Les créoles de l’île Maurice des années 1930 à l’indépendance

Le profond enracinement du christianisme 

La religion catholique est le deuxième trait majeur qui caractérise l’identité créole. La très grande majorité du groupe se rattache à l’Église catholique : « Ces liens indissolubles les amènent à s’identifier et à adhérer sciemment ou inconsciemment aux valeurs de l’Église. ». La religion chrétienne, particulièrement depuis les actions « sanctifiées » du Père Jacques Désiré Laval de conversions des affranchis au XIXème siècle, est un élément central dans l’accélération de la socialisation des Créoles (ou de leur « mise au pas » comme le présentent les détracteurs du prêtre). Car, grâce à l’action de ce missionnaire spiritain français mort en 1864, les nouveaux affranchis rapidement christianisés, surtout « moralisés » n’ont pas tenté de représailles contre leurs anciens maîtres sous peine « d’aller en enfer ». Leur conversion n’est pas la volonté de la seule charité chrétienne, elle est aussi mue par la protection des intérêts des oligarques sucriers (effrayés comme les Békés des Antilles par la mémoire de la révolte sanglante d’Haïti une cinquantaine d’années auparavant). Depuis, l’Église est un référent incontournable pour la grande majorité des Créoles. À tel point que, pour les Mauriciens, lorsqu’on devient catholique, on est désormais considéré comme un créole même si aucun des parents ne l’est. Cette identification d’un groupe à une religion n’est pas propre aux Créoles, car dans la société mauricienne qui émerge du milieu du XXe siècle, c’est dans la religion que l’on trouve « la différenciation fondamentale entre les communautés ». Les Indo mauriciens vont ainsi être scindés en au moins deux communautés distinctes, malgré leurs origines géographiques communes, les Hindous et les Musulmans.

Les messes dominicales, les grandes cérémonies et fêtes religieuses rythment la vie des Créoles. La procession annuelle de la mi-septembre vers le tombeau du Père Laval à Sainte-Croix est une date essentielle du calendrier créole ; des milliers de catholiques s’y rendent en pèlerinage. D’autres célébrations comme la procession du Saint Sacrement (comme celle de Petite-Rivière en 1934 au cours de laquelle on doit affréter plusieurs trains spéciaux pour drainer l’afflux des milliers de fidèles) ou de la Fête-Dieu (principale fête catholique dans l’île) attirent des milliers de fidèles. La pratique religieuse est plus conservatrice chez les Gens de Couleur, plus forte à mesure que l’on gravit les échelons sociaux. Chez les classes populaires (surtout pour les femmes), l’Église est un refuge, un réconfort mais l’on n’hésite pas non plus à se tourner vers des pratiques syncrétiques ou la sorcellerie. Dans les couches supérieures, l’Église est un ferment qui évite le délitement des familles et permet de diffuser une rigueur morale. La messe dominicale devient aussi un rendez-vous mondain où l’on doit impressionner .

Par son architecture, par ses matériaux en pierre de taille, ses vitraux, et sa dédicace, cette église (cidessus) (une parmi de nombreuses présentes dans l’île) traduit l’importance du catholicisme dans l’Île Maurice dominée par les Franco-Mauriciens. Deux piliers de la pastorale catholique, le mariage et le baptême, sont des temps forts de la vie d’un créole. Un mariage doit être réussi et marquer son public, il faut émerveiller la communauté par son faste (quitte à s’endetter durant des années).

L’Église est aussi un soutien moral, parfois financier, quand elle le veut. Les femmes créoles, notamment, y trouvent un facteur de stabilité essentielle, un point d’ancrage pour leur quotidien difficile (surtout dans les milieux populaires) . À partir des années 1930, l’Église organise massivement, par paroisse, des caisses de soutien et de mutualité pour ses fidèles de la classe ouvrière (les Créoles n’arrivant la plupart du temps pas à les gérer efficacement euxmêmes). Elle est aussi, pour eux, leur porte-parole vers les autorités de l’île (ce qui devient encore plus vrai à la fin du XXe siècle avec l’émergence du Malaise Créole).

Le séga 

La dernière caractéristique culturelle majeure, associée dans l’imaginaire mauricien aux Créoles, est le séga . Si l’on interroge un Mauricien dans la rue sur ce qui est typiquement créole, il vous répond le « séga » (même si depuis une dizaine d’années sa pratique a été récupérée par d’autres groupes, comme les Indiens avec leur séga bollywood). Le séga, danse héritée de la période esclavagiste, relève de l’art et est aussi un outil de régulation sociale. Il s’agit pour les Créoles d’un élément fondamental qui les rattache à la culture africaine, comme l’exprime ce poème du créole port-louisien et docker René Noyau :

Durant la première partie du XXe siècle, c’est une danse cachée, honteuse, décriée par l’Église car associée aux « démons », à la lascivité des corps, à des pratiques de bacchanales qu’on réalise dans les arrière-cours des zones périurbaines, sur les plages et dans des endroits à l’écart dans les campagnes. Beaucoup de membres de l’élite critiquent ces réunions mais certains y participent aussi régulièrement et secrètement. « Exclu des espaces officiels, le séga est un événement de l’entre soi qui offre aux Créoles des occasions de rassemblement et de divertissement, mais surtout de production et de partage d’une culture qui leur est propre. » . Le séga est une danse animée par des musiciens (qui jouent notamment de la ravanne, un instrument à percussions) et un ségatier (l’animateur, chanteur et parolier de la soirée) qui mettent en avant des histoires du quotidien, tant dans ses joies que dans ses peines. Par exemple, un séga peut narrer l’infortune d’une femme ayant une vie difficile à cause d’un mari violent, alcoolique et dépensier qui met en péril leur famille. L’ethnolo-poétologue Caroline Déodat explique ainsi que « La violence conjugale, l’alcoolisme, la ruine sont mis en scène et racontés, comme des réalités vécues de cette société largement exposée à la misère économique et sociale. ». Les spectateurs vont critiquer le fait explicité par la danse et l’expression de ce mal-être. On essaye de faire ressortir ces difficultés et de s’en détacher ou, tout du moins, de les exprimer pour éviter qu’elles ne restent enfouies et dévorent l’inconscient des gens. La danse peut déboucher sur une sorte de transe cathartique collective qui purgerait ce mal-être social. Cette orchestration va servir de régulateur social, à rétablir publiquement les attendus des normes et valeurs de la société dans un défoulement salvateur.

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Table des matières

Introduction
• Une île multiculturelle de l’océan Indien occidental en émergence
• Un multiculturalisme difficile issu de l’ancienne société coloniale de plantations
• Le « Malaise Créole »
• Historiographie du sujet
• Problématique
• Approches des sources et problèmes rencontrés :
Première Partie : Précarités et luttes sociales dans le groupe pluriel des Créoles pendant les années de crise (1936-1953)
Chapitre 1 : Le poids des origines dans une société de plantation
• Stigmates de l’esclavage et complexité des métissages
• Des emblèmes : créole, christianisme
• Les créoles à la périphérie des villes et en marge de l’économie sucrière
Chapitre 2 :Crise, émergence d’un mouvement ouvrier créole et éveil du mauricianisme en 1936
• La crise de l’entre-deux-guerres
• La tentation rétrocessionniste au sein de la bourgeoisie créole
• La fondation du Parti travailliste et premiers discours mauricianistes
Chapitre 3 :La guerre pour des insulaires : difficultés du quotidien, ouverture à de nouveaux horizons
• Les commandes britanniques de sucre au détriment du ravitaillement local
• L’engagement des Mauriciens
• Divergence au sein des Créoles : entre accalmie et luttes politiques
Chapitre 4 : Rapprochement entre Indo-mauriciens et Créoles sous l’égide du Parti travailliste (1945-1953)
• Autonomie pour Maurice et dynamisme du Parti travailliste CHILIN Jérémy, Thèse de doctorat,
• L’entrée des Indiens en politique et leur ralliement au Parti travailliste
Seconde Partie : La communauté créole et le « péril hindou » dans le contexte de décolonisation (1953-1965)
Chapitre 5 : Un avenir incertain pour les Créoles dans l’île Maurice en plein bouleversements
• Mutations sociétales et difficultés dans l’après-guerre
• Une série de cyclones ravageurs et les ambiguïtés des politiques d’aides à l’endroit des Créoles
• Un groupe non-communaliste
Chapitre 6 : Le tournant des élections générales de 1959 et le revirement politique des Créoles
• La vague travailliste à la faveur du suffrage universel et l’exacerbation communaliste
• Du vote travailliste au soutien au Parti mauricien
Chapitre 7 : Les années 1960 : explosion du communalisme et espoirs incarnés par un nouveau leader créole
• Le « fiel communaliste » post-électoral
• Gaëtan Duval, le « King créole » et le Parti mauricien social démocrate
Chapitre 8 : Les débats autour de l’Indépendance et les appréhensions des Créoles
• Un small territory en proie aux débordements communautaires
• Négociations et aspirations divergentes : indépendance
pour les Indiens et association au Royaume-Uni pour les Créoles
Troisième Partie : Vers l’Indépendance : opposition, communalisme et repli des Créoles (1965-1969)
Chapitre 9 : Autour de la question de l’Indépendance
• Les élections d’août 1967 en faveur de l’Indépendance : une courte avance décisive pour les Indo-mauriciens…
• … Déception et contestation du côté des Créoles
Chapitre 10 : L’explosion de l’underworld port-louisien : les créoles « au cœur du maelström »
• Le communalisme, matrice des violences
• Un affrontement majeur entre Créoles et Musulmans
• « Émeutes raciales » de 1968 et accentuation des divisions communautaires
Chapitre 11 : Absence et visibilité en trompe l’œil des Créoles à la célébration de l’indépendance
• Tensions et mot d’ordre de boycott lancé Gaëtan Duval
• Le 12 mars 1968 à Port-Louis : une fête « réussie » car « multi-communautaire »
Chapitre 12 : L’effacement de la communauté créole après l’indépendance, un éclairage sur le malaise créole
• Le choix de l’exil pour les forces vives du groupe
• Le ralliement de Duval, l’avènement d’un mauricianisme imparfait pour les Créoles
Conclusion

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