LES CONSEQUENCES PSYCHOSOCIALES DE L’ABLATION DU SEIN SUITE A UN CANCER

Le déroulement de l’enquête

       L’enquête proprement dite a débuté en Juin par une visite aux archives de l’Institut. Lors de cette première visite nous avons sorti 35 dossiers de malades qui répondaient à nos critères d’inclusion qui étaient : être en union légale ou non, résidant à Dakar et opérées en 1999 et ayant un numéro de téléphone. Et nous nous étions dit que les 5 dossiers allaient servir à pré tester l’outil d’enquête. Nous n’avons pas eu beaucoup de difficultés à trouver ce que nous cherchions, les dossiers étant classés en années. Ce qui fut par contre lent et laborieux, c’était la phase d’assemblage car il fallait parcourir chaque dossier de malade et voir s’il répondait à nos critères d’inclusion. Cette phase terminée, il fallait passer à la seconde qui était : la convocation des malades. Là, sur les 35 dossiers obtenus, 23 étaient décédées ; 9 avaient laissé les numéros de téléphone de leurs correspondants à Dakar (résidentes non-permanentes) ; seules 3 patientes étaient à terme et en théorie obtenues. Parmi ces 3 femmes obtenues, aucune ne répondra finalement à l’appel car l’une nous a demandé de la rappeler à son retour de voyage, une semaine après ; l’autre dira qu’elle se rendait à un décès à Touba et demanda de la rappeler également ; et la seule qui semblait être d’accord et qui avait confirmé en nous fixant un rendez-vous à l’hôpital un Mardi à 12 heures ne viendra finalement pas. Et cela malgré le coup de fil passé à son médecin traitant auprès de qui elle avait vérifié l’authenticité de la provenance du coup de fil lui demandant de venir à l’hôpital pour une recherche – et qui était heureusement au courant de la recherche-. Cette première tentative se solda par un échec que nous avions présagé. Et déjà, nous avions pensé à la formule des consultations des Mardis et Jeudis, certes plus aléatoire au vu des possibilités qu’il y avait de voir les malades manquer leurs rendez-vous faute de médicaments ou d’autres impondérables de la vie ou même de découragement, d’indifférence par rapport à la maladie. Les consultations des Mardis et Jeudis nous offraient la possibilité de rencontrer aussi bien d’anciennes opérées que de récentes. Ainsi, nous allions tous les Mardis et Jeudis nous mettre devant la porte du médecin consultant à qui nous manifestions notre présence par « Docteur, un tel… ! je suis là » en guise de rappel (au cas où il aurait reçu en consultation une femme amputée du sein). Nous faisions le pied de grue devant la porte du médecin consultant avant que celui-ci n’ouvre sa porte pour nous mettre en rapport avec une femme ou nous dire : « ce n’est pas une MCA » (terme par lequel les médecins désignent les femmes amputées du sein) . Malgré la blouse que nous mettions, nous ne pouvions pas aborder les malades que nous voyions au dehors directement car ces dernières à force de venir au service finissaient par connaître tous les médecins du service fussent-ils permanents, temporaires ou en stage comme les étudiants en médecine et pour preuve, elles nous demandaient, lors des entrevues, si nous étions nouvelle dans le service car nous y ayant jamais vu auparavant. Au vu d’une patiente attendant dehors, nous étions toujours obligée de chercher un médecin du service pour nous faciliter l’introduction. Notons que le cancer est une maladie chronique et en tant que telle fait souvent naître des relations de confiance et de confidence qui vont bien au delà du cadre strictement médical et les femmes refusent difficilement à leur médecin un service qu’il leur demande, d’où le détour obligé par le médecin que nous faisions. Le médecin se chargeait alors de leur expliquer le but de notre présence dans le service et de la contribution qui était attendue d’elles. Elles acceptaient sans dire un mot et nous nous isolions avec elle dans une salle calme, loin des regards indiscrets et des bruits des passants. Nous avons finalement obtenu pour les trois mois passés à l’Institut 15 patientes dont 2 couples et 2 célibataires, nullipares, avec lesquels des entretiens semi-structurés ont été effectués. Les thèmes dudit guide tournaient autour du vécu de la maladie, du vécu de la maladie en couple, de l’impact du regard des autres etc. Un tel échantillon interdit toute prétention statistique, toute généralisation abusive et ne couvre certainement pas tous les cas de figure. Notre travail s’est encore, une fois de plus, intéressé à connaître le  vécu des femmes amputées du sein qu’à apporter des chiffres, lesquels nécessiteraient un questionnaire et nous seraient d’une utilité minime. Ce travail essentiellement qualitatif se justifie également par le fait « qu’il est difficile de mettre en chiffres ce que les gens ressentent ». Concernant les identifiants portés sur les entretiens et les récits de vie, des remarques d’ordre éthique sont à signaler. Nous avons volontairement modifié les identifiants des femmes parce que nous leur en avions fait la promesse et parce que nous ne voulions pas que des circonstances trop précises rendent possible une identification par déduction. Ces modifications ont été faites et n’ont en rien altéré pour autant le sens et l’intérêt de l’observation.

La situation sanitaire du cancer du sein au Sénégal

    Le cancer du sein est un cancer très fréquent. C’est le premier cancer de la femme et représente 18%1 (Gaye, 1997) des cancers de la femme à travers le monde. Cette fréquence est très variable d’une région géographique à une autre. Classiquement, l’incidence connaît un gradient croissant Sud-Nord très élevée dans les Amérique du Nord et en Europe du Nord, intermédiaire en Europe du Sud et en Amérique latine, basse en Asie et en Afrique. Au Sénégal, il est le deuxième cancer de la femme après celui du col de l’utérus. Le cancer du sein survient généralement assez tôt c’est-à-dire entre 40 et 45 ans pour le Sénégal et 55 – 60 ans dans les pays occidentaux. Ces manifestations générales vont des lésions qui grattent à un écoulement sanguinolent au niveau du mamelon, en passant par une masse, très souvent indolore, tels sont généralement les symptômes qui poussent les femmes à venir en consultation. La découverte se fait souvent de façon fortuite, lors d’un rot, d’un coup de poing mais toujours est il que c’est à l’occasion d’un événement traumatique. S’il est vrai que nous sommes tous et toutes des « cancéreux en puissance », il est également vrai que certaines familles sont plus que d’autres disposées à faire des cancers, d’où tout le sens qu’il faut donner à l’expression « famille à cancer ». Ainsi, des antécédents maternels, ou dans la fratrie multiplieraient par 1.3 les chances de survenue d’un cancer du sein. Cependant le cancer n’est pas en soi une fatalité comme le semblent décrire les représentations populaires, représentations dans lesquelles le cancer est associé à la mort programmée, à une dégénérescence lente et totale, à la souffrance etc. Le cancer du sein peut se guérir s’il est vu à un stade précoce, traité de façon efficace, suivi de façon rigoureuse au moins pendant 5 ans. Cependant, la plus part des femmes qui viennent à l’hôpital le font de façon tardive, à un stade avancé de la maladie et où la tumeur est palpable, très souvent ulcérée, localement très avancée pour ne pas dire généralisée. Et là, la guérison est souvent quasi impossible, malgré les combinaisons thérapeutiques (chimiothérapie, chirurgie, radiothérapie). Les choix thérapeutiques au stade où les femmes arrivent à l’hôpital se résument presque à la chirurgie qui, comme nous l’avons vu à l’entame de notre propos, constitue une mutilation et cela quel que soit l’âge de la patiente en question.

L’auto – examen des seins (AES)1

    L’auto-examen des seins est une méthode clinique consistant à apprendre aux femmes à examiner elles mêmes leurs seins et environs. L’examen est mensuel et est pratiqué vers le 10e jour du cycle chez les femmes réglées ou à un jour fixe dans le mois chez les femmes qui ne le sont plus. La palpation se fait d’abord debout, quadrant par quadrant ; la main gauche examinant le sein droit, et la main droite le sein gauche, en exerçant avec la pulpe des quatre derniers doigts bien à plat de petites pressions circulaires écrasant légèrement la glande sur le plan costal (côtes). Puis les doigts recourbés en crochets, examinant le creux axillaire. La femme s’installe en décubitus dorsal et reprend la palpation quadrant par quadrant ; puis elle presse le mamelon entre ses doigts à la recherche d’un écoulement mamelonnaire. Cet examen régulièrement pratiqué permet la découverte précoce des tumeurs de petites tailles. D’où la nécessité de lever certaines limites constituées entre autres par le niveau d’éducation de la population, le niveau d’information sur les problèmes de santé, le niveau de recommandation par les médecins mais également le niveau d’auto-discipline communs aussi bien aux cancers qu’aux autres pathologies et qui sont des obstacles à un dépistage précoce des cancers et des autres maladies en général.

Les combinaisons thérapeutiques

     Plusieurs combinaisons sont faites en fonction de l’état d’avancement de la maladie. Ainsi, plus le stade est avancé, plus le traitement est général et tend à réduire localement la tumeur. On commence toujours par un traitement général (chimiothérapie), pour aboutir à un traitement plus local (radiothérapie). Toutes les femmes que nous avons rencontrées ont d’abord fait une chimiothérapie préopératoire qui a permis de réduire la taille de la tumeur et faciliter ainsi l’opération. Cette chimiothérapie a été suivie d’une chirurgie, suivie soit d’autres cures de chimiothérapie ou de radiothérapie post-opératoire ou dans d’autres cas suivie d’une hormonothérapie. Dans tous les cas, c’est bien dans la combinaison des trois traitements disponibles pour le moment au Sénégal, faite de façon coordonnée qu’on peut espérer avoir un bon pronostic vital. Comme la plupart des médicaments ont des effets secondaires, ceux utilisés en cancérologie n’échappent pas à la règle. En effet, les complications attendues peuvent aller des pertes de cheveux, aux vomissements, aux diarrhées, en passant par des complications cardiaques et pulmonaires, une prise de poids, une anémie etc. Dans le cas précis de la chimiothérapie, les femmes sont obligées de faire une numération sanguine pour contrôler leur taux d’hémoglobine qui s’il est en deçà de la normale (11 mg), diffère la cure de chimiothérapie d’un temps, temps pendant lequel du fer est prescrit pour corriger l’anémie. La radiothérapie quant à elle est très mal appréciée par les malades hommes comme femmes d’ailleurs pour les effets qu’elle entraînent. Très souvent les malades, devant leur désir de procréation, – tel fut le cas de cette jeune femme a qui on devait irradier les trompes à la suite d’un cancer du sein avait catégoriquement refusé sous prétexte qu’elle était jeune et vivait dans un ménage polygame et voulait des enfants en est une bien triste illustration car le cancer avait métastasé et elle en sera morte par la suite – refusent un type de traitement pour les raisons déjà évoquées ; il n’est pas rare de voir des malades avec de « gros bras », très gênants et empêchant tout mouvement. Ces quelques éclaircissements étaient nécessaires pour présenter le cancer tel que se le représentaient les anciens, les méthodes de diagnostic et les traitements disponibles au Sénégal. Nous allons dans le chapitre qui suit parler de quelques généralités à propos de la maladie.

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Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE I : CADRE THEORIQUE
I – PROBLEMATIQUE
II – PERTINENCE DE LA RECHERCHE
III – OBJECTIFS DE LA RECHERCHE
3-1 Objectif général
3-2 Objectif spécifique
IV – HYPOTHESES
4-1 Hypothèse principale
4-2 Hypothèses secondaires
V – LES MODELES D’ANALYSE
5-1 Le modèle d’analyse fonctionnel
5-2 L’interactionnisme symbolique
VI – APPROCHE OPERATIONNELLE DES CONCEPTS
6-1 Le Cancer
6-2 La représentation sociale
6-3 La corporéité
6-4 Image du corps
6-5 Le rôle
6-6 Le statut
VII – ETAT DES CONNAISSANCES SUR LA QUESTION
CHAPITRE II : CADRE METHODOLOGIQUE
I – CADRE D’ETUDE
II – LE CHAMP D’ETUDE
2-1 Les structures de l’Institut Curie
2-2 Le personnel médical
2-3 Le personnel paramédical
III – POPULATION D’ETUDE
IV – LES TECHNIQUES DE RECHERCHE
V – LE DEROULEMENT DE L’ENQUETE
VI – OBSTACLES RENCONTRES
CHAPITRE III : REPRESENTATIONS DU CANCER ET GENERALITES SUR LA MALADIE
I – REPRESENTATIONS DU CANCER DANS L’ANTIQUITE OCCIDENTALE
II – LA SITUATION SANITAIRE DU CANCER DU SEIN AU SENEGAL
III – LES METHODES DE DIAGNOSTIC DU CANCER DU SEIN
3-1 L’auto – examen des seins (AES)
3-2 L’examen clinique (EC)
3-3 La mammographie
3-4 L’échographie
IV – LES STRATEGIES THERAPEUTIQUES ET LES EFFETS INDUITS
4-1 La chimiothérapie
4-2 La radiothérapie
4-3 La chirurgie
4-4 Les combinaisons thérapeutiques
V – GENERALITE SUR LA MALADIE
VI – LES APPROCHES EMIQUES ET ETIQUES DE LA MALADIE
6-1 L’approche émique
6-2 L’approche étique
VII – LES MODELES EXPLICATIFS DE LA MALADIE
VIII – LES ITINERAIRES THERAPEUTIQUES
IX – LA NOSOGRAPHIE DES MALADIES
X – LE GROUPE ORGANISATEUR DE LA THERAPIE
CHAPITRE IV : LES CONSEQUENCES PSYCHOSOCIALES DE L’ABLATION DU SEIN CHEZ LA FEMME SENEGALAISE
I – LA FEMME DANS LES REPRESENTATIONS SOCIALES SENEGALAISES
II – LA FEMME FONDEMENT DE LA PARENTE DANS LES SOCIETES MATRILINEAIRES
III – LES CARACTERISTIQUES SOCIO-ECONOMIQUES DE LA PARENTE MATRILINEAIRE SERERE
IV – LES FONCTIONS SYMBOLIQUES DU SEIN DANS LES SOCIETES MATRILINEAIRES
V – LES REPRESENTATIONS SOCIALES DU CORPS DE LA FEMME SENEGALAISE
VI – LE SEIN DANS LES REPRESENTATIONS SOCIALES
VII – LES FONCTIONS PSYCHOSOCIALES DU SEIN DANS LA SOCIETE SENEGALAISE
VIII – LA FEMME DE L’ANNONCE DE LA MALADIE A L’ABLATION DU SEIN
8-1 L’état psychologique de la femme à l’annonce du diagnostic d’un cancer
8-2 L’état psychologique de la femme à l’annonce de l’amputation
8-3 La femme amputée face à soi et face à une image amputée de soi
8-4 Les stratégies des femmes amputées pour vivre avec la maladie
8-5 La femme amputée du sein face au conjoint
8-6 La femme amputée face à son environnement social
IX LA DIMENSION ECONOMIQUE DU CANCER DU SEIN
CONCLUSION
ANNEXE

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