Les binômes hétérogènes où l’aidant est plus compétent, ou relations de tutorat

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Marchive et la zone d’interaction de tutelle : adéquation des niveaux de l’aidant et de l’aidé

Il ressort clairement de nombreuses observations de chercheurs que ce n’est pas parce qu’un élève maîtrise une compétence ou qu’il est en réussite, qu’une relation de tutorat dans laquelle il aurait à endosser le rôle d’aidant fonctionnera, et permettra à l’élève aidé de progresser.
Le psychologue russe Lev Vygotsky fait remarquer qu’il y a un écart entre ce que l’élève est capable de réaliser seul, et ce qu’il peut réaliser lorsqu’il est accompagné, soit par des adultes, soit au sein d’un groupe. Il nomme cet écart la « zone proximale de développement », zone où se situent les acquisitions prochaines de l’élève, ce que l’élève est prêt à assimiler. Ici encore, l’interaction apparaît comme un facteur majeur des apprentissages :
Chaque fonction psychique supérieure apparaît deux fois au cours du développement de l’enfant: d’abord comme activité collective, sociale et donc comme fonction interpsychique, puis la deuxième fois comme activité individuelle, comme propriété intérieure de la pensée de l’enfant, comme fonction intrapsychique.16
Se basant sur le concept de zone proximale de développement décrit par Vygotsky, Marchive suppose en symétrie l’existence d’une « zone proximale d’enseignement » pour l’élèves aidant, et définit à partir de celle-ci la notion de zone d’interaction de tutelle. Prolongeant la réflexion de Vygotsky, Marchive considère en effet qu’en plus de chercher à être en adéquation avec les besoins de l’aidé et de travailler sur des compétences situées à l’intérieur de sa zone proximale de développement, il est nécessaire de prendre également en compte les capacités de l’aidant. Effectivement, si l’élève aidé est capable d’acquérir certaines notions, il est nécessaire que l’élève aidant soit en mesure de les lui transmettre de façon pertinente. Après avoir constaté la difficulté que rencontrent souvent les élèves à expliquer leur procédure dans la réalisation d’une tâche qu’ils maîtrisent, à plus forte raison lorsqu’il s’agit d’apporter de l’aide à un autre élève, Marchive suppose l’existence de ce qu’il appelle la zone proximale d’enseignement, c’est-à-dire l’écart entre ce que l’élève sait expliquer, et ce qu’il sait réaliser seul, mais sans pour autant pouvoir l’expliquer. Ainsi, pour qu’une interaction de tutorat puisse fonctionner, il est nécessaire que la zone proximale de développement de l’aidé concorde avec la zone proximale d’enseignement de l’aidant. C’est ce que Marchive appelle la zone d’interaction de tutelle.

Bruner et les fonctions d’étayage : les tâches du tuteur

Jerome Bruner définit plusieurs rôles, plusieurs tâches pour le tuteur, afin d’accompagner le tutoré vers la réussite, vers la maîtrise de la compétence travaillée. Ces tâches, qu’il nomme les « fonctions d’étayage », sont les conditions de l’appropriation par le tutoré de cette compétence. Elles doivent lui permettre, par la suite, de savoir faire seul.
1. Enrôlement : il s’agit de faire adhérer l’élève aidé à l’activité proposée ou à la tâche demandée. 2. Réduction des degrés de liberté : le tuteur simplifie la tâche, en réduisant le nombre d’étapes intermédiaires, et en ne laissant que des étapes que l’élève aidé peut réaliser en trouvant seul des solutions.
3. Maintien de l’orientation : le tuteur doit rappeler l’objectif final à l’élève aidé, pour maintenir sa motivation et l’aider à « garder le cap ».
4. Signalisation des caractéristiques déterminantes : il s’agit de faire mesurer par l’élève aidé l’écart de sa production avec ce qui est attendu, afin de le guider vers une production en accord avec les attentes.
5. Contrôle de la frustration : le tuteur se charge de rassurer et de remotiver l’élève aidé face à une situation d’erreur.
6. Démonstration, ou « présentation de modèles » : il s’agit de donner un exemple de solution sous forme stylisée, que l’élève aidé pourra réutiliser.18
Le rôle de tuteur apparaît donc comme très complexe, et semble requérir beaucoup de discernement vis-à-vis des difficultés et des types d’aides dont a précisément besoin l’élève aidé selon les situations. Nous sommes donc en droit de nous demander si des élèves de maternelle, encore très égocentriques, sont en mesure d’occuper et d’assumer pleinement ce rôle de tuteur.

Et à l’école maternelle ?

Maryline Jagueneau-Gaignard a observé les interactions entre élèves dans plusieurs classes de moyenne section de maternelle, soit l’âge qui nous intéresse ici, afin de voir si des situations d’aide ou d’entraide se produisent à cette tranche d’âge de façon naturelle, c’est-à-dire sans être pensées et organisées par l’enseignant. Les élèves ont été autorisés, voire encouragés à venir en aide à leurs camarades dès lors qu’ils en ressentaient l’envie, sans que cela soit jamais imposé par l’enseignant. De fait, Jagueneau-Gaignard observe des situations où un élève plus compétent vient en aide ou tente de venir en aide à un camarade. Les interventions observées sont-elles efficaces ?
Plusieurs types d’interventions sont relevés : dans certains cas, on assiste à une aide non adaptée, car trop peu élaborée, c’est-à-dire que l’élève aidant donne à l’élève aidé un simple rôle d’exécutant, ce qui ne laisse aucunement la place à l’élaboration d’une réflexion personnelle ni même à l’appropriation des solutions par celui-ci. Cette observation a notamment été faite dans le cadre d’une activité de reconstitution de puzzle : l’élève aidant indique l’emplacement précis des pièces, en montrant du doigt les solutions une à une. L’élève aidé, qui a maintenu tout au long de l’activité une posture passive et silencieuse, n’est pas capable par la suite de reproduire le puzzle. L’intervention semble donc ici inefficace : elle est, selon la définition de Webb, une aide peu élaborée, qui pourrait être utile dans le cas d’une erreur d’inattention ou d’une difficulté ponctuelle revêtant une importance secondaire dans la réalisation de la tâche. Ici, cependant, la difficulté rencontrée par l’aidé semble plus importante ; cet élève semble ne pas avoir la maîtrise des outils nécessaires pour résoudre le problème posé. Une aide élaborée aurait donc probablement été plus pertinente. Si l’envie, la tentative de venir en aide à un camarade est présente, on constate ici une incapacité à se décentrer suffisamment et à adapter son action à l’aidé.19
Un autre type d’intervention observé par Jagueneau-Gaignard laisse toutefois entrevoir la possibilité d’une relation de tutorat fonctionnelle. Lors d’un jeu de construction, deux élèves se mettent à produire une même tour, en se détachant de la fiche modèle. Les interactions montrent une valorisation de l’aidé par l’aidant. L’aidant, qui suivait au départ la fiche-modèle, accepte l’objet que lui tend l’aidé bien qu’il ne corresponde pas au modèle, et l’inclut à la construction. Cela lance un jeu d’imitation, où l’aidé reproduit à l’identique la construction de l’aidant, étape par étape. Peu à peu, la situation d’imitation se transforme en situation de co-construction, ce qui semble indiquer une progression de la part de l’aidé, et un effacement progressif de la part de l’aidant, qui laisse de plus en plus de place aux actions de l’aidé. Ce dernier a donc la possibilité de s’approprier les procédés apportés par son imitation de l’aidant, en les réinvestissant de manière plus autonomes.20
Enfin, Jagueneau-Gaignard remarque un positionnement d’élève aidant supposant une décentration particulière : un élève aidant se met volontairement dans une posture d’imitation, jouant presque le rôle de l’aidé, dans une situation de dessin. Pour Alain Baudrit, ce positionnement qu’adopte ici l’aidant aurait pour but de « préserver le lien entre les personnes qu’un ascendant trop important pourrait mettre à mal. », soit une fonction entièrement sociale. Pour que la relation de tutorat n’implique pas une hiérarchie entre les deux élèves, l’aidant inverse volontairement les rôles.21
Une interaction de tutorat semble donc possible dans une classe de maternelle, cependant cela exige de la part du tuteur, de l’élève aidant, une capacité de décentration élevée pour cet âge, afin d’adapter son action à l’élève aidé. Tous les élèves ne seraient donc pas capables d’être tuteur, et toutes les situations ne se prêteraient pas à une relation de tutorat. Une autre nécessité est que l’élève aidé s’implique, soit réellement actif dans ce type d’interaction, pour qu’elle devienne réellement efficace. Il il faut également bien tenir compte du fait que dans le cadre de ces observations, les interactions étaient libres, et non pas mises en place ou organisées par l’enseignant. Il pourra donc être également intéressant de vérifier si une explicitation des relations de tutorat auprès des élèves pourraient pourraient permettre que celles-ci fonctionnent dans une classe de maternelle, en amenant ainsi l’élève aidant à adapter son intervention de manière consciente.

Les binômes hétérogènes où l’aidé est plus compétent

Toujours dans ce même cadre d’observations des interactions entre élèves, et toujours au sein de binômes hétérogènes, avec un écart de compétences réels entre deux élèves, Jagueneau-Gaignard constate à plusieurs reprises un type d’interaction pour le moins surprenant : l’élève qui exprime une demande d’aide est l’élève le plus compétent sur la tâche concernée. La demande d’aide est explicitée verbalement de l’élève compétent à l’élève en difficulté, et l’interaction semble servir l’élève le plus compétent de la manière suivante : observer les erreurs de l’élève moins compétent permet à l’élève qui a exprimé la demande d’aide d’éviter ces mêmes erreurs. L’élève qui endosse ici le rôle d’aidé s’instruit donc des erreurs de l’autre. Jagueneau-Gaignard nomme ce procédé « l’effet aidant ». Ce type d’interaction serait donc majoritairement, voire uniquement bénéfique à l’élève le plus compétent, qui tire des erreurs de son camarade des informations lui permettant de mener la tâche à bien. L’élève qui prend ici la position d’aidant ne tire pas de bénéfices cognitifs personnels de cette interaction.22
Cet effet-aidant est un cas de figure qui reste relativement rare dans les observations menées par Jagueneau-Gaignard, elle est par ailleurs la seule à l’avoir décrit. Ainsi, je n’ai pas malheureusement pas eu l’occasion de l’observer dans ma propre classe lors de cette année de stage, et ne développerai pas cet aspect dans le partie concernant l’analyse de ma pratique.

Les binômes homogènes

Les binômes homogènes, dont les deux membres ont un niveau de compétence similaire dans le domaine concerné, semblent être un cadre favorisant l’entraide, à savoir l’aide alternativement dirigée dans les deux sens : l’élève 1 vient en aide à l’élève 2, puis les rôles s’inversent. Ce type de relation, de par sa nature, suppose que chacun des membres du binôme prend alternativement le rôle d’aidant et le rôle d’aidé. Ainsi, les fonctions des interventions qui prennent place au sein d’un binôme homogène de manière efficace sont semblables à celles observées au sein des binômes hétérogènes, à savoir qu’elles relèvent des fonctions d’étayage de Bruner23, décrites précédemment dans le cas des binômes hétérogènes. La différence majeure de fonctionnement entre un binôme homogène et un binôme hétérogène est donc que ces interventions ne sont pas dirigées unilatéralement d’un aidant à un aidé, mais sont alternativement exercées par l’un ou l’autre des membres du binôme.
Cependant, ce type de relation implique également que la zone proximale de développement de l’un ne peut pas coïncider avec la zone proximale d’enseignement de l’autre : puisque les deux membres du binôme ont un niveau de compétence proche, on peut supposer que leurs zones proximales de développement sont relativement similaires, ce qui bouscule l’idée de zone d’interaction de tutelle de Marchive24. L’interaction ici ne relèvera donc probablement pas de l’aide élaborée, puisque ce que chacun peut expliquer, l’autre le maîtrise théoriquement déjà. On observera donc plutôt des occurrences d’aide peu élaborée, s’apparentant par exemple à des coups de pouces, ou à des signalements d’erreurs. Comme il ne s’agit pas ici d’une relation de tutorat, où un élève viendrait bénéficier des compétences plus avancées d’un autre, cela ne pose donc pas nécessairement de problème. Effectivement, on a vu plus tôt que dans certains cas, à savoir lorsque la difficulté rencontrée n’est pas une difficulté majeure, l’aide peu élaborée pouvait être plus pertinente.
Cela peut mener à la supposition suivante : l’adaptation de l’aidant à l’aidé, qui nécessite dans la relation de tutorat un certain degré de décentration du tuteur, pour cibler les besoins du tutoré comme pour adapter son intervention, prend au sein d’un binôme homogène une place beaucoup moins prépondérante. Ce type de relation d’aide, ou plutôt d’entraide, serait donc peut-être plus adéquat, car plus réaliste à mettre en place de façon efficace dans une classe de maternelle, la condition théorique pour que le binôme fonctionne étant que les membres du binôme aient un niveau de compétence similaire.
De fait, Jagueneau-Gaignard observe des interactions entre élèves où les deux membres d’un binôme, maîtrisant de manière relativement égale la compétence en jeu (réalisation de puzzles), s’apportent l’un l’autre des savoirs-faire qui leur permettent de réaliser ensemble ce qu’ils n’auraient pas réussi seuls. Tous deux s’organisent, se répartissent les tâches et « élaborent ensemble des solutions qu’ils n’auraient peut-être pas pu découvrir seuls »25. Par ailleurs, la plupart des interactions observées présentent les caractéristiques d’une aide peu élaborée : signalement d’une erreur, correction du mauvais placement d’une pièce. On peut également observer des interventions visant à remobiliser l’autre membre du binôme, à l’encourager, relevant donc des fonctions d’étayage de Bruner.
Je tenterai donc de voir dans l’analyse de ma pratique, si la mise en place de binômes hétérogènes de façon organisée est plus adéquate, et éventuellement plus pertinente que la mise en place de binômes hétérogènes, dans la mesure où elle requiert moins de conditions et exige moins de qualification, de décentration de la part de ses membres. Je tenterai également de juger de l’efficacité de tels binômes dans des situations spontanées, non organisées par l’enseignant.

Interaction organisée et explicitée

La situation mise en place pour observer les interactions entre élèves au sein de binômes hétérogènes consistait en un travail de rangement d’objets sur un critère de taille. Les élèves, tous en grande section, avaient pour tâche de ranger dix crayons de couleurs dans un ordre croissant ou décroissant, selon leur choix (voir annexe 1). Les crayons avaient des tailles relativement proches, leurs différences de longueur étant de l’ordre d’un ou deux millimètres.
Trois élèves rencontrant de réelles difficultés, trois binômes hétérogènes ont été constitués. Les élèves qui endossent le rôle de tuteur ne rencontrent de manière générale aucune difficulté particulière. Les élèves qui sont ici les tutorés font faces à des difficultés différentes.
Deux de ces élèves rencontrent fréquemment des difficultés dans la réalisation des tâches. L’une, au-delà de ses difficultés initiales dans la maîtrise de la langue, et de ses connaissances bancales, a une capacité de concentration assez faible et perd souvent la consigne de vue lors de l’activité. L’autre n’a pas des connaissances très stables, et son niveau de langue n’est pas très élevée – il est d’ailleurs suivi par un orthophoniste. Il manque par ailleurs de confiance en lui et se bloque souvent avant même d’essayer face à une tâche qu’il a peur de ne pas réussir.
La dernière tutorée, en revanche, rencontre assez peu de difficultés dans les apprentissages, car elle a beaucoup de connaissances. Elle n’a par contre pas du tout acquis les codes scolaires, a beaucoup de mal à gérer son énergie et ne maîtrise pas toujours son corps. Elle ne parvient par exemple pas à rester assise convenablement suffisamment longtemps, ce qui lui pose problème dans la réalisation des tâches : elle a besoin d’être rappelée à l’ordre et recentrée sur la tâche de manière très fréquente. C’est pourquoi j’ai considéré cette élève comme tutorée dans un binôme hétérogène : sa tutrice avait pour rôle supposé de l’aider à se canaliser et de la recentrer régulièrement.

réaliser la tâche soi-même avec l’aide d’un tuteur

Dans un deuxième temps, j’ai donc assigné la tâche à un seul élève du binôme, à savoir l’élève en difficulté, en confiant à l’autre élève la mission de l’assister, de « l’aider sans faire à sa place, en lui expliquant comment faire » pour parvenir à réaliser la tâche. Ainsi, l’interaction était imposée, et le rôle de tuteur explicite (voir annexe 2).
• Le cas de Nabidou, aidée par Oscar :
Nabidou a compris la consigne, qu’elle a su reformuler à la demande de l’enseignant : « Il faut les ranger [les crayons] du plus grand au plus petit ou du plus petit au plus grand ». Cependant, face à la tâche, elle se retrouve en difficulté car elle ne sait pas comment comparer la taille de deux crayons : elle pose les crayons les uns à côté des autres au hasard, sans faire attention à ce que leur base soit à la même hauteur. Elle a bien compris qu’il fallait comparer les crayons deux à deux en observant les autres élèves, mais joue en quelque sorte à l’élève qui range les crayons, un peu comme elle jouerait au coin jeu au docteur qui prend le pouls d’un patient, sans savoir réellement ce qu’elle fait.
Oscar ne parvient pas à lui expliquer la procédure à suivre, ni verbalement, ni gestuellement. Il indique à Nabidou ses erreurs en passant par la parole, ce qui est un premier pas par rapport à la situation précédente : « Non, c’est pas comme ça » ; ou lui indique dans quel ordre poser les crayon : « Non, c’est d’abord le rouge Nabidou. » ; sans lui expliquer la procédure que lui-même a suivie pour en arriver à ce résultat. Nabidou corrige de temps à autre la place des crayons en suivant les indications d’Oscar, mais joue plutôt qu’elle ne réfléchit, qu’elle ne travaille à la réalisation de la tâche.
On a ici plusieurs problèmes. Tout d’abord, Oscar n’a pas su remobiliser Nabidou, élève rencontrant des difficultés à se concentrer, en lui rappelant la consigne, l’objectif final. Plusieurs des fonctions d’étayage telles que Bruner les définit n’ont pas été mobilisées : l’enrôlement, la fonction primaire, condition sine qua non de la mise en activité du tutoré ; mais également le maintien de l’orientation – le rappel des objectifs, pour aider le tutoré à ne pas dévier de la bonne voie -, ainsi que la signalisation des caractéristiques déterminantes28.
Par ailleurs, l’aide fournie par Oscar est une aide peu élaborée dans le cadre de la description de Webb : les informations qu’il apporte à Nabidou sont de l’ordre du « coup de pouce », il s’agit de lui donner directement des solutions ou de lui indiquer des erreurs.29 On a vu que ce type d’aide fonctionnait dans le cas d’élèves ayant une difficulté mineure, or ici, l’élève présente une difficulté plus importante, c’est-à-dire qu’elle ne connaît pas la procédure à suivre pour réaliser la tâche. Une aide élaborée faisant entrer en jeu des explications sur la manière de procéder aurait donc probablement été plus pertinente, et plus efficace.
Enfin, Oscar n’a pas su repérer les besoins de Nabidou : il ne comprenait pas ce que Nabidou ne comprenait pas. Il s’agit donc d’un problème de décentration, il y a trop peu d’adaptation du tuteur vis-à-vis du tutoré : Oscar ne parvient pas à identifier un besoin, une difficulté que lui-même ne rencontre pas. Si l’on s’en tient à la théorie Piagétienne, cela est tout à fait cohérent avec sa tranche d’âge.
• Le cas d’Idrissa, aidé par Augustin : Idrissa, lui, a compris la consigne et la procédure à suivre. Il est cependant peu performant dans la mesure des crayons : cela lui prend beaucoup de temps, et il ne les positionne pas systématiquement à la même hauteur pour les comparer, ce qui fausse sa mesure. Augustin, qui a pour mission de l’assister dans la réalisation de la tâche, a beaucoup de mal à ne pas accompagner ses indications verbales par le geste. Il indique ses erreurs à Idrissa en les corrigeant lui-même :
A – C’est lui le plus grand, tu les as pas bien mis à côté, c’est lui là. (place le crayon correctement)
On a ici toutefois une différence notoire avec le cas de Nabidou et Oscar : Augustin sait mettre des mots sur sa procédure, il sait la verbaliser. Il notifie à Idrissa son erreur dans la procédure : « tu les as pas bien mis à côté ». Augustin a donc su identifier quelle étape de la procédure n’était pas encore entièrement acquise par Idrissa : placer les crayons à la même hauteur pour les mesurer. Même si la formulation est un peu bancale et pas forcément explicite, on peut supposer que, accompagnée d’une démonstration gestuelle, elle soit compréhensible par un élève. Augustin serait donc, en théorie, capable d’apporter en tant que tuteur une aide élaborée au sens où l’entend Webb : il est effectivement capable d’apporter des informations sur la manière de réaliser la tâche.30
Cependant, il prend systématiquement l’initiative de corriger, ne laissant pas le champ libre à Idrissa pour lui permettre de rectifier lui-même son erreur à partir des informations qu’il lui donne. Or, pour qu’un élève assimile, s’approprie une connaissance, il faut le laisser l’utiliser, la mobiliser lui-même en l’accompagnant, afin que, par la suite, il puisse la mobiliser seul lorsqu’il en a besoin, ce qui correspond à la cinquième condition de Vedder du bon fonctionnement d’une relation de tutorat : l’élève aidé doit avoir l’occasion de faire usage de l’explication qu’on lui apporte par lui-même pour se l’approprier31. Ici, Idrissa ne peut pas manipuler, car Augustin, bien qu’il explique sa procédure en passant par la parole, ne parvient pas à contenir son geste. Idrissa ne peut donc pas assimiler, s’approprier la procédure correcte, et reproduit cette erreur à plusieurs reprise sans avoir la possibilité de se corriger lui-même.
Augustin parvient donc, contrairement à Oscar, à se décentrer suffisamment pour comprendre une difficulté d’autrui que lui-même ne rencontre pas. Il sait également verbaliser la procédure qu’il utilise et est capable de fournir à un camarade une aide élaborée. Il ne parvient cependant pas à trouver une modalité de transmission de connaissances qui convienne aux besoins d’Idrissa. On peut noter qu’Idrissa, ayant globalement compris la procédure à suivre pour réaliser la tâche, aurait peut-être pu se contenter d’une aide peu élaborée, si on lui avait juste signalé ses erreurs, ou corrigé l’une d’elles ; par opposition avec Nabidou, qui elle avait clairement besoin d’indications sur la manière de réaliser la tâche. Peut-être les binômes auraient-ils donc mieux fonctionné si l’on avait interverti les tuteurs, je n’ai cependant pas eu l’occasion durant les laps de temps où j’étais en classe de reproduire l’expérience suivant cette modalité.
• Remarque : Le binôme Aby-Clélia n’a pas été reconduit pour la deuxième expérience, car Clélia n’ayant pas une position d’autorité, Aby ne lui prête aucune attention. Aby a par ailleurs su réaliser la tâche seule, une fois encadrée par l’enseignante pour l’aider à gérer son comportement. Le besoin de cette élève pour pouvoir réaliser ce type de tâche est un cadrage, une aide à canaliser son énergie, ce que Clélia en tant que pair ne pouvait pas apporter à Aby.

Interaction organisée et explicitée

La situation mise en place pour observer les interactions entre élèves au sein de binômes homogènes était la même que pour les binômes hétérogènes : les élèves, tous en grande section, devaient ranger dix crayons de couleurs dans un ordre croissant ou décroissant, selon leur choix. Les crayons étaient de dimensions relativement proches, l’écart maximum entre deux crayons étant de deux millimètres (voir annexe 1).
Ici, les élèves devaient réaliser la tâche ensemble. Contrairement aux binômes hétérogènes où j’ai pu observer que les élèves plus compétents réalisaient la quasi-totalité de la tâche seuls, j’ai assisté dans l’ensemble à une véritable coopération : chacun des membres du binôme participe à la réalisation de la tâche en observant et en réagissant aux actions de l’autre. Les élèves se corrigent l’un l’autre, l’interaction est à double sens. Elle reste cependant assez peu verbale, et est systématiquement accompagnée par le geste.
J’ai sélectionné les interactions de deux binômes en particulier sur les quatre constitués, car la symétrie des interactions y était plus évidente.
Transcription de l’interaction entre Ava (A) et Lilas (L).
L – Celui-là il va là. (pose un crayon à côté d’un autre).
A – Non regarde il est plus petit t’as pas bien mis à côté. (place les bases des crayons à la même hauteur).
L – Oui, c’est que faut mettre les pieds ensemble. […].
Ava pose deux crayons en mettant les bases au même niveau, mais les crayons sont légèrement éloignés et ne sont pas posés parallèlement l’un à l’autre.
L – Non il est penché faut le mettre bien droit pour voir bien la taille. (corrige le positionnement du crayon).

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Table des matières

INTRODUCTION
PARTIE I : LES INTERACTIONS ENTRE ELEVES A L’ECOLE : ORIGINES, INTERETS
1. Une histoire du travail en interaction à l’école
2. Quels intérêts et quelles conditions des interactions entre elèves ?
3. Le cas des jeunes enfants
PARTIE II : LES TYPES D’INTERACTIONS ET LEUR PLACE A L’ECOLE MATERNELLE
1. Les binômes hétérogènes où l’aidant est plus compétent, ou relations de tutorat
1.1. Marchive et la zone d’interaction de tutelle : adéquation des niveaux de l’aidant et de l’aidé
1.2. Bruner et les fonctions d’étayage : les tâches du tuteur
1.3. Et à l’école maternelle ?
2. Les binômes hétérogènes où l’aidé est plus compétent
3. Les binômes homogènes
PARTIE III : ANALYSE DES DONNEES RECUEILLIES
1. Interactions au sein de binômes hétérogène où l’aidant est plus compétent, ou relation de tutorat
1.1. Interaction organisée et explicitée
1.1.1. Phase 1 : réaliser la tâche ensemble
1.1.2. Phase 2 : réaliser la tâche soi-même avec l’aide d’un tuteur
1.1.3. Conclusion de cette première expérience
1.2. Interaction spontanée
1.2.1. Situation 1 : co-construction d’une tour en kapla
1.2.2. Situation 2 : imitation lors d’un travail plastique en autonomie
1.2.3. Bilan de ces observations
2. Interactions au sein de binômes homogènes
2.1. Interaction organisée et explicitée
2.2. Interaction spontanée
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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