LES GROUPES POLITIQUES DURANT LA GUERRE DU PÉLOPONNÈSE

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La formation des groupes politiques

A l’époque classique, les luttes politiques au sein des cités particulièrement à Athènes n’avaient jamais cessé et elles avaient souvent dégénéré en guerre civile. Chez le Pseudo- Xénophon, dans la Guerre du Péloponnèse de Thucydide, dans Aristote on retrouve obstinément l’opposition entre deux camps ou groupes politiques aux idéologies distinctes et profondément antagonistes. En effet, pour Hansen dans la vie politique athénienne « il est communément admis qu’il y avait bien des groupes entre lesquels se partageaient les principaux rhètorés»35. Ainsi, les hommes politiques « qui s’opposaient à la tribune disposaient de moyens pour convaincre le démos qui ne relevaient pas seulement de l’habileté oratoire »36 parce que s’étant constitués autour de ces « leaders » des groupes de soutien rassemblant des hommes qui partageaient les mêmes opinions politiques. Cela montre comment il était difficile, que ce soit au grand jour ou dans l’ombre pour un individu isolé, d’agir efficacement sans soutien.
Ainsi, « Athènes connaissait depuis l’époque archaïque, l’existence de groupes, composés de jeunes riches issus des meilleures familles, qui se rassemblaient autour de l’un des leurs, et qui de groupes d’amis, pouvaient devenir, selon les circonstances, des groupes à coloration politique »37. Donc, il était nécessaire pour les dirigeants avec l e pouvoir sans limite du peuple de se constituer un réseau personnel, en utilisant des alliances familiales et toutes les formes possibles de patronage38.
Ceci montre que les liens de clientèle jouaient un rôle important dans la constitution des groupes politiques. Et d’après les sources, parmi les clients39 des hommes politiques figuraient les misthophoroi, « ceux qui sont au service d’un homme politique comme de vulgaires misthotoi.»40. En effet, le fonctionnement de la démocratie athénienne « supposait un type de relation patron/client entre les dirigeants effectifs de la cité, ceux dont l’histoire a conservé les noms, et tout un personnel de politiciens subalternes qui, en échange d’une protection assurée, se chargeaient des besognes auxquelles répugnaient les orateurs en vue ou les grands stratèges »41.
Donc les conflits politiques à Athènes peuvent être ramenés à des luttes de factions opposant les uns les autres les membres des vieilles familles appuyées sur une clientèle. Ainsi, Démosthène dans le discours Sur la Couronne dénonce ceux qui ont été payés par ses adversaires pour intenter contre lui diverses actions42. Donc, des particuliers engageaient des dépenses pour la réalisation d’objectifs communautaires (constructions publiques, fêtes, etc.) dans l’intention de s’assurer en échange la faveur du peuple, le soutien nécessaire à la réussite d’une carrière politique.
Et comme le dit Finley dans l’Invention de la Politique « toutes les formes de distributions aux pauvres (salaire des rameurs, différents misthoi) aboutissent à l’établissement d’une relation et d’un nœud de relation de type patron /client »43. Ce type de relation est défini par Claude Mossé comme une « relation sociale qui est réciproque, personnelle, asymétrique et volontaire »44.
Donc pour gagner les faveurs du peuple souverain, il importait de se montrer généreux à son encontre, une sorte de relation de réciprocité s’établissant ainsi. Mais, pour faire une carrière politique, il ne suffisait pas seulement d’avoir un groupe composé de compagnons plus ou moins unis par des liens familiaux ou matrimoniaux et des clients, il fallait aussi compter parmi ses hetairoi ou ses philoi.
Ainsi, outre les clients, se joignaient dans l’entourage des groupes politiques des cercles d’hetairoi et de philoi. En effet, la plupart des hommes politiques appartenaient probablement à une hétairie et cela leur ouvrait la possibilité d’utiliser ce club à des fins politiques en y puisant des partisans. Une hétairie est en effet, selon Mossé, « un groupement qui unissait des compagnons (hetairoi), souvent appartenant à une même classe d’âge, rassemblés autour d’un leader politique »45. Les hétairies ont joué un rôle important dans les deu x révolutions oligarchiques qui ont ensanglanté la fin du siècle. On y reviendra dans nos prochains chapitres.
Quant-à la philia, « l’amitié », il constituait un élément important dans la formation et la consolidation des groupes politiques. Ainsi, pour Robert Connor les groupes politiques à Athènes étaient pour la plupart des groupes de philoi et la philia, dans une cité ne comportant pas de « partis » politiques constitués tels qu’organisés de nos jours, était le fondement de l’activité et du succès politiques. Donc, pour Hansen « les amitiés, les attaches familiales les liens locaux et de clientèles étaient le ciment réel de ces groupes, bien plus que des idéologies ou des programmes »46.
La famille et le clan jouaient aussi un rôle éminent dans la formation de ces groupes et le recrutement de leurs membres. En effet pendant longtemps, et par-delà les régimes politiques, la famille et le clan constituaient des forces réelles et solides dans le domaine politique. En effet, « présente dans tous les domaines de la vie publique et privée, comme dans tous les aspects de la vie religieuse et profane, elle pénètre à un point qu’on ne soupçonne pas toujours, tous les replis de la vie politique »47.
Ainsi Lysias, cité par Olivier Aurenche, dénonçait le fait que dans certains cas l’appartenance à un clan, à une famille suffit pour échapper à la justice48. Aurenche nous informe aussi qu’en 403 av J.-C, les tyrans n’ont pas hésité à mettre à mort des concitoyens à cause de leurs attaches familiales avec le régime démocratique. C’est le cas de Nikératos, le fils de Nicias, qui fut considéré comme trop lié, par la tradition de sa famille, à la démocratie pour pouvoir supporter un autre régime49.
Ces témoignages montrent que la solidarité familiale, dans le domaine politique était très forte à Athènes. D’ailleurs Alcibiade et son groupe présentent de la solidarité familiale une image exemplaire. Le tiers du groupe, soit sept membres sur vingt et un peuvent invoquer, à des degrés divers, des liens familiaux avec Alcibiade lui -même. Jamais donc la politique athénienne ne perdit totalement sa forme de lutte de clans rivaux animés chacun par une ou plusieurs grandes familles.
Finalement, nous pouvons retenir que la composition de ces groupes politiques reposait sur le jeu des relations sociales basées sur des liens familiaux, amicaux ou de voisinage. Donc, c’est dans la logique même du système de démocratie directe que s’inscrivait l’existence de groupes politiques. Ces groupes assuraient aux dirigeants de la cité des appuis à l’assemblée, « voire de mettre en avant, lorsqu’il s’agissait de présenter une proposition impopulaire, un comparse sur lequel retomberait, en cas de refus ou d’actions judiciaire, le désaveu »50.
Cela dit, il serait donc pertinent de s’intéresser à ces personnages de premier plan qui constituaient une sorte de « classe politique » autour duquel se groupaient les membres des groupes.

La « classe politique » athénienne

A Athènes, il existait une classe politique malgré la réalité de la souveraineté populaire et l’existence de la misthophorie censée permettre à tous d’accéder aux responsabilités publiques. Mais, cette classe politique constituait quantitativement une minorité négligeable à l’intérieur du corps civique à Athènes. Il ne s’agissait ni d’une catégorie sociale définie, ni d’un groupe fermé ; mais plus simplement de ceux qui d’une part avaient les moyens matériels de se consacrer aux affaires de la cité, d’autre part en avaient le goût. L’exercice du pouvoir en effet impliquait des loisirs dont ne disposaient ni le petit paysan de la chora, ni l’artisan ou le marchand. Ainsi, la distinction était faite entre les idiotai, les simples citoyens, et ceux qu’on appelait les politeuomenoi, et qui constituaient ce qu’avec précaution on peut appeler « la classe politique ».
En effet, on fait souvent donc référence dans le discours des orateurs athéniens du IV e siècle : des politeuomenoi, « ceux qui prennent une part active à la vie politique de la cité »51 c’est-à-dire qui font un plein usage de leur droits de citoyen, et des idiotai, « des simples citoyens, ceux qui assistent aux séances de l’assemblée, exercent à la rigueur pendant une année les fonctions de conseillers ou de juge de tribunal populaire »52 c’est-à-dire ceux qui étaient beaucoup plus préoccupés par leurs affaires privées que par les affaires communes de la cité.
Pour ces politiciens de profession, la politique est « un mode de vie, une fin en soi, même s’ils croient ou s’efforcent de croire que leur fonction est de promouvoir le bien de la société dans laquelle ils opèrent »53 alors que pour les idiotés c’est-a-dire pour tous ceux qui ne sont pas politiciens, « la politique est une activité purement instrumentale, c’est un moyen : ce qui compte en dernière analyse, ce sont les objectifs »54 .
Ainsi l’idiotès désignait un citoyen qui (conformément à l’idéal démocratique) ne participait qu’occasionnellement à la vie publique, en présentant une proposition, en introduisant une poursuite publique, en se présentant à une magistrature, c’était aussi un citoyen qui (à l’encontre des idéaux démocratiques) se tenait en dehors de toute forme d’activité politique. Ainsi, nombre de ceux qui assistaient plus ou moins régulièrement aux séances de l’Assemblée, ne prenaient jamais la parole et se contentaient d’écouter. Les sources anciennes insistent beaucoup sur cette passivité de la masse du démos. C’est le cas de Démosthène. Dans plusieurs des discours prononcés par lui devant l’Assemblée, il revient sur cette indifférence des citoyens, qui se rendent à l’Assemblée comme on va au spectacle. Cela est particulièrement sensible dans le discours Sur les affaires de Chersonèse qu’il conclut par une exhortation à une plus grande responsabilité de la part des citoyens : « Si vous cessez de vous montrer indifférent à tout, peut -être, Athéniens peut -être y a-t-il encore quelque chance pour que vos affaires s’améliorent. Mais si vous persistez à ne rien faire, si vous n’avez de zèle que pour huer certains orateurs et pour en applaudir d’autres, enfin, si, dès qu’il faut agir, vous vous dérobez, je ne connais pas de discours qui, sans aucun effort de votre part, soit capable de sauver la cité »55.
Démosthène revient encore à la charge dans la troisième Philippique sur l’indifférence et la passivité du démos devant ceux qui ne songent qu’à le flatter : « Dans les assemblées, vous vous délectez à vous entendre flatter par des discours qui ne visent qu’à vous plaire »56. Et cela débouche sur l’incapacité d’agir : « Vous n’êtes attentifs à vos affaires qu’au moment même où vous écoutez les débats, ou lorsqu’on vous annonce quelque chose de nouveau ; après cela, chacun de vous s’en va et non seulement n’y pense plus, mais ne s’en souvient
A l’opposé de l’idiotès, le politeuoménos était un citoyen politiquement actif, c’est-à-dire qui agissait régulièrement au titre de ho bouloménos58 en prenant la parole devant les assemblées politiques en présentant des propositions, en initiant des poursuite s publiques et en faisant acte de candidature, quand des fonctions officielles étaient à pourvoir par élection ou par tirage au sort. Mais, comme le dit Hansen, il est difficile de trouver un terme en Grèce ancienne qui correspond à notre expression « homme politique », « si ce n’est le doublet rhètorés kai stratègoi, ‘‘les orateurs et les stratèges’’ »59. Donc pour gagner des voix et triompher dans un débat qui se tenait à l’air libre, il fallait être un bon orateur. Les deux termes sont pour la plupart du temps traités sépar ément dans les sources parce qu’ils représentent deux sortes différentes de leadership politique, même si rien n’empêche à un citoyen d’assumer les deux rôles à la fois, chose très courante d’ailleurs au Ve siècle. Ceci fait dire d’ailleurs, à Hansen que « des hommes politiques tels que Thémistocle, Aristide, Cimon, Périclès, Cléon, Nicias et Alcibiade furent élus et réélus stratèges, tout en menant une carrière d’orateurs politiques et proposant des projets de lois à l’assemblée »60.
Ainsi, lorsque les sources anciennes mentionnent de ceux qu’elles appellent des hommes politiques, elles désignent d’une part des magistrats plus précisément des stratèges qui formaient un collège de dix magistrats élus qui, outre leur charge de commandant des forces athéniennes, avaient d’importantes fonctions civiles, d’autre part des orateurs, les rhetores, « ces professionnels de la parole qui au IVe siècle ne sont pas nécessairement investies d’une charge publique, même si leur rôle s’avère de plus en plus déterminant dans l’orientation de la politique de la cité »61.
Donc contrairement au stratège, les rhétorès athéniens n’étaient pas élus, mais auto-désignés, ils faisaient seulement des propositions, mais ne prenaient pas de décisions, s’ils s’enrichissaient du fait de leur activité politique ; ils encouraient une sanction pénale, ils devaient constamment rendre des comptes devant le tribunal du peuple et il n’y avait pas de partis politiques auxquels ils puissent appartenir. Donc les orateurs étaient ainsi des « professionnels » de la politique. Et qu’ils fussent ou non par ailleurs investis d’une charge officielle, ils étaient tenus pour responsables des décisions qu’ils avaient contribué à faire adopter par le démos.
A ceux là, il faut ajouter, c’est-à-dire aux rhétorès et aux stratèges à partir du IV e siècle comme le témoignent les exemples de Callistratos d’Eubule, de Lycurgue et même de Démosthène, des administrateurs financiers. En effet au IV e siècle, les stratèges, ces vainqueurs ou perdants de la guerre comme les Chabrias, Timothée et autres Charès montèrent très rarement à la tribune, tandis que les assemblées politiques fu rent dominées par des figures telles qu’Eubule, Démosthène, Démade et Hypéride, qui étaient des administrateurs financiers et par conséquent ne furent jamais élus Stratèges. Cela s’explique par le fait que comme le dit Mossé « les stratèges ne sont plus, ou plus seulement, les magistrats les plus élevés de la cité, ils tendent à devenir presque exclusivement des généraux, souvent longtemps éloignés de la cité, et par voie de conséquence de la tribune »62. Ils se contentaient ainsi de voter à l’assemblée comme des citoyens ordinaires et n’essayaient pratiquement pas de parler ou de présenter eux-mêmes des propositions. Donc, quand on parle de « politiciens » à Athènes ont fait référence aux stratèges, aux orateurs et aux administrateurs financiers. Ce qui fai t dire d’ailleurs à Hansen que les hommes politiques de la cité à l’époque classique étaient: « Le petit groupe des orateurs à l’assemblée, des stratèges et des magistrats financiers qui ne se contentaient pas d’exercer de temps à autre leurs devoirs civiques en se présentant à une élection ou proposant des lois ou des décrets, mais prenaient régulièrement des initiatives dans les assemblées politiques »63.
Il importe par ailleurs de rappeler ce qui pouvait susciter des antagonismes au sein de la communauté civique particulièrement entre les différents leaders politiques. Ainsi, l’acceptation ou le refus du régime établi par Clisthène était le premier facteur de division au sein du démos. Un facteur d’antagonisme se révèle être l’opposition entre riches et pauvres et enfin celui du réveil ou non de l’impérialisme athénien. Donc comme le disait Alain la perception et la distribution des revenus publics, et la guerre, qui est elle-même en rapport avec la liberté des citoyens et avec leurs richesses »64.
Par ailleurs, l’élite politique ainsi constituée était répartie entre les groupes politiques existant selon leur idéologie. Il serait donc intéressant de s’intéresser aux différents groupes politiques athéniens du début de la démocratie.

Les groupes politiques de Solon à l’époque de Périclès 1-Les groupes politiques avant l’époque de Périclès

Dans l’antiquité, le système politique le plus répandu est la monarchie et le roi, considéré comme le représentant de Dieu sur terre, est détenteur du pouvoir. Mais dans la seconde moitie du VIe siècle, à Athènes, en Grèce, un événement extraordinaire s’est produit : la naissance d’un nouveau modèle de gouvernement, la démocratie, littéralement « gouvernement par et pour le peuple ». La démocratie n’a pas été instituée à la suite d’une révolution ou d’une insurrection mais elle est née d’une succession de plusieurs réformes faites par des législateurs qui ont eu à amoindrir au fur et à mesure des années le pouvoir de l’aristocratie. Ainsi, à Athènes les années qui s’interposent entre les réformes de Solon et l’ascension de Pisistrate de même que celles qui quelques décennies après préparent la grande révolution Clisthénienne « étaient caractérisées par la lutte des factions, opposées l’une à l’autre de façon parfois violente pour obtenir le contrôle de la ville »1. La constitution d’Athènes2 ne laisse guère de doutes à propos de la nature territoriale et de la c omposition de ces factions : il ne s’agissait que de clientèles réunies tout autour des familles propriétaires diverses dont les chefs étaient les véritables protagonistes de la lutte politique.
Ainsi en 621 av J.-C, dans un contexte de dissensions civiles, les factions en lutte s’entendirent pour exiger la publication de lois connues de tous et capables de mettre fin aux vendettas qui opposaient entre elles les familles aristocratiques. Dracon est ainsi mandaté pour mettre par écrit des lois3 ne s’appliquant qu’aux affaires de meurtre et dont la dureté devait rester légendaire d’où l’adjectif draconien. Mesure limitée, qui, cependant affirme pour la première fois l’autorité de l’Etat au-dessus des parentés dans le domaine de la justice, instaure un droit commun pour tous et, par là même, porte atteinte à l’arbitraire des aristocrates.
Mais, à la fin du VIIe siècle, la situation sociale se dégrade. Deux problèmes distincts se posent : le manque de terre et le poids des redevances paysannes, d’une part ; la réduction en esclavage pour dettes, d’autre part, qui concerne particulièrement les hectémores, « dont le nom signifie qu’ils devaient verser le sixième de leur récolte, selon certains auteurs, ou les 5 /6 selon d’autres, aux grands propriétaires »4. Les troubles avaient atteint une telle intensité que, pour éviter un bain de sang, les diverses factions s’accordèrent pour faire appel à la médiation de Solon5, qui parvient à calmer les esprits en imposant une série de réformes dont les principales furent la levée de toutes les hypothèques et l’abolition totale de l’esclavage par dette. Mais l’œuvre de Solon ne se limita pas à la seisachteia. D’autres mesures, juridiques, politiques, économiques, la complétèrent. Sur le plan politique, il aurait créé, parallèlement à l’Aréopage, un conseil de 400 membres qui annonce la future boulè.
Il aurait aussi réparti l’ensemble des citoyens en quatre classes censitaires6 qui subsistèrent pendant toute l’histoire athénienne. Ainsi, aux pentacosiomédimnes et aux hippeis étaient réservées les magistratures principales. À la classe des zeugites étaient groupés, les citoyens qui produisaient entre 200 et 300 mesures de blé, de vin ou d’olive et qui étaient capables de s’équiper en hoplites. Enfin, les thètes englobaient les citoyens qui produisaient moins de 200 mesures de blé, de vin ou d’olives pour son compte. Désormais, le critère pour être éligible au poste de magistrat est basé sur la fortune produite et non sur la naissance. Sur le plan juridique, Solon créa un droit athénien commun pour tous, en édictant une série de lois qui furent rendues publiques. Enfin sur le plan é conomique, Solon publia une réforme des poids et mesures. Désormais, « la mine pèse 100 drachmes, au lieu de 73 (ou 70) auparavant »7.
Cependant, le compromis solonien fut de courte durée : trente ans plus tard, les luttes intestines avaient de nouveau mené Athènes au bord de la guerre civile, les « partis » se déchiraient tout en se recomposant. On distingue désormais les gens de la plaine, menés par Lycurgue, qui comprennent surtout de grands propriétaires, c’est-à-dire des eupatrides8 ; les gens de la côte ou Paraliens pour lesquels les profits nés du commerce et de la navigation jouent un rôle plus important 9 ; les Diacriens dirigés par Pisistrate qui regroupent des Athéniens originaires de la région comprise entre le Parnes et Brauron au Nord-est, zone de collines arides, occupée par des paysans peu aisés, auxquels ont pu se joindre les paysans des autres régions de condition similaire10. Il y avait donc trois factions : les gens de la cote, qui semblaient soutenir la politique modérée , les gens de la plaine, qui favorisaient l’oligarchie et enfin les gens de la montagne qui passaient pour les plus dévoués à la démocratie.
L’historiographie moderne a par ailleurs tendance à démontrer à par tir des noms géographiques porté s par les trois « partis » qui s’opposaient, que les factions avaient un caractère régional et traduisaient les antagonismes subsistant entre les différentes parties de l’Attique, dont l’unification était loin d’être encore une réalité. Ainsi selon A. Andrews, les noms des partis qui s’affrontaient à la veille de la prise du pouvoir de Pisistrate étaient déterminés par le fait que leurs chefs respectifs étaient originaires du Pédion, de la Paralia et de la région au-delà des collines11. Mais, c’est surtout avec Sealey que le régionalisme comme facteur d’explication des conflits politiques de l’Attique du VIe siècle s’est affirmé avec le plus de vigueur. Ainsi pour lui, « tous les conflits politiques de l’époque archaïque peuvent être ramenés à des tentatives faites par les aristocraties locales pour arracher à l’aristocratie urbaine le contrôle de l’archontat et par voie de conséquences de l’Aréopages »12. Donc pour Sealey, les luttes politiques de l’Attique du VIe siècle doivent être ramenées à des antagonismes régionaux.
Cependant contrairement à ces deux auteurs, Claude Mossé soutien t que « ramener les luttes politiques de l’Attique du VIe siècle à de simple querelles régionales, revient à amoindrir la valeur de l’expérience politique grecque »13. En effet, pour elle les partis ne se recrutaient pas exclusivement dans une région déterminé e et par là même ne défendaient pas des intérêts régionaux de plus l’origine géographique des chefs des partis ne correspondaient pas à une répartition géographique des différentes groupes sociaux.
Par ailleurs, c’est dans ces conditions de luttes atroces entre les différentes factions que prend le pouvoir grâce à l’appui des paysans diacriens et celui des hoplites. Il établit ainsi sa durable « tyrannie », sorte de dictature populiste éclairée sous laquelle Athènes s’affirma pour la première fois, comme une grande cité d’art et de culture. Les deux fils héritiers de Pisistrate n’ayant pas, comme on l’imagine, la même habileté que leur père, s’attirèrent assez d’inimitié pour être, l’un assassiné, l’autre ensuite renversé par une conspiration aristocratique menée par Clisthène.
Ainsi pour Mossé, la crise n’avait pas tardé de renaître, et le conflit opposait deux hommes, « Clisthène l’Alcméonide et Isagoras, fils de Teisandros, et ami personnel de Cléomène, le roi de Sparte »15. En effet, après l’expulsion d’Hippias, les institutions, qui n’ont jamais été abolies, retrouvent leur jeu normal et l’accès aux magistratures principales redevient l’objet des luttes de « partis ». Ces « partis » sont en fait des factions aristocratiques regroupant le chef d’une grande famille, ses parents et ses partisans. Ainsi s’affrontent les factions « d’Isagoras, demeuré en Attique au temps de la tyrannie mais sans en soutenir la politique, et de Clisthène, dont la famille, les Alcméonides, a entretenu avec les tyra ns des relations plus complexes, passant par des phases d’alliance puis d’hostilité jusqu’à leur exil »16.
En un certain sens, la lutte entre ces deux factions exprime, au-delà de la rivalité entre deux familles aristocratiques, des positions différentes à l’égard de la tyrannie. Isagoras l’emporte en 506-507 mais Clisthène fait entrer le démos, c’est-a-dire le peuple, dans son hétairie, ce qui lui permet de prendre sa revanche et d’accéder à l’archontat. Isagoras appelle à son secours Sparte, qui le rétablit dans l’archontat. Clisthène part alors en exil, suivi de 700 familles, qu’Isagoras fait bannir. Ce succès est de courte durée : « le conseil des Quatre-Cents appelle le dèmos aux armes ; les Spartiates, assiégés sur l’Acropole, consentent à évacuer l’Attique, Isagoras et ceux de ses partisans qui ont échappé à la mort s’exilent à leur tour et se regroupent autour d’Hipparque, fils de Charmos, parent des tyrans »17.
Parvenu au pouvoir, Clisthène entreprit sur le champ de démolir méthodiquement les structures de vieille société stratifiée ( lignages, patronages, solidarités tribales et régionales, qui envenimaient tous les conflits civils), et de tout refonder sur la base d’un rigoureux plan géométro -politique conçu pour garantir à tous les citoyens un droit égal de participer aux instances de décision de la cité. Il sapait ainsi, « les bases de la puissance sociale de l’ancienne aristocratie »18.
Clisthène procède en effet à une recomposition structurelle du corp s des citoyens, afin de rompre les anciennes solidarités territoriales, locales ou familiales. « Les anciennes divisions, les quatre tribus ioniennes et les naucraries19 perdent toute fonction »20. Les citoyens sont répartis, selon leur résidence, en centaine de dèmes21 regroupés, par trois ou par quatre, dans des trittyes22. Ces trente trittyes sont à leur tour regroupées dans dix tribus, à raison de trois par tribu. Contrairement aux trittyes, qui se composent de dèmes limitrophes, les tribus rassemblent des trittyes situées dans chacune des trois régions de l’Attique23.
Il institua « l’ostracisme », procédure en deux temps par laquelle le peuple pouvait condamner à un exil de dix ans quiconque était sus pecté de briguer un pouvoir personnel. Cette mesure n’a pas de caractère punitif, elle n’est assortie d’aucune amende ni de confiscation de biens, elle constitue une précaution à l’égard d’une personnalité que sa popularité excessive pourrait inciter à la tyrannie, dénaturant ainsi le fonctionnement de la démocratie. D’autres mesures constitutionnelles viendront parachever l’œuvre de Clisthène.
Ainsi, « en 510/500, un serment fut imposé aux bouleutes à leur entrée en charge, par lequel ils apparaissaient définitivement comme les gardiens de la constitution. La même an née fut organisé le collège des 10 stratèges élus à raison d’un par tribu »24.
L’œuvre politique de Clisthène répond à des objectifs précis : mettre fin aux luttes des grandes familles et aux divisions régionales sur lesquelles leur puissance s’appuie, unifier l’Attique en répartissant ses citoyens en dèmes regroupés en tribus qui représentent, chacune, une sorte d’échantillon de l’ensemble du corps des citoyens25, élargir le dèmos en accordant le droit de cité aux métèques ou étrangers établis en Attique sa ns posséder de bien foncier. Ce n’est plus la propriété foncière mais un ensemble de droits et de devoirs qui forment ainsi la substance de la citoyenneté. L’adoption du tirage au sort pour le choix de la plupart des magistrats et le recours à l’ostracisme permettent de protéger les institutions contre les démagogues et les ambitieux. C’est cette « révolution clisthénienne » qui marque la naissance de la démocratie athénienne. Ainsi comme l’a écrit Mossé, Clisthène créa « les conditions qui allaient permettre à la démocratie de naître, en rendant tous les citoyens semblables devant la loi, une loi qui désormais serait l’expression de la volonté du démos tout entier »26.
La démocratie athénienne 27 est ainsi fondée sur le pouvoir de la majorité du peuple assemblé et sur la possibilité, pour chaque citoyen, de participer également aux différents organes de l’Etat (isonomie28 et isègoria29). L’isonomie exprimait le principe d’égalité politique. Il ne signifiait pas égalité devant la loi, mais l’égal droit de tous les citoyens à exercer leurs droits politiques et « c’est cette isonomie qui traduit concrètement le remodelage de l’espace civique, et plus simplement le fait que désormais un Athénien ne se désigne plus par le nom de son père mais par son dème d’origine »30, alors qu’iségoria signifiait l’égalité devant le droit de parole. Le droit pour chaque citoyen de prendre la parole et de faire des propositions dans les assemblées politiques. Ces différents organes qui assurent la vie de la cité forment la politeia. Il s’agit principalement de : l’ecclésia, de la Boulè, de l’Héliée et de l’aréopage.

Les groupes politiques à l’époque de Périclès

Le Ve siècle a fourni à Athènes la plupart de ses grands hommes politiques dont Plutarque retrace souvent la vie. Et Aristote a dressé une liste de couples de chefs politiques opposés en deux camps, les uns qualifiés de « chefs du peuple » (en grec prostatai tou démou), ou « démagogue »34, les autres de « chefs des notables » ou « des honnêtes gens » ou « des riches »35. Parfois même « l’opposition est si évidente que l’ont dit les « autres », en employant le mot qui suppose l’existence de deux groupes »36.
Il apparaît ainsi que les luttes politiques à Athènes durant les premiers siècles de la démocratie opposaient deux groupes ou factions aux idéologies profondément antagonistes (démocratique et aristocratique) : les pauvres, partisans du régime démocratique et les riches, partisans du régime oligarchique. Il y a donc démocratie lorsque une majorité d’hommes libres mais pauvres détient le pouvoir, oligarchie quand il appartient à une minorité d’homme riches et de plus noble naissance. L’idéologie démocratique est conçue comme « un ensemble d’idées ou de représentations plus ou moins diffus qui justifient la démocratie »37. Cette dernière vise l’intérêt, non d’une minorité, mais du plus grand nombre et a comme principe l’égalité devant la loi et la liberté. Ainsi comme le dit Gustave Glotz, à Athènes : « Dans la vie privée, la loi ne fait aucune différence entre les citoyens. Dans la vie publique, la considération ne s’attache ni à la naissance ni à la fortune, mais uniquement au mérite, et ce ne sont pas les distinctions sociales, c’est la compétence et le talent qui frayent la voie des honneurs. Une égalité ainsi comprise, qui laisse le champ ouvert à la valeur personnelle, ne nuit en rien à la liberté. Chacun est libre de ses actes, sans avoir à craindre ni curiosité soupçonneuse, ni regard improbateur »38.
A l’opposé, par idéologie aristocratique il faut entendre l’ensemble des idées et des représentations permettant de reconnaître certains citoyens comme les « meilleurs » et de justifier ainsi le pouvoir à ces citoyens privilégiés. Ainsi comme le dit Alain Duplouy « pour toute la pensée politique antique, l’aristocratie fut donc une forme de constitution dans laquelle l’exercice du pouvoir politique est entre les mains d’un petit groupe d’individus dont l’action vise au bien commun »39.
L’expression « être à la tête du peuple » ne fait pas référence à une magistrature ( arche), mais à une influence qui s’exerce sur le démos40, le peuple. Ce dernier ne concerne que des citoyens mais peut être compris comme le peuple assemblé ou comme une sorte de « parti populaire » par opposition aux « honnêtes gens ». Mais on peut comprendre « peuple » comme peuple assemblé, le chef du peuple n’étant alors que celui qui est suivi, pendant un certain temps, par la majorité lors des séances de l’assemblée.
Quant aux expressions « honnêtes gens », « gens en vue », elles ne concernent pas une noblesse constituée mais plutôt une aristocratie assez large, fondée à la fois sur la renommée de la famille, l’éducation et la richesse.

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Table des matières

INTRODUCTION
1ère Partie : LES GROUPES POLITIQUES AVANT LA GUERRE DU PÉLOPONNÈSE
Chapitre 1 : DÉFINITION : PARTIS OU GROUPES
1- Le débat sur partis ou groupes
2- La composition des groupes
3- La « classe politique » athénienne
Chapitre 2 : LES GROUPES POLITIQUES DE SOLON À PÉRICLÈS
1- Les groupes politiques avant l’époque de Périclès
Les groupes politiques à l’époque de Périclès
2e partie : L’ÉVOLUTION DES GROUPES POLITIQUES DE 431 A 337 av J.-C
Chapitre 3 : LES GROUPES POLITIQUES DURANT LA GUERRE DU PÉLOPONNÈSE
1- La démagogie
2- Les hétairies et les deux révolutions oligarchiques
3- Le groupe des modérés : Idéal ou Réalité ?
Chapitre 4 : LES GROUPES POLITIQUES DU IVe SIÈCLE
1- Les hétairies du IVe siècle
2- L’opposition entre impérialistes et pacifistes
3- L’opposition entre pro-macédoniens et anti-macédonien
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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