Les angles morts de la planification urbaine

LES ANGLES MORTS DE LA PLANIFICATION URBAINE 

Depuis les années 1990, le plaidoyer pour un renouveau de la planification urbaine a pris de l’ampleur, tant sur le plan politique que théorique. Un foisonnement de nouvelles idées et pratiques a déconstruit l’épistémologie et les présupposés de la planification urbaine traditionnelle. Qu’en reste-t-il ? Ce ‘renouveau’ permet-il de s’attaquer à des questions auparavant délaissées et d’en faire émerger de nouvelles?

Le temps et l’espace du renouveau de la planification urbaine

La conception et le retour de la planification urbaine sur l’agenda politique et académique sont le produit d’une commande sociale portée par les pouvoirs publics, dans un contexte intellectuel propice au débat et à l’émergence de nouvelles théories. Toutefois, bien que traitant du devenir des villes, la planification a largement perdu sa dimension spatiale au profit d’une approche politique. La dilution du lien entre planification et espace urbain rend difficile – et nécessaire – de resituer cette réflexion dans une perspective géographique et matérielle.

La commande sociale : nouveaux défis et plans urbains
Depuis la fin des années 1990, il y a un regain d’intérêt certain pour de nouvelles pratiques urbaines. Les plans d’aménagement réalisés dans l’après-guerre en Europe, fondés sur le contrôle du foncier et inspirés des principes architecturaux de la charte d’Athènes, ont été discrédités notamment en raison de leur difficile mise en œuvre. En outre, le repositionnement de l’État dans les années 1970, sous la poussée d’une part de la société civile, d’autre part du secteur privé dans un contexte néolibéral, a relégué la planification dirigiste. Dans les villes en développement, la croissance démographique, l’insuffisance des services publics et le manque de capacités des gouvernements ont également participé d’une remise en cause de modèles planificateurs hérités de la colonisation. L’évidente inadéquation des outils à disposition des gouvernements a donné prise à une nouvelle réflexion sur la question urbaine. Au niveau mondial, de nouveaux enjeux urbains émergent : l’environnement et le développement durable, la gouvernance et la participation, les questions de violence et de cohésion sociale, et enfin particulièrement dans les villes en développement l’informalité (Watson V. 2009a). Après une période de retrait de l’État et de laissez-faire, la planification urbaine revient donc sur le devant de la scène.

Increasing global and local inequality, resource depletion and the abject conditions that are the daily reality of Africa, Asia and Latin America‘s poorest urban citizens testify to the bankruptcy of current planning thinking and on-the-ground responses. Recognising that there is a problem is simple – deciding how to move forward to define alternative paths for planning and training qualified planners in the places where there is work to do, is more complex and difficult. (Parnell et al. 2009: 234–235) .

Dans les années 1990, de nouvelles formes de plans apparaissent, qui emportent un succès certain : les plans stratégiques de Barcelone et de Lyon par exemple ont ainsi ouvert la voie à des approches participatives, orientées vers les résultats et porteuses de projets de ville fédérateurs sur le long terme. Plusieurs métropoles se sont inspirées de ces initiatives, diffusées internationalement par des réseaux tels que United Cities and Local Governments.

En dépit de la variété des contextes métropolitains et des enjeux territoriaux, on observe donc une part significative de réponses communes des métropoles dans la façon de gérer l’organisation de leur espace. Qu’il s’agisse du relatif ‘retour en grâce’ de la planification, d’options stratégiques telles que les villes nouvelles ou le polycentrisme, ou encore de la mise en place d’outils et de structures d’appui à l’aménagement, le sentiment est qu’il existe de Bangkok à Minneapolis une volonté de prendre ou de reprendre en main le développement du territoire des métropoles. Plus encore, et ce n’est pas un mince succès pour la planification, il semble que les documents d’aménagement de l’espace constituent de plus en plus un outil de promotion des métropoles : au-delà de l’image de modernité, on y perçoit une volonté de démontrer une gestion plus responsable et une approche plus globale des enjeux locaux. (Antier 2005: 84) .

Sur la scène internationale, une série d’évènements participe de la reconnaissance de ces nouveaux défis urbains et du rôle que la planification urbaine pourrait jouer pour y faire face : déclaration Reinventing planning : a new governance paradigm for managing human settlements du World Planners Congress au Forum Urbain Mondial de 2006, rapport Unleashing the potential of urban growth du Fonds des Nations-Unies pour la Population (2007), conférence What policies for globalizing cities ? Rethinking the urban policy agenda de l’OCDE (2007), conférence européenne sur le Nouveau sens de la planification (IAU Ilede-France 2009), et surtout rapport mondial de UN-Habitat Planning sustainable cities (2009a)… L’accueil du Forum Urbain Mondial à Barcelone en 2004 et la nomination de J. Clos, ancien maire et artisan du plan stratégique de la ville, comme directeur exécutif d’UNHabitat en 2010, symbolisent ce retour de la planification sur l’agenda politique. La rhétorique pour le renouveau de la planification urbaine est omniprésente.

Le contexte intellectuel : nouvelles questions et théories urbaines
En parallèle, les années 1960 marquent la fin du modernisme en sciences sociales et l’émergence d’une multiplicité de nouveaux courants sociaux et politiques. Post-modernisme, pluralisme et multiculturalisme forcent la réflexion sur la planification urbaine à s’ouvrir à de nouvelles approches et thématiques. Le paradigme traditionnel de la planification rationnelle s’étant effondré, les controverses intellectuelles se multiplient et la diversité théorique prend le pas sur un consensus jusqu’alors peu problématisé (Allmendinger 2002; Yiftachel 1989).

Le foisonnement théorique et intellectuel a été alimenté par des controverses entre courants paradigmatiques (Innes 1995), par la création d’espaces de discussion disciplinaires propres – journaux Progress in Planning en 1973, Journal of Planning Education and Research en 1981, Journal of Planning Literature en 1985, International Planning Studies en 1996, Planning theory and practice en 2000, Planning Theory en 2002 – et par l’émergence de nouveaux agendas de recherche à laquelle les études sur les villes en développement ont grandement contribué (Blanco, Alberti, Forsyth, et al. 2009; Blanco, Alberti, Olshansky, et al. 2009). La réflexion s’est structurée autour de deux grands débats : d’une part les changements de paradigmes et les ruptures entre différentes ‘écoles’ d’analyse de la planification, d’autre part la question du lien entre théorie et pratique, entre approche descriptive et ambition normative de la littérature. Cette production scientifique a notamment permis d’affirmer la dimension fondamentalement politique de la planification, par opposition à une conception jusqu’alors scientifico-technique prétendument neutre. La planification urbaine est devenue un objet scientifique social et politique, enjeu de pouvoir et d’intérêt.

L’espace, la planification et la planification urbaine

La planification est désormais étudiée comme un mode d’action publique parmi d’autres, parfois même assimilée à une pratique de gouvernance (Innes & Booher 2003), de programmation des investissements (Safier 1992) ou encore de management urbain (Halla 2007). Les travaux scientifiques traitent de manière générale de la planification, sans même parfois préciser qu’il s’agit de planification ‘urbaine’. La dimension spatiale et géographique s’est progressivement estompée, pour devenir complètement absente de débats qui abordent finalement la question planificatrice sous l’angle des sciences politiques, de la sociologie voire de la philosophie. Ce divorce entre la planification urbaine et la géographie fait finalement de l’espace matériel d’intervention le grand absent. Le flou autour de l’objet même de la planification a d’ailleurs justifié quelques rares articles sur le traitement de l’espace dans la planification, sa disparition dans les années 1980 et la possibilité de son retour (Healey 2004). Cependant ces travaux défendent une conception de l’espace non pas en tant que forme urbaine, mais plutôt comme un support relationnel, la toile de fond des activités et acteurs urbains (Graham & Healey 1999). Il n’est donc plus question de l’espace physique : dès lors que l’on considère la planification comme un mode de gouvernance, il devient difficile et superflu de traiter de la gestion, de la forme et de la qualité des espaces urbains (Todes 2011). Concevoir l’espace comme un objet politique est heuristique et permet de révéler des relations de pouvoir et leurs effets matériels, mais cette approche a pris le dessus, n’offrant plus de cadres pour saisir les réalités géographiques (Hertzog & Sierra 2010). L’espace est certes politique, mais les conflits portent de fait sur les lieux et le temps de l’action publique, et c’est donc à ces enjeux que la réflexion sur la planification devrait s’atteler (Roy 2011a).

La distinction entre théories de la planification et théories urbaines renvoie à la rupture entre théories procédurales et substantielles de la planification : les premières traitent de la planification comme une simple fonction et forme de gouvernement, les secondes portent sur la construction d’une certaine vision de la ville (Fainstein 2005). Toutefois, ce sont principalement les courants et les débats sur la dimension politique et les modalités de l’action publique qui dominent maintenant le champ scientifique, laissant de côté les objectifs de fond.

The gravitational point of focus, particularly in the field of planning theory, has shifted too far to the process end during the past two decades, leaving the material basis of urban exclusion obscured and under-theorised. (Parnell et al. 2009: 236) .

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Table des matières

INTRODUCTION
1. Les angles morts de la planification urbaine
2. Le chaînon méconnu de la viabilisation
3. La fabrique urbaine ordinaire
PARTIE 1. PLANIFICATION VS. URBANISATION
CHAPITRE 1. À LA RECHERCHE DE LA PLANIFICATION URBAINE
1. Les modèles de planification urbaine
2. La planification urbaine en pratique
3. La planification urbaine à l’export
Conclusion : La planification est morte, vive la planification ?
CHAPITRE 2. DELHI : UNE VILLE PLANIFIÉE DÉPASSÉE
1. Trop de gouvernance, pas assez d’administration
2. Les colonies non-autorisées : l’entre-deux
3. Des services essentiels inégaux
Conclusion : Une planification urbaine centrale et contournée
CHAPITRE 3. LIMA : UNE VILLE ILLÉGALE CONSOLIDÉE
1. L’occupation-autoconstruction comme mode de fabrique urbaine
2. Un cadre national de politiques urbaines originales
3. Le rattrapage progressif des services essentiels
Conclusion : Une planification urbaine négligée et négligeable
CONCLUSION : LA NON-PLANIFICATION URBAINE
PARTIE 2. LA VIABILISATION MALGRÉ TOUT : BRICOLAGES SOCIOTECHNIQUES
CHAPITRE 4. CHANGEMENT TECHNIQUE ET TECHNOLOGIQUE
1. La faisabilité technique n’est pas technique
2. Des modules complémentaires novateurs
3. Des alternatives au réseau refoulées
Conclusion : Le réseau est un et indivisible
CHAPITRE 5. ARRANGEMENTS COMMERCIAUX ET SOCIAUX
1. Du clientélisme au service clientèle
2. Entre responsabilité d’entreprise et action sociale
3. De la coproduction à la contribution
Conclusion : La coresponsabilité
CHAPITRE 6. CRÉATION D’INFORMATION ET INSTITUTIONS
1. Ajuster les règles
2. Générer de l’information
3. Se doter d’un outil de travail
Conclusion : L’informalité institutionnalisée
CONCLUSION : LA VIABILISATION DE QUARTIERS NON-PLANIFIÉS
PARTIE 3. UNE PLANIFICATION MALGRÉ ELLE ? TÂTONNEMENTS ET APPRENTISSAGES
CHAPITRE 7. VRD : VOIRIE ET RATÉS DIVERS
1. Câbles et boyaux
2. La guerre des tranchées
3. Chacun sa route
Conclusion : Y a-t-il un pilote dans la ville ?
CHAPITRE 8. PPP : PROGRAMMATIONS PUBLIQUES ET PRIVÉES
1. Des secteurs publics planifiés
2. Des programmes gouvernementaux autonomes
3. Des stratégies privées programmées
Conclusion : Forget planning and programming, put politics first ?
CHAPITRE 9. GRH : GESTION D’UNE RÉFORME HUMAINE
1. Une entreprise sous influences
2. Mais que fait l’entreprise ?
3. Le consentement à fournir
Conclusion : Des entreprises et des hommes
CONCLUSION : LA VIABILISATION, UNE ACTION NON-PLANIFIÉE
CONCLUSIONS
1. Une urbanisation – pas – comme les autres
2. Le (bon) sens de la viabilisation
3. Une ‘feuille de routes’ pour la planification urbaine
ANNEXES

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