Les cellules souches mésenchymateuses : une option de choix dans le traitement des cordes vocales cicatricielles

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Les cellules souches mésenchymateuses : une option de choix dans le traitement des cordes vocales cicatricielles

La présence de cellules souches mésenchymateuses a été rapportée dans de nombreux tissus chez l’adulte. Ce sont des cellules multipotentes, donc capable de générer différents tissus issus d’un même feuillet embryonnaire. D’abord isolées dans la moelle osseuse [6], le terme de cellules souches mésenchymateuses (CSM) a été employé pour la première fois en 1990 en relation avec le mésenchyme, dérivé du mésoderme, un des 3 feuillets embryonnaires dont est issue la moelle osseuse.
Dans notre revue de la littérature, les cellules souches utilisées étaient majoritairement des CSM, provenant de deux sources principales. Dans 13 cas étaient utilisées des CSM issues de la moelle osseuse (BM-MSC, Bone Marrow Mesenchymal Stem Cells). Dans 14 autres cas, les CSM provenaient de tissu adipeux (ADSC, Adipose Derived Stem Cells). Ce tissu est disponible par simple lipoaspiration dans des volumes importants : son prélèvement est donc moins contraignant et moins invasif pour le donneur. Les CSM y sont environ 8 fois plus nombreuses que dans la moelle osseuse (de l’ordre de 5000/mL versus 600/mL) [7]. Deux études ont comparé les BM-MSC et les ADSC [8, 9]. Dans deux cas, une lignée de cellules souches embryonnaires (CSE) était utilisée [10,11]. Plus originale, une étude utilisait des CSM prélevées au niveau de l’épiglotte d’un chien [12]. En effet, les cordes vocales renferment des CSM (« stellate cells »), en particulier au niveau des maculae flavae [1]. Les auteurs ont émis l’hypothèse que ces cellules étaient également présentes au niveau de l’épiglotte qui a pour avantage d’offrir une surface de prélèvement supérieure aux CV.
Parmi les 27 études, quatre ont été réalisées exclusivement in vitro (Tableau1). Elles portaient sur l’effet des CSM sur des fibroblastes de CV d’origine animale ou humaine. Les 23 autres études comportaient une part d’expérimentation in vivo avec injection de cellules souches au niveau des CV (Tableau2). Celles-ci portaient exclusivement sur le petit animal (souris, rat) et le gros animal (lapin, chien), aucune injection n’ayant pour l’instant été réalisée chez l’homme.

Expérimentation in vitro

Kumai [13,14] a montré que les fibroblastes cicatriciels produisaient plus de collagène et proliféraient plus vite que les fibroblastes normaux. Il a ensuite montré que ces fibroblastes, mis en co-culture avec des ADSC, proliféraient moins, et exprimaient moins l’α-SMA (Smooth Muscle Actin), marqueur de différenciation en myofibroblaste. Ils produisaient une MEC contenant moins de collagène mais plus d’acide hyaluronique (AH) et d’Hépatocyte Growth Factor (HGF). La neutralisation de l’HGF inhibait l’effet des ADSC sur la production de collagène, confirmant ainsi les propriétés antifibrotiques connus de l’HGF. Son rôle au niveau laryngé a en effet déjà été étudié dans plusieurs études [15,16]. Chen et Thibeault [17] ont placé en co-culture des fibroblastes de CV, saines ou cicatricielles, avec des BM-MSC associées à un hydrogel d’AH. Ces dernières inhibaient la prolifération des fibroblastes sans changement de morphologie ou viabilité. L’étude du transcriptome confirmait l’augmentation de l’expression du gène de l’HGF ainsi que celui du VEGF. A l’inverse de Kumai, Chen et al. Ont retrouvé une augmentation de la production de collagène I en présence de BM-MSC. Hiwatashi et al. [18] ont étudié l’implication de la voie du TGFβ1 en réalisant des co-cultures de fibroblastes de CV normales et d’ADSC ou BM-MSC, en présence ou non de TGFβ1.

Expérimentation in vivo

La majorité des études précliniques in vivo (Tableau2) correspondait à des xénogreffes de cellules souches (11 études) d’origine humaine (moelle osseuse ou embryon), de souris ou de lapins (moelle osseuse). Certaines études rapportaient l’utilisation de protocoles d’immunosuppresseurs type tacrolimus pour éviter un rejet [10,11,19,20]. Plus rarement les études évaluaient l’autogreffe (8 études) ou encore l’allogreffe de cellules souches d’un autre individu de la même espèce (4 études). Plusieurs études utilisaient des produits de la bio-ingénierie pour potentialiser les effets des CSM ou permettre une meilleure survie de celles-ci : des hydrogels (collagène, atélocollagène, fibrine, AH, plus ou moins associés [21-26]), des éponge d’atélocollagène [9,27], une matrice extracellulaire synthétique [28] ou encore un gel acellulaire issu de sous-muqueuse jéjunale porcine [29]. Une étude associait de l’HGF aux CSM [23]. Une seule équipe administrait lors de chaque intervention une injection d’antibiotiques associés à des corticoïdes [30].
Le modèle animal était globalement similaire dans chaque étude : réalisation d’une cicatrice au niveau d’une ou des 2 CV jusqu’au muscle thyro-aryténoïdien avec laser, électrocautérisation ou instruments froids. Seule l’étude de Bonnecaze [31] comportait une cervicotomie avec laryngotomie médiane. L’injection dans la CV des cellules (conditionnées ou non) ou d’une solution contrôle était le plus souvent réalisée immédiatement après blessure. Pour certaines études le délai entre la blessure et l’injection était plus long : de 4 jours jusqu’à 18 mois pour l’étude d’Angelou [30]. Ce dernier modèle correspondait ainsi plus à la pratique clinique chez l’homme où le traitement d’une CV cicatricielle ne doit être envisagé qu’au minimum 6 mois après chirurgie [32]. Dans 2 études, l’injection était réalisée 4 jours avant réalisation de la cicatrice, à titre préventif [24,25]. Si les cellules étaient associées à une éponge d’atélocollagène, l’injection était alors remplacée par une incision de la CV avec mise en place de l’éponge au sein d’une logette sous-épithéliale [9,27]. Le délai entre l’injection et l’endoscopie et / ou l’euthanasie était en revanche très variable, entre 2 semaines et 12 mois.
Les objectifs de l’analyse étaient :
– d’évaluer les effets de l’injection de CSM sur la cicatrisation par étude macroscopique et microscopique des cordes vocales, étude des propriétés viscoélastiques, de la matrice extracellulaire, des fibroblastes (prolifération, différenciation, survie) ;
– d’étudier la survie et la différenciation des cellules injectées, marquées par une molécule immunofluorescente.
Concernant la morphologie des CV, Peng [12] a étudié l’effet de l’allogreffe de CSM d’épiglotte chez des chiens. A 2 semaines, celles-ci permettaient une cicatrisation avec diminution du tissu granulomateux, de l’inflammation et de la fibrose. A 4 et 8 semaines, les CV traitées étaient moins atrophiques et moins cicatricielles. Des résultats similaires étaient observés à 8 semaines pour Choi et Kanemaru [25,29] (avec des BM-MSC conditionnées ou non dans un gel de sous-muqueuse jéjunale de porc) et Kwon [23] (avec des ADSC associées à de l’AH ± HGF), à 12 semaines pour Hong, Kim ou Angelou [30,33,34] et à 24 semaines pour Lee [24] (CSM seules).
Concernant les propriétés viscoélastiques, plusieurs paramètres étaient utilisés. La viscosité dynamique analyse la résistance d’un matériel à un flux de cisaillement ; le module d’élasticité (module de Young) analyse la raideur d’un matériel dans un flux. La vidéokymographie repose sur l’analyse du déplacement d’un point de la CV grâce à une caméra ultrarapide. L’étude qualitative des kymogrammes est basée sur l’observation de la symétrie droite-gauche, les phases d’ouverture et de fermeture, la périodicité, l’amplitude, la différence de phase. Svensson et al. [11,19,20] et Cedervall et al. [10] retrouvaient des résultats similaires entre les CV normales et celles traitées par CSM / CSE, tous deux meilleurs que ceux des CV blessées non injectées. Ils étudiaient notamment la viscosité dynamique ou le module d’élasticité. Le module d’élasticité était également amélioré avec CSM dans l’étude de Hertegard et al. [35]. Dans l’étude de Kim et al. [22], les modules d’élasticité et de viscosité étaient significativement améliorés avec les CSM associées à un hydrogel mais la vidéokymographie n’était en revanche pas modifiée. Choi et al. [29] ont retrouvé une amélioration de l’amplitude de vibration en vidéokymographie avec les CSM à condition qu’elles soient associées à une MEC d’origine porcine. Hiwatashi a étudié 3 paramètres :
– la pression sous-glottique au seuil phonatoire (pression sous-glottique minimum pour initier la vibration des CV) ;
– l’amplitude de la vibration muqueuse ;
– la taille de la fente glottique.
Ces 3 éléments étaient améliorés par l’injection de CSM, qu’ils s’agissent de BM-MSC ou d’ADSC [9]. De Bonnecaze a mesuré la fréquence fondamentale de ses larynx excisés placés dans un agitateur électrodynamique, celle-ci permettant de caractériser les propriétés biomécaniques du tissu [31]. La diminution de la fréquence était significativement moindre en cas d’injection d’ADSC mais de manière peu pertinente (en moyenne 212 Hz pour les CV normales, 100 Hz pour les CV cicatricielles et 120 Hz pour les CV cicatricielles injectées). Ohno et al. [27] ont retrouvé des propriétés viscoélastiques améliorées par des BM-MSC associées à une éponge de collagène. L’amélioration de ces propriétés permet de faire l’hypothèse d’une amélioration de la dysphonie chez l’homme dans les suites de l’injection de CSM dans des CV cicatricielles.
Concernant les propriétés de la MEC, Peng et al [12] retrouvaient après injection de CSM épiglottiques, une diminution du collagène et de la fibronectine et une augmentation de l’AH et de l’élastine. De manière similaire, de nombreuses autres études retrouvaient une réduction du collagène de type I [9-11,18-20,22,30,31,33,35], une augmentation de l’AH [18], ou de l’élastine [31]. Kim et al. retrouvaient à 1 mois une diminution de la fibronectine et du TGFβ1, et à 3 mois une augmentation des glycosaminoglycanes [34]. Une diminution de l’épaisseur de la lamina propria après injection était également retrouvée dans plusieurs études [11,19,20,30,31]. De Bonnecaze et al. [31] montraient la diminution du nombre de cellules inflammatoires de façon significative après injection d’ADSC. Johnson et al. [28] ont étudié l’effet de l’injection de BM-MSC et/ou de MEC synthétique, sans pouvoir conclure sur la préparation à privilégier, celle-ci variant selon l’élément de la MEC étudié. L’ajout d’hydrogel d’alginate et d’AH ne modifiait pas l’amélioration obtenue grâce aux ADSC dans l’étude de Kim et al. [22]. La matrice de collagène utilisée par Xu en association avec des ADSC donnait aussi des résultats ambigus avec, à 40 jours, d’une part un collagène augmenté et désorganisé ainsi qu’une augmentation de la fibronectine et d’autre part une augmentation de l’AH, le taux de ces protéines se normalisant ensuite à 12 mois [20]. En revanche, en associant ses BM-MSC à une MEC d’origine porcine, Choi améliorait l’effet des BM-MSC sur la synthèse d’AH et sur l’inhibition de la synthèse de collagène. Il utilisait un index de cicatrice en calculant le ratio entre réfringence rouge (fibres épaisses) et réfringence verte (fibres fines). Les BM-MSC + gel avaient le score le plus bas (1,22) comparées aux BM-MSC seules (1,82) ou au gel seul (2,91) [29]. De même, les BM-MSC utilisées en association à une éponge d’atélocollagène par Ohno avait un résultat favorable en augmentant l’AH et diminuant le collagène [27]. Les résultats de l’étude de Shiba réalisée avec des ADSC [26] sont peu informatifs car les CV cicatricielles injectées étaient comparées à des CV normales. Concernant les fibroblastes, leur prolifération, différenciation ou apoptose n’étaient pas modifiées dans l’étude de Johnson, seule étude in vivo étudiant leur devenir [28].
La survie des cellules souches était variable selon les études mais les résultats cliniques étaient constants, par le biais des molécules synthétisées ou des effets induits sur les fibroblastes. Pour Svensson et al., la survie des CSM était de 5.1% à 1 mois et nulle à 10 semaines [19,20]. Dans une autre étude avec des CSE, des cellules étaient retrouvées chez 4 des 6 CV injectées à 6 semaines puis disparaissaient complètement à 3 mois [11]. Pour Hertegard et al., la survie était de 0.18% à 1 mois [35]. Hong et al. détectaient encore des ADSC chez 4 de ces 12 lapins à 12 semaines [33]. Pour Kim et al., des BM-MSC survivaient à 1 mois mais pas à 3 mois [34] et pour Hiwatashi, des BM-MSC ou ADSC étaient retrouvées à 1 mois mais pas à 6 mois [9]. De plus celles-ci n’étaient jamais détectées au niveau de la CV contro-latérale ni au niveau du muscle sous-jacent. Pour Lee et al., des ADSC étaient retrouvées à 8 semaines mais pas à 24 semaines [24]. De même pour Kanemaru : à 8 semaines, les BM-MSC implantées étaient vivantes et exprimaient la kératine et la desmine, marqueurs de tissus épithélial et musculaire [36]. Dans les études de Johnson et Kim [22,28], la survie n’était pas améliorée par l’ajout respectif de MEC synthétique ou d’hydrogel d’alginate/AH. En revanche, Choi et al. augmentaient la survie de ces BM-MSC par le biais de sa MEC d’origine porcine [29].
Hu et al. ont comparé l’efficacité de l’injection d’ADSC prédifférenciées ou non en myofibroblates à l’injection de fibroblastes de CV [37]. Sur la morphologie des CV et la sécrétion de collagène, les ADSC donnaient de meilleures résultats que les fibroblastes qu’elles soient ou non prédifférenciées. Le résultat était en revanche meilleur si les ADSC étaient prédifférenciées pour la production d’élastine. Les trois préparations avaient des résultats similaires sur la production d’AH, de decorine et de fibronectine. Hiwatashi a comparé l’effet des ADSC et des BM-MSC [8]. Dans une première étude en 2014, les bénéfices étaient similaires pour le collagène, l’AH, le VEGF, les MMP 1 et 8 et le Procollagène de type I. Les ADSC augmentaient plus le Fibroblast Growth Factor (FGF), l’HGF et la Hyaluronan Synthase (reflet de la production d’AH). Les BM-MSC augmentaient plus le Procollagène de type III. Aucune CSM ne survivait à 1 mois. La balance semblait donc pencher en faveur des ADSC. Dans une seconde étude en 2015, les CSM étaient associées à une éponge d’atélocollagène. Les bénéfices étaient comparables quant aux analyses visco-élastiques mais l’amélioration des propriétés de la MEC était supérieure avec les ADSC.
Ces articles ont montré un effet bénéfique des CSM sur la cicatrisation des CV par différents mécanismes d’action. Leur obtention nécessite toutefois une étape de culture, complexe à mettre en oeuvre. La FVS possède des propriétés qui pourraient permettre d’améliorer encore ces résultats tout en offrant une logistique plus simple.

Caractéristiques et valeur ajoutée de la fraction vasculaire stromale

L’injection de tissu adipeux autologue est pratiquée depuis longtemps en chirurgie réparatrice selon la technique de Coleman pour favoriser la revascularisation des greffes et la reconstruction des tissus mous, sans risque de rejet. La graisse permet un effet volumateur mais aussi un effet trophique, par l’action des adipocytes matures mais surtout celle de cellules souches et de cellules progénitrices présentes dans la FVS.
En pratique, après une lipoaspiration, le tissu graisseux est lavé puis traité avec une enzyme (collagénase) afin de séparer les adipocytes et la FVS (manuellement ou à l’aide d’automates). Cette dernière est alors récupérée par centrifugation. Parfois appelées ADRC pour Adipose Derived Regenerative Cells, il s’agit d’une population hétérogène de cellules composée de CSM, fibroblastes, leucocytes, progéniteurs et cellules endothéliales, péricytes (Tableau 3, Fig. 1). L’IFATS (International Federation of Adipose Therapeutics and Science) et l’ISCT (International Society for Cellular Therapy) ont élaboré des recommandations permettant une caractérisation précise des différents éléments de la FVS [38]. Les CSM peuvent être isolées et mises en culture avant l’ajout éventuel de facteurs spécifiques pour favoriser une voie de différenciation. La FVS constitue également une option thérapeutique en devenir, pouvant être injectée sans étape de mise en culture.

Abréviations

ADSC (Adipose-Derived Stem Cells) : cellules souches mésenchymateuses d’origine adipeuse. CFU-F (Colony Forming Unit-Fibroblastic) : test étudiant le pouvoir clonogénique de différentes cellules. Chaque colonie cellulaire formée dérive d’une seule cellule initiatrice appelée CFU-F. CSM (Cellules Souches / Stromales Mésenchymateuses) : cellules pluripotentes capables de générer différents tissus du mésoderme.
DAB (Débit d’Air Buccal) : mesure par un pneumotachographe du débit d’air moyen lors d’une phonation soutenue pendant une durée confortable, à hauteur et intensité habituelles et suivant une inspiration standard (cm3 / seconde).
FVS (Fraction Vasculaire Stromale) : après liposuccion, le tissu adipeux est lavé et digéré avec une enzyme, la collagénase, pour séparer les adipocytes de la FVS, manuellement ou à l’aide d’automates. Cette fraction aqueuse correspond à une population hétérogène de cellules comprenant des ADSC, des fibroblastes, des leucocytes, des cellules et progéniteurs endothéliaux et des péricytes.
MedDRA: Medical Dictionary for Regulatory Activities.
PSG (Pression Sous-Glottique estimée au seuil phonatoire) : pression sous-glottique minimale nécessaire pour initier et maintenir la vibration des cordes vocales (hectopascals).
TMP (Temps Maximum de Phonation) : consiste en la réalisation d’une voyelle /a:/ tenue le plus longtemps possible, après une inspiration maximale et à une hauteur et une intensité confortable et spontanée (secondes).
VHI (Voice Handicap Index) : questionnaire d’auto-évaluation utilisé pour évaluer le ressenti du patient quant à l’impact de sa dysphonie sur ces activités quotidiennes.

Introduction

La microstructure des cordes vocales est complexe [1,2], notamment du fait de son organisation feuilletée. Les proportions et l’organisation des différents composants de la matrice extracellulaire dans chaque couche déterminent en grande partie les propriétés mécaniques des cordes vocales. Après une intervention de phonochirurgie, on observe parfois des cordes vocales cicatricielles dues à la disparition partielle de la lamina propria (sous-muqueuse), la couche superficielle et / ou intermédiaire étant remplacée(s) par du tissu fibreux. Le découplage mécanique de l’épithélium et du muscle n’est plus possible et la vibration des cordes vocales est altérée. Cela s’accompagne souvent d’une perte de volume à l’origine d’une insuffisance glottique. Un tissu cicatriciel peut également être retrouvé sans étiologie iatrogène, d’origine congénitale (sulcus) ou plus souvent acquise via un mécanisme similaire à celui des vergetures cutanées ou à la suite de traumatismes ou de phénomènes inflammatoires chroniques.
L’impact vocal de telles cicatrices peut être handicapant, en particulier pour les professionnels de la communication. Ces patients présentent généralement une dysphonie ancienne, une perte de contrôle vocal, une fatigue vocale, une voix soufflée, souvent trop aiguë et instable.
Les options thérapeutiques actuelles sont limitées, en grande partie du fait de la complexité de la micro-structure des cordes vocales [1]. Dans les cas où le problème prédominant est l’insuffisance glottique, les procédures de médialisation se sont révélées efficaces [1,3]. Lorsque la rigidité est la caractéristique principale, d’autres techniques ont déjà été décrites (résection de cicatrice, microlambeau [4], acide hyaluronique [5,6]…) mais sont souvent décevantes, surtout à long terme [7–9], et peuvent parfois aggraver la situation en conduisant à des cicatrices supplémentaires. Ainsi, l’identification de stratégies innovantes susceptibles d’améliorer les propriétés mécaniques vibratoires des cordes vocales reste un défi clinique important [1,3].
La fraction vasculaire stromale (FVS) autologue d’origine adipeuse correspond à une population hétérogène de cellules comprenant des cellules souches / stromales mésenchymateuses (CSM), des fibroblastes, des leucocytes, des cellules et progéniteurs endothéliaux et des péricytes [10]. Elle est de plus en plus reconnue comme une source facilement accessible de cellules présentant des propriétés angiogéniques, anti-inflammatoires, immunomodulatrices et régénératrices [11]. Des études pré-cliniques et cliniques récentes ont également confirmé le potentiel antifibrotique de la FVS, principalement attribué aux CSM.
Plusieurs études pré-cliniques ont montré que les cellules souches dérivées du tissu adipeux (Adipose-Derived Stem Cells, ADSC) pouvaient avoir un impact sur les processus physiopathologiques sous-jacents à la formation des cicatrices des cordes vocales. La co-culture d’ADSC avec des fibroblastes issus de tissu cicatriciel entraînait une diminution de leur prolifération, une expression réduite de l’α-Smooth Muscle Actin (marqueur de la différenciation en myofibroblastes) et la production d’une matrice extracellulaire avec moins de collagène et plus d’acide hyaluronique [12,13]. Des études in vivo portant sur des cordes vocales cicatricielles (après création d’une cicatrice par laser, électro-cautérisation ou instruments froids) dans lesquelles étaient injectées des ADSC immédiatement après blessure ou après un intervalle plus long (de 4 jours à 18 mois) ont montré des améliorations significatives lors du suivi allant de 2 à 12 mois [14], à la fois sur les aspects macroscopiques et histologiques des cordes vocales [15-24] et sur leurs propriétés viscoélastiques [16,18,22,25].
Notre hypothèse est que l’utilisation de la FVS dans sa totalité pourrait avoir des avantages importants par rapport aux ADSC seules. En effet, celle-ci pourrait permettre d’optimiser le processus de guérison en combinant les propriétés complémentaires de ses différents composants : réparation / régénération des tissus, immunomodulation et action anti-inflammatoire et pro-angiogénique. En termes de logistique, la fabrication de la FVS est plus simple et évite la nécessité d’une étape de culture cellulaire. De plus, l’innocuité et l’efficacité des cellules de la FVS ont déjà été examinées dans diverses pathologies, notamment celles comportant des composantes vasculaires ou immunitaires telles que la cicatrisation des brûlures [26], l’ischémie des membres inférieurs [27], l’infarctus du myocarde [28], la maladie du greffon contre l’hôte [29], la sclérodermie systémique [30].
Cependant, l’extrapolation aux cordes vocales des bénéfices déjà prouvés de la FVS doit être prudente car les acteurs du processus de cicatrisation (fibroblastes, composants de la matrice extracellulaire, facteurs de croissance etc.) y diffèrent de ceux de la peau ou de la muqueuse buccale [31]. Néanmoins, les résultats observés chez le premier patient traité [32] nous ont encouragés à inclure et suivre un plus grand nombre de patients.
Le but de cette étude était d’évaluer la faisabilité et la sécurité des injections locales de FVS autologue d’origine adipeuse, et de fournir une évaluation préliminaire de son efficacité en tant que stratégie thérapeutique innovante pour les patients présentant des cordes vocales cicatricielles.

Méthodes

Conception de l’étude et critères d’éligibilité

Il s’agissait d’une étude de phase I, prospective, ouverte, non-contrôlée, monocentrique, visant à évaluer la faisabilité et la sécurité de la FVS autologue d’origine adipeuse injectée localement dans des cordes vocales cicatricielles (ClinicalTrials.gov, numéro NCT02622464). Huit patients présentant des cordes vocales cicatricielles ont été inclus entre avril 2016 et juin 2017 (Figure 1). Quatre de ces patients avaient déjà été pris en charge chirurgicalement pour ces cordes vocales cicatricielles, sans amélioration notable (résection de cicatrice (n = 4) et injection de corticostéroïdes (n = 1)). L’étude a été approuvée par l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé (ANSM) et par un comité d’éthique (CPP Sud Méditerranée V, 21.04.2015). Elle a été menée conformément à la déclaration d’Helsinki. Tous les patients ont donné leur consentement éclairé écrit pour participer à l’essai et pour la publication des détails de leur cas (comme indiqué dans le formulaire de consentement PLOS). Un comité de surveillance a examiné et évalué les données d’étude accumulées concernant la sécurité, la conduite de l’étude et le suivi des participants.

Lipoaspiration et Préparation de la Fraction Vasculaire Stromale

La lipoaspiration était réalisée sous sédation consciente avec anesthésie locale. Elle était réalisée avec une seringue de 10 ml en circuit fermé, à l’aide d’une canule Khouri de 3 mm et d’un sac de prélèvement de 500 ml. Au moins 100 ml de tissu adipeux étaient recueillis puis immédiatement transportés dans l’unité de thérapie cellulaire agréée et transférés dans le système Celution 800/CRS (Cytori Therapeutics Inc., San Diego, Californie, États-Unis). Le tissu adipeux recueilli était alors lavé et digéré par une enzyme, la collagénase, pour obtenir la FVS conformément à la réglementation européenne et aux bonnes pratiques de fabrication (Good Manufacturing Practices, GMP) des «médicaments de thérapie innovante». Les cellules étaient concentrées, lavées, récupérées de manière aseptique et remises en suspension dans 5 ml de solution de Ringer Lactate à l’aide de réactifs de qualité GMP. Au moins un millilitre était prélevé pour injection (en fonction du nombre de cordes vocales à traiter) et les cellules restantes étaient utilisées pour les tests de stérilité et de caractérisation biologique. Le compte du total des cellules nucléées viables et la viabilité cellulaire étaient déterminées en utilisant l’appareil Nucleocounter NC100 (ChemoMetec, Danemark). Les sous-populations cellulaires au sein de la FVS étaient identifiées par une analyse en cytométrie de flux (appareil Beckman Navios) conformément aux directives de l’International Federation of Adipose Therapeutics and Science (IFATS) et de l’International Society for Cellular Therapy (ISCT) [33]. Un panel de marqueurs incluant NucBlue comme marqueur de viabilité et des anticorps associés à un fluorochrome dirigés contre des antigènes de surface cellulaire était utilisé : CD14-FITC, CD90-FITC, CD146-PE, CD34-ECD, CD45-PC5. Des anticorps de contrôle isotypiques étaient utilisés pour déterminer la fluorescence non spécifique. Les débris, les globules rouges et les cellules mortes ont été exclus de l’analyse. La fréquence des ADSC était estimée à l’aide du test clonogénique de formation de colonies fibroblastiques (CFU-F).
Au cours de la préparation de la FVS (4 heures), les patients étaient réveillés et transportés vers la salle de réveil.

Protocole thérapeutique

La deuxième étape chirurgicale consistait en l’injection de FVS, sous anesthésie générale (laryngoscopie directe en suspension). La suspension de FVS était injectée à l’aide d’une aiguille 14 G dans le tiers antérieur et / ou moyen d’une ou des deux cordes vocales cicatricielles. Le tissu fibreux n’était pas réséqué afin d’éviter l’augmentation de l’atrophie cordale. Toutes les injections de FVS ont été effectuées par un seul laryngologiste.
Les patients étaient autorisés à sortir de l’hôpital le soir même (chirurgie ambulatoire) ou le lendemain, avec une prescription de paracétamol 1 g 4 fois par jour pendant 7 jours en cas de douleurs et d’amoxicilline – acide clavulanique 1 g 3 fois par jour pendant 2 jours (après vérification de l’absence d’allergie). Une rééducation orthophonique postopératoire standard était prescrite après la chirurgie.

Évaluation clinique

Les critères premiers de faisabilité et de sécurité étaient les suivants: i) au cours de la chirurgie, la faisabilité d’une injection sous-épithéliale sans rupture épithéliale; ii) après l’injection, évaluation des effets indésirables potentiels au jour 7 (± 4 jours) et aux mois 1 (± 7 jours), 6 (± 30 jours) et 12 (± 30 jours), conformément au dictionnaire médical MedDRA (MedDRA version 21.0). Les critères d’évaluation secondaire correspondaient à l’évaluation de l’efficacité à 1, 6 et 12 mois (à l’exception du SF36 évalué à 6 et 12 mois seulement).
Le bilan vocal comprenait : 1) l’auto-évaluation de la dysphonie à l’aide du Voice Handicap Index (VHI) ; 2) l’auto-évaluation de la qualité de vie à l’aide du score SF-36 (Short Form Health Survey en 36 items) ; 3) la vidéolaryngostroboscopie permettant d’évaluer la fermeture, la régularité et la vibration des cordes vocales (onde muqueuse) [34] ; 4) l’analyse perceptive avec l’échelle GRB simplifiée dérivée de l’échelle GRBAS proposée par Hirano [35] (G pour globale, R pour raucité, B pour « breathiness » soit « soufflée » en français) ; 5) l’analyse acoustique comprenant le rapport signal sur bruit (quantifie la partie apériodique du signal vocal : plus il est élevé, meilleure est la qualité) et l’étendue vocale (différence entre la fréquence maximale et la fréquence minimale) ; 6) l’analyse aérodynamique comprenant le Temps Maximum de Phonation (TMP) et le Débit d’Air Buccal (DAB) qui permettent de quantifier la fuite d’air glottique (si la fuite est importante, le TMP est court et le DAB élevé), ainsi que la Pression Sous-Glottique estimée (PSG) au seuil phonatoire (pression sous-glottique minimale nécessaire pour déclencher et maintenir la vibration des cordes vocales) [34].
Le Voice Handicap Index (VHI) est composé de 3 parties (E = sous-échelle émotionnelle, F = sous-échelle fonctionnelle, P = sous-échelle physique), un score faible indiquant la perception d’une voix de bonne qualité. Les patients étaient considérés comme répondeurs après injection s’ils obtenaient la différence minimale cliniquement pertinente (Minimal Clinically Important Difference, MCID) définie par Jacobson comme une modification du score VHI total d’au moins 18 points [36].
Le SF36 est une échelle générique de qualité de vie composée de 36 items décrivant huit dimensions (fonctionnement physique, limitations liées aux problèmes physiques, limitations liées aux problèmes émotionnels, vitalité, bien-être émotionnel, fonctionnement sociale, douleur physique et état général de santé perçu) [37] ; et deux scores synthétiques : un score physique (Physical Component Score, PCS) et un score mental (Mental Component Score, MCS) [38]. Chaque dimension varie de 0 à 100 : plus le score est élevé, meilleur est l’état de santé perçu. Tous les enregistrements vidéolaryngoscopiques avant injection et à 12 mois de suivi ont été analysés par le même laryngologiste expérimenté, dans un ordre aléatoire et à l’aveugle. Pour l’analyse perceptive, tous les enregistrements vocaux avant injection puis à 6 et 12 mois de suivi ont été évalués par un jury composé de 3 orthophonistes expérimentées, dans un ordre aléatoire et également à l’aveugle.

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Table des matières

I. Revue de la littérature – Thérapie Cellulaire et Cordes Vocales cicatricielles (Article 1)
A. Auteurs et affiliations
B. Résumé
C. Mots clés
D. Introduction
E. Discussion
1) Les cellules souches mésenchymateuses : une option de choix dans le traitement des cordes vocales cicatricielles
2) Caractéristiques et valeur ajoutée de la fraction vasculaire stromale
F. Conclusion
G. Références
II. Résultats de l’essai clinique CELLCORDES – Première injection chez l’homme de fraction vasculaire stromale autologue d’origine adipeuse dans des cordes vocales cicatricielles : essai clinique prospectif ouvert de phase I (Article 2)
A. Auteurs et affiliations
B. Résumé
C. Abréviations
D. Introduction
E. Méthodes
1) Conception de l’étude et critères d’éligibilité
2) Lipoaspiration et Préparation de la Fraction Vasculaire Stromale
3) Protocole thérapeutique
4) Évaluation clinique
5) Analyses statistiques
F. Résultats
1) Caractéristiques des patients et de la FVS
2) Sécurité et tolérance de l’injection autologue de FVS
3) Efficacité de l’injection autologue de FVS d’origine adipeuse
G. Discussion
H. Remerciements
I. Références
J. Données supplémentaires
III. Cas clinique détaillé d’une patiente incluse dans l’essai CELLCORDES – Fraction vasculaire stromale d’origine adipeuse et cordes vocales cicatricielles : premier cas clinique (Article 3)
A. Auteurs et affiliations
B. Résumé
C. Mots clés
D. Liste des abréviations
E. Introduction
F. Matériels et méthodes
1) Patiente
2) Protocole chirurgical
3) Evaluation
G. Résultats
H. Discussion
I. Données supplémentaires
J. Autres informations
K. Références
IV. Conclusions et perspectives
A. Essai clinique CELLCORDES 2
B. Projet Amadeus
C. Quelles perspectives pour l’avenir ?
D. Références

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