Les dynamiques d’innovation au cœur du processus de transformation de l’ADIE 

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Trois grandes phases d’expansion de la microfinance.

Servet (2006) décompose le développement de la Microfinance en 3 décennies :
– De 1975 à 1995 : correspond à l’apparition des premières organisations, de petites tailles et relativement efficaces. Elles ne sont toutefois pas autonomes d’un point de vue financier et dépendent largement des financements publics.
– De 1985 à 1995 : c’est à cette période que l’on voit émerger les grandes IMF tel que BRI ou BancoSol en Bolivie. L’autonomie financière devient leur objectif principal et des partenariats avec les banques commerciales commencent à se créer.
– De 1995 à 2005 : la microfinance est reconnue comme technique financière sur le plan international. Une diversification des produits se met en place pour toucher un public plus large, le crédit individuel se développe au détriment du crédit en groupe. Les
premières tensions commencent à apparaître notamment sur le fait de concilier l’autonomie financière avec l’objectif de lutte contre la pauvreté.
Le schéma suivant permet de représenter l’évolution du secteur.
En terme d’organisation interne des IMF, la phase 1 correspond à la phase d’émergence du secteur. Il s’agissait avant tout de petites organisations qui se situaient en phase d’expérimentation sur ce domaine. Le secteur est très peu structuré et très localisé, la méthode d’octroi des crédits est très « artisanale », il existe une faible formalisation des outils et l’analyse du risque réalisée par les conseillers crédits est avant tout subjective.
Pour ce qui est de la seconde phase, il s’agit avant tout, d’une phase d’expansion c’est à ce moment là que les organisations commencent à grandir et à se structurer en interne, elles assurent également un maillage territorial important ; ce qui se traduit par une augmentation des niveaux hiérarchique et une formalisation des méthodes de travail. En effet, les critères de décision d’octroi de crédit gagnent en objectivité, en parallèle le nombre de clients ou de groupes de clients par agent de crédit augmente sensiblement. Ces facteurs induisent donc, une demande de professionnalisation accrue de la part des salariés. Par ailleurs, en parallèle de ce maillage territorial se met en place un maillage institutionnel, les grandes IMF instaurent des partenariats avec des banques commerciales ou se transforment elle même en banque afin de pouvoir gagner en efficacité. Apparaissent également des partenariats avec les institutions publiques, les grandes IMF deviennent ainsi des acteurs à part entière de l’action publique, des formes de coopération sont instituées avec les municipalités pour toucher la population d’un quartier « pauvres ».
La dernière phase représente une phase de maturité, du fait de l’augmentation de la taille des IMF et de leur légitimité accrue tant sur le plan régional qu’international, les organisations doivent faire face à des exigences en terme de rentabilité pour atteindre l’autonomie financière. Les salariés sont contraints donc à plus de rendement tout en maintenant le niveau des impayés très bas. Dans le même temps, on s’aperçoit que les IMF instaurent des stratégies de diversification aussi bien au niveau des produits, avec la microassurance ou la microépargne, que sur le ciblage des clients, à travers la remise en cause du crédit en groupe et la mise en place de produit personnalisé. L’innovation redevient nécessaire pour le développement des IMF.
Ces différentes phases et plus précisément la dernière ont permis de faire émerger un ensemble d’enjeux auxquels doivent faire face les IMF que nous allons traiter, dès à présent.

Les tensions et enjeux que connaissent les IMF aujourd’hui

Comme nous l’avons évoqué les IMF à l’heure actuelle doivent faire face à un certain nombre d’enjeux. C’est le cas notamment avec l’injonction de rentabilité financière imposé par les partenaires financiers et l’Etat, qui conduit les IMF à adopter des stratégies de diversification des produits pour toucher un public plus large. D’autre part, l’augmentation de la taille des IMF conduit ces dernières à mettre en place des stratégies innovantes tel que des évolutions statutaires en banque ou la mise en place de partenariat. Ces évolutions ont donc des implications en terme de gouvernance que nous allons aborder dans les paragraphes suivants.

La diversification des produits

Un des éléments qu’il est possible de mettre en évidence est relatif à la diversification des produits des IMF et à l’apparition de ce que Rossel-Cambier (2009) qualifie de Microfinance Combinée qui correspond principalement au couplage de différents produits financiers (microcrédit, microépargne et microassurance) mais également non financiers tel que l’offre de formation relative à la création d’entreprise. Selon l’auteur, cette diversification de l’offre de produit traduit une évolution de la demande des clients, c’est également un moyen de toucher un nombre plus important de clients. L’auteur se contente essentiellement de dresser un état des lieux de la microfinance combinée en Amérique Latine. Toutefois, il pointe un enjeu intéressant lié à la complexité croissante qu’induit ces systèmes de microfinance combinée qui impacte donc la gouvernance.

Les évolutions du secteur qui engendre des crises de gouvernance

Il semble pertinent de s’intéresser aux crises de gouvernances que traversent un certain nombre d’IMF à l’heure actuelle. Pour éclairer cette tension, les auteurs s’appuient généralement sur la théorie de l’agence. Nsabimana (2009) caractérise la gouvernance dans les IMF comme étant une « toile de relation d’agence ». Rappelons qu’une relation d’agence selon Jensen et Meckling (1976)11 désigne un contrat par lequel une ou plusieurs personnes (le principal) engage une autre personne (l’agent) pour accomplir quelques services en leur nom, impliquant la délégation d’une partie de l’autorité de prise de décision à l’agent. De part sa nature, la relation d’agence pose problème dans la mesure où les intérêts personnels du principal et de l’agent sont divergents. Le principal et l’agent peuvent représenter différents acteurs au sein d’une organisation, il peut s’agir des actionnaires et du directeur de l’entreprise, des managers et des salariés, ou même des épargnants de la banque. On comprend aisément que dans le cas des IMF, il existe bien une « toile de relation d’agence », rendue complexe par trois éléments spécifiques aux IMF. Tout d’abord, la double mission de ces organisations, à savoir, une mission sociale (distribution d’un service envers une population exclue) et une mission financière (atteinte d’une autonomie financière). En sus, de cette double mission, on assiste à une diversité des formes organisationnelles, que ce soit des institutions financières à but lucratif, des ONG, etc. Pour finir, on relève également une hétérogénéité des parties prenantes avec des intérêts qui divergent : ainsi les emprunteurs sont préoccupés par la possibilité de renouveler leurs prêts, les actionnaires privés sont intéressés par une rentabilité sur fonds propres importante quitte à prendre plus de risque, etc. Cette diversité d’intérêt rend complexe le système de gouvernance. Selon l’auteur, le système optimal serait celui qui permet d’intégrer l’ensemble des relations d’agence entre parties prenantes et assurerait ainsi la convergence des intérêts.
Il s’agit d’une conclusion à laquelle parvient également Doligez (2009), selon lui, le meilleur moyen de renforcer les capacités des IMF et d’améliorer la gouvernance de ces organisations se trouve dans l’implication des différents acteurs aussi bien interne qu’externe afin de contribuer à l’élaboration d’une vision commune.
Par ailleurs, il convient de souligner qu’en parallèle de ces crises de gouvernance liée à l’augmentation de la taille des IMF, ces organisations ont été confrontées à la nécessité de trouver d’autres sources de financement.
Selon Urgehe (2009) « les IMF se doivent d’assurer la pérennité de leurs activités de façon indépendante des subventions et de gérer leur fonctionnement selon une approche commerciale, de façon à ce que les services délivrés puissent être assurés sur le long terme »
C’est ce qui traduit le terme de « commercialisation », les IMF proposent ainsi des services qui assurent une rentabilité, on observe une montée en croissance du nombre et du type d’acteur présent sur ce marché. Pour finir, on assiste à une mutation d’un certain nombre d’ONG en institutions financières dirigées par des actionnaires. Là encore l’auteur insiste sur le fait que selon le financement des IMF, cela peut impacter sur la gouvernance de l’organisation, comme l’illustre le cas de Compartamos au Mexique. (voir encadré 1).

L’arrivée de nouveaux acteurs sur le marché

Comme nous l’avons évoqué précédemment, l’augmentation de la taille des IMF a engendré de nombreux changements sur ce secteur. Un des changements qu’il est possible de mettre en avant est relatif à la mise en place d’innovation institutionnelle de la part des IMF (Rosengard, 2009 ; Nsabimana, 2009). En effet, ce besoin de s’agrandir et de se diversifier conduit ces organisations à recourir à des investissements privés comme nous l’avons évoqués. En parallèle, la réussite de ce secteur entraine l’arrivée de nouveaux entrants, c’est pourquoi les banques classiques commencent à investir ce nouveau marché, deux types de stratégies d’entrée peuvent être mise en avant.
– D’une part, les stratégies d’upscaling où des IMF matures décident d’opter pour le statut de banque, ce qui leur fournit une plus grande marche de manœuvre, notamment en pouvant collecter l’épargne et mobiliser ainsi plus de fonds.
– D’autre part, les stratégies de downscaling, il s’agit ici des banques qui décident d’entrer sur le marché pour toucher le bas de la pyramide, c’est à dire les plus pauvres. Toutefois, les motivations peuvent être autre, en effet, il peut exister une surliquidité bancaire comme c’est le cas en Afrique (Nsabimana, 2009) qui pousse les banques à s’orienter sur ce marché. La rentabilité relative des IMF peut également être un facteur déterminant. Enfin, il existe également un effet d’image pour ces banques, se lancer dans la microfinance et offrir des produits financiers à des populations exclues est un moyen de redorer leur blason.
Les banques utilisent différentes stratégies pour rentrer en microfinance (Nsabimana, 2009), il peut s’agir d’une unité interne spécialisée en microfinance, d’une filiale financière ou encore d’une alliance stratégique avec une IMF déjà bien implanté. Concernant le partenariat entre une IMF et une banque classique, Nsabimana (2009) et Rosengard (2009) évoquent diverses raisons. Dans un premier temps, l’entrée des banques classiques en partenariat avec des IMF permettrait de professionnaliser le management des IMF, notamment sur des aspects techniques de la gestion de produit financiers (aide à la gestion du risque par exemple). Les banques disposent également d’infrastructures et de réseaux de distribution qui contribue à toucher un public plus large ainsi que d’une image de marque qui peut permettre de renforcer la confiance des partenaires. Toutefois, les IMF disposent également d’avantages utiles pour les banques classiques, elles possèdent une bonne connaissance du marché et elles savent donc comment identifier et limiter le risque. De plus, les banques classiques sont plus bureaucratiques que les IMF et elles doivent faire face à des coûts importants si elles veulent toucher ce marché. Les IMF quant à elles ont su développer des solutions innovantes et une organisation du travail qui permet de pallier ce genre de difficultés. C’est le cas notamment avec la mise en place du crédit en groupe qui permet de baisser le coût moyen du crédit par personne ; ainsi que l’organisation en caisse villageoise qui laisse une large autonomie aux emprunteurs tout en allégeant l’organisation du travail des agents de crédits. De plus, du fait de l’expertise des IMF et de l’organisation en crédit en groupe, les modalités d’octroi des crédits sont simplifiés et plus rapide que dans une banque classique qui demande énormément de garantie dont ne disposent les clients habituels des IMF. Ces différents éléments nous permettent de comprendre l’intérêt d’une coopération entre une banque classique et de voir qu’il peut s’agir d’un jeu gagnant-gagnant pour les divers protagonistes, dans le cas d’une approche partenariales.
Toutefois, il semble important de garder à l’esprit que ce type de partenariat peut avoir des conséquences sur la gouvernance des IMF, notamment il peut y avoir un risque de renforcement de la dérive de la mission sociale vers une mission plus financière (Nsabimana, 2009).
L’ADIE, IMF française intervenant au sein d’un pays développé connaît également des tensions liées à son évolution et ses transformations. En effet, l’organisation s’est développée et l’activité s’est intensifiée ce qui a conduit l’association à diversifier ses produits afin de toucher un public plus large. De plus, l’organisation a su mettre en place des partenariats dès le début avec des banques classiques, en servant dans un premier temps d’intermédiaire entre le client et le banquier ; ensuite en empruntant directement auprès des banques pour afin d’offrir leur propre prêt dans un second temps.
Ces éléments, que nous allons approfondir ultérieurement, confirment l’hypothèse que l’évolution de l’ADIE n’est pas totalement déconnectée de l’évolution des autres IMF. Ainsi, un contexte présent dans les pays du Sud peut se reproduire, avec des configurations originales, au Nord. Jusqu’à présent, nous avons privilégié l’évolution des IMF d’un point de vue organisationnel.
Qu’en est-il de l’interaction de ces organisations avec leur public ?

Quelle relation entre les IMF et leur public ?

Les IMF se sont développées depuis maintenant 30 ans à travers le monde, dans certaines zones, elles font partie intégrante de l’espace social. Comment dès lors caractériser leur lien avec leur public ? Quelle est la nature de cette relation ? De quelle manière a-t-elle évolué ? Quelles sont les caractéristiques de la population qui influent sur cette relation ?
Guérin et Kumar (2007) d’après une étude de cas en Inde du Sud, mettent l’accent sur une des difficultés majeures auxquelles doivent faire face les institutions financières et plus particulièrement les IMF, à savoir, la question des asymétries d’informations entre prêteurs et emprunteurs. En effet, les IMF doivent mettre en place des solutions originales pour pouvoir collecter un maximum d’information sur le créateur et son environnement pour pouvoir limiter le risque. Cette tâche est rendue difficile par l’absence de garanties visibles et matérielles, s’agissant la plupart du temps de microentreprise dans le secteur informel. Dans un second temps, les ONG doivent s’assurer que les emprunteurs respectent leurs engagements et remboursent leur prêt.
Dans un contexte d’intensification de la concurrence pour les IMF et les ONG pratiquant la microfinance, on observe une évolution de la relation entre le public et ces ONG. Les auteurs se penchent donc sur la question de l’interaction entre agents de crédit et emprunteurs, et comment le glissement entre relation de proximité et relation de courtage ou de clientélisme, s’est opéré progressivement.
Il convient tout d’abord de définir ce que les auteurs entendent par relation de courtage ou de clientélisme. Cette relation est représentée par un « patron », c’est-à-dire l’ONG ; des « courtiers de terrain », caractérisés par les agents de crédits ou des leaders locaux; et enfin, les « clients » des IMF. Les courtiers de terrains assurent entre l’ONG et son public une fonction de médiation et de traduction. Ainsi, les caractéristiques essentielles de cette relation sont qu’elle est à la fois réciprocitaire car les bénéfices des deux parties sont mutuels, asymétrique du fait des statuts des protagonistes qui repose sur des rôles complémentaires. Pour finir, cette relation est également fortement hiérarchique étant donnée qu’elle repose sur un système pyramidal qui implique de nombreux intermédiaires entre le « patron » et le « client ». Par ailleurs, au delà de cette fonction de médiation et de traduction que les courtiers de terrain assurent entre l’ONG et la population, ils garantissent également loyauté et fidélité des usagers. Pour recruter leurs courtiers, les ONG s’appuient généralement sur des personnalités locales, qui ont une forte influence sur la populations dans une zone géographique donnée. C’est par cet individu que circule l’information et il est une des composantes de la légitimité et de la crédibilité de l’IMF. Ces dernières sont également renforcées par la mise en place d’événements publics de masse, ainsi que de la possibilité de mobiliser un nombre important d’acteurs locaux.
Cependant, plus rarement certains agents de terrain tentent de tisser des relations de proximité avec les clients, ce type de stratégie est rapidement abandonné au profit du courtage du fait de contraintes matérielles et financières. Le courtage, bien que permettant une efficacité et des résultats immédiat, revêt quelques inconvénients, notamment en terme de circulation de l’information. En effet, la multiplication des intermédiaires entraine une dilution de l’information, qui conduit parfois les clients à être mal informés de leurs droits et obligations. Dans un second temps, il semble important de souligner que généralement, le public visé par ces IMF, a recourt à des pratiques financières informelles (Guérin et al., 2009). Ces pratiques informelles sont très diverses, on trouve des associations rotatives d’épargne et de prêt, plus connu sous le nom de Tontines. Il s’agit d’un groupement d’individu souvent des femmes, qui s’organise pour prêter de l’argent aux membres du groupe. Ainsi, à périodicité constante (mensuel en général), chacun des membres du groupe met en jeu une certaine somme d’argent qui bénéficiera à un seul membre, le membre bénéficiaire change chaque mois ce qui permet à chacun d’avoir une somme importante qu’il peut réinvestir. Il peut s’agir également d’une multitude d’intermédiaires privés, des prêteurs professionnels ou des proches (famille, voisin, etc.). Les usagers de la microfinance dans les Pays du Sud jonglent également avec des produits financiers informels. Comme l’évoquent les auteurs, les clients peuvent emprunter aux organisations de microfinance pour reprêter derrière ou rembourser un prêt « informel », ils mettent ainsi en place des stratégies dites de moneylending. Dans le même temps, il semble important de souligner les limites que rencontre la pratique du prêt en groupe, jusque là considéré comme l’innovation majeure du secteur du microcrédit et notamment les stratégies mises en place par les usagers pour contourner le système. Les usagers instituent des arrangements entre les membres du groupe, ainsi en Inde ou au Mexique (Guérin et al., 2009) certains membres du groupes demandent la somme maximale alors qu’ils n’en n’ont pas forcément besoin pour pouvoir la prêter à d’autres membres du groupe. On assiste alors à des stratégies d’endettement mutuel qui dépassent de loin ce que voient les agents de crédits.
Pour conclure, il apparaît pertinent d’insister sur ce double mouvement que connaissent d’une part les IMF et d’autre part les usagers de ces organisations. Pour ces derniers, on s’aperçoit qu’ils ont intériorisés les modalités de fonctionnement des IMF et qu’ils sont capables de mettre en place des stratégies pour « faire avec » les produits proposés même s’ils ne sont pas toujours adaptés à leurs besoins. En second lieu, les IMF tentent d’éradiquer cette « mauvaise finance » (Guérin et al., 2009) qui leur fait concurrence et ce d’autant plus que la plupart du temps les taux d’intérêt de ces pratiques financières informelles sont proches de ceux de la microfinance.
Par ailleurs, la distinction opérée par Guérin concernant les profils des agents de crédit peut apparaître intéressante à transposer au modèle de l’ADIE et permettre ainsi de constater s’il y a eu un changement de profil au niveau des conseillers crédits. Nos premières observations conduisent à penser que les évolutions et transformations récentes de l’ADIE ont induit un changement de profil des conseillers crédits. En effet, ils semblent être incités à effectuer plus de prospection et à aller directement au contact des clients, ce qui supposerait un glissement d’une relation de clientèle vers une relation de proximité. Donc, une évolution inverse de celle vécue par les IMF des pays du Sud. Nous développerons ultérieurement (partie 2, III) cette perspective.
Pour résumer, nous avons constaté que les IMF ont fortement évolué depuis l’origine du système dans les années 1970. En effet, le secteur après avoir commencé par une phase que l’on peut qualifier d’artisanale s’est progressivement étendu jusqu’à une phase plus industrielle. Ces évolutions se sont accompagnées de transformation au niveau interne par la modification progressive de ces organisations et de leurs métiers ; mais également en externe avec une transformation de la cible visée et donc une diversification des produits. Ces mutations diverses ont entrainé une multitude de tensions :
– Au niveau de la gouvernance tout d’abord, avec une évolution des formes institutionnelles des IMF que l’on peut illustrer avec le cas de Compartamos au Mexique qui s’est transformés en institutions financières. Ces évolutions compliquent les relations entre les acteurs des institutions et entraine ainsi des toiles de relation d’agences qui peuvent provoquer des crises de gouvernance du fait de la divergence d’intérêt entre les acteurs.
– L’arrivée de nouveaux acteurs impacte également la gouvernance des IMF, c’est le cas notamment avec l’entrée sur le marché des banques classiques. Même si ce partenariat peut s’avérer profitable pour les deux parties, il semble important d’être vigilant concernant les risques de dérives entre la mission sociale et l’exigence d’autonomie financière des IMF.
– Pour finir, il apparaît pertinent de souligner que la relation entre les IMF a elle même évolué, d’une relation de proximité à une relation de clientèle imposé par la nécessité d’augmenter le volume de crédit. Petit à petit, on s’aperçoit également que les usagers ont internalisé les pratiques de microfinance et sont capable de « faire avec » ce type de produit quelque soit la contrainte imposé par les IMF.
Ces différents éléments permettent de poser les enjeux de la microfinance à l’heure actuelle.

L’innovation dans les services comme grille d’analyse pour comprendre les transformations et les enjeux de l’ADIE.

Depuis sa création en 1989, l’ADIE a fait l’objet de multiples évolutions. On perçoit dans les transformations de l’ADIE, une capacité d’innovation permanente qu’il semble important d’analyser et de comprendre, on y observe également la combinaison d’une rationalisation industrielle et professionnelle. Ce processus n’est pas spécifique à l’ADIE, il traverse une grande partie du secteur des services et notamment celui des services financiers auxquels ont peut rattacher l’ADIE. Gadrey (1994) distingue la rationalisation industrielle qui correspond à l’homogénéisation et la standardisation des méthodes de travail, de la rationalisation professionnelle, entendu comme l’élaboration de nouvelles routines et de solutions uniques. La typologie élaborée par l’auteur distingue donc deux types de rationalisation, à savoir, la rationalisation industrielle et la rationalisation professionnelle. Usuellement, elles sont opposées car la rationalisation professionnelle correspond d’une certaine manière à un processus d’innovation continuel alors que la rationalisation industrielle homogénéise et standardise les méthodes de travail, ce qui est a priori incompatible avec un processus d’innovation. Or dans le prolongement de nos travaux précédents, nous souhaitons montrer qu’elles peuvent cohabiter et même se nourrir l’une de l’autre. Au delà, et face au processus d’accélération de la phase d’industrialisation, ils nous semble important de mener une analyse en terme d’innovation pour étudier les dynamiques en cours et caractériser les enjeux de l’ADIE. A partir de la littérature dans ce domaine, nous distinguons d’une part la question des acteurs qui instituent l’innovation, et d’autre part, la particularité de l’innovation dans les services.

Les acteurs de l’innovation

Les acteurs se situent au cœur du processus d’innovation. Dans la terminologie « acteurs », on entend, les différentes parties prenantes en lien avec l’innovation de manière directe ou indirecte. Nous verrons donc dans un premier temps comment l’innovation et l’organisation apparaissent comme des logiques à la fois complémentaires et concurrentes (Alter, 1993). Nous étudierons plus précisément le lien entre les instances dirigeantes d’une structure et les innovateurs ou nouveaux professionnels qui la compose. Dans un second temps, à partir des travaux de l’école des mines (Hatchuel et al., 2006), nous nous intéresserons aux acteurs de la conception innovante.

La cohabitation entre l’innovation et l’organisation : le rôle des acteurs

Alter (1993) propose une analyse de ces logiques d’innovation en lien avec l’organisation. Selon lui, il existe une complémentarité, ainsi qu’une concurrence entre la logique de l’organisation et celle de l’innovation. L’auteur insiste aussi sur l’émergence de ce qu’il appelle la « détaylorisation » qui contribue à l’apparition de nouveaux professionnels. Cette « détaylorisation » entraine des incertitudes qui peuvent être technique, environnementale, liés aux produits ou au connaissances. C’est grâce à ces incertitudes qu’émerge la compétence des professionnels. Alter définit ainsi le professionnalisme comme opposition à la rationalité organisationnelle, ou encore l’organisation apparaît comme un moyen de réduire les incertitudes alors que l’innovation se saisit des opportunités que ces incertitudes provoquent.

L’émergence de « nouveaux professionnels »

Dans un second temps, l’auteur s’intéresse à ces nouveaux acteurs de l’innovation. En effet, l’apparition de ces nouveaux professionnels traduit un changement dans la conception de l’innovateur au sein de l’entreprise.
Il ne s’agit pas seulement des dirigeants d’une organisation, un entrepreneur au sens schumpétérien13 du terme peut se retrouver dans divers poste de l’organisation.
Un des points intéressant de l’analyse de l’auteur a trait aux stratégies et comportements de ces « nouveaux professionnels » au sein de l’organisation. En effet, il s’agit d’individus qui tirent parti des incertitudes en mettant en place des actions innovantes : ils sont autonomes et ont les compétences nécessaires pour innover. C’est pourquoi, il semble important de souligner que ces entrepreneurs se situent à des postes clés qui leurs permettent de réaliser ces innovations de produit ou de procédé, ils se trouvent souvent à la charnière des opérations de conception et de production.
D’autre part, l’auteur relève que ces individus se doivent également de maîtriser les canaux de circulation de l’information, afin de pouvoir légitimer au sein de l’organisation leur innovation et pouvoir ainsi obtenir les ressources nécessaires à son développement.
Ce comportement stratégique de ces instigateurs de l’innovation peut rentrer a priori en contradiction avec les objectifs d’une organisation et de la direction, plus encline à rationnaliser ou formaliser les processus. Toutefois, il est dans l’intérêt des dirigeants de conserver et d’inciter ce genre de comportement pour favoriser le développement de l’entreprise.

L’institutionnalisation de l’innovation

L’auteur évoque également le rôle de la direction dans l’opposition entre innovateur et légaliste, elle adopte également des comportements opportunistes, le contrôle qu’elle exerce sur les nouveaux professionnels se décompose en trois étapes.
– Tout d’abord, la direction incite à l’innovation en mettant en place des expérimentations pilotes, des cercles qualités, ce qui va a priori à l’encontre des règles formelles qui régissent une organisation.
– Ensuite, les dirigeants adoptent une posture de « laisser faire », les nouveaux professionnels se saisissent de l’autonomie qui leur est conféré et élaborent des innovations.
13 Selon Schumpeter, l’entrepreneur, est un véritable aventurier qui n’hésite pas à sortir des sentiers battus pour innover et entraîner les autres hommes à envisager autrement ce que la raison, la crainte ou l’habitude, leur dictent de faire. Il doit vaincre les résistances qui s’opposent à toute nouveauté risquant de remettre en cause le conformisme ambiant.
– Pour finir, la direction institutionnalise les innovations afin qu’elles puissent devenir légitime dans l’ensemble de l’organisation. Ainsi, certaines pratiques des innovateurs sont préférées à d’autres jugées trop extrême par le groupe de légaliste qui s’occupe de l’arbitrage entre les pratiques.
Par ailleurs, il convient d’opérer une distinction entre institutionnalisation et rationalisation. La première consiste à produire des normes collectives et formelles issues de pratiques sociales informelles ; alors que la seconde se définit en amont et concerne la standardisation d’un certain nombre de processus inhérent à l’organisation. Il apparaît donc clairement que l’institutionnalisation agit comme une forme de régulation en permettant la coexistence de ces deux groupes d’individus, à savoir, les « légalistes » et les « innovateurs ». Toutefois, même si les deux groupes d’acteurs arrivent à coopérer, interagir et produire de nouvelles règles ensemble, il convient de souligner qu’il subsiste une prédominance de la rationalisation et donc des « légalistes ». Toutefois, cette rationalisation est accompagnée par ce processus d’institutionnalisation qui assure le bon fonctionnement du groupe dans son ensemble malgré la présence d’individus hétérogènes.

Le lien entre institutionnalisation et régulation, l’apport de Reynaud (1988) sur les incertitudes

Reynaud (1988) distingue trois types de régulation, d’une part, la régulation de contrôle qui émane de la direction, d’autre part la régulation autonome qui représente la manière dont le groupe s’approprie collectivement ces règles et pour finir, la régulation conjointe qui naît de l’échange et la discussion avec les différents partenaires institutionnels (dirigeants, syndicats, etc.). Dans son analyse, Alter se rapproche en partie de cette définition de la régulation conjointe en employant le terme d’institutionnalisation. Toutefois, cette dernière n’intègre pas dans son arrangement collectif les syndicats. Ceci provient notamment du fait que ce genre de pratiques est peu rationalisable dans les faits.
Par ailleurs, un des fondements de l’analyse de Reynaud, reprise également par Alter, concerne les incertitudes. En effet, il évoque l’idée que la rationalité limitée des agents économiques développée par March et Simon correspond en réalité à une rationalité de l’innovation. Dans un environnement incertain, les acteurs se doivent d’élaborer continuellement des solutions innovantes.
Pour résumer, Alter part du constat initial qu’il existe une opposition latente entre l’organisation et l’innovation du fait de l’émergence de « nouveaux professionnels » intégrés dans l’organisation qui élaborent des solutions innovantes. Les pratiques de ces acteurs rentrent a priori en contradiction avec celles d’une organisation basée sur des règles formelles, ainsi que sur les acteurs qualifié de « légalistes » qui préfèrent normaliser les processus de l’organisation. De plus, en s’appuyant sur les travaux de Reynaud, il met en évidence que l’incertitude de l’environnement contraint les individus et plus largement l’organisation à mettre en place des solutions innovantes. Selon l’auteur, les pratiques favorisant l’innovation ne peuvent pas toutes être codifiées et rationalisées par l’organisation, mais elles peuvent être institutionnalisées ; ce qui correspond à l’acceptation collective de pratiques issues des deux groupes hétérogènes. Ceci permet aux individus d’interagir et de coopérer contribuant à l’enrichissement de l’organisation en terme d’apprentissage collectif et d’innovation.
Le point de vue d’Alter nous apporte un premier éclairage sur la question des acteurs de l’innovation et leurs relations avec l’organisation. Toutefois, Hatchuel et al. (2006), proposent une analyse plus poussée en terme d’acteurs de l’innovation et insistent notamment sur le fait qu’à l’heure actuelle les entreprises sont contraintes d’innover si elles veulent survivre. Elles doivent donc développer des systèmes de management originaux pour favoriser l’innovation.

« Le capitalisme d’innovation intensive » et ses conséquences sur le management de l’innovation

L’évolution du contexte économique des entreprises qui les pousse à innover

Dans un contexte d’intensification de la concurrence où les demandes des consommateurs sont de plus en plus changeantes, les entreprises sont contraintes d’innover de manière intensive pour pouvoir acquérir des parts de marché. En effet, avant le milieu des années 1990, l’innovation était ponctuelle et durable, seul un petit nombre d’entreprise entreprenante et ayant les moyens financiers était innovante ; cependant depuis la fin des années 1990, c’est devenu une condition de survie.
Toutefois, l’innovation n’est qu’un résultat, ce qui permet de la produire, c’est bel et bien l’activité de conception, qui suppose au préalable des « capacités d’expansion ». Ces dernières concernent la capacité d’une entité à étendre les connaissances pour pouvoir développer une innovation ou au contraire à développer ce qui existe déjà. C’est bien donc, cette aptitude des entreprises d’aujourd’hui à mobiliser ces « capacités d’expansion » que les auteurs qualifient de « capitalisme d’innovation intensive ».

L’action collective au cœur du processus de conception

Les auteurs nous proposent une théorie de la conception qui s’avère plus applicable aux technologies qu’aux services. En effet, ils modélisent une théorie de la conception, dite « C-K » qui permet de déterminer comment doit se réaliser un raisonnement de conception innovante en prenant appui d’une part, sur des connaissances (zones « K ») et d’autre part, sur des concepts (zones « C »). Cette théorie agit comme une grille d’analyse sur la conception des innovations et permet de déterminer s’il est nécessaire de développer les connaissances scientifiques ou les concepts, et à quel degré cela s’opère.
Toutefois, il semble important de noter que l’ouvrage n’accorde que peu d’importance aux modes d’organisation et aux acteurs. En effet, il ne s’agissait pas de l’ambition principale des auteurs qui s’intéressent davantage à la question de la conception au sein des entreprises ; et c’est bien par cette question qu’il est possible de voir que l’on est en présence d’un système d’action collective. Dans les différents cas étudiés par les auteurs, ils mettent en avant l’interaction entre les acteurs ainsi que les modes d’organisation permettant ce flux de conception. Ils s’appuient notamment sur le cas de l’entreprise « Téfal » comme modèle, qu’ils qualifient d’ailleurs de modèle « métabolique ». Les caractéristiques de ce modèle sont qu’il s’agit d’un modèle de croissance dynamique, si la machine s’essouffle, l’entreprise rentre en crise. D’autre part, il table sur des innovations incrémentales peu risquées et dont le rendement est sûr, tout en favorisant une dynamique d’innovation et une capacité d’apprentissage par le marché. Ces caractéristiques cohabitent avec l’existence de managers-experts. En effet, il ne s’agit pas seulement d’experts ayant une connaissance et un profil particulier, mais il s’agit également de managers qui sont capables de piloter de manière autonome ces dynamiques d’innovation. En insistant sur ce fonctionnement « métabolique » de la conception et sur l’importance de ces managers-experts, il apparaît aisément que les auteurs insistent sur l’existence d’une action collective au sein de l’organisation pour promouvoir les activités de conception.
Toutefois, ils n’évoquent pas suffisamment le lien entre les acteurs et notamment comment s’opèrent les relations entre conception et exécution.

Le lien entre conception et exécution : Quelle utilisation de l’innovation par les acteurs ?

Après avoir posé la question de l’organisation de la conception au sein d’une entité comme préalable à l’innovation, il convient de s’intéresser à la question des acteurs et plus particulièrement de la coopération. En effet, la coopération est un processus nécessaire pour une organisation ; cependant, il s’avère que c’est un processus difficile à mettre en œuvre dans le cadre de la conception collective (Hatchuel, 2002). Un modèle de l’action collective qui s’appuie sur la notion « d’apprentissages croisés » et de « rapport de prescription » est ainsi proposé par Hatchuel (2002). L’auteur appuie son modèle des « apprentissages croisés » sur trois notions, à savoir les acteurs, les savoirs et les relations ; ces dernières sont au cœur de l’action pour les acteurs. De plus, les acteurs ne coopèrent que lorsqu’il existe une possibilité de mettre en œuvre des apprentissages. Par ailleurs, les acteurs mobilisent des savoirs hétérogènes, et c’est bien cette idée de coopération et d’interaction qui génère des apprentissages croisés.
Il est possible de prendre l’exemple de la relation médecin/patient pour illustrer ce modèle. D’un côté le médecin a besoin d’information sur la santé du patient mais aussi son contexte social pour élaborer un diagnostic ; d’un autre, le patient doit comprendre la logique médicale du médecin et adopter une attitude face à la maladie. Même s’ils ont un objectif commun, à savoir, améliorer la santé du patient, cet objectif ne pourra être atteint que s’ils sont tout deux aptes à mettre en œuvre des apprentissages croisés, basés sur leur coopération. C’est donc bien l’échange qui va renforcer la situation de coopération en favorisant de plus en plus les apprentissages croisés.
Dans un second temps, l’auteur évoque une théorie de la prescription. Ainsi, il insiste sur le fait que les rapports organisationnels sont fondamentaux, ils sont « fondateurs du collectif et conditionne la différenciation des acteurs. » Il convient de souligner qu’un rapport de prescription ne suppose pas forcément l’existence d’un lien de subordination directe, ce rapport définit simplement la relation d’un « prescripteur » à un « opérateur » qui se conforme à cette prescription et qui constitue une condition de sa relation au prescripteur ou à d’autres acteurs de l’entreprise (le dirigeant par exemple).
L’auteur distingue ainsi une situation de prescription forte, où l’activité de l’opérateur est fortement confinée ce qui suppose qu’il a peu de marge de manœuvre et que son environnement de travail est relativement stable. A contrario, en cas de prescription faible, la situation de travail de l’opérateur est peu confinée, il doit ainsi mettre en œuvre des solutions originales pour faire face à un environnement changeant. C’est ce que l’auteur illustre en opposant le conducteur de métro au conducteur de bus.
Concernant ce rapport de prescription, l’auteur met en avant deux types de crises :
– Dans un premier temps, la crise de l’opérateur qui concerne les activités qui s’éloigne progressivement des hypothèses de confinement. Il s’agit donc d’un éloignement de l’activité vis-à-vis de la prescription initiale, il existe donc une crise dès lors que l’opérateur n’adapte pas ce qui est prescrit par rapport à sa situation de travail.
– Ensuite, pour ce qui est de la crise du concepteur, elle se produit lorsque l’opérateur adopte des actions correctrices sans faire remonter l’information, il crée ainsi une sorte de validation fictive. Il se produit une distorsion progressive entre prescription et contexte de l’activité.
L’auteur met ainsi en avant la notion de prescriptions croisées pour pallier ces crises de prescription. La coopération est donc au centre de ces rapports de prescription et suppose une circulation de l’information entre les différents acteurs. Cette prescription croisée permet de faire évoluer les compétences de la hiérarchie et des opérateurs car elle est en mesure de générer des apprentissages collectifs.
On s’aperçoit bien que la prescription croisée constitue une des bases dans le cadre d’activité de conception et d’innovation. Ainsi, la plupart des acteurs peuvent se situer dans une position à la fois de prescripteur et d’opérateur, ce qui suppose une coopération intense entre les acteurs et génère des savoirs collectifs.
Pour conclure il convient de rappeler que les auteurs élaborent, non pas une théorie de l’innovation, mais bien une théorie de la conception innovante. Ils mettent ainsi ce processus de conception au cœur de l’action innovante. Par ailleurs, avec sa théorie de la prescription Hatchuel met en avant le rôle des acteurs et notamment la notion de rapport de prescription entre deux types d’acteurs, à savoir, le « prescripteur » et « l’opérateur ». Il peut donc exister des crises liées à ces rapports de prescription et notamment au degré d’éloignement des hypothèses de confinement de la situation de travail. Pour pallier ces crises, l’auteur préconise la mise en place de prescriptions croisées afin de pouvoir améliorer la coopération et générer des apprentissages collectifs. Après ce premier éclairage sur la question des acteurs de l’innovation, il convient néanmoins de compléter l’analyse sur la question du processus d’innovation en soi, et plus particulièrement sur l’approche de l’innovation dans les services. La revue de la littérature dans ce domaine va nous aider à opérer une distinction entre les différentes typologies avancées et voir ainsi laquelle peut s’avérer la plus adaptée à notre cas.

L’innovation dans les services

La littérature relative aux différentes approches dans le champ de l’innovation dans les services (Gallouj et Savona, 2009) distingue trois approches dans ce domaine qui chacune élabore une typologie des innovations différentes. Nous allons successivement présenter les trois approches et voir comment elles ont évoluées.

Les approches technologistes

Barras (1986) développe une théorie de l’innovation dans les services où le processus de transformations se situe à l’inverse de l’industrie. L’auteur fonde sa théorie sur l’adoption par le secteur des services de TIC (Technologies de l’Information et de la Communication). Ainsi, Barras décompose le cycle d’innovations en trois phases. Dans un premier temps une phase innovation de process incrémentale qui se situe dans le Back-Office essentiellement (cela peut être une étape de formalisation des procédures par exemple). Dans un second temps, le cycle se poursuit avec une phase d’innovation de process radicale, qui vise essentiellement à augmenter la qualité du produit en standardisant en partie le processus de production. Pour finir, le processus se termine avec la mise en place de nouveaux services et donc une phase d’innovation de produit, ce que l’on peut voir également avec la mise en place des services de banque en ligne.
Il apparaît important de souligner que le modèle développé par Barras met en exergue une difficulté liée au fait que la distinction entre innovation de process et de produit semble ambigüe. Toujours dans le champ des approches technologiques, nous pouvons également évoquer l’approche taxonomique proposée par Pavitt (1984) ou Miozzo et Soete (2001), qui sera complété par Savona et Evangelista (2003). Elle propose trois modèles sectoriels d’innovation :
– Les utilisateurs de technologies.
– Les utilisateurs de TIC.
– Les secteurs fondés sur la science et les techniques.
Cependant, le modèle originel de Soete et Miozzo semble difficilement opérationnel, ceci provient essentiellement de la volonté de catégoriser les secteurs ce qui ne s’avère pas toujours chose aisé quand il est nécessaire de baser le modèle sur des preuves empiriques. Les travaux d’Evangelista et Savona (Gallouj et Savona, 2009) s’inscrivent dans la même perspective.
Pour finir, il semble important de noter que les approches technologistes ont le mérite de poser le terreau d’une théorie de l’innovation dans le secteur des services. Toutefois, le problème majeur de ces approches réside dans le fait que l’innovation dans le secteur des services est réduite à l’adoption de technologie issue de secteur industriel, Les innovations non technologiques ne sont pas prises en compte.

L’intérêt de l’utilisation de la méthode par étude de cas.

Nous avons choisi de réaliser une analyse par étude de cas, dont il convient de rappeler l’intérêt et les limites. Siggelkow (2007) se penche sur la question, et notamment sur le fait que le problème d’une étude de cas se retrouve dans sa particularité intrinsèque, à savoir qu’il s’agit d’un cas unique. En effet, contrairement aux méthodes quantitatives, on ne s’appuie pas sur un échantillon représentatif d’un grand nombre d’entités. Pour illustrer cet enjeu, il s’appuie sur une anecdote, qu’il semble intéressant de reprendre, « J’arrive à démontrer que j’ai un cochon qui parle, il s’agit de quelque chose de très surprenant. Pour autant, si j’écris un article sur ce cas précis, ca ne vaut pas dire que tous les cochons parlent. » Cette anecdote permet d’illustrer la critique que l’on fait souvent aux études de cas concernant le problème de la généralisation d’un cas particulier. Pour autant, cela ne signifie pas qu’il ne s’agit pas d’un cas intéressant qui mérite d’être étudié.
En effet, le choix d’une organisation particulière, dans notre cas l’ADIE permet justement de pointer les particularités par rapport à une organisation Lambda sélectionnée dans un échantillon représentatif du fait de ses caractéristiques homogènes.
L’intérêt ici est de comprendre un processus à partir de cette étude de cas et de rapprocher un construit théorique à une réalité de terrain. Comme l’évoque Siggelkow, c’est justement cette particularité qui constitue l’intérêt de l’analyse et qui détermine le choix de cette organisation par rapport à d’autres. Toutefois, il faut rester vigilant en ce qui concerne la spécificité de notre cas, même si les résultats sont spécifiques à ce cas, il faut être en mesure de pouvoir appliquer certaines inférences à d’autres organisations.
L’auteur distingue deux contexte d’utilisation de l’étude de cas, soit comme illustration, on se sert de l’étude de cas pour expliquer la théorie ; soit comme inspiration dans une démarche plus inductive où la théorie servira d’appui. C’est le cas ici où on voit émerger un ensemble de questions liées au terrain qu’il est possible de rapprocher dans un second temps à un construit théorique. Pour finir, l’auteur insiste sur le danger de l’ « ex-post obviousness », c’est-à-dire de mettre en évidence des lapalissades. Pour pallier ce problème, l’auteur insiste sur l’importance d’une part, du construit théorique pour mettre en relation ces résultats avec des concepts plus généraux et d’autre part, du registre de la preuve, il est essentiel de pouvoir prouver tous les résultats que l’on évoque.
Il convient de rappeler que pour l’analyse du cas de l’ADIE, qui se situe dans une démarche explicative par rapport à la distinction qu’effectue Siggelkow, nous adopterons une approche abductive, mélangeant à la fois des phases de déduction et d’induction. En effet, nous sommes parties d’un cadre conceptuel (la question de la rationalisation au sein de l’ADIE), déduit de nos hypothèses de départ que nous avons confrontés à une observation empirique particulière. C’est donc ce questionnement que nous allons approfondir. Pour ce faire, il semble pertinent d’élaborer une grille d’analyse, à partir de lecture théorique sur ce thème que nous allons observer sur le terrain.
Néanmoins, il apparaît opportun de relever qu’il faut rester vigilant avec ce procédé d’itération terrain/théorie. En effet, il faut savoir à quel moment s’arrêter du fait d’une contrainte de temps et ne pas se laisser trop influencer ou envahir par le terrain. A terme, il peut exister un risque de perte de pertinence de la recherche, ainsi pour prévenir ce risque, il est important de définir au préalable la grille d’analyse la plus fine possible qui demandera des ajustements mineurs par la suite. Le schéma qui suit permet de synthétiser la démarche de recherche retenue.

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Table des matières

Introduction
1ère Partie : Cadre de la Recherche
I – Problématique
1°) Contexte et motivations
2°) La tendance à l’industrialisation des Institutions de Microfinance : Le cas de l’ADIE
A – Pourquoi la question de l’industrialisation à l’ADIE ?
B – Quels enjeux pour l’ADIE ?
3°) Les évolutions du secteur des Institutions de Microfinance
A – Qu’est ce que la Microfinance ?
B – Quelles sont les caractéristiques et évolutions du secteur ?
C – Les tensions et enjeux que connaissent les IMF aujourd’hui
II – L’innovation dans les services comme grille d’analyse pour comprendre les transformations et les enjeux de l’ADIE
1°) Les acteurs de l’innovation
A – La cohabitation entre l’innovation et l’organisation : le rôle des acteurs
B – Le « capitalisme d’innovation intensive » et ses conséquences sur le management de l’innovation
2°) L’innovation dans les services : l’apport de la littérature
A – Les approches technologistes
B – Les approches servicielles
C – L’approche intégrée
III – Positionnement épistémologique et méthode
1°) L’intérêt de l’utilisation de la méthode par étude de cas
2°) La posture du chercheur induite par l’observation empirique
3°) Les modalités de collecte des données
4°) Analyse des données et exploitation des premiers résultats
2ème Partie : Trajectoires organisationnelles et innovation
I – Trajectoires organisationnelles : l’imbrication de trois dynamiques
1°) Le modèle d’organisation de l’ADIE
A – Présentation de l’ADIE
B – L’ADIE : une structure divisionnalisée
C – Les Délégations Régionales : un ensemble de bureaucraties professionnelles
D – Le modèle adhocratique des projets pilotes
2°) Les évolutions de l’ADIE
A – Rappel de l’histoire de l’organisation : l’articulation d’une triple dynamique
B – L’évolution de l’activité de l’association
C – L’ADIE suit-elle les mêmes phases de transformations que les activités de services ?
II – Les dynamiques d’innovation au coeur du processus de transformation de l’ADIE 
1°) L’innovation : un processus au coeur de l’ADIE
A – Les innovations organisationnelles
B – Les innovations de produit
2°) L’approche intégrée comme grille de lecture de l’innovation
III – Les ressources humaines comme condition de l’innovation
1°) Le rôle central du bénévolat
A – Quelques repères quantitatifs sur le bénévolat à l’ADIE
B – Les ressources bénévoles présentes à tous les niveaux de l’organisation
C – La politique de ressources humaines de l’ADIE vis-à-vis de ses bénévoles
D – La relation bénévoles/salariés : une cohabitation complexe ?
2°) Les salariés : instigateurs majeurs de l’innovation
A – Le bilan social de l’ADIE
B – la politique de formation de l’ADIE en direction de ses salariés
C – Les transformations de l’ADIE : évolutions des procédures et profils des conseillers crédits.
Conclusion
Bibliographie

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