Les enjeux du dépistage de l’infection à VIH

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Facteurs contextuels et modèles multiniveaux

D’autre part, jusqu’à une période récente, l’épidémiologie s’était essentiellement focalisée sur l’étude des déterminants individuels, dissociés du contexte géographique, économique ou social (23). Cependant, l’existence d’effets du contexte sur la santé des individus et leur accès aux soins fait l’objet d’un intérêt et d’une reconnaissance croissants (24). On appelle facteurs contextuels, des variables qui caractérisent des groupes d’individus et doivent comme telles être mesurées à ce niveau. Ils peuvent renvoyer par exemple à l’environnement géographique ou socio-économique de résidence. Concernant l’effet du niveau socio-économique, des travaux nord-européens ont montré que l’indigence du contexte résidentiel influait sur de nombreuses variables de santé, augmentant notamment les risques de contracter une maladie chronique (25). D’autre part, des répartitions géographiques caractéristiques ont été identifiées pour plusieurs indicateurs de santé (indicateurs de mortalité et de morbidité). Des disparités de santé intra régionales entre zones urbaines et zones rurales, entre centres urbains et périphéries urbaines, révélatrices de réorganisations socio-territoriales au sein de la société française, ont également été mises en évidence (26).
Certaines études ont souligné que la prise en compte des facteurs contextuels dans les analyses, en plus des caractéristiques individuelles, pouvait permettre une meilleure identification des populations à risque lors de l’élaboration des programmes de prévention ou de dépistage (27,28). Aussi, des modèles multiniveaux (appelés aussi modèles à effets mixtes/aléatoires ou modèles hiérarchiques) permettent de tenir compte de la structure hiérarchique des données, incluant les individus (niveau 1 ou micro-niveau) nichés dans un niveau supérieur plus vaste (niveau 2 ou macro-niveau), par exemple les individus habitant au sein de la même commune (29). Ce type d’analyse permet en quelque sorte de dissocier les effets de composition, liés aux caractéristiques des individus vivant dans les territoires étudiés, des effets proprement contextuels liés à celles du territoire. La méthode statistique de modélisation multiniveau a l’avantage de prendre en compte simultanément des variables individuelles et des variables caractérisant le « contexte ». Leur intérêt est de distinguer la variabilité existant au niveau individuel de la variabilité inter-groupe (29).
En France, le dépistage de l’infection à VIH est accessible. Cependant, certaines populations notamment très exposées, peuvent avoir des difficultés spécifiques d’accès liées à leur environnement. Par exemple, les populations immigrées vivant dans des quartiers populaires où il y a une moindre proximité des CDAG et une moindre densité médicale peuvent avoir des difficultés d’accès au dépistage. (30).

Objectif et hypothèses

Ainsi, l’objectif principal de la présente étude était d’améliorer l’identification des facteurs de risque associés au diagnostic tardif des PVVIH suivies au CHU de Nantes, en utilisant en plus de la méthode classique de régression logistique, 2 méthodes statistiques alternatives :
• D’une part, l’analyse multiniveau en prenant simultanément en compte des facteurs « contextuels » à l’échelon communal et des facteurs individuels (Méthode 1).
• D’autre part, la régression quantile en déterminant simultanément les facteurs associés aux différents niveaux de CD4 au moment du diagnostic (Méthode 2).
Les hypothèses étaient les suivantes :
• Les facteurs contextuels peuvent impacter sur le diagnostic tardif de l’infection à VIH.
• Les facteurs associés au diagnostic tardif n’ont pas le même impact à tous les niveaux de CD4.
L’amélioration de l’identification des facteurs de risque du diagnostic tardif pourrait permettre d’améliorer et d’optimiser les stratégies de dépistage du VIH.

Méthodes

Schéma et contexte de l’étude

Cette étude observationnelle, longitudinale, monocentrique et explicative a inclus des patients diagnostiqués pour une infection VIH entre janvier 2000 et juillet 2014.
Nadis® est un dossier médical informatisé de spécialité dédié à la prise en charge des patients infectés par le VIH et/ou les hépatites virales B et C. Initialement, Nadis® a été développé puis installé dans 7 services pilotes prenant en charge des patients séropositifs VIH de centres hospitaliers universitaires (CHU) français entre 2000 et 2001 (31). En novembre 2010, 69 centres hospitaliers, répartis dans 21 COREVIH, étaient équipés de Nadis® (32). Cet outil permet la saisie en temps réel, dans une base de données structurée, des caractéristiques du patient, de ses traitements et de ses bilans biologiques (33). C’est un outil de gestion de la consultation médicale, de l’hospitalisation et d’aide à la décision. Il permet l’édition de nombreux états (ordonnances de prescription, lettres et comptes rendus…etc.) ainsi que l’élaboration de tableaux de bord d’activité.
La mise en commun des bases de données de tous les centres équipés permet de constituer une large cohorte de patients VIH et fournit une photographie instantanée de la prise en charge de l’infection à VIH à partir d’un échantillon représentatif de la population infectée par le VIH en France.
Cette analyse exploratoire a été réalisée à partir des données de la cohorte Nadis® de patients VIH suivis au CHU de Nantes. Celui-ci est le centre prenant en charge le plus grand nombre de PVVIH dans la région PDL. Le dossier médical électronique Nadis® est utilisé par le CHU de Nantes depuis 2001 (site pilote).

Population d’étude

La population effective (source) de cette étude concernait l’ensemble des patients VIH suivis au CHU de Nantes, dont les données sont enregistrées dans le logiciel informatique de soins Nadis®.

Critères d’inclusion

Ont été inclus dans l’étude, les patients :
• avec une infection VIH de type 1 et/ou 2 diagnostiquée entre janvier 2000 et juillet 2014,
• pris en charge au CHU de Nantes en Loire-Atlantique (quel que soit leur département de résidence),
• âgés de plus de 18 ans au moment du diagnostic et
• ayant un taux de CD4 dans les 6 mois suivant le diagnostic enregistré dans le logiciel Nadis®.

Critère d’exclusion

Les patients avec des adresses non conformes ont été exclus de l’analyse.

Définition et mesure des variables

Critère de jugement principal

Le critère concernait le taux de CD4/mm³ dans les 6 premiers mois suivant la date du diagnostic VIH. Ce délai de 6 mois a été choisi en référence à la définition consensuelle de la COHERE (11).
Le taux de CD4 et la date du diagnostic étaient présents dans la base de données Nadis®.
Le taux de CD4 a été dichotomisé selon le seuil de 350 CD4/mm³ pour les analyses par régression logistique. Ce seuil a été retenu dans l’étude car il est utilisé dans la définition consensuelle de l’ELPG (10). Un diagnostic était défini comme tardif si le taux de CD4 était inférieur à 350/mm³ sur la prise de sang au moment du dépistage ou si la personne était diagnostiquée au stade sida. Etait considéré comme précoce, tout diagnostic au stade de primo-infection ou avec des CD4 supérieurs ou égaux à 350/mm³, en l’absence de pathologie sida.
Le taux de CD4 a été gardé en continue pour la régression quantile.

Variables explicatives individuelles

Les variables cliniques et sociodémographiques recueillies et importantes à prendre en compte étaient : le sexe, l’âge au moment du diagnostic (divisé en 4 classes : ≤ 30 ans, 30-39 ans, 40-49 ans et ≥ 50 ans ou gardé en continue), l’année du diagnostic VIH (en quartile ou en continue), le mode de contamination [hétérosexuel ; hommes ayant des rapport sexuels avec les hommes (HSH) ; autres : usager de drogues par voie intraveineuse (UDIV), transmission materno-fœtale, accident d’exposition au sang (AES), transfusion sanguine], la présence ou non d’une co-infection [au virus de l’hépatite B (VHB) et/ou au virus de l’hépatite C (VHC)], le pays de naissance (France, étranger, inconnu), la situation d’emploi (actif, inactif, autres : étudiant, retraité, invalide, pension, inconnu) et la situation familiale (en couple, seul, inconnu).

Variables explicatives contextuelles communales

Niveau d’urbanisation des communes

L’unité urbaine, concept développé par l’institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), a été utilisée pour définir le degré d’urbanisation des communes de résidence des patients. La notion d’unité urbaine repose sur la continuité du bâti et le nombre d’habitants (34).
Dans cette étude, une classification établie par l’INSEE du statut des communes en 3 catégories : rural, intermédiaire (quasi-rural et quasi-urbain) et urbain a été utilisée.
Les communes rurales sont définies selon l’INSEE comme des communes sans zone de bâti continu (pas de coupure de plus de 200 mètres entre 2 constructions) d’au moins 2 000 habitants ou dont moins de la moitié de la population municipale est dans une zone de bâti continu d’au moins 2 000 habitants. Les communes quasi-rurales et quasi-urbaines comportent entre 2000 et 99 999 habitants et les communes urbaines ont plus de 100 000 habitants. L’actuel découpage date de 2010 et est basé sur le recensement de la population effectué en 2007.
Les communes de résidence des patients étaient inscrites dans le logiciel Nadis® par les médecins ou les secrétaires lors du renseignement des données administratives des patients. Les adresses étaient modifiées au fur et à mesure dans le logiciel lors des déménagements éventuels, en écrasant les adresses précédentes.
A noter que la commune constitue la plus petite subdivision administrative française.
Une correspondance a été établie entre chaque commune et son code INSEE puis entre le code INSEE et le niveau urbain, quasi-urbain/quasi-rural ou rural via les classifications mises à disposition par l’INSEE (35).

Niveau socio-économique des communes

Le niveau socio-économique des communes a été mesuré à l’aide d’un index de déprivation socio-économique, construit par analyse en composantes principales, selon une méthode publiée précédemment (36). Cet index a combiné 4 indicateurs socio-économiques de l’INSEE : le revenu médian par ménage, le pourcentage de bacheliers dans la population de plus de 15 ans, le pourcentage d’ouvriers dans la population active et le taux de chômage. Alors que les 2 premières variables représentaient une dimension négative du désavantage social, les deux dernières en représentaient une dimension positive. Lorsque les variables utilisées possédaient des données manquantes, une procédure d’imputation a été utilisée.
Cet index a ensuite été divisé en 2 catégories selon la médiane. La première catégorie comprenait les communes les plus défavorisées.

Offre de soins extrahospitaliers par commune

Pour mesurer l’accessibilité aux médecins généralistes de chaque commune, un nouvel indicateur de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DRESS), l’accessibilité potentielle localisée (APL), a été utilisé (37). Il a pour avantage de tenir compte du niveau d’activité des médecins pour mesurer l’offre et du taux de recours différencié par âge des habitants pour mesurer la demande. En 2010, l’APL était en moyenne de 71 équivalents temps plein de médecins généralistes libéraux pour 100 000 habitants en France. Cet indicateur est en moyenne plus élevé pour les habitants des communes urbaines. Pour l’analyse statistique, il a été divisé en 2 catégories selon la médiane. La première catégorie comprenait les communes avec le plus faible accès aux médecins généralistes.

Recueil et informatisation des données

Le recueil de la plupart des données a été effectué via le logiciel de soins informatisé Nadis® déployé en PDL, utilisé en temps réel par le personnel médical, paramédical et administratif pour le suivi de leurs patients lors des consultations et en hôpital de jour.
L’extraction des données a été effectuée fin juillet 2014 par le data manager du COREVIH sous la forme d’une base Excel® anonymisée.
Un contrôle à la saisie des données et une validation continue est assurée par les techniciens d’étude clinique. De plus, un contrôle qualité de la base nantaise est effectué annuellement.
Les patients inclus dans Nadis® ont préalablement signé un formulaire d’information et de consentement. L’utilisation des données a été approuvée par la commission nationale informatique et libertés (CNIL).

Analyse des données

Une analyse descriptive des données a tout d’abord été réalisée.
La stratégie d’analyse était d’effectuer tout d’abord une régression logistique « simple », faisant office de méthode « référence » car classiquement utilisée pour rechercher les facteurs associés au diagnostic tardif ; puis d’effectuer dans un second temps une analyse par régression logistique en multiniveau et une régression quantile.

Méthode classique : régression logistique simple

La mesure de l’association entre le critère de jugement (variable qualitative binaire) et les variables explicatives a été estimée par des rapports de cotes (RC) et leurs intervalles de confiance à 95% (IC à 95%). Les p-value ont également été calculées (seuil de significativité < 0,05). Les RC étaient considérés comme statistiquement significatifs si leurs IC à 95% ne comprenaient pas la valeur 1. Les variables individuelles ont été prises en compte dans ce modèle (Tableau 2).

Méthode 1 : régression logistique multiniveau

La méthode statistique de modélisation multiniveau a permis de prendre en compte simultanément les variables individuelles (niveau 1) et des variables contextuelles communales (niveau 2) : niveau d’urbanisation, niveau socio-économique et APL. Le niveau d’effet mixte était stipulé par le code INSEE. La mesure de l’association entre le critère de jugement (variable qualitative binaire) a été estimée par des RC et leurs IC à 95%. Les RC étaient considérés comme statistiquement significatifs si leurs IC à 95% ne comprenaient pas la valeur 1.
Plusieurs modèles ont été testés, ajustés sur les variables individuelles et sur chacune des variables contextuelles (niveau d’urbanisation, niveau socio-économique et APL) en raison des corrélations qui existent entre ces variables, ainsi que sur les 3 variables contextuelles en même temps (modèles 1, 2, 3 et 4 du Tableau 3).

Méthode 2 : régression quantile simple

La variation de la distribution des CD4 au diagnostic en fonction des variables explicatives a été étudiée tous les 5 percentiles du 5ème au 95ème quantile de CD4 et ceci afin d’avoir un aperçu de l’ensemble de la distribution des CD4. Par exemple, le 10ème percentile signifie que 10% des individus de l’échantillon se situe en-dessous de la valeur du 10ème percentile de CD4 et 90% des individus de l’échantillon au-dessus. La mesure de l’association entre le critère de jugement (variable quantitative) et les variables explicatives a été estimée par le coefficient β et des IC à 95% ont été calculés par bootstrapping avec 1000 réplications. Le β reflète les changements des taux de CD4 associés aux différentes catégories des variables explicatives, comparé à la catégorie de référence. Les résultats ont été présentés sous forme de graphiques (Figure 1). Les coefficients pour chaque quantile ont été calculés et étaient considérés comme statistiquement significatifs si leurs IC à 95% ne croisaient pas l’axe de la valeur 0 (ligne pointillée). Les variables individuelles ont été prises en compte dans ce modèle.
Pour chacune des 3 méthodes statistiques :
Toutes les variables ont été testées en analyse univariée (Tableau 4 de l’Annexe 1 et Tableau 5 de l’Annexe 2, non montrée pour la régression quantile) puis elles ont toutes été inclues dans une analyse multivariée (en raison d’un nombre suffisant d’observations). Les données manquantes ont été classées dans les catégories « inconnu ».

Méthode classique : régression logistique simple

Les résultats de la régression logistique multivariée sont présentés dans le Tableau 2. Dans cette étude, les personnes âgées de 30 à 39 ans avaient 1,7 fois plus de risque d’être diagnostiquées tardivement que les personnes de moins de 30 ans et ce de manière significative, et après ajustement sur le pays de naissance, le statut d’emploi, le sexe, le mode de contamination, l’année du diagnostic, la co-infection et la composition du foyer (RCa = 1,66 ; IC95% : [1,22-2,26]). Une association significative était également retrouvée entre le diagnostic tardif et les autres catégories d’âge, association d’autant plus élevée que l’âge était élevé (RCa 40-49 ans = 2,28 ; IC95% : [1,62-3,21] et RCa ≥ 50 ans = 2,69 ; IC95% : [1,74-4,15]). Les personnes nées à l’étranger avaient de manière significative plus de risque d’être diagnostiquées tardivement que les personnes d’origine française, et ce ajusté sur les autres variables (RCa = 1,73 ; IC95% : [1,26-2,38]).

Discussion

Synthèse des résultats

Au total, dans cette étude réalisée chez les PVVIH suivies au CHU de Nantes, diagnostiquées entre 2000 et 2014, l’analyse multivariée avec régression logistique simple (seuil de 350 CD4/mm³), montrait que le diagnostic tardif du VIH était lié à la naissance dans un pays étranger, au mode de transmission non sexuel et augmentait avec l’âge. Les autres facteurs associés au diagnostic tardif étaient l’inactivité professionnelle, être en couple et la période de diagnostic 2000-2003. Dans cette analyse, le sexe masculin et le mode de transmission hétérosexuel n’étaient pas retrouvés comme des facteurs de risque.
La 2ème analyse en multiniveau a permis de mettre en évidence que certains facteurs liés au contexte de résidence jouaient également sur le diagnostic tardif du VIH. En effet, le lieu de résidence quasi-urbain/quasi-rural était associé significativement à un diagnostic tardif. Il semblerait que cela puisse être expliqué en partie par le niveau socio-économique des communes et d’autres variables non explorées dans la présente étude. Cette analyse permet de plus d’affiner la justesse des RC et IC à 95% de certaines variables individuelles en ajustant sur les variables contextuelles.
Enfin, la 3ème analyse permet d’avoir une vision plus fine de la façon dont les variables explicatives influencent les taux de CD4 au diagnostic, en s’affranchissant d’un seuil particulier. Elle permet de quantifier réellement la différence en plus ou moins des CD4 au diagnostic entre les catégories. L’impact des variables sur les différents quantiles oscillait entre 30 et 200 CD4, ce qui est non négligeable cliniquement. Il est très intéressant de constater que l’influence des variables explicatives est différente aux différents niveaux de CD4. Certaines variables qui n’apparaissent pas significatives dans les 2 premières analyses le sont en fait pour les plus faibles quantiles de CD4 (sexe, mode de transmission hétérosexuel, co-infection VHB et VHC). Elle met également en évidence que le seul facteur significatif pour tous les quantiles de CD4 au diagnostic est la naissance dans un pays étranger.
Choisir la méthode statistique adaptée aux types de données et variables dont on dispose est un travail préalable essentiel à toute étude (38).

Limites de l’étude

La principale limite de cette étude est le faible effectif et le manque de puissance qu’il engendre, pouvant expliquer la difficulté à mettre en évidence la significativité de certaines associations dans les 2 premières analyses (niveau socio-économique communal, lieu de résidence rural, mode de contamination hétérosexuel…).
Une autre limite importante à souligner est la saisie hétérogène des données dans Nadis® par différents professionnels, pouvant introduire des biais de mesure non différentiels. La variabilité de saisie des facteurs étudiés est toutefois diminuée par les contrôles qualité réguliers de la base. D’autre part, il y avait un nombre important de données manquantes qui ont été parfois classées dans les catégories « inconnu » pour certaines variables explicatives, pouvant surestimer ou sous-estimer la mesure de l’association entre le critère de jugement et ces variables explicatives. Des analyses de sensibilité pourront être réalisées pour essayer de prendre en compte ce biais en utilisant par exemple des procédures d’imputation multiple. Un mail de sensibilisation a été envoyé aux médecins de la région des PDL pour encourager l’exhaustivité de la saisie des données, même si il est clair que cela représente une activité chronophage pour eux.
Les personnes ne possédant pas de taux de CD4 enregistré dans les 6 premiers mois après le diagnostic ont été ignorées et n’ont pas été inclues dans l’étude, cela a pu sous-estimer le nombre de diagnostic tardifs.
Certaines données étudiées sont évolutives dans le temps (statut d’emploi, composition du foyer, commune de résidence). L’utilisation du système d’audit trail du logiciel Nadis® aurait permis de savoir quand l’adresse par exemple avait été modifiée et de savoir s’il y avait eu un déménagement.
Le choix a été fait de prendre en compte l’accessibilité aux médecins généralistes comme facteur contextuel au lieu de la distance entre commune de résidence et CDAG ; d’une part parce que la grande majorité des sérologies VIH sont prescrites par les médecins généralistes et d’autre part parce que dans une étude préliminaire (39), ce critère ne ressortait pas comme statistiquement associé au diagnostic tardif.
Par ailleurs, il aurait également été intéressant de combiner une analyse par régression quantile et un modèle multiniveau, mais cela est plus complexe à réaliser statistiquement.
Dans cette étude, nous nous sommes focalisés uniquement sur le taux de CD4 au diagnostic. Il serait également intéressant de réaliser une étude sur le délai d’entrée dans les soins après un dépistage positif (« delayed presentation to care ») pour répondre à la question plus globale des facteurs de risque associés aux « late presenters ». En France, l’accès universel aux soins doit permettre la prise en charge rapide des personnes nouvellement diagnostiquées sans obstacle financier. Cependant, l’absence d’affiliation à l’assurance maladie ou le fait d’être un étranger sans droit au séjour peuvent retarder l’entrée dans le soin en raison de démarches administratives et de la peur de la répression. On dispose de très peu d’information sur le délai entre le dépistage positif et le contact avec le service de soins (40).
Par ailleurs, certains auteurs soulignent que les CD4 sont un indicateur imparfait du stade de la maladie au diagnostic (40). En effet, la diminution des CD4 est hétérogène entre les individus et est liée à un certain nombre de paramètres dont la charge virale. De plus, l’utilisation des mêmes seuils pour les taux de CD4 comme indicateur du diagnostic tardif chez les hommes et les femmes et chez les Français et les immigrés africains mériterait d’être réexaminée. En effet, la comparaison de cohortes africaines et européennes, celles-ci distinguant en leur sein les migrants africains, indique des niveaux plus bas et une diminution plus lente de CD4 dans les cohortes de Côte d’Ivoire par rapport aux cohortes de patients français (41). Ces différences suggèrent des processus divers et d’éventuels biais d’observation, mais sont encore incomplètement comprises.

Points forts de l’étude

L’originalité de cette étude réside dans l’utilisation d’outils et de méthodes statistiques habituellement peu employés pour l’identification des facteurs de risque du diagnostic VIH tardif. A ma connaissance, seules des études américaines (42) ont mis en évidence une association entre le niveau d’urbanisation du lieu de résidence et les CD4 au diagnostic, à partir d’une analyse multiniveau. Par ailleurs, malgré les avantages conférés par la régression quantile, une seule étude a utilisé cette méthode (43) et était focalisée sur la variation des CD4 à la présentation selon l’année du diagnostic VIH.
Les données à caractère social, présentes dans le logiciel Nadis® (statut d’emploi, composition du foyer) sont très intéressantes à exploiter pour ce type d’étude.
De plus, elles ont été couplées à d’autres variables construites et calculées à partir de données en accès libre (open data) mises à disposition par certains organismes (INSEE et DRESS).

Généralisation des résultats

Les résultats de cette étude ne sont pas extrapolables à un autre établissement ou à un autre  département. Cependant, la réalisation d’une telle étude avec une taille d’échantillon plus conséquente, en regroupant les bases de données de plusieurs centres équipés par le logiciel Nadis® serait fortement intéressante (44) et permettrait d’être représentative de la file active hospitalière française.

Mise en perspective

Nos résultats semblent cohérents avec la littérature. Beaucoup d’études retrouvent également que la naissance dans un pays étranger (11,13,16), l’âge élevé (11,13,14,16,17), le mode de transmission non sexuel (11,14) et hétérosexuel (16,17), le sexe masculin (11,17,43), la co-infection au VHB ou VHC (45), l’inactivité professionnelle (46) et une période de diagnostic ancienne (11,17) soient des facteurs de risque de diagnostic tardif.
Deux études réalisées aux Etats-Unis montrent que le lieu de résidence en zone rurale est associé à un diagnostic tardif de l’infection par le VIH (42,47). L’une d’entre elle, publiée en 2014, mettait en évidence que les personnes résidant en milieu rural avaient 1,39 fois plus de risque d’être diagnostiquées tardivement que les individus résidant en milieu urbain dans l’état de Floride entre 2007 et 2011 (RC = 1,39 et IC 95% : [1,17-1,66]) (42).
Les classifications employées pour définir le niveau rural et le niveau urbain dans ces études sont différentes de la nôtre. En effet, dans l’étude menée en Caroline du Sud (47), ils utilisaient une classification dichotomique de la « South Carolina State Budget and Control Board » (SC SBCB.) où les zones rurales correspondaient à des communes de moins de 25 000 habitants et les communes urbaines à plus de 25 000 habitants. Leur zone rurale engloberait en partie nos zones quasi-rurales et quasi-urbaines. L’étude de Trepka (42) quant à elle utilisait la classification « Rural-Urban Commuting Areas » (RUCAs) développée par le centre de recherche sur la santé rurale et le service de recherche en économie de l’université de Washington (48) qui est basée sur la taille des villages et des villes et les connexions entre les lieux mesurées par le trajet pour aller travailler. Ils utilisaient la classification C de la RUCAs qui regroupe dans la catégorie rurale 3 sous-catégories : les petites villes rurales isolées de moins de 2 500 habitants et où il n’y a pas de transport pour aller travailler vers des zones urbanisées ainsi que les autres petites villes rurales et les grandes villes rurales. Leur catégorie rurale correspondrait donc en partie à nos zones quasi-rurales et quasi-urbaines.
La raison principale avancée concernant le fait que les hommes soient plus à risque de diagnostic tardif est qu’ils ont moins recours au système de soins que les femmes. Celles-ci, au début de la grossesse, se voient par exemple systématiquement proposer une sérologie VIH (49). Concernant les migrants, notamment originaires d’Afrique sub-saharienne, leur contamination ancienne dans le pays d’origine est une des raisons avancées pour leur risque accru de diagnostic tardif (14). Vient à cela s’ajouter la barrière de la langue, une stigmatisation de ces populations et un manque de sensibilisation et de connaissances vis-à-vis de la pathologie (50). L’âge supérieur à 30 ans, comme facteur de risque de diagnostic tardif peut également s’expliquer par une moindre perception du risque de contamination et donc une moindre proposition de dépistage par les médecins chez cette population (17).

Implications en santé publique

Quelles stratégies de dépistage : ciblé vs organisé ?

Lorsque les premiers tests de dépistage du VIH sont apparus en 1985, les caractéristiques particulières de l’infection par le VIH (phase initiale asymptomatique), son pronostic mortel, les possibilités thérapeutiques alors limitées ont contribué à fonder le dispositif de dépistage sur des principes spécifiques au VIH contrastant avec les stratégies interventionnistes traditionnelles de contrôle des maladies transmissibles (51). Dans un tel contexte, les campagnes en faveur du dépistage ont été axées sur la responsabilisation individuelle et en 1992, l’OMS rappelait « qu’aucune considération de santé publique ne peut légitimer des mesures de lutte contre le sida attentatoires aux droits des individus et notamment des mesures tendant à l’instauration d’un dépistage obligatoire ». Cela s’est traduit par l’importance donnée à la démarche volontaire, au consentement éclairé lors d’une proposition de dépistage, au respect de la confidentialité et à l’accompagnement par des entretiens d’information-conseil (« counseling ») personnalisés.
Cependant, les individus associent le dépistage à l’exposition ou davantage à la perception qu’ils ont de leur exposition et les études montrent que le dépistage est fortement associé aux comportements à risque, ce qui fait que bon nombre de personnes ne vont pas se dépister. De plus, depuis 1996, nous avons à disposition des traitements ARV efficaces ce qui permet un changement de paradigme dans le dépistage du VIH. L’ignorance du statut sérologique représente désormais une perte de chance thérapeutique pour la personne infectée.
C’est ainsi qu’en 2009, la Haute autorité de santé (HAS) a réalisé un état des lieux des stratégies de dépistage de l’infection du VIH et certaines études révélaient que les personnes dépistées les plus tardivement n’appartenaient pas forcément aux groupes dits à risque d’infection par le VIH (49). L’HAS a alors émis des recommandations en faveur d’un dépistage généralisé à l’ensemble de la population de 15 à 70 ans hors notion d’exposition à un risque particulier. Puis, le plan national de lutte contre le VIH/Sida et les IST 2010-2014 a impulsé une stratégie de dépistage combiné reposant sur 3 axes : en direction de l’ensemble de la population, indépendamment d’une notion de risque d’exposition, mais aussi en promouvant une offre de dépistage ciblé et régulier pour des populations à forte incidence et dans certaines circonstances.
A l’heure actuelle, l’incitation et la facilitation du dépistage volontaire reste le pilier principal de la stratégie du dépistage. Le dépistage ciblé par populations et circonstances a l’objectif de dépister plus de patients et plus précocement. La stratégie de dépistage de l’ensemble de la population devrait être réajustée en demandant aux médecins généralistes et spécialistes, quel que soit leur mode d’exercice, d’accentuer leur attention sur les situations cliniques et biologiques classiques devant amener au dépistage et de saisir les opportunités d’un dépistage large chez des personnes sans test récent ou dans des situations à risques.
Malgré les nouvelles recommandations, les principes libéraux issus de la première période du sida ont fortement imprégné les attitudes vis-à-vis du dépistage du VIH. Ces principes mettent en avant l’information et l’autonomie de l’individu par rapport aux principes de la « santé publique ancienne » qui reposait sur l’obligation et le contrôle des populations.
Jusqu’à présent, le « dépistage pour tous » semble avoir été peu appliqué en raison de la faible acceptabilité par les généralistes, qui sont les premiers concernés par une telle recommandation, perçue comme trop large pour une maladie aussi rare, très concentrée et associée à des critères identifiables (19).
Cette étude vient souligner de nouveau que certains groupes à incidence élevée (HSH) ne sont pas nécessairement ceux diagnostiqués les plus tardivement et que les groupes dits à faible risque d’infection par le VIH (âge > 30 ans, transmission hétérosexuelle ou non sexuelle, en couple) sont dépistés les plus tardivement.
Les résultats de cette étude suggèrent également que le dépistage en Loire-Atlantique doit être développé en dehors des grandes villes, particulièrement dans des communes situées en périphérie urbaine ou dans les villes isolées.
De plus, cette étude souligne que les actions visant à diminuer les obstacles au dépistage chez les migrants est toujours nécessaire.

Autotests et tests rapides d’orientation diagnostique (TROD)

En sus de la traditionnelle sérologie VIH de dépistage (prise de sang) obtenue sur prescription médicale ou dans les laboratoires d’analyse médicale, de nouvelles modalités de dépistage du VIH émergent dans le paysage français. Ces avancées récentes en termes de test de dépistage [autotest et test rapide d’orientation diagnostique (TROD)] sont susceptibles de révolutionner les modalités du dépistage VIH.

Les autotests

Les autotests de dépistage du VIH ont reçu l’autorisation de mise sur le marché (AMM) récemment en France et sont disponibles en vente libre (sans prescription médicale) dans les pharmacies d’officine françaises depuis le 15 septembre 2015. La France est le troisième pays à adopter de tels autotests, après les États-Unis en 2012, et le Royaume-Uni en avril dernier. Ces autotests s’adressent à tous. Ils sont destinés à être utilisés chez soi. Le prélèvement et l’interprétation sont effectués directement par l’intéressé. Seul le pharmacien peut le remettre à l’usager, avec les conseils adaptés. Tout résultat positif doit être confirmé par un test conventionnel de type Elisa de 4ème génération. Un résultat négatif ne peut être interprété en cas de prise de risque datant de moins de 3 mois.
Il s’agit de tests de dépistage à résultat rapide (30 minutes) et en France ils sont réalisés sur sang total par prélèvement capillaire (piqûre au bout du doigt).
Ces autotests sont réellement susceptibles d’élargir les offres et les opportunités de dépistage, en s’affranchissant d’une prescription médicale. Cependant, il reste à l’initiative de l’usager de vouloir le réaliser ou non.

Les TROD

Les TROD sont utilisés lors de dépistage hors les murs avec des équipes mobiles de terrain (CDAG, association). Un intérêt à l’usage des TROD est de pouvoir atteindre des populations qui ne se dépistent pas ou pas assez souvent, notamment en les mettant en œuvre lors de démarches de dépistage délocalisé. Ces stratégies sont utilisées dans une logique de dépistage communautaire et semblent intéressantes au vu des résultats de cette étude montrant que les personnes vivant en milieu quasi-rural et quasi-urbain sont plus à risque de diagnostic tardif.
Les TROD, de la même manière que les autotests, ne nécessitent pas de procédure automatisée au laboratoire, donnent un résultat rapide et s’effectue par prélèvement capillaire au bout du doigt. De même, un résultat négatif ne peut être interprété en cas de prise de risque datant de moins de 3 mois. En revanche, la réalisation et l’interprétation du test sont encadrées par un professionnel de santé.

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Table des matières

Sommaire
1 Introduction
1.1 Les enjeux du dépistage de l’infection à VIH
1.2 Définition du diagnostic tardif et ses limites – régression quantile
1.3 Facteurs contextuels et modèles multiniveaux
1.4 Objectif et hypothèses
2 Méthodes
2.1 Schéma et contexte de l’étude
2.2 Population d’étude
2.2.1 Critères d’inclusion
2.2.2 Critère d’exclusion
2.3 Définition et mesure des variables
2.3.1 Critère de jugement principal
2.3.2 Variables explicatives individuelles
2.3.3 Variables explicatives contextuelles communales
2.4 Recueil et informatisation des données
2.5 Analyse des données
3 Résultats
3.1 Population étudiée
3.2 Description
3.3 Méthode classique : régression logistique simple
3.4 Méthode 1 : régression logistique multiniveau
3.5 Méthode 2 : régression quantile simple
4 Discussion
4.1 Synthèse des résultats
4.2 Limites de l’étude
4.3 Points forts de l’étude
4.4 Généralisation des résultats
4.5 Mise en perspective
4.6 Implications en santé publique
4.6.1 Quelles stratégies de dépistage : ciblé vs organisé ?
4.6.2 Autotests et tests rapides d’orientation diagnostique (TROD)
5 Conclusion
6 Références
7 Annexes

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