Les conditions pratiques de l’usage du jeu de rôles

Les conditions pratiques de l’usage du jeu de rôles

Quels changements du système étudié peuvent être induits par l’usage de ces modèles et vice versa ?

Traiter la question des changements induits par l’usage de ces modèles sur le système étudié revient à s’interroger sur les modifications sociales engendrées par l’introduction d’une innovation. Ainsi, nous adapterons à la GRNR la définition classique donnée par Schumpeter (J.-P. Olivier de Sardan, 1993). Pour nous, une innovation désigne toute nouvelle combinaison des moyens de la GRNR. Il ne s’agit donc pas là de limiter l’innovation à l’invention technique. Les modèles utilisés pour faciliter la concertation ou intervenir dans une négociation constituent bien une nouvelle combinaison des moyens mis à la disposition des acteurs locaux pour gérer les ressources naturelles renouvelables. D’un autre point de vue, aborder la question en terme de changement de la représentation du modélisateur c’est avancer encore un peu plus dans le processus de modélisation d’accompagnement, puisqu’il s’agit là d’améliorer le modèle. Réfléchissons d’abord à ce second point plus facile à circonscrire. Il s’agit ici de revenir sur la question de la distance entre la représentation du modélisateur et celles des acteurs sociaux, mais ceci indépendamment de l’usage en appui à la concertation. Expliciter les hypothèses et concepts du modèle pour les rendre intelligibles aux acteurs locaux, leur faire exprimer leur différence par rapport à la représentation proposée, puis les implémenter dans le modèle tout en restant en phase avec les dynamiques endogènes, tels sont les enjeux relatifs à cette partie du questionnement. Cet aspect de la réflexion étant évacué, revenons maintenant sur son second versant, beaucoup plus délicat à traiter : les changements sociaux observés suite à l’usage des modèles avec les acteurs locaux. Ces changements sociaux s’inscrivent dans une certaine échelle de temps (moyen terme ou long terme) qui dépasse bien souvent les trois années d’élaboration d’une thèse. Seuls les changements apparus dans le court terme seront donc ici abordés.

 Introduction d’une innovation et changement social

Inutile de revenir sur l’immuabilité supposée des systèmes sociaux dit « primitifs », Malinowski, Balandier, et tant d’autres sociologues et anthropologues ont déjà montré la naïveté de cette proposition ! G. Balandier montre que tout système social est en perpétuel devenir (G. Balandier, 1971, 1985). Le changement social présente deux dimensions : l’une microsociologique et l’autre macrosociologique. L’introduction d’une innovation dans une société donnée (ou un groupe social) ne se traduit par un changement social que si des modifications du système social initial sont observables. Pour qu’une innovation donne lieu à ce type de bouleversement, il faut qu’elle soit portée par certains membres influents de la société qui pourront en vanter les mérites et favoriser sa diffusion puis son appropriation par les autres membres de la société. Comme le décrivent H. Mendras et M. Forsé, ce sont donc les interactions entre des acteurs sociaux (groupe ou individu), au niveau microsociologique, qui permettent de proche en proche de modifier l’organisation sociale et les modes de vie (H. Mendras et M. Forsé, 1983). Dans le cas de l’introduction d’une innovation, le changement social apparaît comme le résultat d’une dynamique interne (entre les acteurs sociaux du système étudié) et externe (par l’intervention extérieure du porteur de l’innovation). Cette vision du changement social se positionne de fait dans la sociologie interactionniste par opposition aux structuralistes et fonctionnalistes pour qui le changement social, s’il existe, ne peut se faire que par la succession d’états d’équilibre spontané. Au contraire, le déséquilibre est pour nous le moteur du changement social. Le système coutumier désigné sous le vocable de « tradition » est souvent présenté comme l’une des résistances principales au changement social. Pourtant, nous pensons que la coutume n’est pas figée. Au contraire, elle possède un dynamisme qui lui est propre. Le paradigme du changement social par diffusion laisse à penser que l’organisation de la société ne change que lorsque la somme des modifications des acteurs a atteint par agrégation une certaine masse critique, comme un effet boule de neige. Nous pensons que ce dynamisme collectif est complexe et souvent bien plus lent que des changements individuels. En effet, il faut du temps pour que la coutume, garant de l’ordre établi et des valeurs considérées parfois comme ancestrales (du moins dans l’esprit de certaines gens), puisse intégrer ce nouveau paramètre et retrouver une certaine cohérence. La coutume ne bloque pas les comportements des individus. De nombreux auteurs ont montré que les acteurs sociaux sont certes soumis à des contraintes mais qu’ils disposent d’une certaine marge de manœuvre dans leurs choix, leurs intérêts, leurs stratégies (J.-P. Darré, 1985; H. Mendras et M. Forsé, 1983; J.-P. Olivier de Sardan, 1993, 1995; B. Sall, 1993). Les acteurs n’usent pas solitairement de leur marge de manœuvre. Les phénomènes de réinterprétation “ par en bas ” sont des processus sociaux d’interaction dont les effets sont largement imprévisibles.
S’interroger sur les changements sociaux induits par l’usage de modèles impose de répondre aux trois questions suivantes 1- qu’est-ce qui change ? Il faut donc repérer les secteurs où s’opère le changement. Ce qui suppose d’avoir établi une sorte d’état de référence avant l’introduction de l’innovation. Puisque l’un des objectifs de ces modèles est de faciliter la concertation entre acteurs locaux, il nous faut donc repérer les formes de concertations (leurs procédures, les protagonistes, les règles auxquelles elles obéissent) existant déjà dans le système étudié. 2- comment s’opère le changement ? Quels rythmes suit-il ? Il s’agit-là de décrire les processus observés. 3- comment expliquer le changement ainsi décrit ? Cela traduit le passage à la phase d’interprétation, d’analyse des acteurs, des facteurs et des conditions du changement.

Vers notre question de problématique

Maintenant que nous avons défini notre acception de la notion même de changement, interrogeons-nous sur la pertinence même de la question posée. Les systèmes sociaux étant dynamiques il n’y a pas a priori d’incohérence à envisager la question des changements induits par l’usage de ces modèles avec les acteurs sociaux. La littérature sur les modèles informatiques en appui à la négociation est foisonnante et constitue la base de nombreux journaux (par exemple : Group decision and negotiation, Decision support systems, etc.). Des études moins nombreuses montrent que les jeux de rôles sont utiles dans les lieux de concertation (O. Barreteau, 2003) mais elles ne se sont pas intéressées aux raisons de cette utilité. Pourquoi ne pas imaginer que ce ne sont pas les jeux mais les discussions entre des acteurs dans une sorte de lieu parallèle qui permettent au processus de concertation d’avancer ? Pour évaluer la pertinence de cette question nous proposons de mieux comprendre ce qui se passe au cours des séances de jeux de rôles.
Pour saisir ce qui se passe dans le jeu de rôles, donnons maintenant une définition claire de la notion de jeu17. Nous verrons par la suite si les jeux de rôles du groupe ComMod correspondent ou non à celle-ci. Une des définitions les plus classiques et les plus explicites de la notion de jeu est donnée par J. Huizinga. Le jeu est « une action libre, sentie comme fictive et située en dehors de la vie courante, capable néanmoins d’absorber totalement le joueur ; une action dénuée de tout intérêt matériel et de toute utilité ; qui s’accomplit en un temps et un espace expressément circonscrits, se déroule avec un ordre selon des règles données, et suscite dans la vie des relations de groupes s’entourant volontiers de mystère ou accentuant par le déguisement leur étrangeté vis-à-vis du monde habituel » (J. Huizinga, 1951).
De cette définition, il ressort que le jeu possède un caractère dual puisqu’il est ordonné grâce au système de règles qui le régit et permet au joueur d’avoir une certaine liberté par rapport au monde réel. Il se définit par rapport à la vie sociale. Il est hors de la vie sociale. Pourtant, la participation à un jeu peut créer des relations entre des individus, un sentiment d’appartenance à un groupe social. Tout se passe comme si le jeu créait une dimension spatio-temporelle ambiguë, particulière, différente de la réalité avec un temps et un espace qui lui est propre et qui permet d’exacerber les relations entre les joueurs. La relation entre jeu et réalité est donc floue, ambiguë, mais elle existe. Elle est dans l’essence même de la notion de jeu. Dans ce cas, la question de savoir si le fait de participer à un jeu peut modifier la vie sociale demeure valable.

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Table des matières

Préambule.
Introduction
PARTIE 1 : DES REFLEXIONS DES CHERCHEURS SUR L’USAGE DE JEUX DE ROLES EN MILIEU REEL
1 Les réflexions du groupe ComMod sur l’usage de modèles pour accompagner la gestion des ressources naturelles renouvelables
1.1 Des expériences multiples d’usages conjoints des SMA et jeux de rôles
1.2 Pourquoi le groupe ComMod utilise-t-il des modèles pour questionner la GRNR ?
1.3 Comment les membres du groupe ComMod modélisent-ils
1.4 Des objets intermédiaires aux questions des chercheurs
2 De la déconstruction des questions des chercheurs ComMod à la construction d’une problématique sur l’usage des jeux de rôles
2.1 Quels problèmes cette distance entre la représentation du modélisateur et les représentations des acteurs peut-elle avoir sur la concertation quand ces modèles sont utilisés avec des acteurs locaux ?
2.2 Quels changements du système étudié peuvent être induits par l’usage de ces modèles et vice versa ?
2.3 Simulacre, réalité : vers une schizophrénie des acteurs ?
3 Le jeu de rôles Njoobaari ilnoowo utilisé dans les systèmes irrigués de la vallée du fleuve Sénégal
3.1 Contexte de la construction du jeu de rôles Njoobaari ilnoowo
3.2 Vers le jeu de rôles Njoobaari ilnoowo
3.3 Retour vers le modélisateur : le système irrigué vu par le chercheur
PARTIE 2 : … A LA CONSTRUCTION D’UNE METHODOLOGIE D’ANALYSE BASEE SUR LA COMPLEMENTARITE ENTRE LE LUDIQUE ET LE REEL APPLIQUEE DANS DEUX SYSTEMES IRRIGUES
4 Méthodologie
4.1 De la problématique aux hypothèses
4.2 La construction de trois hypothèses
4.3 Méthodologie de recueil et d’analyse des informations dans la réalité et dans le jeu
5 Le contexte de l’usage du jeu dans les systèmes irrigués de Wuro-Madiu et Thiago
5.1 Choix des sites d’application de la méthode
5.2 Installation du peuplement
5.3 Les institutions villageoises
5.4 Organisation sociale de l’irrigation et contexte de production
6 Les informations recueillies
6.1 Au cours des sessions de jeu de rôles
6.2 Dans la réalité : description des récits de vie
PARTIE 3 : LES RESULTATS OBTENUS : PERTINENCE ET CONTRIBUTIONS AUX REFLEXIONS DE COMMOD ET DE LA SOCIOLOGIE
7 Les conditions pratiques de l’usage du jeu de rôles
7.1 La question du jeu avec des agriculteurs musulmans
7.2 Les acteurs du jeu
7.3 Organisation du jeu
8 Du jeu à la réalité : analyse des résultats
8.1 Hypothèse 1 : la représentation schématique du système irrigué est acceptée par les joueurs
8.2 Hypothèse 2 : l’habitus et le champ social des acteurs interfèrent avec les rôles des joueurs
8.3 Hypothèse 3 : le jeu est un outil heuristique qui révèle les relations sociales entre les acteurs
9 Les apports du travail pour le groupe ComMod et pour la sociologie
9.1 Retour vers le terrain
9.2 Retour vers les chercheurs du groupe ComMod
9.3 Le jeu de rôles : un nouvel outil de recueil de données sociologiques ?
Conclusion Générale
Références bibliographiques

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