Les enfants en milieu haal pulaar, soins quotidiens et maladies

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SOINS QUOTIDIENS, PRECAUTIONS, PROTECTIONS

Les soins quotidiennement apportés aux jeunes enfants, au-delà de leur visée pragmatique, intègrent un certain nombre de protections et précautions contre les maladies, en particulier celles causées par les jinneeji. Ces protections témoignent de vives craintes s’agissant de la survie des enfants (Erny, 1972 ; Lallemand, 1991), dans des contextes où la mortalité des enfants en bas âge reste une réalité tangible. Comprendre ces pratiques préventives, c’est comprendre les dissonances qui séparent les préoccupations des mères de celles déterminées par la biomédecine (Jaffré, 1996). Pour se protéger au quotidien, la récitation de versets coraniques tient une grande place. Elle ponctue les activités courantes, notamment celles qui sont susceptibles d’être risquées (voyage), celles qui exposent aux attaques de génies (déplacements en brousse, sommeil, douche), ou celles qui nécessitent une purification (rapports sexuels). La prononciation de la basmala, « Bismillah ar-rahmân ar-rahîm21 », qui remet l’action au nom de Dieu, permet notamment de se prémunir du mal au quotidien. À l’enfant qui ne peut pas se protéger lui-même, l’entourage adresse des évocations d’Allah, des versets coraniques ou formules conjuratoires à diverses occasions : au moment de la toilette, du repas ou de l’endormissement, pour calmer ses pleurs, pour soulager ses « bobos ». Lorsqu’un enfant présente des signes d’inconfort ou de douleur, il est fort probable qu’un membre de sa famille, ou simple visiteur, notamment parmi les hommes âgés ayant reçu un enseignement coranique, lui récite des versets, en dehors de toute demande de ses parents. La connaissance approfondie du Coran est réservée aux hommes, mais les femmes, notamment de castes maraboutiques, reçoivent également un enseignement coranique, leur permettant de réciter leurs prières quotidiennes mais aussi de connaître les versets qui les protègent, elles et leurs enfants. De la grossesse au sevrage, les précautions et protections à prendre envers l’enfant sont particulièrement denses.

Protéger le foetus des génies : espaces et moments critiques

La première grossesse (dikkuru) est souvent considérée comme la plus risquée, et les précautions devant être prises par la mère pour éviter génies (jinneeji) et sorciers (sukño22) sont plus impératives. La future mère ne doit pas marcher pieds nus, ne pas saluer les personnes de certaines castes à la tombée de la nuit, éviter les espaces périphériques et les cimetières (Diallo, 2004). Elle doit éviter de se rendre en brousse (Epelboin, 1982 ; Tall, 1984) et de sortir la nuit, interdit que l’on retrouve dans diverses traditions populaires (Loux, 1978 ; Lestrange & Passot-Guevara, 1981). Ces interdits correspondent aux lieux et aux moments dangereux, car exposant à la rencontre avec les génies et les sorciers.
« Le sukuño attaque le plus souvent, pendant la saison froide et aux heures de repos: au zénith, au crépuscule, au petit matin en passant par la nuit. À ce sujet, d’ailleurs, le haal pulaar normal (qui n’est pas sukuño) ne manque pas de se souvenir qu’il lui a été défendu de se promener dans les rues pendant que le sukuño est supposé être aux aguets. » (Wane, 1991 : 45)
Ces lieux et moments risqués, « où l’on risque d’enfreindre la règle de séparation des deux mondes » (Gibbal, 1984 : 195) le sont tout particulièrement pour les personnes jugées vulnérables, telles que les femmes enceintes et les enfants en bas-âge. Le moment de la prière du crépuscule – heure des jinneeji – est probablement le plus critique. Par crainte ou habitude, tous ou presque restent à l’intérieur des maisons, et même les rues de Nouakchott se vident pour quelques instants. Les mères se rapprochent de leurs enfants, et gardent contact avec ceux qui se sont endormis. Le sommeil est un état de particulière vulnérabilité puisque l’ombre de l’individu (mbeelu) se détache légèrement de l’âme (fittaandu), et survole le corps (ɓanndu), laissant plus facilement prise aux attaques (Wane, 1991). Les génies du fleuve (munuuji maayo) sont réputés être parmi les plus puissants des jinneeji, dont seuls les subalɓe (pêcheurs) ont la maîtrise (Sow, 1982). Il est particulièrement risqué, pour une femme enceinte, de traverser le fleuve. Le foetus pourrait être changé par les génies et la femme accoucher d’un de ces enfants impotents comme des poissons, dit biɓɓe maayo (enfants du fleuve). Les femmes enceintes doivent aussi éviter de croiser le chemin des pêcheurs (subalɓe), car ceux-ci, pour maîtriser les génies du fleuve, possèdent des gris-gris puissants pouvant provoquer des fausses couches.

Protections et vie quotidienne

Pour se prémunir des lieux et moments critiques, les femmes enceintes doivent utiliser des formules protectrices. Ces formules peuvent correspondre à des versets coraniques écrits puis dilués dans l’eau (aaye), ou être des incantations magiques et secrètes (cefi) transmises au sein de la parentèle. Elles peuvent aussi utiliser, en talisman, des formes écrites du coran (binndi). Nombreux guérisseurs proposent aux femmes enceintes d’attacher autour de leur taille des gris-gris qui les protégeront durant cette période risquée.
« J’ai des protections que je donne aux femmes quand elles sont en état de grossesse. Et quand je leur donne cela, elles l’attachent et elles le gardent jusqu’à la naissance. Et lorsqu’elles arrivent à l’hôpital, le jour de la naissance, elles l’enlèvent. Et le jour où elles l’enlèvent, elles vont accoucher, mais tranquillement, et elles vont reprendre le gri-gri, et le mettre sous la tête du bébé. » (La mère des enfants, guérisseuse wolof)
Contrairement aux femmes maures, qui sont considérées malades (Fortier, 2006) et « s’allongent », les femmes haalpulaaren, comme leurs homologues wolofs et soninkés, poursuivent leurs activités au cours de leurs grossesses, bien qu’elles les ralentissent (Landry Faye, 2013). Il semble exister relativement peu d’interdits alimentaires s’exerçant chez les femmes enceintes : les grand-mères rencontrées n’ont pas été prolixes sur la question. Selon une enquête réalisée auprès des « accoucheuses traditionnelles », ces interdits seraient variables selon les régions, seuls le thé, le sel et le beurre étant fréquemment déconseillés (Sanwogou & Gnambodoue, 1984). Faisant le même constat en pays soninké au Mali, Elodie Razzy (2007) fait l’hypothèse que l’accent est aujourd’hui davantage mis sur les aliments à favoriser, plutôt que sur les interdits alimentaires. Il est d’ailleurs reconnu que lors de sa grossesse, la femme peut avoir des envies alimentaires particulières (sayo). Selon nos interlocuteurs, il est important que ces envies soient satisfaites, sinon l’enfant risquerait des problèmes de santé, de souffrir de maux d’oreilles, ou de présenter des tâches sur le corps. En fin de grossesse, et notamment en perspective de leur premier accouchement, les femmes haalpulaaren, comme leurs homologues maures, vont se réfugier chez leur mère (reentoyahde) pour y trouver leur protection (Diallo, 2004 ; Landry Faye, 2013). Il n’est pas rare que ces déplacements les éloignent d’un offre sanitaire plus qualifiée, sachant que rejoindre les mères en question peut signifier se rendre au village. Dans ces situations, le sentiment de sécurité et d’intimité recherché au travers de la familiarité entre en contradiction avec l’accès à une offre de soin qualifiée.

Alimentation du nouveau-né

Les grand-mères sont particulièrement loquaces sur l’alimentation à donner aux nouveau-nés et aux nourrissons. Elles défendent vivement leurs savoirs à ce propos, qui sont contredits par les recommandations de l’OMS relayées par les professionnels de santé. En Mauritanie, ces recommandations sont peu respectées. Au niveau national, le taux d’allaitement maternel exclusif jusqu’à six mois est estimé à 26,9% (MICS 2011). Selon une étude réalisée à Nouakchott, seules 18,4% des mères pratiquaient un allaitement exclusif jusqu’à six mois, et 28% utilisaient des substituts de lait maternel (Diagana, 2010). Parfois, ces substituts sont particulièrement inadaptés (laits animaux, gloria, laits en poudre non maternisés,…) ; ils sont donnés à la tasse, au biberon, ou à l’aide d’un petit sachet appelé « zazou ». La malnutrition reste importante, les taux de la malnutrition aiguë globale (MAG) et de malnutrition aigüe sévère (MAS) ayant atteint respectivement 13,1% et 2,3% en 2013 (UNICEF, 2013). À Nouakchott, les pratiques de nutritions inadaptées constitueraient un des facteurs majeurs de cette malnutrition (Diagana, 2010).
L’influence des grand-mères dans la poursuite de pratiques alimentaires défavorables a été plusieurs fois mentionnée pour la Mauritanie (Keith et Dedah, 2009 ; Diagana, 2010). L’importance de leur rôle dans les soins de l’enfant est bien connue, mais leurs savoirs sont peu documentés.

L’ingestion de graisses chez le nouveau-né

Bios Diallo (2004) décrit que le nouveau-né, jugé faible pour réussir à téter, est nourri, les premiers temps, avec du beurre de lait. Les femmes âgées rencontrées considèrent que l’enfant qui naît a des « saletés » dans le ventre (fuketi), qu’il lui faut rapidement excréter. Ces « saletés » sont notamment associées au « méconium » que le nouveau-né excrète peu après sa naissance. Afin que le ventre « se nettoie bien », les femmes âgées haalpulaaren recommandent de donner à l’enfant de la « graisse » (nebam), parfois d’autres aliments, facilitant l’évacuation des selles. Une recommandation relevée par d’autres enquêtes (Sanwogou & Gnambodoue, 1984 ; Keith et Dedah, 2009). La consommation de « graisses » a pour effet de provoquer une sorte de diarrhée considérée comme une purge bénéfique.
« Il faut préparer la graisse animale, on met dans un morceau propre, tu lui donnes à manger matin et soir. Pendant un mois, si cela dure c’est mieux. Ensuite, quand l’enfant va à la selle, il a les selles noires, comme l’encre que l’on utilise pour écrire sur les planches coraniques, ça ce sont toutes les maladies qui sortent, et ensuite l’enfant il peut grandir sans jamais avoir de maladies. […] La graisse animale si tu donnes cela au bébé, cela nettoie bien, ça soigne les maladies, ça enlève la constipation. […] Même après, lorsque l’enfant grandira, il aura moins de maux de ventre. C’est bon pour les enfants ! C’est bon ! » (Neene L.)
S’il n’ingère pas de graisses, l’enfant souffrira de maux de ventre persistants, les « saletés » restées dans son ventre pouvant constiper et être à l’origine d’autres maladies. En milieu pulaar, les usages de la « graisse » (nebam) sont nombreux dans les soins domestiques, pour le traitement de diverses maladies, en ingestion ou sous forme de massages. Le terme nebam peut désigner du beurre, de l’huile ou de la graisse. Traditionnellement, c’est le beurre obtenu par barattage du lait de vache que l’on utilise à des fins thérapeutiques : « Pour les maux de ventre, chez les nouveau-nés, il faut prendre le beurre du lait, le presser dans un tissu pour extraire le meilleur » (Neene H). Ce beurre est aujourd’hui remplacé par des huiles ou de la margarine industrielle, du beurre de karité, ou encore, des produits cosmétiques. Mais les grand-mères racontent qu’autrefois, le beurre utilisé pour l’alimentation des nouveau-nés était un beurre filtré pour être le plus fin et pur possible. En milieu maure, le premier aliment donné à l’enfant est une datte mâchée par une femme au comportement irréprochable (Sanwogou & Gnambodoue, 1984). La « purge » du ventre du nouveau-né est également pratiquée, en donnant notamment, les premiers jours suivant la naissance, du miel, des dattes. Selon Corinne Fortier (1991), il s’agit traditionnellement d’un mélange de crème, de jarosite et d’argile ferrifère ou de khôl, censé « ouvrir la voie ». De leur côté, les guérisseurs encouragent la prise de matières grasses ou de miel chez le nourrisson, qu’ils considèrent favorable à leur santé : « Pour la prévention des maladies, il ne faut pas donner de biberon. On peut donner de l’huile d’olive ou du miel. » (Guérisseur maure) Les pleurs des nourrissons sont souvent interprétés comme pleurs liés aux maux de ventre et aux constipations, ce qui tend à appuyer les recommandations des grand-mères s’agissant de la consommation de graisses.
« Quand l’enfant naît, s’il passe la nuit en pleurant, s’il pleure la nuit, le matin, la première des choses à faire c’est de voir s’il n’a pas de maux de ventre. » (Neene R.) Lorsqu’un nourrisson pleure, les grand-mères vont avoir tendance à considérer qu’il est constipé, et reprocher aux mères de ne pas lui avoir donné les « graisses » nécessaires. La crainte de la constipation est aussi très présente en milieu maure, où des plantes purgatives, notamment le henné, sont utilisés en cas de pleurs du nourrisson sans raison apparente (Tauzin, 1998). Même si les jeunes mères sont réticentes au départ, il leur faudra encore résister face aux tensions suscitées par les pleurs de l’enfant.
« Mon petit-fils, le jour de son baptême, il a eu des maux de ventre aigus, son ventre était enflé. J’ai demandé à ma belle-fille de lui donner des huiles végétales, elle n’a pas voulu, et du lait, elle n’a pas voulu, et l’enfant continuait à pleurer. Nous avons pris du savon, nous lui en avons mis comme suppositoire, et après c’est parti, l’enfant allait mieux. […] Quand l’enfant est nouveau-né, on a remarqué que quand on met des huiles et tout cela, quand l’enfant il a des selles bleues ou jaunes…, mettre les huiles animales cela permettait de ne pas avoir des maux de ventre aigus, d’avoir une bonne digestion, de ne pas avoir de constipation. Mais maintenant les médecins ils disent qu’il ne faut pas. » (Neene R.)
Les pleurs des nouveau-nés, mal supportés, ne sont pas perçus comme anodins. Si les jeunes mères souhaitent éviter de donner des graisses à leur nouveau-né, il n’en demeure pas moins qu’elles craignent que celui-ci soit constipé : aussi vont-elles consulter si leur enfant ne fait pas de selles quotidiennes, ou s’il leur semble qu’il pleure car il n’arrive pas à excréter.

Donner de l’eau à boire aux nourrissons

L’interdiction de donner de l’eau à boire aux nouveau-nés est probablement une de celles les plus incomprises, même chez les personnes ayant atteint un haut niveau de scolarisation. En 2007, la proportion d’enfants recevant de l’eau avant leur 6 mois était estimée à 87% (MICS, 2007). Il s’agit probablement d’une habitude de maternage ancrée dans le quotidien, ailleurs observée en milieu peul (Epelboin, 1982 ; Querre, 2002). La recommandation médicale de ne pas donner de l’eau aux nouveau-nés est bien connue. Mais les grand-mères considèrent cette proscription exagérée. « C’est maintenant que tu vois un enfant, il reste six mois sans boire ! On lui donnait de l’eau et l’enfant il avait les os solides ! Il ne mangeait pas, mais l’eau quand même… » (Neene L.) Les grand-mères ne voient pas en quoi l’eau pourrait être nocive aux nouveau-nés : elles n’ont, d’ailleurs, pas reçu d’explications concernant cette recommandation. Elles craignent que l’enfant ait soif, et se demandent si cette recommandation est vraiment appropriée dans un pays chaud comme la Mauritanie.
« Ah nous en tout cas on donnait de l’eau. Mais maintenant, les sages-femmes elles disent qu’il faut attendre six mois pour prendre de l’eau, mais moi, cela ne m’empêche pas de donner de l’eau. Surtout quand il fait chaud. » (Neene S.)
De même, chez de nombreuses mères, l’impression que l’enfant souffre de la soif est plus grande que l’adhésion à la recommandation médicale. « Je sais que je ne dois pas lui donner de l’eau mais je lui en donne, car j’ai pitié de lui. » (Note de discussion, mère d’un enfant hospitalisé, Hôpital national). Au-delà de la soif supposée de l’enfant, certaines grand-mères rencontrées évoquent l’intérêt de l’eau, pour la dureté des os ou pour la fluidité de la digestion.
« Les enfants sont fatigués de ne pas boire de l’eau. Les médecins disent de ne pas donner de l’eau, mais jusqu’alors, on donnait de l’eau, l’eau est bonne pour les bébés.

L’alimentation du nourrisson : confrontations de savoirs

Autour des questions relatives à l’alimentation du nouveau-né, les savoirs des grand-mères entrent en contradiction avec les recommandations médicales. Celles-ci sont unanimes dans leur opposition aux recommandations des médecins s’agissant de ne donner ni beurre, ni eau, ni tout autre aliment avant six mois.
« Mais après ils ont dit qu’il faut faire cela doucement, ça gâte le ventre tout cela, ça donne des problèmes. Maintenant il y a beaucoup de maladies, et les pédiatres ils disent que c’est à cause du beurre. Surtout le beurre en paquet, ce n’est pas bon. Avant les petits on leur donne du sucre avec de l’eau, beaucoup de sucre aussi. Si tu veux qu’il dorme, tu lui donnes du sucre avec un peu d’eau. Maintenant les pédiatres ont dit que non, pas de sucre, pas de beurre. » (Neene B.) Partagées sur les aliments à intégrer – ou non – elles jugent en tout état de cause excessive l’emprise des recommandations médicales sur l’alimentation des nouveau-nés, qui interdisent, pour ainsi dire, tout autre aliment que le lait maternel avant six mois. « Mais maintenant les médecins interdisent les graisses animales, interdisent l’eau, ils interdisent, plein, plein de choses. » (Neene R.) Selon certaines d’entre elles, les nouveau-nés d’aujourd’hui sont moins solides, car leurs mères, sous l’influence des médecins, ne leur donnent plus ni beurre ni eau.
« Mais l’huile, ça aide l’enfant à être bien rassasié et à nettoyer le ventre. C’est alimentaire et cela aide aussi. Mais maintenant, les nouvelles générations, les nouvelles femmes, elles n’acceptent pas de donner cela à leurs enfants. […] Les enfants avant étaient plus solides, plus costauds, plus complets. Au bout d’un mois, on arrêtait l’huile animale, la graisse cela prend un mois seulement. » (Neene H.)
Le lait maternel n’est pas perçu suffisant à l’alimentation des nouveau-nés, soit qu’il ne suffise pas à étancher la soif et la faim, soit qu’il soit jugé trop collant. Une conception que l’on retrouve dans de nombreuses sociétés ouest-africaines recommandant d’y adjoindre divers aliments (Erny, 1988). Chez les Lobi du Burkina Faso, Michelle Cros (1991) analyse notamment que le lait maternel n’est pas perçu à lui seul suffisant, l’alimentation du nouveau-né étant complétée par un médicament amer préparé par le patriclan du père : une substance masculine qui tend à supplanter, symboliquement, le rôle nourricier du lait maternel. En milieu peul burkinabé, la valeur nourricière et identitaire du lait maternel apparaît fortement marquée : « l’enfant devient Peul parce qu’il boit ce lait » (Querre, 2002 : 111). Les grand-mères haalpulaaren valorisent elles aussi le lait maternel, mais considèrent la nécessité d’intégrer d’autres aliments (graisse, dattes, sucre, biscuits, lait d’origine animale…), pour que l’enfant soit plus fort (tiiɗa). La recommandation de l’allaitement exclusif, faisant de la mère la seule nourricière, revient à ôter tout rôle de nutrition aux grand-mères. Ceci heurte conception et organisation familiales, puisque qu’en principe les grand-mères, en période périnatale, s’occupent des enfants et leur apportent des compléments alimentaires jugés favorables à leur croissance.

REPRESENTATIONS DES PRINCIPALES MALADIES DE L’ENFANCE EN MILIEU HAAL PULAAR

Cette partie aborde, avec la nosologie pulaar des maladies de l’enfance, les logiques interprétatives intervenant dans les trajectoires d’enfants malades. À l’appui d’entretiens avec des grand-mères haalpulaaren, nous présentons les principales « entités nosologiques populaires » (Olivier de Sardan, 1999) associées à l’enfance. Bien souvent les catégories populaires ne correspondent pas avec les catégories médicales : « un non-isomorphisme des champs sémantiques » (Jaffré, 1999) qui exige un travail ethnographique attentif. Les entités nosologiques ne sont pas non plus un substrat de traditions : nous analyserons comment elles accompagnent l’évolution de l’environnement thérapeutique, intègrent des termes médicaux ou des messages de santé publique. Il faut également se garder d’ethniciser ces entités nosologiques (Le Marcis, 2001), et envisager, selon une approche comparative, comment elles mettent en jeu des représentations partagées avec d’autres sociétés plus ou moins proches culturellement.
Les modèles explicatifs fournis par ces représentations n’interviennent pas de manière linéaire et univoque dans l’élaboration des trajectoires de maladie. Elles sont confrontées à l’évolution des symptômes, aux explications des professionnels de santé et guérisseurs, au succès des traitements. Quelques récits de trajectoires sont rapportés pour illustrer l’enchâssement des interprétations en contexte de maladie, et la mobilisation des entités nosologiques décrites par les grand-mères.

Came et tekko : ces maladies qui « prennent » les enfants

Came et tekko correspondent respectivement à la rougeole et à la coqueluche. Ces deux maladies sont bien identifiées par les populations (Jaffré, 1999), qui savent en reconnaître les symptômes. Bien que la prévalence de ces deux maladies ait diminué avec la couverture vaccinale, ce sont les maladies des enfants les plus évoquées par les grand-mères, avant le paludisme, les diarrhées et les infections respiratoires qui sont statistiquement les maladies aujourd’hui les plus meurtrières. Ces maladies sont redoutées en tant que maladies mortelles, qui « prennent » les enfants. Les grand-mères demeurent marquées par les épidémies qui sévissaient dans les villages, dont elles gardent un souvenir anxieux. Elles soulignent leur dangerosité, y compris chez les adultes: « Avant cela tuait, non seulement cela tuait les enfants mais cela tuait les grandes personnes. » (Neene R)

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Table des matières

Chapitre I : Inscriptions théoriques et choix méthodologiques
I-1 Références conceptuelles dans le champ de l’anthropologie
I-1-1 De l’anthropologie de l’enfance à l’anthropologie de la pédiatrie
I-1-2 Décrire et caractériser l’offre de soin
I-1-3 Etudier les itinéraires thérapeutiques
I-2 La méthodologie mise en oeuvre : restituer le travail anthropologique
I-2-1 Les conditions d’enquête et son déroulement
I-2-2 Rassemblement, analyse et synthèse des données
I-2-3 Autour d’une trajectoire de maladie : pistes de travail
Chapitre II : Les enfants en milieu haal pulaar, soins quotidiens et maladies
II-1 Les enfants haalpulaaren en famille
II-1-1 Enfants et système de parenté
II-1-2 Âges, catégories de l’enfance et sociabilités infantiles
II-2 Soins quotidiens, précautions, protections
II-2-1 Protéger l’enfant à naître
II-2-2 Soins et protections du nouveau-né
II-2-3 Alimentation du nouveau-né
II-3 Représentations des principales maladies de l’enfance en milieu haal pulaar
II-3-1 Came et tekko : ces maladies qui « prennent » les enfants
II-3-2 Maladies du ventre et de la peau
II-3-3 Addo : maux des poussées dentaires
II-3-4 Sooynabo : une maladie que les docteurs ne savent pas soigner
II-3-5 Fièvres et terminologie multiple du paludisme
II-3-6 Ñaw-ñawto : l’enfant faible et maladif
II-3-7 « Ñaw ɓaleeɓe » : maladies des génies et des sorciers
II-4 Interprétations et nominations de la maladie
II-4-1 Des entités nosologiques aux interprétations en situation
II-4-2 Nominations et récits en partage
II-4-3 Statuts sociaux des locuteurs et poids de la parole
II-4-4 Nominations et recours thérapeutiques
II-4-5 Etre désigné « malade » : conséquences sur le statut des enfants
Chapitre III : Pluralisme thérapeutique des guérisseurs
III-1 Les pratiques des guérisseurs urbains : éléments de description
III-1-1 Islam et pratiques thérapeutiques
III-1-2 Des pratiques thérapeutiques se référant à des « traditions » plurielles
III-2 Statuts des guérisseurs : positionnements thérapeutiques et sociaux
III-2-1 Les guérisseurs et la « revalorisation de la médecine traditionnelle »
III-2-2 Les guérisseurs face à la biomédecine : adaptations et stratégies de légitimation
III-2-3 Traiter les maladies des enfants, une question qui divise les guérisseurs
III-2-4 Implantation spatiale des guérisseurs à Nouakchott
III-3 Perceptions de l’offre de soin des guérisseurs
III-3-1 Terminologie pulaar de l’offre de soin : ɓileejo, cerno et daɓotoodo
III-3-2 Perceptions des guérisseurs en milieu maure
Chapitre IV : Système de santé et espaces thérapeutiques
IV-1 L’offre de soin biomédicale : aspects historiques et actuels développements
IV-1-1 Système de santé à l’époque coloniale
IV-1-2 Evolution du système de santé et situation actuelle
IV-2 Perceptions du système de santé par les Mauritaniens
IV-2-1 Un rapport au système de santé marqué par la méfiance
IV-2-2 Le système de santé comme espace de coûts et de profits
IV-2-3 « C’est la Mauritanie ! » : l’offre publique dépréciée
IV-3 Les « espaces thérapeutiques » : variations socioculturelles et intrafamiliales
IV-3-1 « Familiarité » résidentielle et construction des espaces thérapeutiques
IV-3-2 Des espaces thérapeutiques infantiles
IV-3-3 Différences ethniques dans les espaces thérapeutiques
IV-3-4 Des espaces thérapeutiques différenciés par le genre
IV-3-5 L’influence de l’âge : des générations charnières dans les espaces thérapeutiques
Chapitre V : Entre les murs de la pédiatrie, soins et parcours de soins
V-1 L’accès aux soins hospitaliers : admissions et qualités des prises en charge
V-1-1 L’admission à l’hôpital : des moments denses et révélateurs
V-1-2 Des admissions aux prises en charge : éléments problématiques
V-1-3 La qualité des soins : focus sur l’hygiène et la douleur
V-1-4 Informer dans la relation thérapeutique
V-2 Parcours de soins : des parents négociant a l’hôpital
V-2-1 Des trajectoires de maladie diversement négociées
V-2-2 Des parents acteurs des parcours hospitaliers
V-2-3 L’idéal de protection familiale de l’enfant malade
Conclusion : Les configurations d’enfances canevas de l’accessibilité des soins
Bibliographie

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