L’étiage des bourses communales (1831-1874)

Un budget significatif mais limité

Précisions liminaires

Plus encore que le nombre d’élèves, les sommes à consacrer aux bourses furent un sujet de préoccupation pour la Ville de Nantes. Si les difficultés à remplir les bourses obligatoires a soucié les responsables nantais à certaines périodes, c’est bien la crainte de payer pour rien qui était en jeu ! A contrario, un trop plein de demandes signifiait soit un risque de dépassement budgétaire, soit la déception de ne pouvoir satisfaire toutes les requêtes « dignes d’intérêt ». Les sommes consacrées à cet objet, ainsi que leur évolution sont un élément essentiel de l’histoire des bourses communales à Nantes.
L’évolution des budgets a pu être évaluée à partir des dépenses inscrites au budget annuel de la commune. Cette source présente toutefois une limite de taille : il s’agit d’un budget proposé en début d’année, un budget prévisionnel. Dans ces présentations, un rappel des sommes effectivement dépensées l’année d’avant figure à côté de la somme votée pour l’année à suivre. Souvent ces sommes ne correspondent pas aux états des sommes dues établis par le lycée. Ceci s’explique : les sommes reportées sont celles dépensées l’année où est proposé le budget. Ainsi le budget proposé pour 1832 et voté fin 1831 mentionnera les sommes dépensées pour 1831 et non pour 1830. Or l’année n’est pas finie et toutes les sommes dues pour cette année seront souvent soldées l’année suivante Les budgets réalisés, appelés « compte de gestion du receveur municipal», validés par le préfet, sont produits l’année suivante et inscrits dans les délibérations du conseil, ils sont utiles pour connaître le budget global de la Ville, mais ils sont insuffisamment détaillés pour les dépenses qui nous intéressent. Les budgets réalisés définitifs ou « comptes administratifs » que les villes devaient établir et conserver, se trouvent pour la période 1830-1835 aux archives municipales de Nantes et classés dans la série L. Ils sont les plus fiables car ils sont réalisés deux ans après l’année considérée. Ces sources précieuses pour connaitre précisément les variations annuelles du budget des bourses sont complétées par un document qui récapitule tous les comptes stabilisés de la ville de 1790 à 1847. De telles données n’existent hélas pas après cette date. Les rapports de la commission des bourses, très détaillés à partir de la fin du siècle permettent de connaître les sommes consacrées au titre de l’aide à la scolarité dans tous les établissements où la Ville soutient des élèves tandis que les états nominatifs et des sommes dues au lycée, ainsi que des calculs de la commission des bourses, permettent de se faire une idée des tarifs du lycée, assez compliqués à reconstituer, et de mieux comprendre la répartition des bourses ou aides dans le détail. Enfin, l’inflation, galopante après 1914 doit être prise en compte. L’indicateur convertisseur de l’INSEE25 permet de convertir en francs constants (corrigés de l’inflation) les sommes allouées aux bourses communales. La fiabilité de cet outil paraît suffisante pour donner un ordre d’idées. Une comparaison des prix de pension et de scolarité pratiqués entre les deux périodes grâce aux états nominatifs des boursiers de la ville présente l’avantage de permettre des calculs à partir de sources primaires.

Le budget des bourses communales : ordres de grandeur

Le budget des bourses communales dans l’ensemble montre une stabilité assez remarquable sur 125 ans. Il évolue dans une fourchette de 1 à 4 environ : 6 337,50 F en 1834 contre 26 131 F en 1931, et connaît de longues périodes de stabilité. Bien sûr l’absence d’inflation notoire sur plus d’un siècle explique ou tout du moins facilite cet état de fait. Pour preuve : les plus fortes augmentations nominales interviennent après 1914. L’autre facteur d’explication est le caractère entièrement ou partiellement contraint de ce poste de dépenses que la Ville ne peut modifier à sa guise. Il faut rappeler néanmoins que Nantes aurait pu comme d’autres villes fonder de nouvelles bourses bien avant 1874 et enclencher une hausse de son budget bien plus tôt.

Une mise en place sous contrainte : 1808-1830

Au moment de sa mise en place en 1808, l’institution des bourses communales est une nouveauté totale pour la ville de Nantes, et une nouveauté contrainte. Si les protestations au départ restent modérées, cela ne signifie pas que la municipalité adhère pleinement à ce prélèvement forcé.

Des débuts difficiles

Le décret de 1808 globalement accepté à Nantes

Le décret du 10 mai 1808 fonde les bourses communales (cf annexe 1). Il s’agit de mettre à la charge des communes une partie des bourses que l’Etat avait prévu d’entretenir dans les différents lycées déjà en place. Ce décret est signé par l’Empereur lui-même, sans qu’il ait été possible de retrouver trace de travaux préparatoires ou même de discussions préalables à son propos, comme s’il avait été pris dans l’urgence et sans concertation particulière. Un examen aux Archives nationales permettrait peut-être d’en savoir plus sur la genèse de ce texte.
Ce que l’on sait mieux, c’est la façon dont fut accueilli le nouveau règlement à Nantes. La mesure ne suscite pas de protestation immédiate. En effet, la première récrimination intervient seulement le 25 octobre 1811, lors des discussions autour du budget de 1812 : les conseillers municipaux se plaignent alors de devoir payer les bourses sans être informés des nominations et qu’une demande faite à ce sujet auprès du ministre de l’Intérieur n’a jamais reçu de réponse. On le voit, les plaintes portent plus sur un manque d’égards et d’information de la part de l’administration de tutelle que sur l’obligation de payer ces bourses. Ce silence administratif est d’ailleurs surprenant et… illégal. Le décret de 1808 prévoit que le préfet tienne informé le maire des nominations ayant lieu. La sourde oreille administrative ne se constate pas à Angers où l’on retrouve trace dans les délibérations municipales d’une lettre du préfet de Maine-et-Loire adressée au maire d’Angers et datée du 11 juin 1811, dans laquelle il informe ce dernier de la tenue d’un concours pour pourvoir à la vacance de cinq bourses communales au lycée.
Sous la première Restauration, le ton monte : le 10 août 1814, lors de l’examen des comptes de 1813, le maire suivi par le conseil municipal adresse une liste de plusieurs réclamations à Sa Majesté le Roi parmi lesquelles figure la « suppression de la contribution aux bourses communales puisque la Ville ne peut y faire concourir ses concitoyens »30. Ce sera la seule fois où la critique expresse de devoir payer pour des bourses auxquelles la Ville ne peut pas proposer elle-même ses candidats aura lieu avant les ordonnances de 1817 et 1819. En effet, l’année suivante, alors que Napoléon est revenu aux affaires pendant les Cent Jours, lors de la séance d’examen des comptes de l’année 1814 qui se déroule le 29 mai 1815, la question des bourses communales a disparu du chapitre des réclamations adressées au pouvoir. Les réformes de la Restauration qui donneront progressivement le droit aux villes de nommer les candidats à demi-bourse vont rendre caduque cette récrimination et aucune critique des bourses communales n’apparaitra désormais dans les délibérations municipales jusqu’en 1830.
Cette contestation limitée peut surprendre à Nantes. Bien sûr, les maires et conseillers municipaux sont à cette époque nommés directement par décret impérial ou royal, ce qui implique à priori une certaine docilité vis-à-vis du pouvoir en place. Ce qui se vérifie ici : la seule réclamation de taille portant sur le droit de nomination par la Ville a lieu au moment où l’Empereur n’est plus en place. Mais un changement des représentants communaux n’explique pas tout : les conseillers municipaux qui se plaignent en 1814 sont les mêmes que ceux qui ont gardé le silence sous l’Empire. Le maire qui porte la réclamation a été nommé l’année précédente par le pouvoir impérial. Il semble que l’équipe municipale ait attendu le changement de régime pour exprimer une doléance qu’elle souhaitait formuler auparavant. La disparition du sujet l’année suivante relève plus d’un changement de personnes : un nouveau maire est nommé en mai 1815 et le conseil municipal est partiellement renouvelé suite à des démissions liées au retour de l’Empereur.

Un lycée accueilli sans enthousiasme

Pourtant l’accueil du lycée par les élites nantaises et par ses responsables n’avait pas été particulièrement enthousiaste. Les débuts du lycée à Nantes ont été analysés par J. Guiffan dans l’ouvrage collectif paru en 200832. Dès le départ, la municipalité nantaise ne semble pas enthousiaste à l’idée d’accueillir le nouvel établissement. Ce sont les dépenses qui posent problème. On retrouve la concurrence séculaire avec Rennes, préférée par le Consulat pour y installer un lycée. Si le préfet de Loire-Inférieure fait son possible pour convaincre Chaptal, alors ministre de l’Intérieur, de choisir Nantes, la municipalité tarde à répondre quand Roederer, chargé de l’Instruction Publique et sensible aux arguments du préfet, demande des renseignements sur les possibilités concrètes d’accueillir l’établissement. Finalement, la municipalité chiffre à 100 000 F les frais nécessaires, mais ne s’engage pas à les mettre en oeuvre. De ce fait, Rennes est choisie au détriment de Nantes. Mais contre toute attente, un décret du Premier Consul daté du 1er vendémiaire an XII (24 septembre 1803) annonce la création d’un lycée à Nantes. S’ensuit une longue série de délais d’ouverture non tenus et c’est seulement le 1er avril 1808 que l’établissement ouvre ses portes.
Les difficultés d’installation des lycées sont largement évoquées par les historiens de l’éducation. Un certain nombre de communes rechignent à une dépense parfois conséquente (75 000 F à Bordeaux, 100 000 F à Nancy) imposée par l’Etat puisqu’en effet la loi du 11 floréal met à la charge des villes l’acquisition de bâtiments et de matériel pour les lycées ainsi que leur entretien. Du côté des familles, on retrouve un peu partout un manque de confiance ou d’intérêt de la part des familles aristocratiques, mais aussi bourgeoises vis-à-vis du lycée. Les pères de famille lui reprochent pêle-mêle le fait d’être mal organisé (manque de matériel, de professeurs, de personnel d’encadrement), de proposer une vie de caserne aux jeunes gens, de ne préparer qu’à des carrières militaires ou de fonctionnaires. La concurrence des institutions privées, laïques et religieuses, appelées écoles secondaires est redoutable. Elles ont pour elles l’avantage d’être anciennes pour beaucoup et d’avoir fait leurs preuves aux yeux des pères de famille.

Le contexte nantais

Ce contexte général prend une coloration particulière dans une cité comme Nantes. Il s’agit d’une ville importante : 77 000 habitants en 1811 qui présente deux caractéristiques principales. Son activité économique tout d’abord : Nantes est une grande ville portuaire (troisième port français et deuxième port atlantique français après Bordeaux) dont le trafic est essentiellement tourné vers les sucres et, intimement liée à ceux-ci, vers la traite négrière. L’industrialisation est encore faible à cette époque : principalement textile et sucrière. Sous l’Empire et la Restauration, le grand négoce constitue encore le sommet des élites nantaises, suivis de commerçants, négociants et industriels d’envergure plus modestes ainsi que de notables issus des capacités : avocats, médecins, hauts fonctionnaires, militaires. Politiquement, les idées libérales prévalent dans ces milieux. Cela contribue à la deuxième particularité de Nantes : être une enclave plutôt libérale, ouverte aux idées nouvelles, dans un des arrière-pays les plus conservateurs de France. Une ville cernée par la Vendée militaire au sud, par la Chouannerie au nord et à l’ouest, par le conservatisme catholique et légitimiste des campagnes de tous côtés. Si l’on y rajoute les préoccupations essentiellement locales des décideurs politiques nantais, bien plus soucieux de ce qu’ils considèrent comme les intérêts de leur ville que des grandes fièvres politiques nationales, l’on aura ébauché à grands traits le décor de la scène nantaise en ce début du XIXe siècle, dont bien des caractéristiques perdureront un siècle plus tard.
Dans un tel contexte, le régime napoléonien n’est pas forcément malvenu. Si les troubles révolutionnaires ruinent l’industrie de tissage local, et portent un coup sévère au commerce maritime, L’Empire semble être une période de récupération : le trafic maritime de 1812 retrouve presque le niveau atteint en 1792 avant les guerres vendéennes et les coalitions européennes. L’on peut même penser que le rétablissement de l’esclavage en 1802 arrange les affaires de certains négociants et la mise en place du blocus continental en 1806, en bloquant les marchandises anglaises, favorise à la fois le commerce des produits locaux en gommant la concurrence de nombreux produits anglais (houilles, métaux, tissus) meilleur marché et en obligeant l’industrie locale à se développer pour remplacer ces produits.
Politiquement, le retour à l’ordre est plutôt apprécié des élites et de la population après les désordres violents de la Révolution et la visite de Napoléon à Nantes le 9 août 1808 semble avoir laissé un bon souvenir aux Nantais. Il est pourtant douteux que le régime impérial ait fait l’unanimité. Les réclamations constatées en 1814, dès que l’Empereur est éloigné, révèlent des mécontentements jusque-là contenus. Le caractère autoritaire de celui-ci a dérangé une ville puissante, attachée à ses prérogatives municipales, et les dernières années du régime, marquées par les guerres, les revers militaires et les déficits publics ont accru pour les villes une pression fiscale par nature impopulaire.
Le lycée dans une certaine mesure incarne les travers du régime. Il est imposé de l’extérieur, et occasionne des dépenses contraintes et imprévues. Il apparaît bien rude et spartiate aux bonnes familles nantaises, et déjà, l’éducation « classique » qu’il propose, est loin de répondre aux besoins des fils de négociants ou de commerçants. La réforme du plan d’études par le décret du 19 septembre 1809 n’arrange rien : le lycée propose un programme très axé sur les humanités classiques et restreint fortement la part des sciences et des matières « pratiques » enseignées au départ.

Une acceptation ambigüe

Pourtant son ouverture le 1er avril 1808 semble plutôt appréciée des notables, si l’on en croit les éloges publiés dans l’Annuaire de Nantes en 180740, publication para-officielle il est vrai. Cela se comprend : pendant presque cinq ans, après la fermeture de la dernière école centrale, la bourgeoisie nantaise doit se contenter de six écoles secondaires privées sur place. Elle est parfois contrainte d’envoyer ses rejetons dans les lycées de Rennes ou d’Angers, voire de Pontivy ou dans des écoles secondaires hors de la ville. Le lycée est finalement admis car il s’avère qu’il peut rendre service aux pères de famille pour au moins deux raisons. Il propose des « places » supplémentaires pour leurs fils. Et son offre éducative correspond aux attentes de certaines familles : demandes pour des carrières d’ingénieur, de hauts fonctionnaires, de médecins, de juristes… Pour ce genre d’ambitions, il représente d’emblée un établissement d’excellence malgré tous ses défauts, d’autant que sa fréquentation est obligatoire pour pouvoir se présenter au baccalauréat à partir du 15 novembre 1811, un sésame indispensable pour ceux qui souhaitent entrer dans les facultés de médecine ou de droit. Le lycée s’impose donc dès les premières années comme un acteur incontournable de l’enseignement secondaire à Nantes, du fait notamment des contraintes règlementaires qui en font un point de passage souvent obligé. Mais la plupart des familles de la ville vont le bouder durablement et les conseillers municipaux doivent « faire avec ». Plus ou moins convaincus de son utilité dans la cité, ces derniers se montrent toujours réticents, voire hostiles à toute dépense supplémentaire liée à l’établissement, estimant que cette charge doit incomber à l’Etat. Cette acceptation ambigüe pèsera à un moment sur le devenir des bourses communales.

Des effectifs stables et bien pourvus

Si l’offre éducative du lycée (devenu collège royal en 1815) ne fait pas l’unanimité, il apparaît que les effectifs de boursiers communaux ne souffrent pas à cette époque de cette désaffection partielle. Apprécier les effectifs de boursiers communaux suppose de distinguer les effectifs réglementaires, théoriques en quelque sorte, et les effectifs réalisés, à savoir le nombre de boursiers réellement présents au lycée. L’écart entre les deux nombres provient de vacances de bourses plus ou moins nombreuses et prolongées. Quand un élève boursier quitte le lycée et ce pour quelque raison que ce soit, sa bourse est déclarée vacante et elle fait l’objet d’un appel à candidature pour être pourvue. Lorsque les effectifs théoriques sont atteints, cela signifie qu’un nombre suffisant de candidats présentant le profil requis se sont présentés. A l’inverse, des chiffres divergents indiquent des difficultés de recrutement.
L’étude des effectifs commence par une difficulté. Dans les sources locales consultées, il n’a pas été possible de trouver trace des premières promotions de boursiers communaux. En effet, le premier état nominatif date de 1811 ou plus sûrement de 1812 : il n’est pas daté mais quelques recoupements simples permettent d’avancer cette date et sur cet état d’élèves figurent pour quelques-uns la mention « déjà élève communal », ce qui implique que la Ville payait pour ces jeunes gens au moins depuis l’année scolaire précédente, à savoir 1810-1811. Le Rapport au Roi sur l’instruction secondaire établi par Villemain en 184343 nous apprend que 34 boursiers communaux fréquentent le lycée en 1809, 31 en 1810 et 32 en 1811. De 1811 à 1820, 26 élèves sont boursiers de la Ville de Nantes au lycée et se répartissent comme suit : 8 à bourse entière, 10 à 3/4 de bourse et 8 demi-boursiers. Cependant l’établissement accueille à cette époque d’autres boursiers communaux, entretenus par d’autres villes. Le décret de 1808 prévoit que les villes de Saint-Brieuc, Dinan et Lannion entretiennent chacune un élève et la ville de Paris avait elle, 21 bourses à sa charge, soit 24 élèves en plus des 26 élèves nantais, ce qui donne un total de 50 boursiers44, effectif initialement prévu et correspondant au tiers des 150 élèves du gouvernement devant fréquenter chaque lycée45. Là encore, les sources locales ne permettent pas de savoir dans quelle mesure ces bourses ont été effectivement occupées, puisque les états nominatifs ne concernent que les boursiers pour lesquels la ville de Nantes paye. Le rapport de Villemain fournit ces éléments : les effectifs oscillent entre 30 et 32 élèves jusqu’en 1822. On est loin des 50 élèves. Les défections proviennent essentiellement des bourses parisiennes.
A partir de 1821, la répartition change légèrement : le collège royal compte désormais 27 boursiers communaux dont 8 à bourse entière, 8 à 3/4 de bourse au lieu de 10 et 11 à demi-bourse au lieu de 8. La ville de Nantes travaille à cette époque à mettre en oeuvre la nouvelle répartition des boursiers communaux décidée par l’ordonnance royale du 25 décembre 1819. Ce texte prévoit désormais pour la cité nantaise l’entretien de 5 élèves à bourse entière, 8 élèves à 3/4 de bourse, et 17 élèves demi-boursiers. D’autre part, l’entretien d’élèves au lycée par d’autres villes n’est plus d’actualité. Les modifications doivent s’appliquer au fur et à mesure des vacances de bourses puisque ces allocations sont valables pour toute la scolarité des élèves. On a donc pour les années suivantes affaire à des effectifs de transition. Le chiffre de 26 élèves est atteint en 1824. A cette date, tous les boursiers communaux sont des élèves entretenus par Nantes.
Toutefois, cette nouvelle répartition n’ira pas à son terme. Le 22 septembre 1821, une délibération du conseil municipal demande de revenir à l’ancienne répartition, en raison d’un nombre de demandes insuffisantes. Cette demande est validée par un décret royal daté du 13 novembre 1822, acté par l’assemblée municipale le 27 janvier suivant. Il est difficile d’être certain des effectifs annuels en l’absence d’états nominatifs durant une période de dix ans. On apprend toutefois dans l’ouvrage consacré au bicentenaire du lycée que celui-ci compte 25 boursiers communaux dans ses murs, et aucun document conservé ne donne à penser à des difficultés particulières de recrutement à cette époque, ce qui peut laisser augurer d’effectifs plutôt stables et bien remplis.
Ces caractéristiques peuvent s’appliquer à l’ensemble de la période. A Nantes, l’opportunité de suivre des études secondaires à moindre frais au lycée rencontre un public suffisant pour assurer les objectifs du gouvernement. Deux éléments permettent de l’affirmer. Sur les vingt années étudiées, les effectifs à la charge de la cité nantaise ne sont quasiment jamais en défaut, ce qui est loin d’être le cas dans d’autres villes. Ainsi à Montpellier, cinq boursiers communaux manquent à l’appel en 181152 et à Pontivy, ce sont 19 élèves communaux (pris en charge par la ville de Paris) qui manquent à l’appel la même année53. L’on remarque aussi que pendant la période impériale et les toutes premières années de la Restauration, sur 42 boursiers communaux identifiés, 29 sont nés à Nantes, ce qui semble indiquer un réel intérêt local pour cette offre, puisque seule l’obligation de résider à Nantes était exigée par les règlements universitaires. Il est d’ailleurs à noter que le contexte politique agité pendant la transition de 1814-1815, dont les perturbations se font sentir par moment dans l’établissement, n’a pas d’incidence sur le recrutement des boursiers de la Ville.
Cependant, ce vivier de candidats trouve ses limites: il est plus facile de trouver des élèves à bourse entière ou à 3/4 de bourse que des demi-boursiers ! C’est le sens de la demande des édiles nantais de revenir à la répartition d’avant 1819. De semblables difficultés sont signalées à Orthez en 1824 : aucun père de famille n’a voulu profiter d’une demi-bourse payée par la commune au collège de Pau. La question du « coût des études » semble bien avoir son importance. Est-ce à dire que ce sont plutôt des familles qui ne sont pas assez aisées pour assumer la moitié des frais d’une année au lycée, ou encore des familles plus aisées mais attirées par un effet d’aubaine qui se portent candidates aux aides de la Ville ? Impossible de répondre à ce stade, mais ce constat amène à nuancer l’idée de la pleine réussite des bourses communales.

Un budget contraint et stable

La stabilité budgétaire confirme celle des effectifs. La somme de 12 675 F apparaît au budget communal de 1809. Un examen du registre des dépenses et recettes de la ville de Nantes permet de constater qu’un montant de 6337,50 F a été inscrit rétrospectivement au budget de 180855. Ce constat permet d’éclaircir un point obscur du décret de 180856 : à savoir le point de départ du paiement des bourses communales. La somme correspond au paiement pour une moitié d’année, ce qui signifie un paiement à compter du 1er juillet. Nantes ne fera pas appel à l’avance de la caisse d’amortissement proposée par l’article 5 dudit décret pour les villes en mal de trésorerie, ce qui donne à penser que la commune a pu supporter cette charge sans difficultés particulières. Pour autant, la municipalité ne s’acquitte pas de son dû avec régularité. L’inspecteur d’académie, alors chargé de la direction du lycée, dans une lettre datée du 30 mars 1814, se plaint d’un retard de versement du montant des bourses.
La somme représente un peu moins de de 1,5 % des dépenses de la ville à cette date. Et l’essentiel des dépenses consacrées à l’instruction publique. L’on peut même dire que cette dépense forcée inaugure en quelque sorte les investissements de la Ville consacrés à l’éducation, si l’on excepte l’école de dessin que la municipalité entretient depuis 1810. En effet sont portés dans la partie des dépenses consacrées à l’instruction publique des articles extra-scolaires tels que la bibliothèque, qui ressortiraient aujourd’hui des budgets culturels. De ce fait les bourses communales absorbent plus des deux tiers des dépenses du secteur. A titre de comparaison, Lyon doit entretenir pour 47 275 F de bourses au lycée, ce qui représente environ 1/3 de ses dépenses ordinaires au titre de l’instruction publique et tout juste 1,7 % de ses dépenses globales. La ville de Rennes, elle, se voit chargée d’une contribution de 5 200 F au titre des bourses au lycée, soit plus de 2 % de son budget global et environ 18 % des dépenses pour l’instruction publique.
Cet ordre de grandeur, situe une dépense qui sans être considérable, n’est pas négligeable. Pour mémoire et comparaison n’est pas raison mais tout de même : il est bon de se rappeler les discussions à l’Assemblée nationale en 1981 quand il s’agissait de consacrer 1 % du budget de l’Etat à la Culture. Et encore les parlementaires étaient décisionnaires, ce qui ne fut pas le cas pour les villes à l’époque. Certes, ce poids va diminuer mais il représente encore plus du centième des dépenses de la ville de Nantes en 1830 et encore plus de 40 % des dépenses consacrées à l’instruction publique.
Jusqu’en 1830, la somme de ce budget très réglementé reste inchangée. Les deux modifications survenues dans les attributions des bourses décidées l’une à la suite de l’ordonnance du 25 décembre 1819, l’autre par une délibération du conseil municipal en 1821 (supra) n’affectent que les effectifs : ces opérations se font à budget constant.
Une relative acceptation des bourses communales au lycée ressort donc pour ces vingt premières années. Force est d’ailleurs de constater que les deniers de la Ville ne sont pas perdus : les bourses vacantes sont vite pourvues, que les élèves soient nommés par l’Etat (avant 1817) ou par la commune. Ces éléments plutôt favorables aux bourses du lycée sont peut-être à rapprocher d’une offre locale d’éducation secondaire très peu étoffée : il n’existe à Nantes aucun établissement d’enseignement professionnel comme il en existe à Lyon depuis l’Ancien Régime ou même à Angers avec l’école des Arts et Métiers depuis 1815. Cette absence est bien sûr liée à une politique de l’enseignement à Nantes quasi inexistante avant 183062. Dans un tel contexte, l’opportunité pour des parents d’envoyer leur fils à moindre coût suivre des études secondaires est évidente. Et l’on voit mal pourquoi les conseillers municipaux contesteraient fortement une possibilité qu’ils ont de satisfaire des familles à moindre frais : les bourses communales coûtent moins cher que d’investir dans la construction d’écoles nouvelles. D’ailleurs, il est à noter que la Ville confirme le maintien de ses bourses au collège royal par la délibération du 28 octobre 1818, lors de la consultation lancée par les autorités de tutelle. L’arrivée aux affaires municipales d’hommes nouveaux aux idées éducatives plus précises va modifier la donne.

L’étiage des bourses communales (1831-1874)

Cette période qui s’ouvre sur la crise la plus grave de l’histoire des bourses communales au collège royal de Nantes connaît ensuite quatre décennies de quasi-statu quo pendant lesquelles la commune fournit en quelque sorte le service minimum en termes d’effectifs et de budget. Tout commence quelques mois après la révolution de juillet.

La crise de 1830 : la fin des bourses communales ?

Un an d’incertitudes

Pendant plus d’un an, la pérennité des bourses au collège royal est incertaine. Le 17 décembre 1830, lors des délibérations relatives à la proposition de budget pour 1831, le conseil municipal décide la suppression des bourses communales payées au collège royal par extinction progressive de celles en cours. Une première suggestion émanant du rapporteur au budget était de ramener progressivement la somme en question à 6 500 F, mais l’ensemble du conseil va outrepasser cet avis. La mise en pratique de ce vote ne se fait guère attendre : le 14 janvier suivant, l’assemblée refuse de nommer à une bourse devenue vacante. Les autorités tutélaires déplorent une telle décision et vont tenter de persuader les représentants de la Ville de revenir à la raison. Le 11 avril, un conseiller expose le contenu de trois lettres émanant du ministre de l’Instruction publique, du recteur d’académie et du préfet de Loire Inférieure déplorant le tort fait à des familles malheureuses ou recommandables ainsi qu’aux finances du collège royal. Malgré semble-t-il l’insistance personnelle du maire allant dans le même sens, le conseil campe sur ses positions.

Les arguments avancés

Pour justifier cette décision somme toute brutale, les arguments exposés lors des délibérations municipales sont au nombre de quatre, d’inégale importance aux yeux des conseillers. Au début de la crise, sont évoquées des raisons financières : la situation de la ville ne permet pas de dépenses superflues. Pour corroborer cette assertion, les conseillers se mettent d’accord pour dire que de toutes façons les bourses sont distribuées à des gens qui n’en ont pas besoin. Suite aux remarques de l’administration universitaire, les conseillers invoqueront également le fait que ne pas payer les bourses au collège royal ne peut nuire à sa santé financière. Mais l’argument le plus constant est que l’argent des bourses communales doit être employé au développement de l’instruction primaire, ce qui au passage parait contredire dans une certaine mesure l’argument budgétaire.
Dans cette décision, les raisons financières, si elles sont loin d’être déterminantes, jouent en effet leur rôle. Le 20 octobre 1830, la commission des finances rend un rapport assez alarmiste sur l’état des finances de la Ville. Apparemment, les administrations précédentes ont endetté considérablement la Ville en dix ans : le chiffre de 2 257 977 F est avancé, ce qui est considérable : cela représente deux fois le budget annuel de Nantes. Plus récemment, les mesures prises par le nouveau régime visant à l’allègement des taxes sur les boissons grèvent les recettes de l’octroi et ont engendré un manque à gagner estimé à 100 000 F depuis le mois de juillet72. La proposition de supprimer les bourses payées au collège royal intervient moins de deux mois après. Un des arguments retranscrit est éloquent « Quand on est aussi pauvre que nous le sommes, il faut se garder d’être prodigues ». D’autres économies sont proposées : suppression du poste de chirurgien en chef de l’hospice, réduction du personnel pour les recettes des hospices et de l’octroi, ou encore diminution des sommes allouées à la bibliothèque. Et des dépenses d’entretien demandées à la Ville par le proviseur du collège royal sont repoussées et renvoyées à la responsabilité de l’Université.
D’autres raisons sont avancées. Le conseiller Billault qui porte cette proposition évoque une distribution des bourses « qui ne profite pas ou trop rarement à ceux qui en ont vraiment besoin ». Le bien-fondé de cet argument sera examiné plus loin. D’ores et déjà, la mauvaise foi apparente des conseillers ne fait pas de doute. La nomination des candidats aux bourses communales est bien de leur ressort et il ne tiendrait qu’à l’assemblée municipale de travailler à des nominations plus « justes ».
Cependant, il semble bien que pour beaucoup de conseillers, ce soit la destination même de ces bourses qui soit inappropriée : à savoir le collège royal. Les arguments de Billault prennent alors tout leur sens. Distribuer des bourses pour aider à la scolarité de quelques élèves au collège royal, qui du fait même qu’ils suivent les cours de cet établissement, ne sont pas ceux dont les familles sont les plus nécessiteuses, est une injustice et à tout le moins un gaspillage d’argent public vis-à-vis « de la classe pauvre qui cependant contribue pour sa part aux dépenses communes ». S’ensuit la remarque qu’il existe une bien meilleure façon d’utiliser les fonds de la commune : développer l’instruction primaire.

Un début de politique scolaire ?

Voici l’argument le plus significatif. Il est d’ailleurs réitéré à chaque refus du conseil municipal lors des négociations avec les autorités universitaires et l’idée de consacrer la moitié de la somme économisée sur les bourses du collège royal au développement de l’instruction élémentaire reste d’actualité lors de l’accord du 12 mars 183275. Il apparaît que la volonté d’économies n’est pas prédominante même si elle est réelle. Les responsables nantais précisent clairement leur position à ce propos le 3 juin 1831 : il s’agit bien d’un transfert de somme des bourses au collège royal vers l’instruction primaire car « l’état obéré des finances de la ville met le conseil dans l’impossibilité de créer de nouvelles charges76 ». Il s’agit donc de développer l’instruction primaire à budget constant.

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Table des matières

Introduction
Pour une étude des bourses communales
Première partie
Les bourses communales au lycée : 125 ans de politique communale
I) Préambule : méthodologie et ordres de grandeur 
A) Des effectifs modestes mais non négligeables
1) précisions liminaires
2) Les élèves de la Ville au lycée : une vue d’ensemble
B) Un budget significatif mais limité
1) Précisions liminaires
2) Le budget des bourses communales : ordres de grandeur
II) Une mise en place sous contrainte : 1808-1830 
A) Des débuts difficiles
1) Le décret de 1808 globalement accepté à Nantes
2) Un lycée accueilli sans enthousiasme
3) Le contexte nantais
4) Une acceptation ambigüe
B) Des effectifs stables et bien pourvus
C) Un budget contraint et stable
III) L’étiage des bourses communales (1831-1874)
A) La crise de 1830 : la fin des bourses communales ?
1) Un an d’incertitudes
2) Les arguments avancés
3) Un début de politique scolaire ?
4) Une crise nantaise ?
B) Les bourses communales à un seuil plancher
1) Un soutien garanti à minima : les évolutions budgétaires
2) Les effectifs au plus bas
III) Un essor sous contrôle 1874-1933 
A) Entre mutations et permanences : le lycée à Nantes
B) Le budget des bourses communales : un accroissement mesuré
1) Les débuts de la Troisième République (1874-1893) : entre innovations et reculs idéologiques
2) 1893-1933 : adaptabilité sous contrôle budgétaire
C) expansion et stagnation des effectifs
D) Une part très minoritaire des effectifs du lycée
Deuxième partie 
Devenir boursier communal : le recrutement
I) Les bourses communales au temps de Napoléon : des villes « agents payeurs » 
A) Aux origines des bourses communales
B) Le décret de 1808 : « une mauvaise manière faite aux villes »
C) Des recrutements centralisés : l’importance des relations
II) Une première autonomie des villes : 1817-1848 
A) Les villes reconsidérées par les ordonnances de 1817, 1819 et 1821
B) Des difficultés non réglées
C) Les crises des années 1830 : limites de la contrainte administrative
D) Des nominations à la faveur ? L’exemple nantais
1) Avant 1832, des nominations peu transparentes
2) Un effort de réglementation (1833-1837)
3) Un retour aux pratiques antérieures ?
III) La Seconde République et le Second Empire : un retour en arrière pour les villes ? 
A) Mettre fin aux abus
B) L’installation de nouvelles pratiques de recrutement
1) Une législation porteuse de modernité
2) A Nantes, une application plutôt réussie
IV) La Troisième République: un cadre réglementaire desserré
A) Une marge de manoeuvre accrue pour les villes
B) A Nantes, un recrutement personnalisé
1) Les familles méritantes et peu fortunées privilégiées
2) Des allocations personnalisées
C) Les familles face aux évolutions administratives
1) De la « supplique » à la lettre de demande : un changement des pratiques de demande
2) Un contrôle administratif accru
D) Epilogue
Troisième partie
Les boursiers de la Ville au lycée : une promotion scolaire pour les classes moyennes modestes 
I) Le corpus : précisions méthodologiques
A) Le corpus : saisie des données brutes
1) Replacer les élèves dans leur époque
2) Repérer les jalons dans le parcours scolaire
3) L’élève dans son milieu : origines et contextes familiaux
B) « Faire parler les données » : la saisie et les codages
1) Le codage des professions et des statuts sociaux
2) Etablir une échelle des revenus
3) Coder le cursus scolaire
4) Considérations autour de moyennes d’élèves
II) Origines des élèves : des parents issus des « couches moyennes » modestes 
A) Des élèves « locaux »
B) Des conditions matérielles plutôt modestes
C) Les « couches moyennes » inférieures dominantes
1) Les échelons hiérarchiques supérieurs peu représentés
2) La montée des catégories moyennes et inférieures
3) Fonctionnaires et salariés du privé privilégiés
4) Instantanés
5) Des recrutements originaux ?
6) Les bourses communales : un ascenseur scolaire ?
II) Les boursiers communaux au lycée : parcours et intégrations scolaires
A) Quelques parcours dominants
1) Une majorité d’élèves issus du lycée
2) Des parcours peu corrélés aux origines socio-professionnelles
3) Quelques cursus types
C) Des élèves plutôt honorables
1) Des élèves moyens dans l’ensemble et bien classés
2) Du travail et du sérieux
3) Des élèves diplômés ?
4) Que deviennent-t-ils ?
D) La vie au lycée : pression et ostracisme social ?
De nouvelles pistes ?
Bibliographie 
Etat des sources 
Annexes
Table des matières

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