Les challenges de l’interaction sociale en univers virtuel

L’évolution des technologies de la réalité virtuelle a, ces dernières années, ouvert la voie à de nouvelles perspectives applicatives. Alors que cette technologie s’était principalement cantonnée à la reproduction réaliste d’univers physiques (simulateurs de vol, exploration d’univers architecturaux, etc.), il devient possible aujourd’hui d’envisager des interactions sociales où la dimension émotionnelle puisse être prise en compte en temps réel. Cette évolution constitue selon nous une véritable rupture technologique et culturelle car elle ouvre la porte à une multitude de nouvelles applications dans le domaine professionnel, de l’éducation et de la formation.

Les challenges de l’interaction sociale en univers virtuel

L’enjeu des simulations faisant appel à la réalité virtuelle est de développer des environnements crédibles et réalistes qui permettent à l’utilisateur d’agir et d’interagir dans cet univers virtuel comme il le ferait en situation réelle. Le réalisme des interactions sociales impose évidemment des contraintes spécifiques qui vont au delà des exigences liées au réalisme physique. Nous nous intéresserons en particulier aux couplages cognitifs entre acteurs en situation de co-présence. Ces couplages sont (dans le cadre des approches ethnométhodologiques) dits socialement et émotionnellement situés (Garfinkel 1967; Goffman 1974; Sperber & Wilson 1989; Cahour 2006). Nous tenterons dans le cadre de cette thèse, d’opérationnaliser cette notion en spécifiant sa signification du point de vue des couplages comportementaux entre personnages virtuels. Dans cette perspective, nous prendrons en considération, dans le processus de construction de l’interaction, l’influence du contexte, des dimensions émotionnelles et multimodales de la communication (expression verbale, paraverbale et non verbale). La base théorique de notre approche se réfère au concept de l’interaction située (développé dans une perspective de description des interactions sociales en situation réelle) qui souligne  le rôle du contexte physique, social et culturel (perception de l’univers aussi bien que l’expertise et l’histoire interpersonnelle des acteurs) dans l’interprétation du comportement et le fait que la partie significative de la communication est co-construite par les acteurs pendant l’interaction (El Jed, Pallamin et al. 2006). Dans les paragraphes suivants, nous présentons successivement les quatre aspects de l’interaction sociale que nous avons pris en considération pour le développement de notre modèle :
● La communication inter-individuelle.
● L’interaction cognitivement et socialement située.
● Les couplages entre acteurs au cours d’une interaction sociale.
● La prise en compte de l’influence de l’émotion.

La communication inter-individuelle 

La communication inter-individuelle est faite d’échanges entre interlocuteurs. Ces échanges s’accompagnent de productions verbales et non-verbales qui sont co produites par les inter actants : elles sont le résultat des activités conjointes de l’émetteur et du récepteur (Cosnier 1996; Cosnier & Vaysse 1997). Le terme communication provient du latin « communicare » qui signifie « mettre en commun ». Communiquer consiste transmettre un « signifié » (contenu) par l’intermédiaire d’un « signifiant ».

Dans la perspective de la cognition socialement située, la communication ne peut pas être réduite à une simple transmission d’information, elle ne se limite pas à une séquence qui commence par le codage par un émetteur d’un message pour finir par un décodage par le récepteur. La communication se produit chaque fois qu’un émetteur tente d’échanger des informations et/ou d’influencer un destinataire au moyen de signaux (Kerbrat-Orecchioni 1980; Cosnier 1982; Livet 1994). La communication vise également à obtenir, chez le destinataire, des effets autres que ceux fournis par un simple décodage d’information comme par exemple, transformer la situation du récepteur et modifier son système de croyances et/ou son attitude comportementale (Kerbrat-Orecchioni 1980). La communication est dynamique et sa nature est complexe. L’information transmise est généralement insuffisante pour que le destinataire puisse saisir de façon déterministe l’effet poursuivi par le locuteur. Ce dernier doit souvent utiliser le contexte de l’énonciation pour reconstituer le sens de ce qui lui est communiqué. Il lui faut donc mettre en œuvre des processus interprétatifs qui ne se restreignent pas à un simple décodage et qui peuvent même aboutir à une interprétation opposée à celle du sens « littéral » du message (Livet 1994). Selon Cosnier : « quand deux personnes sont en présence, quel que soit leurs intentions, leurs volontés, la communication a toujours lieu » (Cosnier 1977). Cet auteur voit chaque interlocuteur comme une unité de communication qui fonctionne simultanément ou alternativement comme des émetteurs-récepteurs avec une communication toujours présente. Ces différents points de vue soulignent donc l’importance de la notion de contexte ainsi que celle de co-construction de la signification du dialogue dans les situations réelles.

Communication et intentions

Les approches interactionnistes ont changé la façon de considérer les mécanismes de production du langage : le langage n’est plus uniquement lié à une production verbale ; il est multi-canal, multimodal et plurifonctionnel. Donc, plus qu’un instrument de représentation ou d’information, le langage est vu comme un instrument d’action (Cosnier 1977; Cosnier 1982; Cosnier 1996). La conception de la communication a donc évoluée ; elle est passée d’un modèle de codage-décodage à un modèle de communication ostensif inférentiel (Sperber & Wilson 1989). Alors que le modèle du « code » considère la communication comme un processus de transfert de l’information où les interlocuteurs doivent posséder les mêmes règles de décodage de l’information que celles utilisées par le locuteur pour échanger, le modèle ostensif inférentiel prend en compte le fait que les interlocuteurs font un usage intensif du contexte et de leurs connaissances personnelles pour interpréter les messages. Selon cette approche, il est donc difficile d’adopter une approche réductionniste du contexte (comme par exemple en le réduisant à un nombre limité de facteurs). Les acteurs font des hypothèses interprétatives et c’est sur la base de ces hypothèses qu’ils déterminent leur comportement. En résumé, ces auteurs proposent l’idée que le locuteur fournit par son énoncé une interprétation de sa pensée et que l’auditeur construit, sur la base de cet énoncé, une hypothèse interprétative portant sur l’intention informative du locuteur. Puisque la communication peut réussir sans que l’intention initiale ait été reconnue; nous dirons que c’est plutôt l’intention informative qui a été communiquée. La véritable intention communicative est l’intention du locuteur. Pour rendre plus manifeste une intention communicative, le locuteur peut adopter des comportements « ostensifs » qui la renforce.

Sperber et Wilson définissent la communication ostensive-inférentielle de la manière suivante : « Le communicateur produit un stimulus qui rend mutuellement manifeste au communicateur et au destinataire ce que le communicateur veut, au moyen de ce stimulus, rendre manifeste ou plus manifeste au destinataire un ensemble d’hypothèses ». Dans notre modèle, nous reprendrons les concepts d’intention informative et d’intention communicative développés par Sperber et Wilson afin de mieux gérer la distinction entre actes illocutoires (liés à l’intention du locuteur) et effets perlocutoires (effets de l’acte de communication sur le récepteur).

Gestion du dialogue
Le dialogue est la forme la plus simple d’interaction humaine (dans les situations de coopération). Caelen définit le dialogue à partir du concept de jeu : « un dialogue est un jeu au cours duquel chaque participant joue des coups à l’aide d’actes de dialogue afin d’atteindre son but (Caelen 2006). Le dialogue se présente comme une suite d’échanges (actions et transactions) visant à résoudre des sous-buts ou des pré-conditions. Les dialogues sont généralement décrits en trois phases : la première correspond au début de la conversation, la seconde est la phase des échanges de tours de parole et la troisième phase s’apparente à la fin de la conversation. Dans chaque phase les participants jouent des actes de langage.

Les jeux dans le dialogue
Caelen utilise la théorie des jeux pour modéliser le dialogue, il attache la notion de but à celle d’utilité et applique la théorie des jeux pour formaliser des stratégies générales de dialogue et la prise de tour de parole. Il définit la gestion du jeu de dialogue par des règles de déclenchement de stratégies, des règles de comportement, un mécanisme de contrôle, des règles de reprise par des sous-dialogues. Cet auteur identifie deux sortes de buts, le « but de dialogue » et le « but de jeu ». Le but du dialogue est associé à la réussite de la communication de l’intention informative et le but du jeu est associé à la réussite de l’objectif même de la communication (Caelen 2006). Les jeux sont conceptualisés à partir de la notion d’engagement des interlocuteurs (Maudet 2001) : « en jouant des jeux, les interlocuteurs s’engagent sur différents aspects liés à l’interaction, d’une manière qui va contraindre leurs contributions futures dans le dialogue ». Maudet propose une vision schématique d’un dialogue selon deux axes : « l’axe informationnel » qui correspond au but discursif et « l’axe interactionnel » qui correspond à la gestion de l’interaction dialogale. Il distingue deux types de jeux : les « jeux de dialogue » et les « jeux de communication ». Les premiers concernent l’axe informationnel ; ils sont explicitement introduits au cours du dialogue. Les seconds portent sur l’axe interactionnel ; ils sont généraux et activés implicitement lors de toute communication ; ils traduisent des conventions implicites supposées valables dans toute conversation (Maudet 2001).

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Table des matières

1 Introduction
1.1 Objectif de la thèse
1.2 Motivations et enjeux
1.3 Contexte applicatif : rééducation de patients cérébro-lésés
1.4 Organisation du mémoire
2 Les challenges de l’interaction sociale en univers virtuel
2.1 La communication inter-individuelle
2.1.1 Communication et intentions
2.1.2 Gestion du dialogue
2.1.2.1 Les jeux dans le dialogue
2.1.2.2 Jeux d’interaction (communication et dialogue)
2.1.2.3 Les coups
2.1.2.4 Les actes de langage
2.1.2.5 Les tours de parole
2.1.3 Rites d’interaction et ligne de conduite
2.2 Interaction cognitivement et socialement située
2.2.1 Rôle du contexte
2.2.2 Contexte sociale : la culture et le rôle de l’identité sociale
2.3 Les couplages entre acteurs au cours d’une interaction sociale
2.3.1 Multimodalité dans l’interaction
2.3.1.1 Comportement non verbal
2.3.1.2 Communication gestuelle
2.3.2 Dimension constructiviste de l’interaction
2.4 Prise en compte de l’émotion
2.4.1 Théories de l’émotion
2.4.2 Évaluation cognitive et modèles d’activation de l’émotion
2.4.3 Théories de la personnalité
2.4.4 Intelligence émotionnelle
2.4.5 Couplage entre comportement et culture
3 État de l’art : Interactions sociales en univers virtuel
3.1 Simulation des interactions sociales en univers virtuel
3.1.1 Personnages virtuels : avatars et agents conversationnels animés
3.1.2 Agents conversationnels animés crédibles
3.1.2.1 Agents émotionnels crédibles
3.1.2.2 Agents sociaux crédibles
3.2 Réalité et univers virtuels
3.2.1 Réalité virtuelle
3.2.2 Univers virtuels
3.2.3 L’immersion sociale et émotionnelle
4 Problématique expérimentale
4.1 Neuropsychologie
4.1.1 Accidents vasculaires cérébraux
4.1.2 Paradigme des neurones miroir
4.2 Rééducation fonctionnelle
4.2.1 Les interactions en milieu soignant
4.2.2 Réalité virtuelle et kinésithérapie
4.2.3 Évaluation par IRM fonctionnelle de la réalité virtuelle comme outil de rééducation chez des sujets cérébro-lésés
4.2.4 Paradigme thérapeutique
4.2.5 Contributions de la plateforme de réalité virtuelle au domaine de la rééducation fonctionnelle
4.3 Méthodologie de l’analyse des interactions
4.3.1 Analyse de la communication
4.3.2 Méthodologie
4.4 Analyses vidéo des interactions
4.4.1 Définitions
4.4.2 Structure du dialogue
4.4.3 Dynamique des actes de communication
4.4.4 Dynamique des interactions
5 Paradigme d’interaction sociale et émotionnelle
5.1 Modélisation
5.1.1 Comportement interactionnel
5.2 Architecture de l’animation comportementale
5.2.1 Architecture du moteur d’interaction sociale et émotionnelle
5.2.2 L’attitude et la personnalité dans le comportement
5.2.3 Les influences du modèle comportemental
5.2.4 Algorithmique de l’architecture d’animation
5.2.5 Évaluation cognitive du contexte
5.3 Modèle d’interactions sociales et émotionnelles
5.3.1 Modèle émotionnel
5.3.1.1 Représentation de l’émotion
5.3.1.2 Mise à jour de l’émotion
5.3.1.3 Intensité de l’émotion et mise à jour de l’humeur et du stress
5.3.2 Modèle d’empathie
5.3.3 Modèle cognitif
5.3.4 Modélisation des interactions socioculturelles
5.3.4.1 Niveau de respect
5.3.4.2 Niveau de tolérance
6 Conclusion

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