Les fondements philosophiques du droit naturel spinoziste

A un correspondant qui lui demande quelle est la différence entre sa vision politique et celle de Hobbes, Spinoza répond brièvement et modestement ceci : « Vous me demandez quelle différence il y a entre Hobbes et moi quant à la politique: cette différence consiste en ce que je maintiens toujours le droit naturel et que je n’accorde dans une cité quelconque de droit au souverain sur les sujets que dans la mesure où, par la puissance, il l’emporte sur eux ; c’est la continuation de l’état de nature » . L’enseignement principal que l’on peut retenir de cette réponse faite par Spinoza, c’est que la différence entre Hobbes et lui ne se porte pas sur ce qu’est le droit de nature, mais sur sa localisation ou son emploi. Cette différence réside principalement dans le fait que Hobbes conçoit la cité comme une sortie de l’état de nature, alors que lui considère qu’il s’agit de sa continuation. Dès lors le contrat, moyen par lequel on passe d’un état à un autre ne consiste pas dans une rupture avec l’état de nature. En effet, derrière l’engagement des hommes à vivre ensemble et à se dessaisir de leur droit pour le confier à l’un ou à quelques uns d’entre eux, il faut toujours voir le discours de la puissance. Le pouvoir du souverain se mesure au degré de participation des sujets à l’exercice de la souveraineté et au degré de puissance que le détenteur du pouvoir est capable d’exercer sur eux. Cette ontologie de la puissance a pour conséquence un anti-juridisme, un rejet de la médiation juridique d’un pouvoir souverain au profit de la puissance de la multitude.

LES BASES D’UNE THEORIE METAPHYSIQUE DE L’HOMME

LE DIEU IMMANENT DE SPINOZA ET LA QUESTION DU DETERMINISME

Fonder le droit naturel sur des bases métaphysiques, tel est l’un des objectifs majeurs du spinozisme. C’est pourquoi dans sa conceptualisation comme dans sa démarche, il a senti la nécessité de s’appuyer sur l’ontologie qui en est incontestablement le socle. Toute la théorie spinoziste est en effet basée sur une métaphysique qui prend pour point de départ l’être suprême qu’est Dieu. L’ouverture même de l’Ethique traduit manifestement cette volonté de déduire le droit humain et, de façon plus générale, toutes choses à partir de la puissance de Dieu. Tout au début de ce texte, Spinoza propose une série de définitions qui ont pour but d’expliciter la notion même de Dieu. Ce dernier, nous dit-il, est « un être absolument infini, c’est-à-dire une substance constituée par une infinité d’attributs dont chacun exprime une essence éternelle et infinie » . Spinoza définit Dieu comme étant un être éternel et infini qui englobe en son sein même une multitude d’attributs qui tous existent en lui et par lui. Ces attributs, éternels eux aussi, expriment (chacun à sa manière) l’essence de Dieu. L’intellect humain n’en connaît cependant que deux : l’Etendue et la Pensée. Ces attributs sont susceptibles de modifications. L’Etendue en se modifiant devient corps ; quant à la Pensée, elle a pour modification l’esprit. Spinoza insiste sur le fait que nous ne pouvons connaître que ces deux attributs dans la mesure où l’âme humaine, étant l’idée du corps, ne peut percevoir que ce qu’enveloppe l’idée du corps ou ce qui peut être conclu de cette idée. Tout attribut étant conçu par soi, ne peut être déduit d’un autre : les attributs autres que la Pensée et l’Etendue ne peuvent donc être déduits de la Pensée et l’Etendue que nous connaissons. Nous ne pouvons donc comprendre les choses naturelles que par notre esprit ou notre corps ; c’està-dire par un moyen physique ou spirituel. Et tout fait physique est rapporté à un fait mental ou spirituel. Spinoza critiquera amèrement le dualisme cartésien.

En effet, il s’oppose catégoriquement à la doctrine cartésienne de l’homme défini comme l’union entre une âme et un corps. Dans le scolie de la proposition XXI dans lequel il procède à la description de la relation qui existe entre l’esprit et le corps, il établit une identité entre ces deux attributs : « l’Ame et le Corps sont un seul et même individu qui est conçu tantôt sous l’attribut de la Pensée, tantôt sous celui de l’Etendue » . L’âme et le corps sont donc une seule et même chose. Dès lors, tous les décrets de l’âme ne sont rien d’autre que les appétits eux-mêmes et varient en conséquence selon la disposition variable du corps. Il n’y a donc entre ces deux attributs aucun rapport de causalité encore moins de supériorité de l’un sur l’autre. Il y a plutôt un parallélisme entre eux. L’âme et le corps sont parallèles, nous dit-il. Et, s’il y a parallélisme entre eux, il ne peut plus y avoir d’interaction car l’interaction implique nécessairement un rapport de cause à effet. Or ce rapport n’existe pas entre eux. Ce qui existe entre eux, c’est plutôt un rapport de proportionnalité. Cela veut dire qu’aucun attribut n’agit sur l’autre ; et qu’à chaque modification de l’un correspond une modification de l’autre, et même de tous les autres (puisqu’il en existe un nombre infini), sans qu’il y ait aucune interaction entre eux. Si Spinoza refuse toute supériorité de l’âme sur le corps, ce n’est nullement pour admettre le contraire. Il refuse aussi toute supériorité du corps sur l’âme. Cette conception apparaît dans le renversement de la théorie traditionnelle (notamment cartésienne) qui pensait la morale comme entreprise de domination du corps par la pensée : quand le corps agissait, l’âme pâtissait (passion), quand l’âme agissait, le corps pâtissait (liberté). Ce renversement n’est cependant pas sans conséquence. En effet, il établit un relativisme radical qui congédie toute morale qui prétendrait à l’absolutisme. Pour Spinoza, Dieu n’a aucune morale. Cette dernière n’est qu’œuvre humaine : elle est faite par les hommes et pour les hommes ; d’où son caractère incertain, faillible. Pire, elle est illusoire parce qu’elle suppose le libre arbitre. C’est justement ce libre arbitre que Spinoza combat de toutes ses forces. Le libre arbitre, considère-t-il, n’est fondé que sur le défaut de connaissance, l’illusion de liberté. Ceux qui croient en son existence et en sa possibilité se basent uniquement sur une opinion qui d’ailleurs n’est nullement fondée en raison et qui consiste à penser et à établir une adéquation entre leurs actions (dont ils ont une claire conscience) et les vraies causes qui engendrent celles ci, causes qu’ils ignorent totalement : « les hommes se trompent en ce qu’ils se croient libres ; et cette opinion consiste en cela seul qu’ils ont conscience de leurs actions et sont ignorants des causes par où ils sont déterminés ; ce qui constitue donc leur idée de la liberté, c’est qu’ils ne connaissent aucune cause de leurs actions » .

DE L’ETUDE ET DE LA REHABILITATION DE LA NATURE HUMAINE

La métaphysique spinoziste, constituée pour déterminer les lois et la direction de la vie humaine, a besoin, pour atteindre ses objectifs, d’épurer la nature humaine des nombreux préjugés et autres souillures dont elle est entachée. Elle doit obligatoirement adopter une démarche tout à fait nouvelle si elle ne veut pas tomber dans les travers auxquels se sont précipitées quelques unes des théories antérieures. Une approche nouvelle, beaucoup plus savante et plus impartiale, s’impose donc à elle. Cela veut dire, en langage plus clair, qu’elle ne peut plus considérer l’homme sous l’angle doctrinal, idéologique ou sectoriel, mais simplement de le considérer tel qu’il se manifeste réellement à elle. En d’autres termes, elle doit envisager les hommes tels qu’ils sont sortis des mains de la Nature, c’està-dire des êtres mus par des passions, vraies mobiles de leur conduite et causes principales de leur rivalité.

Nous pouvons d’ores et déjà dire que ce ne sera pas une mince affaire dans la mesure où il lui faudra déconstruire tout un édifice de préjugés solidement établis et profondément enracinés dans la mémoire collective. Nul doute que toute la tradition philosophique, aussi loin que l’on remonte le temps, a généralement opposé ces deux entités que sont la raison et les passions, en attribuant à ces dernières un rôle perturbateur tant dans le domaine de la connaissance que dans celui de l’action. Il en est résulté une hiérarchisation de la vie humaine. D’un coté, il y a le mode d’existence de l’homme vertueux incarné par le philosophe, sage parmi les sages ; et de l’autre, celui de l’homme passionné. Ces modes de vie, totalement différents parce que menés par des personnes « différentes », se mesurent selon les degrés de participation des acteurs au bien et au mal. Se pose alors le problème des valeurs ; et qui dit valeur dit forcement morale. La morale en tant qu’entreprise de régulation de la vie humaine a pendant longtemps été utilisée comme un moyen efficace pouvant permettre de contraindre et de condamner les passions. Son principal but était de réprimander les passions au profit d’une valorisation de la raison. Seule cette dernière, pensait-on, pouvait permettre à l’homme d’avoir une vie décente, une vie raisonnable ; c’est-à-dire une vie dans laquelle le sage aurait une parfaite maîtrise de ses passions au point qu’il ne peut plus les laisser influencer ses décisions et ses actes. C’est cet idéal de vie que l’on disait être conforme à la nature de l’homme. Au contraire, toute autre vie dans laquelle on donnerait libre cours aux passions était considérée comme une vie de débauche, une vie contre-nature. C’est pourquoi dans leurs travaux une place privilégiée était accordée à la raison. Ce privilège qu’ils accordent à la raison est cependant à l’origine de toutes les erreurs et de tous les manquements que l’on peut noter  dans leur système. En effet, pour la plupart d’entre eux, la nature humaine est ignorée et est restée enfouie dans le tréfonds des préjugés. Personne, à notre connaissance, n’a appréhendé l’homme tel qu’il se doit. Or, si l’homme n’est pas bien saisi, le droit naturel humain ne peut non plus être bien saisi. C’est pourquoi Spinoza ne manquera pas de critiquer amèrement leurs conceptions du droit naturel. Il sera même amené à le redéfinir. Mieux, c’est toute la philosophie qu’il redéfinit car celle-ci ne peut plus consister en un simple dualisme. L’activité philosophique n’a plus pour vocation de signer l’arrêt de mort des passions ; elle milite en faveur d’une réhabilitation de la nature humaine.

L’idée d’un corps qui serait un tombeau pour l’âme est, au premier chef, à l’origine de toutes les déviations et aberrations. Elle empêche de penser l’unité de la nature humaine. La nature humaine est une. Elle comprend la raison et les affections. Toutes les brouilles entre les théoriciens du droit naturel viennent de ce qu’ils la conçoivent différemment. Ce que Spinoza considère comme l’erreur monumentale commise par ses prédécesseurs, qu’il dénonce d’ailleurs, est que ceux-ci ont, juge-t il, non pas ignorer la nature humaine mais l’ont méconnu. En effet, qu’il s’agisse des classiques ou des modernes la nature humaine telle qu’elle devait être appréhendée ne l’a pas été. Les premiers (principalement les penseurs chrétiens) la ravalaient à des considérations inférieures et morales. Ils n’y ont vu qu’une nature « déchue » qui a besoin d’être relevée par la grâce de Dieu. Quant aux seconds, en purs rationalistes, ils n’ont privilégié dans la nature de l’homme qu’une seule entité: la raison. Ce sont ces manquements qui ont poussé Spinoza, dans sa réflexion sur la question du droit naturel, à insister sur la nécessité de prendre en considération tous les facteurs qui entrent en jeu lorsqu’il s’agit d’étudier l’homme. Rien ne doit être privilégié, rien ne doit être négligé.

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : LES FONDEMENTS PHILOSOPHIQUES DU DROIT NATUREL SPINOZISTE
Chapitre I : LES BASES D’UNE THEORIE METAPHYSIQUE DE L’HOMME
A- LE DIEU IMMANENT DE SPINOZA ET LA QUESTION DU DETERMINISME
B- DE L’ETUDE ET DE LA REHABILITATION DE LA NATURE HUMAINE
Chapitre II : LES SOURCES INTELLECTUELLES DU DROIT NATUREL SPINOZISTE
A- LES INFLUENCES DE LA PENSEE ANTIQUE : ARISTOTE, CICERON
B- L’HERITAGE MODERNE : SPINOZA LECTEUR DE GROTIUS ET DE HOBBES
DEUXIEME PARTIE : L’APPPROCHE SPINOZISTE DU DROIT NATUREL: PROBLEMES ET ENJEUX
Chapitre I : DROIT DE NATURE ET ETAT DE NATURE : PEUT – ON PENSER LA REALITE DU DROIT NATUREL DANS UN ESPACE MYTHIQUE ?
A- CRITIQUES SPINOZISTES DES CONEPTIONS ANTERIEURES DU DROIT NATUREL
B- LA REFORMULATION DU DROIT NATUREL PAR SPINOZA
Chapitre II : RAPPORTS SOCIAUX ET AUTORITE POLITIQUE : LES FONDEMENTS DU CONTRAT ET LA QUESTION DU TRANSFERT DE DROIT
A- LA FORMATION DU CORPS POLITIQUE ET L’INSTITUTION DE LA SOUVERAINE PUISSANCE
B- LA THEORIE SPINOZISTE DU TRANFERT DE DROIT PAR CONTRAT
TROISIEME PARTIE : DETERMINATION DU DROIT POSITIF CORRESPONDANT AU DROIT NATUREL
Chapitre I : DROIT NATUREL : INALIENABILITE ET EFFECTIVITE
A- DROIT DE NATURE, SOUVERAINETE ET DROIT DIVIN
B- LES LIMITES DU POUVOIR POLITIQUE : L’HOMME
Chapitre II : L’AFFIRMATION SPINOZISTE DE LA LIBERTE COLLECTIVE ET L’IDEE D’UN DROIT DE RESISTANCE
A- SPINOZA ET LA QUESTION DE LA RÉSISTANCE
B- L’AFFIRMATION DE LA LIBERTE COLLECTIVE DANS UN ETAT LIBRE
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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