Les conditions socio-historiques de l’émergence du paradigme d’inclusion scolaire

La scolarisation des enfants, des adolescents et jeunes adultes reconnus handicapés est un sujet qui ne cesse de mettre à contribution, et en question, l’institution scolaire à l’aune des missions et des logiques d’action qui la structurent : la socialisation, la distribution des compétences et l’éducation (Dubet, 1996). La question du handicap compte, depuis le début des années 1980, au rang des priorités des politiques publiques d’éducation. À cet égard, le législateur a fait le choix d’un nouveau paradigme pour penser la scolarisation de tous les élèves reconnus handicapés. C’est celui d’inclusion qui a  retenu sa préférence et qui tend progressivement à s’imposer dans les textes législatifs et réglementaires, se substituant ainsi au paradigme d’intégration. L’inclusion est devenue, écrit Philippe Mazereau, « l’étendard de la nouvelle politique de démocratisation » (2001, p. 420). Néanmoins, le terme d’« inclusion », au sens large et non strictement appliqué aux élèves reconnus handicapés, n’est apparu de manière officielle que récemment dans le code de l’éducation avec la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République datée du 8 juillet 2013 . Celle-ci consacre le principe d’ « inclusion scolaire » en rappelant que le service public d’éducation « reconnaît que tous les enfants partagent la capacité d’apprendre et de progresser. Il veille à l’inclusion scolaire de tous les enfants, sans aucune distinction » (Art. 2). Le projet du législateur est ainsi de poursuivre et d’étendre à tous les enfants et adolescents, quels que soient leurs « besoins éducatifs particuliers » (Armstrong, 2003), l’idéal démocratique d’égalité face à l’accès à une scolarité en milieu ordinaire.

De la difficulté à nommer ceux dont on parle

La logique de catégorisation des adolescents et jeunes adultes désignés handicapés mentaux s’inscrit dans un processus historique dont les repères sont à présent bien connus. Les travaux socio-historiques et critiques de Francine Muel (1975), Michèle Chauvière (1980), Jacqueline Gâteaux-Mennecier (1989, 1990), Monique Vial (1984, 1990) ont largement fait le jour sur cette question complexe de la catégorisation de ceux que l’on nommait au début du XIXème siècle les « anormaux »; dénomination qui s’enracine dans les recherches des médecins aliénistes de cette même époque dont un des objectifs, comme l’écrivent Éric Plaisance et Charles Gardou, visait à :

« (…) distinguer les deux grandes catégories de “l’aliéné” et de “l’arriéré , et à raffiner, au sein même de l’arriération, les sous-catégories de “l’idiot”, de “l’imbécile” et du “débile” (…) À cet égard, l’argumentation donnée par Binet et Simon dans leur célèbre livre “Les enfants anormaux” (1907) est à tout à fait exemplaire d’un type de classement des “anormaux” qui entraîne à la fois une répartition institutionnelle des populations concernées et une répartition des compétences professionnelles en des lieux différents. » (Plaisance et Gardou, 2001, p. 6) .

Du handicap mental aux troubles des fonctions cognitives

La lecture de l’évolution terminologique qui précède mérite à présent que l’on se penche sur la signification à donner à ce glissement terminologique et sémantique à la fois. Pour cela, je formulerai deux hypothèses. La première consiste à penser que cette mutation terminologique participe d’un processus d’euphémisation destiné à dépasser certaines terminologies à forte connotation médicale devenues avec le temps trop stigmatisantes et ayant comme incidence de faire obstacle à l’intégration puis à l’inclusion scolaire. La seconde hypothèse se situe du côté de la place que prend l’avancée de la recherche et des connaissances dans le champ des neurosciences et de la neuropsychologie de l’enfant au sein de l’Éducation Nationale, et plus particulièrement pour ce qui concerne les facteurs explicatifs des difficultés et de l’échec scolaires.

Examinons la première hypothèse. On vient de voir que la notion de handicap mental est un objet ambigu tant sur le plan théorique que dans l’usage qui en est fait, au moins du point de vue de l’Éducation Nationale. À cette ambiguïté vient s’ajouter un autre inconvénient, et non des moindres, celui des effets stigmatisants sur les personnes ainsi catégorisées. Christine Magnin de Cagny souligne à cet égard que dès la parution de la loi d’orientation en faveur des personnes handicapées du 30 juin 1975, la notion de handicap mental n’avait été « admise qu’avec réserve en raison de sa lourdeur [souligné par l’auteur], de sa connotation négative la rendant difficile à porter » (2003, p. 61). Le terme de handicap mental sans doute ne s’était-il pas défait des connotations devenues péjoratives des termes qui l’ont précédé : idiots, anormaux, arriérés, débiles, déficients, inadaptés… L’étude de l’évolution du vocabulaire utilisé, précise François Chapireau (1999) :

« (…) illustre le malaise suscité par ce qu’on a appelé pendant longtemps l’idiotie. Pendant des siècles en effet, l’idiot n’a cessé d’interroger la société sur ce qui caractérise la nature humaine, et c’est parce que cette humanité lui a longtemps été déniée qu’il a été parfois supprimé – ce qui se faisait fréquemment dans la Grèce ou la Rome antiques, mais on a vu la résurgence de cette conduite avec le régime nazi – caché aux yeux des autres ou relégué dans des établissements qui ne furent pas toujours charitables. Les attitudes à l’égard de l’idiot furent souvent extrêmes et contradictoires en fonction de la représentation qu’on avait de celui-ci. Les arriérés mentaux ont toujours été l’objet d’une ambivalence, caractérisée par l’effroi et le rejet qu’ils inspirent du fait des liens qu’on leur prête avec le démon, ou au contraire d’une valorisation en rapport avec des pouvoirs surnaturels qu’ils possèderaient et qui conduit à ce qu’ils soient protégés parfois même par des personnages importants. » (1999, p. 18).

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Table des matières

REMERCIEMENTS
INTRODUCTION GÉNÉRALE
PREMIÈRE PARTIE : DU MODE DE DÉSIGNATION AU TRAITEMENT SOCIAL
Chapitre I. Des mots pour les dires
A. De la difficulté à nommer ceux dont on parle
B. Du handicap mental aux troubles des fonctions cognitives
C. Nommer malgré tout
Chapitre II. Les conditions socio-historiques de l’émergence du paradigme d’inclusion scolaire
A. Au fondement de l’intégration : le temps des pionniers
B. Inadaptation versus adaptation
C. L’intégration scolaire : des intentions au droit
D. L’intégration scolaire : un paradigme en quête d’adhésion
E. L’ère de l’inclusion
Conclusion
DEUXIÈME PARTIE : LE TERRAIN, L’ENQUȆTE ET LE CHERCHEUR
Chapitre I. Lieux, contextes et temporalités de l’enquête
A. Le terrain d’enquête : bornes et limites
1. Le lycée d’enseignement professionnel Jean Jaurès
2. Le collège Jean Zay
3. Les lieux de stages
4. « Déambulations pédestres »
5. Le milieu d’interconnaissance de l’ASH
6. Le milieu d’interconnaissance de l’ULIS
B. Les « temps » de l’enquête
Chapitre II. Une relation de « familiarité double » au terrain
A. Enquêter sur un terrain familier
1. Nature des liens de familiarité au terrain
2. Etre indigène du milieu enquêté permet-il un accès plus aisé au terrain ?
3. Membre du milieu enquêté mais aussi chercheur
4. La familiarité à l’objet étudié constitue-t-elle un obstacle à sa connaissance ?
B. L’amitié dans la relation ethnographique
1. Un ami devenu « interlocuteur privilégié »
2. Une forme particulière d’« enclicage »
Chapitre III. Le point de vue de ceux qui sont désignés handicapés mentaux
A. Des voix et des points de vue en mal de reconnaissance
1. Quelle place dans les sciences sociales ?
2. Une démarche partisane ?
B. Le point de vue et les voix des élèves rattachés au dispositif ULIS
1. Le « brouillage » des âges
2. Situation de désubjectivation et statut de « non personne »
3. Des conditions peu favorables à l’émergence des voix
(a) L’organisation spatiale comme ordre social dominant
(b) Les conditions sociologiques des équipes de suivi de scolarisation
C. D’une relation de méfiance à une relation de confiance
1. Se faire accepter, être accepté
2. De l’importance du « faire avec »
3. Le journal de terrain et l’entretien ethnographique
Conclusion
TROISIÈME PARTIE : D’UNE POLITIQUE D’INCLUSION SCOLAIRE À DES EXPÉRIENCES VÉCUES
Chapitre I. Franchir le seuil du lycée : entre parcours individuels et logiques
institutionnelles
A. La « lutte des places »
1. D’une place refusée à une place négociée
2. L’emprise de l’attribution des places
(a) Tom : « Le lycée, un point c’est tout. »
(b) ULIS lycée versus établissement spécialisé
3. L’ « autonomie » : un critère majeur de sélection pour accéder au lycée
4. Vers une inclusion différenciée
B. De quelques traits des conditions de possibilité des élèves de l’ULIS collège à
définir un projet professionnel
C. Faire le « choix » d’un projet professionnel : entre rêve et réalisme
1. Un rapport « utilitariste » à l’atelier de SEGPA
2. Le temps de la « résignation lucide »
Conclusion
Chapitre II. Exister au sein de l’espace social du lycée
A. Comment le lycée « pense-t-il » les élèves rattachés à l’ULIS ?
1. « On les voulait pas, on avait peur… »
2. Le soupçon d’incompétence comme ombre portée dudit handicap mental
3. L’ULIS, un dispositif mal connu au lycée J. Jaurès
B. Être rattaché à l’ULIS : une épreuve pour l’identité
1. L’ULIS : un dispositif-stigmate
2. Le « handicap » un intrus en soi
3. Hugo : le temps du doute
C. Le point de vue des pairs
1. De quels pairs parle-t-on ?
2. Le temps des premières rencontres
3. « Même dans notre tête on savait qu’ils étaient décalés »
4. De la proximité compassionnelle à la distance sociofuge
5. De la proxémie en actes au contrôle de l’information
CONCLUSION GÉNÉRALE

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