Les formes contemporaines de l’autonomie ouvrière

Les formes contemporaines de l’autonomie ouvrière

Développement de la société de consommation

Cette nouvelle configuration du système de protections, rattachée au relâchement du lien de dépendance envers la compagnie, s’est développée dans le contexte particulier d’une forte croissance démographique associée à l’émergence d’une société de consommation : progressivement, les échanges commerciaux se sont faits plus importants et des points d’approvisionnement sont apparus localement, mis en place par des commerçants indépendants. Il est alors devenu possible pour les ouvriers d’ouvrir de petits commerces en se pourvoyant en biens de consommation courante chez des grossistes locaux, et de les revendre dans les pondok.    Cette nouvelle dynamique s’accompagne d’un fort désir de consommer. Les tentations de dépenser le salaire dans les biens de consommation sont grandes et elles sont facilitées par la proximité de nombreux marchands ambulants qui viennent frapper aux portes. En 2010 lors de l’enquête, toutes les maisons étaient équipées d’une télévision couleur et, dans les zones où le réseau électrique le permettait, d’un réfrigérateur. Chacun de ces deux biens de consommation vaut environ un mois de salaire, et leur acquisition est généralement réglée par un paiement à crédit qui s’étale sur trois à quatre années. Le téléphone portable et la moto sont aussi deux biens fréquemment possédés par les familles. Aux dires de mes interlocuteurs, les premières télévisions sont apparues dans les pondok entre la fin des années 1980 et le début des années 1990, et la moto est répandue depuis le début des années 2000. Depuis quelques années, le téléphone portable est aussi devenu un incontournable, à la fois objet de consommation et outil d’organisation des activités économiques. Les visites de maisons pendant les entretiens ont montré la grande diversité des situations d’accumulation, d’investissement et de consommation. Les éléments précédents ne doivent pas occulter le caractère très dénudé de certains intérieurs de pondok. Les maisons les plus simples comportent dans la pièce principale un tapis sur lequel s’assoient les membres de la famille pour regarder la télé posée sur une petite table basse, une ou deux chaises en plastique, des icônes religieuses et des photos de famille sur les murs. D’autres maisons sont meublées de manière très chargée : fauteuils et canapés, vaisselier, réfrigérateur et parfois même un aquarium encombrent le petit salon du pondok. Les causes de cette diversité sont explicitées dans le paragraphe C de ce chapitre. Un des aspects qui transcende ces différences et sur lesquels les comportements des parents (et plus particulièrement les mères de famille) présentent une grande homogénéité est la consommation alimentaire de leurs enfants. Le jajan, ou « gourmandise » vient ponctuer de nombreux moments de la journée : sucreries, gâteaux, glaces, boulettes de viandes, beignets frits sont vendus partout dans les petits stands ou les grandes épiceries, ou encore par des marchands ambulants. Les enfants vont et viennent entre leurs parents à qui ils réclament de l’argent et ces différents lieux où ils se procurent leur jajan. Ces douceurs peuvent être des fabrications locales ou des produits de l’industrie agroalimentaire pour lesquels la publicité abonde sur les ondes télévisuelles et qui sont vendus en quantité dans les petits commerces que tiennent certaines femmes d’ouvrier. L’accès facilité à des biens de consommation de masse se traduit par une sollicitation permanente à la dépense, favorisée par un système d’achat à crédit très développé (voir partie C.1 de ce chapitre). La construction de protections individuelles et de nouveaux modèles de consommation s’est faite progressivement depuis les années 1970 ; ce mouvement s’exprime dans le cadre dessiné par l’évolution des conditions salariales mais aussi par le contexte socioéconomique définissant les possibilités d’investissement localement. La consommation de masse et le surendettement dans lequel s’engagent certaines familles correspondent à une envie forte de répondre aux frustrations de la privation connue par les générations précédentes. Olivier Schwartz aborde lui aussi le changement que constitue l’arrivée de la société de consommation pour les descendants de mineurs qui entrent à leur tour dans la vie professionnelle :                        « Pour tous mes interlocuteurs, l’entrée dans la consommation (liée au progrès des conditions économiques depuis les années 60) constitue un évènement majeur. Chez leurs parents, dans la société minière où ils ont grandi, travail, inconfort et privations étaient la dominante. La faculté d’accéder et de participer à la sphère des biens introduit une séquence significative dans leur histoire, une rupture avec le mode de vie parental et avec leur propre enfance. L’ouverture à la jouissance des biens et au statut de consommateur prend un caractère souvent jubilatoire, s’accompagne d’un sentiment de pouvoir, et rend d’autant plus problématique l’acceptation de la pauvreté pour les familles paupérisées. » (Schwartz, 1990 : 96-97). L’entrée dans la société de consommation, et la rupture qu’elle entraîne par rapport à la génération précédente, est un thème qu’aborde aussi Richard Hoggart (Hoggart, 1957). Le caractère « jubilatoire » de ces nouvelles pratiques mis en avant ici éclaire d’autant plus la force de tension exercée entre consommation directe et anticipation de l’avenir. L’économie de subsistance qui caractérise les familles ouvrières jusque dans les années 1970 fait place à une gestion des ressources économiques plus complexe : il ne s’agit plus de produire ou d’acheter le nécessaire pour vivre, mais bien d’utiliser les ressources pour les faire fructifier (investissements en vue d’une sécurité future) ou pour les consommer immédiatement pour assurer un confort à la famille.

Le contexte foncier saturé de l’autonomie contrôlée

Les mouvements de migration de travailleurs javanais associés à l’entreprise d’implantation capitaliste se sont déroulés jusque dans les années 1950. Peuplée par des vagues successives de migrations organisées, cette région est la plus densément peuplée des territoires porteurs de grandes plantations. Ce solde migratoire a entraîné une croissance démographique importante, et la densité de population du district était de 233 hab/km² en 2009, soit plus de deux fois la densité moyenne de l’île de Sumatra qui s’élevait la même année à 106 hab/km² (source : BPS, Badan Pusat Statistik, Bureau National des Statistiques). Les données de cadrage collectées au BPS indiquent que la densité de population a presque doublé depuis le début des années 1970, passant de 120 à 230 hab/km². Bien que celle-ci soit

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Table des matières

Introduction
La plantation, figure historique singulière du capitalisme agraire
De l’étude du salariat en l’absence d’État social à la définition du capitalisme agraire
Partie I : Les fondements de l’analyse
Chapitre I : Analyse socio-historique du capitalisme agraire dans les plantations indonésiennes
A – Colonisation agricole du « Dollar Land » de Deli, Sumatra Est (1863-1947)
B – Crise foncière majeure de 1942 à 1966 : d’ouvriers à ouvriers protégés et ouvrierspaysans
C – Neutralisation de la critique et expansion des plantations depuis 1966
D – Le capitalisme de plantation, un système paternaliste
Chapitre II : Le capitalisme de plantation : idéaltype historique et hypothèse d’évolution contemporaine
A – Construction idéaltypique du capitalisme de plantation
B – Arguments pour un changement d’état du capitalisme de plantation
C – Contexte de l’évolution du capitalisme de plantation : de faibles régulations publiques du travail et du foncier
Chapitre III : De l’objet sociologique à la pratique de terrain
A – Le sous-terrain : construction de l’accès au terrain
B – Principes méthodologiques : le choix d’une approche qualitative
C – Le terrain : méthode de recueil des données
D – La posture d’anthropologue
Partie II : Les formes contemporaines de l’autonomie ouvrière
Chapitre IV : L’autonomie contrôlée
A – Construction historique d’un rapport stratégique à l’avenir
B – La sécurité de l’ouvrier et sa famille : état des conditions salariales
C – La construction d’une sécurité complémentaire
Chapitre V : L’autonomie conquise
A – Le contexte foncier de l’autonomie conquise
B – Les modalités de l’engagement ouvrier
C – La conquête de l’autonomie par un puissant processus d’ascension sociale
D – Variations autour des expériences d’autonomie conquise
Partie III : Les conditions de la dépendance
Chapitre VI : Les contours de la subordination
A – Le pondok comme cadre du contrôle de la vie privée
B – Les pratiques d’une autorité personnelle et insidieuse
C – L’accès au crédit comme stratégie de contrôle
D – Neutralisation du canal syndical
E – Les programmes sociaux comme modalité de contrôle des périphéries
Chapitre VII : Les ressorts de l’intériorisation de l’autorité
A – Subordination à l’ordre établi sous autonomie contrôlée
B – Autonomie conquise et rapport instrumental au travail
C – L’intériorisation de l’autorité, ressorts culturels ou sociaux
Conclusion générale
Bien commun et esprit du capitalisme de plantation
Autonomie et engagement dans le capitalisme
Annexes
Annexe 1 : Guides d’entretien avec les familles ouvrières
Annexe 2 : Guide d’entretien avec les supérieurs hiérarchiques
Annexe 3 : Liste des entretiens
Annexe 4 : Présentation des études de cas de Sumatra Nord
Annexe 5 : Présentation des études de cas de plantations récentes
Bibliographie thématique
Liste des tableaux
Liste des figures
Liste des illustrations
Liste des sigles
Glossaire
Table des matières

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