Les auditoria dans le monde romain

Les pratiques et les structures de l’enseignement et des divertissements culturels dans l’empire romain sont relativement bien connues du point de vue historique et iconographique, mais les sources archéologiques jusqu’à une période récente, semblaient pauvres sur la question. À partir du Ier siècle de notre ère la langue latine dispose d’un mot, auditorium, pour désigner un lieu édifié où on se réunit pour écouter une parole qui a une fonction pédagogique ou une fonction de divertissement intellectuel. Mais la pratique est beaucoup plus ancienne. Certes dans le monde romain, la pratique de la lecture et de l’écriture était l’apanage d’une élite, cette littérature touchait un public beaucoup plus large, déjà sous la République, car elle était faite pour être lue devant un public réuni pour écouter . L’avènement de l’empire, dépossédant les élites du discours proprement politique au profit du seul panégyrique, l’éloquence se fait essentiellement judiciaire et littéraire.

Les activités des auditoria peuvent se tenir dans des lieux non spécifiques

On peut effectivement objecter qu’il n’y a pas de lieux spécifiques pour l’enseignement puisqu’il se donne volontiers, d’après les sources littéraires et iconographiques, sous les portiques, au domicile de l’enseignant, au domicile du maître, sur le forum, au bouleutérion…L’enseignement peut se dérouler sous le portique d’une demeure privée, d’un édifice ou d’une place publiques, comme on le voit sur la fresque dite de la Punition, de Pompéi (fig. C. 2) . Il est une évidence pour nous : « une école est d’abord, au sens le plus concret du terme, un local où se donne des cours » et même plus, un édifice spécifiquement construit et exclusivement utilisé pour cette activité et qui, de ce fait, présente suivant les époques et les régions, certaines caractéristiques architecturales clairement identifiables . C’est aussi le cas, toutes choses égales d’ailleurs, pour la Grèce classique ; ainsi, par exemple, les sources littéraires se référant à l’Académie permettent d’affirmer qu’Athènes dispose depuis le VIe siècle avant notre ère d’un gymnase, en tant que structure permanente qui ne se réduit plus à un simple jardin, et qui est un lieu spécifique de la formation physique et intellectuelle des jeunes Athéniens . Certes, initialement, il est peu monumentalisé. Archéologiquement, l’Académie a été identifiée par des structures remontant au moins à l’époque de Platon . Le Lycée d’Aristote existait au IVe siècle avant notre ère ; on en aurait identifié les restes archéologiques ; de même pour le Cynosarge. Mais les Romains, dans leur tradition, ne disposaient pas de tels lieux ; l’instruction et l’éducation étaient données, sous la République, dans la maison familiale , puis, sous l’Empire comme le déplore Tacite, le plus souvent, à l’école du grammairien et du rhéteur, mais celle ci semble n’être rien d’autre que leur domicile ou un local ou lieu non spécialisés, comme on le voit sur le relief de Neumagen (fig. C. 3) . Dans le Satiricon de Pétrone, Primigenius, le fils d’Echion le fripier, reçoit encore un enseignement à domicile, de deux maîtres, l’un qui n’ « est pas installé et vient donner des cours », l’autre « que l’on fait venir les jours de congés » du premier ; Hermeros, un co-affranchi de Trimalcion, se flatte de la  simple mais bonne éducation reçue au domicile du maître. R. Cribiore s’interrogeant sur l’existence de lieux spécifiquement et exclusivement réservés à l’enseignement dans l’Antiquité tardive, indique que, lorsqu’on considère les lieux où les enseignants exerçaient leur profession « it is important to maintain an extremely flexible point of view » ; dans notre monde moderne, les écoles sont des lieux permanents spécifiquement et exclusivement dédiés à l’enseignement mais dans la période hellénistique et romaine, les enseignants utilisaient, écrit-elle, ce qui était disponible là où ils vivaient. Parfois ils donnaient les cours élémentaires en plein air ou dans des environnements variés comme les temples, des tombes abandonnées ou des grottes, ou chez eux. À Rome, Plotin, philosophe néoplatonicien du IIIe siècle, vivait et enseignait dans la maison de Génima, l’épouse du futur empereur Trébonien, entouré de jeunes disciples ; et c’est là qu’il a dû donner ses leçons de philosophie retranscrites ensuite par son disciple Porphyre. À l’époque tardive, l’enseignement peut encore se donner dans la maison du maître, au moins jusqu’à ce que l’enseignant puisse avoir accès à une chaire municipale ou d’État. Il faut attendre 425 pour qu’une constitution impériale s’efforce de mieux définir, au moins pour Constantinople, la distinction entre enseignants privés et enseignants rétribués de manière publique. Jusqu’à cette date les enseignants de tout niveau pouvaient ouvrir une école ou donner des leçons là où ils voulaient et quand ils le désiraient. Même lorsqu’il s’agit d’une chaire publique, municipale ou impériale, sa création ne s’accompagne pas nécessairement de l’attribution d’un local. Il faut attendre cette constitution pour que la création des chaires d’enseignement, à Constantinople, soit accompagnée de l’attribution de locaux fixes et déterminés. Pour nous l’école est un lieu fixe où des enseignants, divers, se succèdent ; dans l’Antiquité, l’école c’est l’enseignant, qui peut officier ici ou là ; la permamence de l’institution est donnée par le maître, non par le lieu. « A school did not have an existence independent from the teacher, who was his school », comme l’écrit R. Cribiore ; un groupe d’élèves pouvait suivre son professeur quand il changeait de ville, ou bien l’enseignant pouvait recommencer ailleurs avec de nouveaux étudiants.

Un auditorium est-il identifiable archéologiquement ? 

Un stade, un amphithéâtre, un théâtre, un nymphée, un temple, un aqueduc sont identifiables archéologiquement par leurs structures, même si les diversités provinciales et les genres mixtes troublent parfois la donne. Les auditoria, comme lieu des recitationes, prestations rhétoriques, enseignement sont-ils identifiables par l’archéologie ? Si l’auditorium en tant que salle d’audition pour une lecture publique n’est, comme le laisse entendre un texte très célèbre de Juvénal, qu’une salle quelconque louée ou prêtée, aménagée de manière provisoire et donc éphémère, avec des sièges amovibles pour recevoir un auditoire, rien ne peut permettre archéologiquement de l’identifier, du moins par sa seule structure . Quant aux structures mises au jour par l’archéologie jusqu’à une période récente, il y a pour le moins ambiguïté puisque cellesci, le plus souvent, ont fait l’objet de conflits d’interprétation. Ainsi l’auditorium de Mécène, mis au jour et identifié en 1874, a été requalifié très rapidement en nymphée ou en cenatio. De son côté, Pierre Gros mettait en garde contre la tentation de qualifier comme étant des auditoria des édifices qui seraient plutôt des odéons de petites dimensions (Ariassos/ex Cretopolis, Termessos, Cnide, Aperlae). Comment d’ailleurs distinguer structurellement un auditorium d’un odéon ? On définit aujourd’hui l’odéon comme un petit théâtre couvert ; un auditorium est-il nécessairement un espace à l’intérieur d’un édifice ? Ne peut-il pas être un monument indépendant comme l’odéon ? La structure romaine couverte à gradins installée à l’époque impériale dans l’Asclepieion d’Épidaure est-elle un odéon ou un acroaterion/auditorium ? L’identification archéologique d’un odéon en l’absence d’inscription est-elle d’ailleurs plus aisée que celle d’un auditorium ? J.-C. Balty a requalifié en bouleuterion plus d’un édifice considéré comme un « odéon ». G. Majcherek, le découvreur des salles de Kôm el-Dikka, indique lui aussi que l’identification de bâtiments scolaires ou de salles de conférences du point de vue archéologique est rendue difficile par leur ressemblance fonctionnelle avec d’autres bâtiments utilisés pour diverses assemblées et que, finalement, il n’y a pas de critère pour identifier une structure comme étant une école.

Ni espace spécifique permanent pour les activités pédagogiques ou les divertissements intellectuels que sont les recitationes, les conférences philosophiques ou les déclamations rhétoriques, ni espace remarquable ou archéologiquement identifiable, l’auditorium n’aurait-il qu’une existence littéraire, historique et nullement archéologique ? Une source littéraire nous livre une description architecturale d’une salle de cours dans une maison privée. Eunape décrit la maison de Julien de Cappadoce le sophiste, qu’il a vue à Athènes ; il évoque son θέατρον ἦν ζεστοῦ λίθου, son θέατρον de pierre polie, θέατρον a le sens général de lieu pour une assemblée ; puisque cette assemblée était, par le contexte, de nature scolaire/universitaire, ce n’est pas sans raison que R. Goulet a traduit par « auditorium ». Il s’agit d’une salle, puisque nous sommes dans une maison ; elle semble être aménagée et même peut-être édifiée de manière permanente pour recevoir un auditoire, certes restreint, avec un décor architectural correspondant à la  fonction et à la noblesse du lieu. L’épigraphie nous livre une preuve de l’existence d’un auditorium en tant qu’espace ou peut-être monument spécifique et permanent, identifié comme tel à l’époque où il est édifié. C’est d’ailleurs la seule attestation épigraphique en grec d’un auditorium ; elle a été trouvée à Éphèse, dans les dépendances de la bibliothèque de Celsus ; écrite en langue et caractères grecs, elle mentionne l’existence d’un pavement devant l’αὐδειτώριον et la Bibliothèque de Celsus :

πρò τοῦ αὐδειτωρίου καὶ τῆς Κέλσου βιβλιοθήκης  .

Certes, il n’a pas été possible de le localiser archéologiquement plus précisément jusqu’à maintenant, malgré plusieurs recherches ou hypothèses. C’est cependant bien la preuve qu’existaient de tels espaces, permanents, spécifiques, connus sous ce nom au IIe siècle par la population de l’Antiquité, comme le remarque B. Tamm. On note aussi, avec P. Gros, la connexion topographique avec la bibliothèque ; la lecture, même individuelle, s’opérant le plus souvent à haute voix, la bibliothèque est plus un lieu de conservation des livres qu’un lieu de lecture individuelle silencieuse comme aujourd’hui ; à Éphèse, la lecture à haute voix devant un public pouvait être donnée dans l’auditorium tout proche.

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE : Problème et vocabulaire
1. Le problème
1.1. Les activités des auditoria peuvent se tenir dans des lieux non spécifiques
1.2. Un auditorium est-il identifiable archéologiquement ?
2. L’état de la question
2.1. Les études monographiques
2.2. Les synthèses
3. Le vocabulaire de l’auditorium
3.1. L’apparition du mot auditorium
3.2. Le mot à la fin du Ier siècle et au début IIe siècle de notre ère
3.2.1. « Auditorium » désignant un lieu
3.2.2. « Auditorium » désignant un auditoire
3.2.3. « Auditorium » désignant une performance
3.2.4. Les usages ambigus du mot
3.3. Le mot au IIe siècle de notre ère
3.4. Le mot dans des connotations judiciaires
3.5. Le mot au sens d’école dans les textes juridiques (IVe -Ve siècle)
4. Les vocabulaires grec et latin
4.1. Ἀκροατήριον et auditorium
4.2. La diversité du vocabulaire grec pour signifier l’école
4.3. Le vocabulaire latin
5. La délimitation de la recherche
DEUXIÈME PARTIE : Analyse
1. La répartition géographique des auditoria
2. La chronologie des auditoria
2.1. La chronologie des implantations
2.2. La chronologie de la disparition des auditoria
2.3. Les circonstances de la disparition des auditoria
3. Les auditoria privés et publics
4. La syntaxe architecturale
4.1. La syntaxe architecturale des auditoria publics
4.1.1 Auditoria et gymnases
4.1.2. Auditoria et bibliothèques
4.1.3. Auditoria et complexes publics
4.2. La syntaxe architecturale des auditoria privés
5. L’analyse formelle
5.1. Les plans
5.2. L’élévation extérieure
5.2.1. La hauteur des édifices
5.2.2. Le nombre de niveaux d’élévation
5.2.3. La description de l’élévation
5.3. Le couvrement
5.4. L’aménagement avec gradins ou bancs maçonnés
5.5. Les aménagements autres
5.6. Pulpitum / scaena
5.7. L’éclairage et la ventilation
5.8. La régulation thermique
6. La capacité des auditoria
7. La décoration
7.1. La décoration architecturale
7.2. Les revêtements des sols
7.3. Les revêtements des murs, plafonds et gradins ou bancs
7.4. La décoration sculptée
7.4.1. Les reliefs
7.4.2. Les statues
7.4.3. Les reliefs et statues de divinités
7.5. Conclusion
7.6. Excursus : La salle, de Lucien de Samosate
8. La dimension religieuse des auditoria
8.1. La religion traditionnelle
8.1.1. Le patronage des dieux
8.1.2. Des autels et des prêtres pour le culte
8.1.3 L’auditorium et la salle du culte impérial
8.2. La religion chrétienne
8.3. Le judaïsme
9. Les inscriptions
9.1. Les inscriptions provenant de l’auditorium
9.2. Les inscriptions provenant du complexe
10. Les fonctions des auditoria
10.1. L’enseignement
10.2. Les recitationes
10.3. Les declamationes
10.4. Les salles spécialisées / les salles polyvalentes
10.5. Les associations fonctionnelles dans les grandes villes
11. Excursus 1 : L’aspect sonore de l’auditorium
11.1. La voix de l’orateur
11.2. Les bruits et sons provenant de l’auditoire
11.2.1. Les clamores
11.2.2 Les bruits intempestifs de l’auditoire
12. Excursus 2 : La structure architecturale des auditoria et la violence
12.1. La structure et la violence du maître
12.2. La structure et la violence des étudiants
TROISIÈME PARTIE : Identification des auditoria
1. Les modalités des identifications des salles et édifices étudiés
1.1. Les refusés
1.1.1. Simena (A62)
1.1.2. Arykanda, la salle à gradins de l’agora supérieure (A61)
1.1.3. Ariassos (A63)
1.2. Les identifications possibles, probables ou douteuses
1.2.1. La salle B d’Alexandrie (A5)
1.2.2. L’acroaterion de Cnide (A48)
1.2.3. La salle sud-ouest de l’Asclepieion de Pergame (A44)
1.2.4. La salle de la palestre du Bain gymnase de Hierapolis (A49)
1.2.5. La salle méridionale de la palestre du Bain gymnase de Sardes (A52-53)
1.2.6. La salle orientale du templum Pacis (A70) et les exèdres (A73-74)
1.2.7. La salle absidée de la maison dite de Proclus à Athènes (A39)
1.2.8. Les gradus de Termessus (A59)
1.3. Les identifications certaines
2. Des critères ou une méthode d’identification ?
2.1. Des critères introuvables
2.2. En l’absence de critère, quelle méthode d’identification ?
2.2.1. La syntaxe architecturale et la topographie urbaine
2.2.2. L’histoire des idées et de la culture
2.2.3. Les aires culturelles
2.2.4. La polyfonctionnalité de l’architecture romaine
3. Appendice 1 : l’auditorium et l’odéon
3.1. On les appelle « odéons »
3.2. Des sources anciennes aux usages contemporains
4. Appendice 2 : l’auditorium et le synthronon
CONCLUSION

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