Les effets synergiques de la densité de population et du climat

Les effets synergiques de la densité de population et du climat

Les principaux facteurs environnementaux influençant les stratégies biodémographiques

Au-delà de l’âge et des caractéristiques individuelles, plusieurs facteurs, comme la densité de population et le climat, induisent des variations temporelles ou spatiales de l’environnement. Ces changements jouent un rôle majeur dans la dynamique des populations (Gaillard et al. 2000) puisque les contraintes phénotypiques liées aux variations dans la disponibilité des ressources peuvent affecter les stratégies biodémographiques. L’estimation de la condition corporelle et des indices de croissance et de reproduction permet de mesurer l’allocation énergétique des individus pour différents traits en réponse aux conditions environnementales (Taillon et al. 2011). L’allocation des ressources pour l’effort reproducteur d’un organisme résulte donc en des stratégies définies par un ensemble de traits biodémographiques tels que le taux de fécondité, l’âge à la première reproduction et l’âge à la dernière reproduction (Panagakis et al. 2017). Ces traits traduisent l’expression de l’adaptation de l’organisme à son environnement.Au niveau populationnel, les suivis à long terme permettent de tenir compte de la variabilité dans les réponses des individus au fil du temps. Ils s’avèrent être un outil précieux pour l’étude de l’influence de différents facteurs environnementaux sur les traits biodémographiques des individus (Lebreton et al. 1992). À titre d’exemple, en s’appuyant sur des données récoltées entre 1979 et 2007, il a été possible d’établir que la masse corporelle des faons du chevreuil (Capreolus capreolus) était négativement dépendante de la densité de population de cerfs rouges, via une compétition interspécifique pour les ressources (Richard et al. 2010).

La densité de population

En dynamique des populations, le concept de densité-dépendance s’avère crucial, d’autant plus lorsqu’on s’intéresse aux problématiques d’une population surabondante. Pour les ongulés, par exemple, la densité de population peut influencer la condition corporelle des individus à travers son impact sur la qualité et la disponibilité des ressources (Bonenfant et al. 2009). Ces réponses dépendantes de la densité engendrent ensuite des variations dans les stratégies biodémographiques, qui peuvent avoir des répercussions sur la valeur adaptative individuelle (Bonenfant et al. 2009). En général, une augmentation de la densité de population au-dessus de la capacité de support du milieu (c.-à-d. le nombre d’individus qu’un environnement donné peut supporter à un temps donné sans se détériorer; Caughley 1979) entraîne une compétition pour les ressources. Cette compétition intraspécifique pour les ressources force les individus à réduire leur consommation ou à utiliser des habitats moins favorables (Sinclair 1989), ce qui peut entraîner des effets tels que la détérioration de la condition corporelle (Bonenfant et al. 2009), et ultimement, affecter les stratégies biodémographiques.À densité de population élevée, la théorie des stratégies d’adaptation vitale prédit que les femelles devraient investir dans leur propre survie au détriment de la reproduction (Stearns 1992). Cette stratégie est observée chez la plupart des espèces d’ongulés, où les femelles tendent à favoriser le maintien de leur condition corporelle et de leur survie en réduisant l’effort reproducteur à mesure que la densité de population augmente (Bonenfant et al. 2009). Une diminution de l’allocation des ressources aux paramètres de l’effort reproducteur peut se faire, par exemple, par la réduction de la taille de la portée (p. ex. cerf rouge; Clutton-Brock et al. 1985, chevreuil; Andersen & Linnell 2000, orignal; Gingras et al. 2014) ou par le retardement de l’âge à la première reproduction (p. ex. chevreuil; Gaillard et al. 1992, cerf rouge; Bonenfant et al. 2002, wapiti, Cervus canadensis; Stewart et al. 2005). Chez les ongulés nordiques, l’influence négative d’une augmentation de la densité de population peut aussi induire un coût de la reproduction plus élevé chez les femelles, diminuant ainsi leur succès reproducteur futur (Bonenfant et al. 2009). Ces variations dépendantes de la densité dans les stratégies de reproduction sont une composante clé de la compréhension des changements en nombre observés dans les populations (Caughley 1970, Sinclair et al. 1985).
L’impact d’une densité de population élevée peut toutefois être amorti par des sources de nourriture alternatives (Forsyth 2006), comme les feuilles au sol ou le lichen arboricole. D’ailleurs, une expérience avec manipulation artificielle de la quantité de nourriture disponible pour des rennes domestiques montre que les femelles qui pouvaient se nourrir ad libitum durant l’hiver et le printemps gagnaient en moyenne 12 % de leur masse corporelle initiale, comparativement à une perte d’en moyenne 6 % de leur masse corporelle pour les femelles témoins (Fauchald et al. 2004). Ainsi, la capacité des individus à réguler leurs réserves corporelles en fonction des contraintes liées à la densité de population peut s’avérer cruciale dans les environnements saisonniers, où la qualité et la disponibilité des ressources sont imprévisibles.

 Le climat et la végétation

Indépendamment de la densité de population, le climat peut induire des fluctuations intra- et interannuelles dans les besoins énergétiques des individus (Gaillard et al. 2000). Les précipitations, la température et le vent peuvent avoir des effets directs sur les stratégies biodémographiques en affectant la condition corporelle. Chez les femelles du cerf rouge en Norvège, par exemple, l’âge à la première reproduction variait en fonction de la masse corporelle à la conception, mais était ultimement négativement corrélée à la variation des degrés-jours aux mois de mai et juin précédant la conception (Langvatn et al. 1996).L’importance relative des facteurs climatiques peut également varier en fonction de la répartition géographique d’une population (Martínez-Jauregui et al. 2009). De façon générale, les ongulés nordiques sont souvent exposés à des conditions hivernales extrêmes. De fortes accumulations de neige, par exemple, augmentent les coûts énergétiques des déplacements à l’hiver (Parker et al. 1984, 1999) et limitent l’acquisition de la nourriture (White et al. 2009). L’hiver peut aussi être critique pour ces individus puisque de basses températures, la pluie et de forts vents peuvent augmenter les coûts métaboliques associés à la thermorégulation (Parker & Robbins 1985, Mysterud & Østbye 1999).Étant donné que les ongulés sont dépendants des communautés végétales via leur alimentation, le climat peut aussi induire une réponse indirecte sur leur condition corporelle à travers son influence sur la végétation. En général, la variabilité du climat altère la croissance de la végétation (Pettorelli et al. 2007b) et, par le fait même, la composition chimique et la qualité des plantes (White 1983). Cette variabilité dans le climat constitue un élément crucial dans le régime alimentaire des ongulés puisqu’elle détermine l’apport nutritif et la digestibilité de la nourriture. Dans les régions nordiques, le moment de la fonte de la neige détermine le moment de l’émergence de la végétation (Kudo 1991). En général, un développement lent et graduel des plantes est associé à des périodes prolongées de qualité élevée des ressources (Pettorelli et al. 2005, 2007b). Ces conditions d’émergences des plantes fournissent une forte teneur en nutriments et une grande digestibilité pour les ongulés (Parker et al. 1999). D’ailleurs, Pettorelli et al. (2005) ont montré qu’un développement hâtif de la végétation après la fonte de la neige, associé à une qualité élevée des ressources, avait une influence positive sur la masse corporelle des veaux du renne, autant chez les mâles que chez les femelles.
Au printemps et à l’été, le réapprovisionnement d’énergie sous forme de réserves corporelles dépend de la disponibilité (qualité et quantité) de la végétation. Chez les rennes, l’interaction entre la prédation et une limitation de la nourriture, laquelle était dépendante du climat, semblait réduire la fécondité des femelles à l’automne suivant (Tveraa et al. 2003). À l’inverse, chez la plupart des ongulés, des conditions hivernales favorables permettant un accès plus facile à une nourriture de qualité augmentent la fécondité des femelles (Sæther 1997). Un décalage entre l’émergence de la végétation et la mise bas peut toutefois restreindre l’apport énergétique des femelles à une période critique de l’année (Cook et al. 2004a, Searle et al. 2015).

 Les effets synergiques de la densité de population et du climat

Bien que la densité de population et le climat puissent avoir des effets simples directs et indirects sur les traits biodémographiques, ils sont également connus pour avoir des effets synergiques (Sæther 1997, Coulson et al. 2000). Chez plusieurs espèces, les effets combinés de la densité de population et du climat peuvent avoir des conséquences plus prononcées que leurs effets simples respectifs sur les traits biodémographiques. Notamment, il est possible que l’effet des conditions environnementales soit plus grand à densité de population élevée. Les individus seraient probablement plus susceptibles aux fluctuations des conditions environnementales lorsque les ressources se font rares en raison de la forte compétition intraspécifique (Herfindal et al. 2006a). C’est entre autres ce qui est observé chez le chamois (Rupicapra rupicapra) où une forte densité de population couplée à des températures printanières et estivales élevées menait à une diminution de la masse corporelle (Mason et al. 2014). Néanmoins, bien que les effets de la densité de population et de la stochasticité environnementale sur les traits biodémographiques soient relativement connus chez plusieurs ongulés, leurs effets synergiques sur des indicateurs physiologiques tels que les réserves en gras et en protéines demeurent peu documentés.

Les délais temporels

Les processus dépendants ou indépendants de la densité peuvent se manifester avec un retard dans le temps, c’est-à-dire qu’on observe un délai temporel dans la réponse des individus. De manière générale, ces facteurs induisent des variations dans la disponibilité des ressources qui, à travers leurs effets sur la condition corporelle, contribuent à moduler les stratégies biodémographiques (Sæther 1997). Par exemple, la pression de broutement élevée du cerf de Virginie (Odocoileus virginianus) sur les communautés végétales de l’île d’Anticosti a entrainé une diminution de la qualité des ressources alimentaires disponibles (Potvin et al. 2003, Tremblay et al. 2005). Cette forte pression de broutement du cerf semble être en partie responsable, via une boucle de rétroaction négative plantes-herbivore, de la diminution de près de la moitié de la masse corporelle moyenne des individus par rapport à celle de la population source (Lesage et al. 2001, Simard et al. 2008). Ainsi, les variations de la condition corporelle ont des répercussions sur la valeur adaptative des individus (Simard et al. 2014a) et peuvent engendrer des délais temporels dans la réponse de la population (Fryxell et al. 1991).
Des délais temporels dans la réponse de la population peuvent être observés à grande échelle de temps. Notamment, les conditions à la naissance peuvent influencer la croissance et le développement des individus et avoir des effets sur le succès reproducteur à l’âge adulte. À titre d’exemple, une étude menée entre 1985 et 1998 chez le mouton de Soay (Ovies aries L.) à l’île d’Hirta, a montré que les individus nés après des hivers chauds et humides étaient de plus petite taille et connaissaient une maturité tardive, mais produisaient plus de jeunes à l’âge adulte, comparativement aux individus nés après des hivers froids et secs (Forchhammer et al. 2001). Chez le cerf rouge, les individus nés après un printemps chaud étaient propices à se reproduire plus tôt que les individus nés après un printemps froid (Albon et al. 1987). Ainsi, la variabilité des conditions environnementales entourant la naissance peut avoir des répercussions à long terme, notamment en créant des différences dans la valeur adaptative des individus d’une population. Un concept central dans cette relation est que les conditions environnementales subies à l’année de naissance peuvent déterminer, du moins partiellement, la qualité future des individus, créant ce qu’on appelle un effet cohorte (Gaillard et al. 2003, Hamel et al. 2016). Bien que des conditions rigoureuses durant la première année de vie peuvent désavantager les individus d’une cohorte (Forchhammer et al. 2001), il arrive toutefois qu’elles contribuent à l’augmentation de la qualité moyenne de la cohorte par le biais d’une forte sélection pour les individus en meilleure condition corporelle (Plard et al. 2015).Des délais temporels dans la réponse de la population peuvent également être observés à plus courte échelle de temps. Ainsi, la densité de population et le climat des années précédentes peuvent avoir des effets sur l’effort reproducteur de l’année en cours. Chez le cerf rouge norvégien, par exemple, les effets retardés (délai temporel de deux ans) des hivers chauds et enneigés avaient un effet positif sur l’abondance des cerfs, probablement via l’augmentation de la fécondité des femelles (Forchhammer et al. 1998). Par conséquent, il est important de tenir compte des délais temporels possibles lorsqu’on s’intéresse aux réponses des individus.

Les contraintes saisonnières

L’évaluation de la part du budget énergétique allouée aux traits favorisant le succès reproducteur permet de déterminer en partie l’effet des composantes environnementales sur les stratégies biodémographiques (Roff 1992). Chez plusieurs espèces, la contribution des femelles au recrutement et à la dynamique des populations est supérieure et plus dépendante des facteurs environnementaux que celle des mâles, pour lesquels l’effort reproducteur est de courte durée et se résume souvent à la période du rut (Garel et al. 2011). Pour les ongulés nordiques, les grands contrastes du climat et de la disponibilité des ressources entre les saisons imposent d’énormes contraintes énergétiques. De manière générale, les femelles doivent user de stratégies pour maintenir un équilibre entre la consommation d’énergie et les besoins et dépenses nutritionnelles, et ce, tout au long de l’année. Dans cette optique, elles augmentent leur taux de consommation de nourriture pendant l’été (Chan-McLeod et al. 1994, Cook et al. 2004b) puisqu’il s’agit d’une période d’abondance des ressources. Elles récupèrent leurs réserves corporelles, essentiellement sous forme de gras ou de protéines, au courant de l’automne. À l’hiver, leurs réserves corporelles s’amoindrissent progressivement face à la rareté grandissante des ressources (Mautz 1978) et à la dépense énergétique occasionnée par les déplacements dans la neige (Parker et al. 1984, 1999). Pour les femelles reproductrices, la condition corporelle diminue de façon marquée au printemps dû à la demande nutritionnelle induite par la fin de la gestation, mais surtout celle associée à la lactation (Moen 1978, Mauget et al. 1997). Il s’agit d’une période de vulnérabilité aux variations environnementales puisque les femelles sont au plus bas de leur condition corporelle. Durant cette période, le climat peut ainsi exercer une grande influence sur le succès reproducteur (Pekins et al. 1998). L’accumulation des réserves corporelles à l’été et à l’automne est donc critique pour les femelles reproductrices puisqu’il leur faut regagner une condition corporelle leur permettant d’assurer leur survie à l’hiver et dans le meilleur des cas, leur prochaine reproduction. D’ailleurs, plusieurs études montrent que les femelles doivent atteindre une certaine condition corporelle à l’automne avant d’initier la reproduction (p. ex. Albon et al. 1986, Morano et al. 2013).
Les coûts de la reproduction, exprimés par une perte de masse corporelle chez la femelle en lactation, peuvent forcer un compromis entre la survie de la femelle et les évènements reproducteurs futurs si celle-ci ne parvient pas à refaire ses réserves corporelles à l’été et à l’automne (Bårdsen & Tveraa 2012). Chez le mouton de Soay, par exemple, la sévérité de l’hiver et une densité de population élevée pouvaient contribuer à l’augmentation des coûts de la reproduction, et plus particulièrement lors de la première reproduction (Tavecchia et al. 2005). La condition corporelle atteinte par la femelle avant la période de reproduction est donc décisive à l’aboutissement des prochaines saisons de reproduction. Face à la stochasticité environnementale, les femelles ongulés peuvent adopter une stratégie d’allocation reproductive sensible au risque (Bårdsen et al. 2014) pour tendre à être plus résilientes à la disponibilité imprévisible des ressources. Ainsi, elles sont sujettes à emmagasiner de l’énergie sous forme de réserves corporelles et, par conséquent, à réduire leur allocation reproductive à court terme pour assurer leur survie à l’hiver et leur future reproduction (Bårdsen et al. 2008).

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Table des matières

INTRODUCTION GÉNÉRALE
1. De l’individu aux stratégies biodémographiques
1.1. Le compromis dans l’allocation des ressources
1.2. La condition corporelle
1.3. L’âge
1.4. Le coût de la reproduction
2. Les principaux facteurs environnementaux influençant les stratégies biodémographiques
2.1. La densité de population
2.2. Le climat et la végétation
2.3. Les effets synergiques de la densité de population et du climat
2.4. Les délais temporels
3. Les contraintes saisonnières
4. L’étude des stratégies biodémographiques
5. Modèles biodémographiques
Problématique à l’étude
Objectifs et hypothèses
Approche méthodologique
CHAPITRE 1 Synergistic effects of population density and environmental factors on the body condition of female white-tailed deer in autumn
RÉSUMÉ
ABSTRACT
INTRODUCTION
METHODS
Study area and population
Body condition
Population density
Climatic conditions
Vegetation
Statistical analyses
RESULTS
Dressed body mass
Peroneus muscle mass
Rump fat thickness
DISCUSSION
ACKNOWLEDGMENTS
REFERENCES
CHAPITRE 2 Reproductive plasticity of female white-tailed deer at high density and under harsh climatic
conditions
RÉSUMÉ
ABSTRACT
INTRODUCTION
METHODS
Study area and deer population
Female reproductive status
Post-reproductive body condition
Influence of environmental factors on female reproduction
Statistical analyses
RESULTS
Influence of environmental factors on female reproduction
Post-reproductive body condition
DISCUSSION
Density and environmental influences on female reproduction
Post-reproductive body condition
Further considerations
ACKNOWLEDGEMENTS
REFERENCES
CONCLUSION GÉNÉRALE
L’importance de considérer la densité de population
L’importance de considérer les facteurs environnementaux
La gestion d’un ongulé surabondant dans un environnement saisonnier
Limitations et perspectives de recherche
BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE

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