus d’œuvres 
Crédits images

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