Les bénéfices attendus du tutorat entre pairs

Les bénéfices attendus du tutorat entre pairs

Les études réalisées sur les pratiques tutoriels dans le champ de l’éducation ont mis en évidence des bénéfices de deux ordres : socio-affectif d’une part, cognitif d’autre part.

Les bénéfices d’ordre socio-affectif

Les recherches scientifiques menées sur le tutorat, mais aussi plus généralement sur l’éducation, ont mis en avant les avantages du tutorat à plusieurs titres.
D’abord, le tutorat a été étudié en France et en Belgique « sous l’angle d’un mécanisme de facilitation des processus de socialisation et d’individualisation » . A l’issue d’une expérience dans plusieurs écoles primaires belges, Finkelsztein décrit le tutorat comme apportant un contexte plus favorable aux apprentissages, permettant de « mobiliser la dimension affective au profit d’une activité cognitive ». Ainsi d’après l’auteure, le renforcement positif et la plus grande acceptation de l’erreur induits par les relations tutoriels amènent une prise de confiance de la part de l’élève tutoré et un investissement supérieur dans le travail. Un premier effet bénéfique observable des dispositifs de tutorat semble donc être d’ordre socio affectif, à travers l’évolution des relations entre élèves et de leurs comportements, que ce soit le tutoré qui prend confiance en soi, ou le tuteur qui se sent valorisé et développe autonomie et empathie.
Mais si le tutorat a des bienfaits d’ordre affectif qui permettent un investissement accru des élèves dans les apprentissages, il reste à sa voir s’il est à l’origine de bénéfices sur le plan cognitif.

Les bénéfices d’ordre cognitif

Pour envisager ces bénéfices supposés, nous pouvons nous appuyer sur les travaux de Lev Vygotski qui s’inscrit dans la filiation socio-constructiviste, c’est-à-dire qu’il considère comme Piaget que les apprentissages se construisent (constructivisme), mais que c’est l’interaction avec autrui et en particulier le langage qui permettent l’acquisition durable des connaissances. On parle également de conflit socio-cognitif (confrontation pour un élève de ses représentations à celles des autres par un échange langagier et remise en question de ses premières conceptions pour construire de nouvelles connaissances). En prenant appui sur ces considérations, Vygotski développe le concept de zone proximale de développement. Il oppose les tâches qu’un enfant est capable de réaliser sans aucune aide extérieure, qu’il appelle zone de développement actuel, et celles qu’il est capable de réaliser avec l’aide d’un tiers plus expérimenté, qu’il nomme zone de développement potentiel. La zone proximale de développement est définie par Vygotski comme l’écart entre la zone de développement actuel et la zone de développement potentiel. Il affirme donc que l’aide apportée par une ou plusieurs personnes peut permettre à un élève de réaliser des tâches qu’il ne saurait réaliser seul, et est donc susceptible de le faire progresser plus rapidement. Toutefois, cela est vrai seulement si la tâche considérée se situe dans la zone proximale de développement de l’enfant aidé. Dans le cas contraire, l’aide d’un tiers plus expérimenté n’aura pas l’effet escompté.
Par ailleurs, les travaux de Jerome Bruner sur la notion d’étayage permettent de définir plus précisément par quels mécanismes la personne qui apprend peut progresser dans la tâche grâce à l’aide d’un tuteur. Pour Bruner, l’étayage est ce qu’apporte un tuteur qui rend l’enfant capable de résoudre un problème, de mener une tâche qui aurait été impossible pour lui sans aide . Il liste notamment les fonctions suivantes de l’étayage : l’enrôlement (susciter l’intérêt, la motivation de l’apprenant), la réduction du degré de liberté (prise en char ge d’une partie de la tâche si nécessaire), le maintien de l’attention de l’apprenant, la mise en évidence des caractéristiques déterminantes de la tâche, et enfin la présentation de modèles, d’exemples.
Dans le cadre du tutorat entre pairs que nous étudions ici, la proximité d’âge et de développement entre les élèves fait que le tuteur peut s’adapter au niveau de compréhension de son partenaire, car ils partagent un même langage et une même expérience d’élève, ce qui constitue un avantage déterminant par rapport à l’aide d’un adulte.
Du côté du tuteur, plusieurs études se sont attachées à évaluer ce qu’on appelle « l’effettuteur », que Daniel Guichard définit comme « le bénéfice en termes d’apprentissage que le tuteur peut retirer, entre autres, de l’exercice de son rôle de tuteur auprès d’un pair un peu moins expert que lui. Il repose sur l’idée qu’en aidant un de ses pairs, un enfant qui, au départ, dispose d’une certaine expertise, peut progresser lui-même parce qu’il va approfondir ses connaissances de l’objet étudié au cours des échanges réalisés pendant la situation de tutorat » . Sylvain Connac reprend pour sa part dans son ouvrage précédemment cité les recherches de Jacky Caillier selon lequel « c’est le tuteur qui bénéficie le plus du tutorat, parce qu’il est obligé de mettre en œuvre cette articulation entre pensée et langage » . Toutefois, il apparaît que cet effet-tuteur est moins évident que les effets bénéfiques pour le tutoré. Daniel Guichard écrit en effet que « Le tutoré semble tirer le plus grand profit sur le plan des acquisitions de savoirs et de savoir-faire. Le tuteur n’est pas systématiquement assuré de progresser sur ce plan. ».
L’existence d’un véritable bénéfice pour le tuteur semble donc difficile à évaluer, d’autant plus qu’elle dépend de plusieurs facteurs comme la durée de la relation de tutorat, la formation et les attitudes des tuteurs ou encore l’appariement des binômes.
Afin de tenter de mesurer les effets cognitifs du tutorat sur les élèves impliqués, j’ai suivi une démarche proche de celle de Daniel Guichard pour son étude sur l’effet tuteur à l’école élémentaire, comprenant trois phases : une phase de pré-test, une phase d’expérimentation, et une phase de post-test. Ainsi, j’ai d’abord fait passer à tous les élèves de la classe un pré-test qui m’a permis d’évaluer de manière diagnostique les niveaux de maitrise des élèves pour la compétence considérée, et ainsi de former les binômes en fonction, puis organisé trois séances de tutorat, et enfin un post-test deux mois après le pré-test, afin de mesurer les effets à long terme des séances. La comparaison entre les résultats du pré -test et ceux du post-test permettra d’évaluer si les élèves ayant participé aux séances de tutorat ont davantage progressé que ceux n’y ayant pas participé.
Les exercices proposés en phase de pré-test, de post -test et lors des séances de tutorat à proprement parler portaient sur la même compétence et étaient proches dans leur forme : deux ou trois exercices consistant à accorder des groupes nominaux d’abord simples, puis de plus en plus complexes avec l’introduction progressive de mots « écrans » (des vêtements trop petits), d’adjectifs dont la variation au féminin ne s’entend pas à l’oral (la nuit noire) et de féminins et de pluriels irréguliers (sportif-sportive, journal-jounaux). Cette régularité avait pour objectif de familiariser les élèves avec le cadre tout en introduisant des difficultés supplémentaires graduellement.
S’agissant des bénéfices socio-affectifs du tutorat qui semblent plus difficiles à estimer car moins quantifiables, j’ai choisi d’utiliser trois outils. J’ai tout d’abord mesuré l’évolution du climat de classe en tenant un compte quotidien du nombre de conflits en classe impliquant un élève engagé dans le tutorat. D’autre part, j’ai estimé quotidiennement et noté dans un tableau l’implication des élèves participant à l’expérimentation, afin de déterminer si les séances de tutorat pouvaient avoir un impact sur leur investissement dans les apprentissages (voir des exemples ci-dessous). Enfin, réalisé des enregistrements audio des échanges au sein des binômes lors des séances et mené de courts entretiens avec les élèves à l’issue de la séquence de tutorat, afin de recueillir leurs ressentis sur les séances et leurs rapports avec leur binôme.

Les modalités d’organisation

Tutorat spontané ou institutionnalisé

Tout d’abord, le tutorat peut être pratiqué de manière informelle dans les classes, ce que mettent en place de nombreux enseignants. Ce tutorat spontané (que Sylvain Connac nomme « aide ») consiste en une aide ponctuelle qu’un élève volontaire apporte à un camarade en difficulté dans la réalisation d’une tâche. Mais l’enseignant peut également faire le choix d’institutionnaliser le tutorat dans sa classe. Dans ce cas, des élèves sont reconnus par l’enseignant comme experts dans un domaine donné, et deviennent, s’ils le souhaitent, tuteur s d’un autre élève, en difficulté dans le domaine considéré et volontaire pour ê tre tutoré. Après avoir pratiqué pendant plusieurs semaines le tutorat spontané dans ma classe et observé des résultats encourageants, surtout sur le plan des relations entre élèves, j’ai décidé de l’institutionnaliser et d’en étudier l’impact sur les progrès des élèves impliqués.
Pour cela, j’ai d’abord introduit la notion lors d’un conseil d’élèves. A cette occasion, les élèves ont exprimé les domaines dans lesquels ils souhaitaient apporter leur aide à un camarade, et ceux dans lesquels ils désiraient être aidés. Nous avons ainsi pu constituer un tableau listant les tuteurs et tutorés potentiels dans les disciplines suivantes : Français, Calcul, Géométrie, Histoire-Géographie, Organisation/Rangement et Activités manuelles. Enfin, j’ai proposé aux élèves des binômes qu’ils ont accepté ou non, pour aboutir au document ci -dessous, que j’ai affiché aux quatre coins de la salle de classe. Lors des deux semaines suivantes, les élèves concernés pouvaient se référer à ces affiches lors des séances de Français, Ca lcul, Géométrie, Histoire-Géographie ou d’Activités manuelles (illustration de poésies principalement) pour retrouver leur tuteur et faire appel à lui en cas de besoin J’ai souhaité ajouter ces deux derniers domaines, qui ne portent pas sur des compétences des programmes, afin de permettre à des élèves moins à l’aise dans les matières classiques de pouvoir endosser eux aussi la responsabilité de tuteur. Cependant, j’ai pu constater que les occasions de mettre en œuvre un véritable tutorat dans des domaines non-disciplinaires comme l’organisation étaient rares. De ce fait, je pense que pour fonctionner réellement, ce système doit être cadré plus précisément, avec des temps dédiés spécifiquement à ces activités (Organisation/Rangement, Activités manuelles) , sans quoi le tutorat ne se pratique réellement que dans les disciplines classiques.
En outre, ma volonté de généraliser le tutorat et d’impliquer tous les élèves afin d’éviter la stigmatisation des plus fragiles m’a amené à proposer un système qui s’est avéré trop complexe à gérer pour moi comme pour les élèves. En effet, le nombre import ant de binômes et de disciplines concernées par le tutorat entre pairs a plutôt nui à l’efficacité globale de la démarche, dans la mesure où il était compliqué pour les élèves de savoir quand et à qui faire appel. Enfin, les très bons élèves de la classe se sont vus attribuer des responsabilités dans plusieurs domaines, car de nombreux élèves souhaitaient être aidés par eux, ce qui a amené une surcharge de sollicitations pour les premiers cités. Mon constat est qu’une telle organisation demande une préparation importante, que je n’ai pas été capable d’assumer à ce moment de l’année.
Le conseil d’élèves évoqué ci-dessus a également été l’occasion de réfléchir collectivement sur les rôles de tuteur et de tutoré, de les définir au tableau et de constituer les binômes, sur la base du volontariat. De plus, ayant conscience de la nécessité de former les élèves aux rôles de tuteur et de tutoré, j’ai voulu les initier à la coopération en m’appuyant sur l’ouvrage de Sylvain Connac qui apporte des pistes de situations intéressantes . J’ai donc organisé deux séances visant respectivement à comprendre l’intérêt de la coopération et à souligner l’importance des encouragements dans l’aide apportée à un camarade. Lors de la première séance, les élèves devaient d’abord répondre à un questionnaire individuellement, puis par deux, et ont pu constater l’intérêt de coopérer pour arriver à réaliser une tâche. Lors de la seconde, les élèves étaient séparés en groupes de quatre, dont un avait le rôle de référent.
Pendant la première phase, les élèves devaient dessiner un paysage de montagne, sans aide du référent, qui devait rester silencieux. Puis, pour la réalisation de la deuxième tâche, le dessin d’un paysage de bord de mer cette fois, les référents étaient chargés d’encourager l es élèves qui éprouvaient des difficultés et de féliciter les réussites. Enfin, les dessins de chaque groupe étaient présentés collectivement au tableau, et les élèves partageaient leur s ressentis sur le comportement de leur référent lors de chaque phase. Nous avons ainsi pu mettre en évidence aisément que les encouragements et les félicitations constituaient un facteur de motivation important, et que les tuteurs pouvaient prendre en compte cette donnée lors des séances de tutorat à venir. Enfin, j’ai fait passer à tous les élèves un brevet de tuteur reprenant les principaux éléments de la formation (voir Annexe 1).
Si ce brevet a été réussi par tous les élèves, j’ai pu constater lors des séances de tutorat que j’ai observées que certains aspects de la coopération semblaient encore difficiles à mettre en œuvre. L’écueil principal est que le tutoré avait tendance à se laisser porter par un tuteur prenant en charge la plus grande partie sinon la totalité de la tâche à accomplir. J’en conclus donc que la formation proposée aux élèves était trop rapide et aurait gagné à être approfondie.
Ce sont également les conclusions de chercheurs comme Christine Berzin et Corinne Lebert-Candat, qui démontrent que l’institutionnalisation du tutorat implique une organisation minutieuse à plusieurs titres, à commencer par la formation des élèves tuteurs. En effet, après avoir comparé l’étayage apporté par des enfants et celui proposé par des adultes dans le cadre du tutorat, elles soulignent « une certaine sensibilité des tuteurs enfants aux conduites de leurs partenaires tout en mettant en évidence un certain nombre de difficultés dans la conduite de leur activité tutélaire notamment lorsqu’il s’agit d’adapter leur intervention aux besoins du tutoré » . Elles démontrent par ailleurs que les tuteurs enfants sont généralement davantage focalisés sur la réalisation de la tâche, au détriment de l’activité de guidage de leur camarade : « La difficulté du tuteur réside ici dans l’aptitude à trouver l’aide juste nécessaire pour permettre au novice de progresser. » Le rôle de tuteur apparaissant donc complexe, a fortiori pour des enfants, il semble indispensable de ne pas négliger la formation à cette tâche afin d’optimiser la relation tutorielle. Dans cette optique, Lafont et Ensergu eix proposent d’axer cette formation sur les objectifs suivants : faciliter la communication du savoir ; développer les savoirs du tuteur sur l’apprentissage et sur l’élève tutoré et ses besoins ; laisser progressivement de l’initiative au tutoré en travaillant au plus près de sa zone proximale de développement . Il apparaît donc que la mise en place de pratiques tutorielles dans une classe nécessite du temps et une préparation minutieuse en amont par l’enseignant.
Mais au-delà du caractère spontané ou institutionnalisé du tutorat en classe, l’enseignant peut également choisir de focaliser les séances de tutorat sur une ou plusieurs disciplines, ou même de le généraliser à l’ensemble des disciplines.

Le choix de la discipline et de la temporalité

Comme évoqué plus haut, la généralisation du tutorat à tous les élèves et toutes les disciplines m’est rapidement apparue trop ambitieuse, d’autant plus qu’elle rendait très complexe l’observation de l’impact du tutorat sur la progression des élèves. J’ai donc choisi de centrer mon étude sur une compétence précise qui fait partie des attendus de fin de cycle 2 dans le domaine de l’étude de la langue, « Raisonner pour réaliser les accords dans le groupe nominal ».
Après avoir assisté à des séances de tutorat dans différentes disciplines, j’ai fait le choix d’observer pour cette expérimentation des séances de tutorat entre pairs en français, et plus particulièrement en étude de la langue, car c’est un domaine dans lequel les échanges langagiers entre élèves sont particulièrement féconds. En effet, d’après Cécile Avezard-Roger et Isabelle Thomas, le tutorat entre pairs est une modalité de travail qui « permet l’instauration d’échanges et de confrontations orales entre les élèves autour de la langue » , ce qui correspond par ailleurs aux instructions officielles qui stipulent que les élèves doivent « comprendre le fonctionnement de la langue » et « raisonner pour résoudre des problèmes orthographiques ». L’interaction avec un autre élève est donc source de questionnement métalinguistique et contribue énormément à la compréhension de la langue par les élèves, ce qui justifie mon choix. Par ailleurs, le travail sur les accords dans le groupe nominal est central en classe de CE2 et fait appel à une réflexion et des procédures pour lesquelles l’aide d’un tuteur de même âge me paraît particulièrement pertinente. En effet, la proximité d’âge entre les élèves permet l’utilisation d’un langage facilement compréhensible par le tutoré. J’ai également établi une progression p ermettant d’aborder les accords dans le groupe nominal avec un niveau de complexité croissant. Au fil des séances, nous avons d’abord travaillé sur des groupes nominaux simples composés d’un nom et de son déterminant, pour ensuite aborder des groupes nominaux de plus en plus complexes, d’abord enrichis d’un ou plusieurs adjectifs, puis de mots « écrans » brisant la chaîne d’accord, comme des adverbes situés entre le nom et l’adjectif.
Quant à la temporalité des séances de tutorat, elles ont eu lieu en phase d’entraînement, après plusieurs séances de recherche et d’approfondissement. Ainsi, chaque élève devait pouvoir commencer les exercices et éventuellement demander l’aide d’un tuteur en cas de besoin. J’ai également placé les séances de tutorat le matin , qui constitue un temps pendant lequel les élèves sont plus calmes et concentrés sur les activités de la classe.
Une fois la discipline ciblée, il reste à constituer les binômes, tâche qui ne peut être laissée au hasard, comme je l’expliquerai dans la partie suivante.

La constitution des dyades

La troisième variable à considérer a trait à la constitution des binômes ou « dyades », qui peuvent être soit symétriques (deux élèves de niveaux proches), soit asymétriques (un élève expert est tuteur d’un élève en difficulté). La symétrie/asymétrie des d yades peut découler d’une différence de maîtrise d’une compétence comme évoqué ci-dessus, mais aussi plus simplement d’une différence d’âge : on parle de cross-age peer tutoring dans ce cas, et de same-age tutoring dans le cas de dyades composées d’enfants de même âge. Les études scientifiques réalisées sur les bénéfices de ces deux modalités mettent en avant les atouts principaux de chacune : la proximité entre les élèves permet au tuteur de s’adapter au niveau de compréhension de son camarade dans le cadre du tutorat entre enfants de même âge (c’est ce qu’on appelle la congruence cognitive, développée plus bas), mais le niveau d’expertise supérieur du tuteur est souligné comme un atout du cross-age peer tutoring. Je ne parlerai pas ici des dyades symétriques, qui sont utilisées dans le cadre du tutorat réciproque, modalité pédagogique par laquelle deux élèves de niveaux de compétences proches exercent alternativement les rôles de tuteur et de tutoré. Un aspect très sensible dans la formation des binômes tie nt également à ce qu’Alain Marchive nomme la zone d’interaction de tutelle. En s’appuyant sur le concept de zone proximale de développement défini par Vygotski qui concerne l’élève aidé, il propose celui de zone proximale d’enseignement, qui correspond pour l’élève aidant à « l’écart entre ce que l’enfant est capable de réaliser seul et ce qu’il est capable d’expliquer, en tant qu’expert, à quelqu’un d’autre, un pair le plus souvent ». La zone d’interaction de tutelle serait donc le point de rencontre entre la zone proximale de développement de l’élève aidé et la zone proximale d’enseignement de l’élève aidant. Il revient par conséquent à l’enseignant de s’assurer que cette zone d’interaction de tutelle, cette « zone commune d’enseignement apprentissage » existe bien au sein des dyades formées, pour que le tuteur puisse véritablement faire apprendre à l’élève tutoré des compétences qui sont à la portée de ce dernier. Enfin, le tuteur doit, dans une relation tutorielle optimale, faire preuve de congruence cognitive, c’est-à-dire « s’exprimer dans le langage des tutorés, en des termes compréhensibles par eux ou de faire usage de notions et de concepts qui leur sont familiers ». Pour cela, il doit non seulement maîtriser les savoirs disciplinaires en jeu, mais aussi être sensible aux difficultés de son binôme et désireux de l’aider à les surmonter.
Pour mon expérimentation, il m’a paru plus pertinent et plus simple en termes d’organisation de pratiquer le tutorat entre élèves de la classe, d’autant plus que les niveaux très disparates des élèves me permettaient de former des binômes de niveaux différents tout en n’étant pas trop éloignés, afin que la zone d’interaction de tutelle théorisée par Marchive existe bien dans tous les binômes. Dans le but d’expérimenter un maximum de modalités et ainsi d’observer l’impact de la constitution des dyades sur la progression des élèves, j’ai également fait le choix de suivre l’évolution de dyades plus ou moins asymétriques, avec des tuteurs plus ou moins experts et des tutorés plus ou moins fragiles. Ainsi, sur la base des résultats du pré test sur les accords dans le groupe nominal, j’ai proposé aux élèves six binômes, qui ont été remaniés avec eux afin que chaque élève impliqué soit satisfait du partenaire qui lui était attribué et prêt à travailler avec lui. Nous avons donc formé deux dyades très asymétriques composées pour chacune d’une élève ayant très bien réussi le pré -test et d’une élève ayant eu un résultat très faible, deux dyades asymétriques associant un élève quasi-expert et un élève fragile, et enfin deux dyades composées d’élèves de niveaux plus proches (associant pour la première une élève ayant eu des résultats moyens au test à une élève fragile, et pour la seconde un élève quasi-expert avec un élève ayant eu un résultat moyen au pré-test).

Une expérience de tutorat sur la réalisation des accords dans le groupe nominal : réussites et limites

Déroulement des séances

Comme évoqué plus haut, j’ai choisi de centrer mon expérimentation sur la compétence « Raisonner pour réaliser les accords dans le groupe nominal ». Pour cela, tous les élèves ont passé un pré-test, dont les résultats m’ont permis de constituer les binômes de tutorat.
Ce pré-test, dont deux exemplaires sont donnés ci -dessous, consistait en trois exercices : une courte dictée impliquant des accords, un exercice de transformation de groupes nominaux du singulier vers le pluriel ou du masculin vers le féminin, et enfin un exercice consistant à repérer parmi plusieurs propositions les groupes nominaux correctement accordés. S’agissant d’une évaluation diagnostique, les élèves n’avaient pas été préparés spécifiquement à ces exercices. Les résultats ont été très variables : deux élèves ont eu des résultats excellents à ce pré-test, quatre autres de très bons résultats, tandis que six élèves ont été mis en grande difficulté. Ces résultats ont toutefois permis de mettre en évidence les difficultés des élèves et leurs procédures. Ainsi, la plupart des élèves ont effectué les accords soit partiellement (par exemple sur le nom et pas sur l’adjectif), soit pas du tout, soit encore uniquement au pluriel mais pas au féminin. Il est également apparu clairement qu’il existait une confusion importante dans l’esprit de nombreux élèves entre l’accord des noms et adjec tifs au pluriel qui se matérialise généralement par l’ajout d’un -s, et la conjugaison des verbes à la troisième période du pluriel qui se caractérise par l’ajout de la marquent.

Séance 2 de tutorat : Repérer l’adjectif et effectuer les accords dans le Groupe Nominal

Il s’agissait lors de cette séance d’approfondir les relations tutorielles établies lors de la séance de tutorat n°1, en améliorant la participation des élèves tutorés notamment. Le premier constat global est l’investissement accru et l’activité plus inten se de l’ensemble des élèves impliqués, allant de pair avec des relations de meilleure qualité au sein des binômes. Il semble que la régularité des relations de travail en binôme soit bénéfique aux deux élèves, qui se connaissent mieux dans le travail et prennent même plaisir à travailler ensemble.
Cependant, les difficultés aperçues en séance 1 ont persisté dans la plupart des binômes : les élèves tuteurs ont encore eu du mal à rester en retrait, bien qu’il y ait eu un progrès dans le binôme Samuel/Mouhamed. La relation amicale entre ces deux élèves peut être une explication.
J’ai toutefois pu observer que les tuteurs avaient fait l’effort de remplir des fonctions de l’étayage qu’ils avaient pu négliger lors de la première séance. Ainsi, Iris suggère notamment à Luana lors de cette séance de tracer les balles d’accord pour matérialiser la chaîne d’accord au sein du groupe nominal. Elle rappelle également la règle grammaticale : « si le déterminant est au pluriel, tout le groupe nominal va être au pluriel ». Cléo fait de même en guidant la réflexion de Djenebou pour trouver l’adjectif dans l’exercice 2 : « Qu’est-ce qui précise le mot « jouet » ? ». A ce stade de la séquence, il est toutefois à noter que le niveau de maîtrise de certains tuteurs n’est parfois pas suffisant pour aider leurs tutorés. Jeanne qui est la tutrice d’El Hadji confie ainsi à propos de l’exercice 2 : « Pour moi aussi c’est difficile ». On peut considérer que les savoir-faire nécessaires à la résolution de ces exercices ne se trouvent pas dans la zone proximale de développement du binôme, en référence à la théorie d’Alain Marchive explicitée dans la première partie de ce mémoire.
Enfin, au niveau des résultats, ils sont globalement en progrès pour la plupart des élèves tutorés qui semblent avoir compris le principe de la chaîne d’accords au sein du groupe nominal (voir en annexe 2 les productions des élèves tutorés lors de cette deuxième séance) , et stables pour les élèves tuteurs. Mais le deuxième exercice qui consistait à repérer les adjectifs et à les relier au nom qu’ils précisent a été source de difficultés pour la plupart des élèves, y compris les tuteurs. Cette compétence sera par la suite retravaillée de manière ritualisée en dehors des séances de tutorat. Il est toutefois difficile à ce stade d’analyser les progrès réels des élèves tutorés en raison de l’aide très appuyée apportée par les tuteurs.

Analyse des résultats

Dans cette partie, je présenterai d’abord les résultats observés sur le plan socio-affectif, puis sur le plan cognitif, pour enfin souligner les limites de mon expérimentation.

Les effets sur le plan socio-affectif

Afin de vérifier ma première hypothèse selon laquelle la pratique du tutorat entre pairs permettrait d’une part l’apaisement des tensions entre élèves et ainsi du climat de classe, et d’autre part une implication accrue des élèves dans le travail scolaire, j’ai utilisé plusieurs outils. J’ai d’abord tenu un compte quotidien des conflits entre élèves participant au tutorat sur les cinq semaines de mon expérimentation, puis reporté les données récoltées dans un tableau et calculé le nombre total de ces conf lits par semaine. Ces totaux m’ont permis de construire le graphique ci-dessous (annexe 4), qui montre la diminution très nette des conflits impliquant les élèves participant aux séances de tutorat. Cette baisse s’est répercutée sur tous les élèves de la classe, dans la mesure où la plupart des élèves qui avaient tendance à entrer dans des conflits ont participé au tutorat. Le résultat illustré par ce graphique, que j’ai également pu ressentir progressivement dans la classe, peut être attribué en partie au tutorat, mais également aux autres pratiques des pédagogies coopératives exercées en classe pendant cette période, comme les conseils d’élèves et les discussions à visée philosophique. En effet, ces dispositifs offrent un espace d’expression aux élèves qui peuvent ainsi se sentir plus acteurs de la vie de la classe et un espace de discussion dans le respect et l’écoute d’autrui.
Toutefois, les entretiens réalisés après l’expérimentation auprès des tuteurs et des tutorés confirment l’impact direct du tutorat sur les relations entre binômes. Ainsi, Jeanne déclare qu’elle est « un petit peu plus proche d’El Hadji qu’avant le tutorat », tandis que Cléo affirme en parlant de Djenebou : « Avant on parlait quand on était fâchées, mais maintenant on est moins souvent fâchées. ». C’est également ce que m’a confié Omaya à propos de sa tutrice Renée : « Maintenant on peut discuter ensemble mais sans être meilleures copines. ».

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Table des matières

INTRODUCTION
1. Le tutorat : des apports théoriques à la mise en œuvre en classe de CE2
1.1. Définition et pratique du tutorat, de l’Antiquité à nos jours
1.2. Les bénéfices attendus du tutorat entre pairs
1.2.1. Les bénéfices d’ordre socio-affectif
1.2.2. Les bénéfices d’ordre cognitif
1.3. Les modalités d’organisation possibles
1.3.1. Tutorat spontané ou institutionnalisé
1.3.2. Le choix de la discipline et de la temporalité
1.3.3. La constitution des dyades
2. Une expérience de séances de tutorat sur la réalisation des accords dans le groupe nominal : réussites et limites
2.1. Déroulement des séances
2.1.1. Première séance de tutorat
2.1.2. Deuxième séance de tutorat
2.1.3. Troisième séance de tutorat
2.2. Analyse des résultats
2.2.1. Les effets sur le plan socio-affectif
2.2.2. Les effets sur le plan cognitif : résultats du post-test
2.3. Les limites du dispositif et les améliorations possibles
2.3.1. Les choix d’appariement des tuteurs et tutorés
2.3.2. Les risques de hiérarchisation des élèves
CONCLUSION 
BIBLIOGRAPHIE 
ANNEXES

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