Les bailleurs sociaux à l’épreuve de la gestion du cadre de vie des quartiers d’habitat social

L’amélioration du cadre de vie des quartiers HLM n’est pas un enjeu émergent, encore moins pour les bailleurs sociaux et les collectivités locales. Déjà dans les années 1980, des bailleurs ont pris une décision importante qui a eu des effets sur leur organisation d’hier et celle d’aujourd’hui : ils ont délocalisé leurs services de gestion au plus près des territoires gérés, ce qui a conduit à la naissance de la gestion dite de proximité. Cette décision était étroitement liée au développement de situations problématiques dans les quartiers d’habitat social qui appelait alors un changement dans les pratiques habituelles de gestion. L’histoire des bailleurs sociaux, très marquée par les évolutions de leurs pratiques gestionnaires et de leur organisation, ainsi que par leur engagement dans la gestion de proximité, laisse ainsi à penser qu’ils investissent fortement la question du cadre de vie. Nonobstant, alors qu’ils semblent devoir jouer un rôle essentiel, leurs pratiques sont peu étudiées dans la littérature sur le cadre de vie. Et réciproquement, la littérature sur les bailleurs sociaux, pourtant abondante, s’est peu intéressée à leur rôle de garants de la qualité du cadre de vie des quartiers qu’ils contribuent à développer et à gérer. Dès lors, si les activités de gestion locative, d’entretien du patrimoine, et de construction sont au cœur du métier des bailleurs, la « gestion du cadre de vie » est quant à elle beaucoup moins identifiée, y compris en interne, alors même que la fabrique des quartiers d’habitat social -tout comme d’autres espaces urbanisés- interpelle de plus en plus cette modalité de l’action urbaine.

Observer un acteur majeur du cadre de vie des quartiers d’habitat social : le bailleur social

L’aménagement urbain s’oriente de plus en plus vers des activités en lien avec le renouvellement urbain (la « reconstruction de la ville sur elle-même »), la gestion des espaces urbains existants, la réhabilitation du bâti « déjà là », la lutte contre l’étalement urbain et l’injonction à la densification, plutôt que la création de nouveaux espaces urbains ex nihilo. Dans ce contexte, les pratiques d’aménagement à venir pourraient être moins sous-tendues par un enjeu de production que de gestion du cadre de vie. Du côté des bailleurs sociaux, qui produisent et gèrent une partie des espaces habités, ce contexte accélère les préoccupations de gestion du cadre de vie et leurs pratiques se renouvellent en conséquence. Pourtant, il existe peu de travaux sur l’organisation du bailleur social, ses arènes de discussion et de décision sur les choix d’aménagement, sur la manière dont les agents du bailleur observent et font face à l’évolution du patrimoine social. Il y a donc un intérêt à alimenter les connaissances sur ces pratiques de gestion en s’appuyant sur le cas du bailleur social en tant qu’acteur majeur de la production et de la gestion des espaces urbains, d’autant que le cadre de vie est essentiel pour la qualité de vie urbaine et interpelle au-delà des seuls organismes HLM et des quartiers d’habitat social.

Les bailleurs sociaux, une organisation singulière 

Les 631 organismes HLM répartis sur l’ensemble du territoire national sont les principaux détenteurs du parc social, auxquels il faut ajouter l’État et les collectivités territoriales, ou encore la fédération des PACT (Propagande Action Contre les Taudis). Les bailleurs sociaux gèrent actuellement près de 4,7 millions de logements locatifs sociaux et 300 000 logements-foyers . Quatre principaux types d’organismes HLM peuvent être distingués :
• les Offices Publics de l’Habitat (OPH), obligatoirement rattachés à une collectivité territoriale ;
• les Entreprises Sociales pour l’Habitat (ESH), des sociétés anonymes dont le capital est majoritairement détenu par des actionnaires. Les OPH et les ESH sont les deux principaux types de bailleurs en France puisqu’ils possèdent à eux-seuls 85% du parc social.
• les sociétés coopératives d’HLM ;
• les sociétés anonymes coopératives d’intérêt collectif pour l’accession à la propriété.

Contrairement à la plupart des autres promoteurs, les bailleurs sociaux ont pour spécificité d’être à la fois constructeurs et gestionnaires de leur patrimoine. La maîtrise d’ouvrage et la gestion représentent une activité essentielle au cœur de leurs missions et cela se traduit dans leur organisation. En effet, l’organisation de la plupart des bailleurs français est scindée en deux directions principales, que représentent la gestion des logements sociaux et la maîtrise d’ouvrage HLM. Les organismes de logements sociaux ont fondé leur identité et une conception de leur rôle autour de ces deux activités, mais la maîtrise d’ouvrage est considérée comme une activité stratégique, alors que la gestion est un champ d’activités important mais moins valorisé (Allen, 2001 ; Mille, 2015, 2020). La maîtrise d’ouvrage correspond généralement aux activités de construction, de réhabilitation, et de résidentialisation des logements sociaux. La gestion est une notion plus polysémique encore, qui renvoie à des activités et des professions diverses au sein des organismes HLM : par exemple, la gestion locative des contrats des locataires, le recouvrement des loyers et l’accompagnement social, la commercialisation des logements, ou encore la gestion de proximité. Pendant de nombreuses années, la construction a constitué l’activité principale des bailleurs dont la vocation était l’accroissement de leur patrimoine et le développement de leur présence sur les territoires (Allen, 2001). Les services de gestion ont quant à eux longtemps été associés à des métiers peu qualifiés. Mais depuis les années 1980, des évolutions se produisent dans l’organisation des bailleurs sociaux qui tendent à revaloriser la dimension stratégique des activités de gestion. Cela ne concerne toutefois pas toutes leurs activités de gestion, mais plutôt celles qui concourent à la qualité du cadre de vie, une préoccupation ancienne et montante pour les bailleurs sociaux.

Le cadre de vie, une préoccupation ancienne et montante pour les bailleurs sociaux

La qualité du cadre de vie des quartiers d’habitat social représente en effet une préoccupation ancienne pour les bailleurs sociaux. Les mesures incitatives de la Politique de la Ville et de l’État ont largement contribué à leur faire prendre des responsabilités sur ce sujet. Depuis les années 1980, les organismes de logements sociaux font évoluer leur organisation pour assumer cette responsabilité institutionnalisée et croissante. Les archives de l’Union Sociale pour l’Habitat (USH), une organisation représentative du secteur HLM qui fédère l’ensemble des bailleurs français, apportent des enseignements précieux sur les évolutions de leurs organisations depuis les années 1980. L’étude des rapports rédigés à la suite des «Congrès HLM » nationaux organisés chaque année par l’USH éclaire tout particulièrement la manière dont ces évolutions se manifestent à mesure que progresse leur rapport au cadre de vie. Les comptes rendus des Congrès qui se sont tenus au cours des années 1980-1990 ont été plus spécifiquement étudiés, car nous avons repéré dans les archives que ces années représentent un tournant pour les bailleurs en matière de cadre de vie.

Pour commencer, le rapport du 45ème Congrès national HLM de 1984 avertit que « le Mouvement HLM [ancien titre de l’Union Sociale pour l’Habitat] sait bien qu’il décide chaque jour du cadre de vie des prochaines décennies ». C’est au cours de cet événement que le « droit à un cadre de vie » fait une apparition officielle dans les discours des acteurs du logement social. Il émane d’une prise de conscience sur l’ampleur des effets que leurs décisions sur le cadre de vie des quartiers produisent sur le long terme . L’accélération de cette prise de conscience sur le rôle des bailleurs en matière de cadre de vie implique pour eux de redéfinir leur rôle, retranscrit comme tel dans le rapport : « Au-delà de [leurs] missions traditionnelles, face aux besoins de l’habitat social, les organismes ont souvent dépassé ces seuls rôles d’opérateurs et de gestionnaires ». Jusqu’alors, les bailleurs sociaux avaient construit leur identité professionnelle autour des deux activités structurantes que représentent la construction et la gestion de logements sociaux. Mais les années 1980 marquent un tournant dans l’intégration de nouvelles responsabilités sur la qualité du cadre de vie, l’insertion urbaine ou encore la gestion des ouvrages produits. D’autres missions plus sociales sont aussi confortées au début des années 1980, comme l’enjeu de maîtriser l’évolution du niveau des charges pour les locataires et de favoriser une meilleure « intégration sociale des populations » (rapport du Congrès, 1984). Ces évolutions se matérialisent dans un contexte marqué par une baisse des opérations de construction des logements. La moyenne de la taille des opérations se maintenait alors, à cette époque, à un niveau faible depuis environ dix ans. Entre 1975 et 1983, la construction neuve (des logements privés et sociaux) a ainsi chuté de 184 000 logements (respectivement, 516 000 et 332 000 logements mis en chantier) et « il ne se lance plus d’opération supérieure à 200 logements » sur tout le territoire national. Cette situation a conduit le « Mouvement HLM » à prédire un « effacement progressif de la mission » traditionnelle de production des bailleurs, pour reprendre les termes restitués dans le rapport du Congrès. La baisse du nombre de constructions a ainsi amené les bailleurs à se recentrer sur leur autre activité historique, la gestion, comprise au sens de la gestion du patrimoine bâti.

Un bref rappel sur ce contexte bien particulier aide à mieux comprendre pourquoi les dirigeants d’organismes HLM, qui ont pris la parole au Congrès de 1984, ont tenu à insister sur les enjeux stratégiques des activités de gestion. Ils ont avant tout partagé des préoccupations sur l’évolution des quartiers « tant au niveau du bâti qu’à celui de la composition sociale de son occupation », tout en rappelant que la gestion d’un patrimoine immobilier implique de « pourvoir [au] renouvellement » de celui-ci . Certains dirigeants ont enchéri en assurant que la gestion du patrimoine propriété des bailleurs reposait sur leur unique responsabilité, et que cette responsabilité pouvait certes « s’exercer en concertation avec [leurs] partenaires, mais […] ne [pouvait] pour autant se partager » .

Un an plus tard, le 46ème Congrès national HLM de 1985, « Moderniser pour mieux servir », a réaffirmé un basculement dans les missions traditionnelles des bailleurs sociaux : « Le centre de gravité de leurs activités s’est déplacé : leur activité de constructeur est englobée dans le métier d’acteurs indispensables de la mise en œuvre d’une nouvelle gestion urbaine, de partenaires à part entière du développement économique et social local » . Les bailleurs ont revendiqué à ce titre un statut d’opérateurs urbains .

Cinq ans après, en 1990, un groupe réunissant des représentants du milieu HLM a été constitué sur le sujet de la « qualité du service rendu », une expression qui est apparue à la fin des années 1980 et qui traduit bien le basculement en cours dans l’organisation des bailleurs. En effet, l’avènement de la qualité de service a impliqué que les interventions des organismes HLM ne se limitent plus au logement mais soient élargies à son environnement, c’est-à-dire aux espaces qui bordent les immeubles et dont ils sont propriétaires fonciers. À cette période, il est désormais attendu des bailleurs sociaux qu’ils s’impliquent dans la question des équipements gérés par les pouvoirs publics et des acteurs privés, équipements pour lesquels la responsabilité des bailleurs est donc nouvellement engagée. Il s’agit, comme on peut le lire dans le rapport du groupe « Les organismes d’HLM et la qualité du service rendu » , des équipements sociaux, éducatifs, culturels et sportifs, des commerces, ainsi que des transports. La responsabilité des organismes HLM en matière d’insertion urbaine du patrimoine social est également mentionnée. L’acquisition de ces nouvelles responsabilités s’est accompagnée par d’autres évolutions dans leurs activités de gestion de l’habitat : les bailleurs « ne proposent plus seulement un logement mais offrent un environnement sécurisé et des services » (Lefeuvre et Lelévrier, 2002, p. 207). Depuis lors, les bailleurs ne se limitent plus à une simple gestion immobilière mais investissent de plus en plus des activités que l’on qualifie dans cette recherche de « gestion du cadre de vie ». Pour accompagner ces évolutions et mesurer leurs performances en matière de qualité de vie, les bailleurs sociaux ont commencé à développer à partir de 1991 des démarches visant à recueillir le degré de satisfaction des locataires qu’ils considèrent depuis comme des clients .

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Table des matières

Introduction générale
PARTIE 1 : Objet et méthodes de recherche
CHAPITRE 1 – La gestion du cadre de vie comme objet de recherche
CHAPITRE 2 – Les coulisses de la recherche : Immersion dans un organisme HLM
PARTIE 2 : Où se cache la gestion du cadre de vie chez le bailleur social ?
CHAPITRE 3 – De la gestion locative aux gestionnaires du cadre de vie
CHAPITRE 4 – Les chefs de projets urbains, de la production à la gestion du cadre de vie
CHAPITRE 5 – Le cadre de vie et sa gestion, des objets négociés
PARTIE 3 : Les gestionnaires du cadre de vie en action. Le cas des Projets de Gestion de Site
CHAPITRE 6 – La gestion du cadre de vie, une question d’échelle ?
CHAPITRE 7 – La gestion du cadre de vie, de l’instabilité de l’objet à la fragilité de l’action
Conclusion générale
Bibliographie

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