Les femmes en Champagne pendant l’âge du Fer (dernier tiers VIe- IIIe siècle av. J.-C.)

A l’âge du Fer, la moitié des personnes à mourir étaient sûrement des femmes. Pourquoi alors ne font-elles pas l’objet d’études plus spécifiques dans la recherche archéologique française ? Elles représentent pourtant le thème principal de nombreux travaux dans d’autres disciplines des sciences sociales, que ce soit en anthropologie sociale, en sociologie, ou encore en histoire avec notamment les cinq volumes de L’histoire des femmes en Occident, publiés il y a maintenant un peu plus de vingt ans, sous la direction de Georges Duby et de Michelle Perrot (Duby, Perrot 1991).

Les sciences humaines en France ont d’ailleurs développé de nombreux axes de recherches liés aux gender studies et à la notion de genre, et la littérature sur ce sujet est très abondante depuis plusieurs années (trois exemples notables : Fougeyrollas-Schwebel et al. 2003 ; Bereni et al. 2008 ; Boehringer, Sebillotte Cuchet 2011). En revanche, la gender archaeology a encore trop peu d’impact sur la recherche archéologique en France, alors qu’elle a été développée dès les années 1980, particulièrement en Scandinavie et dans les pays anglosaxons (Díaz-Andreu 2005, p. 7). Elle y constitue même un véritable champ de recherche à part entière.

La notion de genre peut être considérée en fait comme une « méthode d’analyse » (Boehringer, Sébillotte Cuchet 2011, p. 11), car elle regroupe quatre aspects conceptuels fondamentaux. Elle permet tout d’abord de mettre en évidence la nature profondément construite, et non déterminée biologiquement, des différences sociales établies entre les hommes et les femmes. Ensuite, cette distinction est créée sur la base d’un rapport social, c’est-à-dire que l’assignation de caractéristiques ou de rôles aux femmes ne peut pas être comprise ni définie sans observer ceux édifiés pour les hommes, et inversement. Le troisième aspect de la notion de genre prend en compte le fait que les rapports sociaux hommes/femmes peuvent s’articuler selon un principe hiérarchique. Ces relations peuvent souvent s’appréhender comme un rapport de pouvoir qui représente un processus social et idéologique construit et non immuable. Enfin, ces rapports sont profondément changeants et varient en fonction de la période et de la zone géographique examinées, mais aussi de la catégorie sociale ou encore de l’âge des individus. Cet aspect est appelé l’« intersectionnalité» (Bereni et al. 2008, p. 5-7). En effet, un homme ou une femme ne sont pas simplement reconnus socialement comme « homme » ou « femme » tout au long de leur existence. L’implication de leur âge, de leur rôle et de leur catégorie sociale dans cette reconnaissance collective est aussi primordiale. Aussi, l’« attribution de genre » (Arnold 2001b, p. 242) des personnes évolue au cours de leur vie et de leur parcours au sein de leur milieu social.

La reconnaissance sociale des différences sexuelles entre les individus, de même que sa matérialisation au moyen des pratiques funéraires, ne vont donc pas de soi et ne sont jamais données d’avance car ce ne sont pas des « faits biologiques » innés. Elles relèvent avant tout d’un processus de construction collective et idéologique. Dès lors, il apparaît que la notion de genre est d’une importance considérable pour l’archéologie funéraire car elle permet de développer de nouvelles problématiques d’études, axées sur une approche plus sociale des vestiges sépulcraux. L’enjeu est en fait fondamental puisque cette notion permet également de remettre en cause l’approche traditionnellement admise des ensembles funéraires. Le terme «traditionnellement » est utilisé ici car cette approche est celle employée depuis le XIXe siècle dans les recherches archéologiques. En effet, dans les nécropoles de l’âge du Fer, une opposition très claire entre deux groupes de tombes est généralement mise en évidence. Des sépultures dites « masculines », contenant des armes, et des sépultures dites « féminines », dépourvues d’armement mais possédant des éléments de parure, sont distinguées usuellement. On en déduit le plus souvent qu’il serait possible de retrouver archéologiquement et de façon invariable des hommes et des femmes, à partir d’un mobilier sépulcral composé de «marqueurs sexuels ».

Mais en réalité, lorsque tous les défunts des nécropoles sont pris en compte, les interprétations traditionnellement données des communautés de l’âge du Fer champenois ne sont pas véritablement satisfaisantes. Les tombes à armes et celles à éléments de parure ne constituent pas en effet la totalité des ensembles sépulcraux découverts dans ces nécropoles. Une part importante de sépultures ne comporte pas ces catégories d’objets. Ces ensembles sépulcraux, et donc les individus qui y sont associés, ne sont pas intégrés dans ce type d’assignation. Dès lors, peut-on réellement estimer que les armes et les éléments de parure sont des «marqueurs sexuels », signifiant le « sexe » du défunt, alors qu’ils ne sont pas déposés dans toutes les sépultures des individus en fonction de leur sexe anatomique ?

De même, toutes les tombes de femmes des nécropoles ne possèdent pas des objets de parure. Il s’agit donc de se questionner sur la manière dont les femmes ont été représentées dans la sphère funéraire champenoise à l’âge du Fer et comment les pratiques funéraires peuvent être abordées par le prisme de la notion de genre. Car la considération des femmes de l’âge du Fer est également assez faible dans les interprétations sociales généralement présentées dans les études. Certes, elles portent des objets de parure et certaines se voient mêmes qualifiées de « femme de haut rang ». Mais elles ne sont jamais réellement considérées comme de réelles «actrices sociales » (Lacoste-Dujardin 2008, p. 10), au même titre que les hommes. Il en est de même pour les femmes inhumées dans les tombes à char. Si aujourd’hui, et contrairement au XIXe siècle, des explications comme celle d’ « épouse de chef gaulois » ne sont plus fréquemment utilisées pour expliquer ce phénomène, il n’en reste pas moins que les tombes à char de femmes posent encore certains problèmes d’interprétation. Généralement, ce sont uniquement les fonctions potentielles de ce char qui sont au centre de l’analyse. Ces fonctions proposées sont d’ailleurs souvent corrélées au caractère « féminin » moderne attribué à ces tombes. Des hypothèses fonctionnelles telles que celles de « char d’apparat » ou de « char nuptial » par exemple, sont souvent invoquées pour tenter d’expliquer la présence de chars à deux roues dans des tombes de femmes.

Par conséquent, l’approche habituelle et traditionnelle des vestiges funéraires de l’âge du Fer champenois est véritablement impuissante à rendre compte de la réalité des ensembles sépulcraux, contrairement à ce qui peut être supposé en premier lieu. Il est donc nécessaire de proposer une nouvelle approche, de même qu’une nouvelle méthode d’étude des ensembles funéraires, qui se fondent sur la notion de genre et sur les travaux menés par les chercheurs en archéologie du genre et des autres disciplines des sciences sociales.

L’approche traditionnelle des ensembles funéraires se fonde, depuis le XIXe siècle, sur un principe essentiel : l’identité personnelle d’un défunt serait directement identifiable à partir du mobilier avec lequel il a été enterré. Dès lors, les sépultures ont été qualifiées soit comme étant « masculines », quand elles comportaient des armes, soit comme étant « féminines », lorsqu’elles contenaient des éléments de parure. L’approche traditionnelle des vestiges funéraires admet, par conséquent, une corrélation directe entre le « sexe » du défunt et la nature des objets déposés dans sa tombe. En d’autres termes, elle reconnaît la possibilité de reconstituer un fait biologique à partir des vestiges mobiliers archéologiques qui sont avant tout des faits sociaux.

La recherche archéologique de la fin du XVIIIe et du XIXe siècle avait généralement pour intérêt premier la découverte et la collecte d’objets, principalement métalliques et en bon état de conservation. Cette dynamique était particulièrement marquée en Champagne, où la nature du substrat crayeux facilite grandement la mise au jour des vestiges. Ainsi, cette région est celle « qui a livré la plus grande quantité d’objets provenant de mobiliers funéraires » pour le second âge du Fer en Europe (Vatan 2004, p. 6). L’archéologie de cette époque s’organisait en grande partie autour de la recherche d’objets destinés aux collections privées et aux musées. On peut lire notamment dans le premier bulletin de la Société Archéologique Champenoise : « En présence des richesses archéologiques que renferme le sol de notre région et à la demande d’un certain nombre d’amateurs, nous avons pensé à fonder une société archéologique régionale. Cette société aurait pour but de rapprocher les collectionneurs, de faciliter les recherches, l’échange ou la vente des objets, de faire connaître les collections, etc. » (Bulletin de la Société Archéologique Champenoise, 1907/1, p. 1).

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Table des matières

INTRODUCTION
PARTIE I. L’APPROCHE TRADITIONNELLE DES SOCIÉTÉS DE L’ÂGE DU FER OU LE PROCESSUS D’ « ÉTERNALISATION DE L’ARBITRAIRE »
CHAPITRE I. L’APPROCHE TRADITIONNELLE DES VESTIGES FUNERAIRES
I.I.1 L’amalgame entre l’identité personnelle et l’identité sociale du défunt
I.I.1.1 L’attribution « sexuée » des ensembles sépulcraux
I.I.1.2 La lecture des nécropoles champenoises sous l’angle de l’approche traditionnelle
I.I.1.3 Des tombes « masculines » et des tombes « féminines » ?
I.I.2 Les limites de l’approche traditionnelle des vestiges
I.I.2.1 Le problème de la visibilité archéologique des « sexes » des défunts
I.I.2.2 Exemple d’une tentative de « sexuation » d’une catégorie d’objets : le cas du torque en Champagne
I.I.2.3 Le problème des défunts « indéterminés » et des tombes « aberrantes »
I.I.2.4 La perpétuation des stéréotypes issus de l’approche traditionnelle des vestiges sépulcraux
CHAPITRE II. LA VISION TRADITIONNELLE DES FEMMES DE L’AGE DU FER ET DE LEURS ROLES SOCIAUX
I.II.1 Des stéréotypes modernes appliqués aux vestiges sépulcraux
I.II.1.1 La caractérisation des tombes « féminines »
I.II.1.2 Le « problème » des tombes à char de femmes
I.II.1.3 Les rôles sociaux traditionnellement dévolus aux femmes
I.II.1.4 Des rapports sociaux hommes/femmes qui n’ont rien de naturel
I.II.2 L’iconographie des femmes de l’âge du Fer
I.II.2.1 Des femmes nécessairement « féminines » dans les images modernes
I.II.2.2 L’association « traditionnellement » assumée entre les femmes et le domaine domestique
I.II.2.3 Les représentations de la « bonne épouse » et de la « famille gauloise »
I.II.2.4 Les femmes dans l’art de l’âge du Fer ouest et centre européen
I.II.2.5 L’illégitimité de l’approche traditionnelle des vestiges archéologiques
PARTIE II. UNE NOUVELLE MÉTHODE D’ÉTUDE DES ENSEMBLES FUNÉRAIRES FONDÉE SUR LA NOTION DE GENRE
CHAPITRE I. PRESENTATION ET ANALYSE TRADITIONNELLE DU CORPUS A PARTIR DES « MARQUEURS SEXUELS »
II.I.1 Cadre du corpus de cette étude
II.I.1.1 Cadre géographique : la Champagne archéologique
II.I.1.2 Cadre chronologique : du dernier tiers du VIe au IIIe siècle av. J.-C.
II.I.1.3 Choix des données du corpus : un inventaire raisonné
II.I.2 Application de l’approche traditionnelle des ensembles funéraires sur les données du corpus
CHAPITRE II. LA RECHERCHE DE L’IMPLICATION MATERIELLE DU GENRE DANS LES ENSEMBLES FUNERAIRES
II.II.1 Principes méthodologiques
II.II.1.1 Des critères funéraires discriminants, indicatifs ou indépendants du genre « sexuellement connoté » des défunts
II.II.1.2 Caractéristiques du corpus des tombes avec diagnose sexuelle des défunts
II.II.2 Etude des critères funéraires fondée sur le genre sexuellement connoté des défunts
II.II.2.1 Des résultats limités et partiels pour les critères anthropologiques
II.II.2.2 Des structures funéraires analogues pour les hommes et les femmes
II.II.2.3 Une implication hétérogène des critères mobiliers dans la représentation idéologique du genre des défunts
CONCLUSION

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