Les abrégés de vie et de vertus: au croisement de la mémoire et de la religion

L’opposition parentale

En la matière, ce refus n’a pas de sexe. Il peut aussi bien venir de la mère que du père voire, dans quelques cas, des membres de la fratrie (frères et soeurs) ou de la grand-mère. Il n’y a pas, derrière ces oppositions, de raison unique. Il peut s’agir d’une volonté de placer une jeune fille dans le monde comme c’est le cas pour soeur Marie des Saints-Anges Le Guennec de Treurant:
« A quoi madame sa mere la pressoit fortement car quoi qu’elle eut beaucoup de piété, tous ses desseins n’estoient autres que de voir cette chere fille bien establie dans le monde ».
Cette entrave maternelle se comprend « aisément » étant donné le statut social de cette jeune fille, issue « d’une des bonnes maisons de l’esveche de Vannes tres bien alliees tant du costé de monsieur son pere que de celui de madame sa mere ». Cette dernière, malgré son infinie piété et la tendresse qu’elle lui porte – tout comme son père, d’ailleurs – ne peut se résoudre à la voir revêtir l’habit religieux. Afin de parfaire son éducation et lui faire rencontrer des « personnes de distinction », elle l’envoie chez une dame « autant distinguée par sa vertu que par la naissance » avec le but qu’elle se forge de bons principes. Ce séjour, au lieu de cultiver en elle, le désir de se marier avec un parti avantageux, ne fait qu’augmenter son idée de se consacrer à Dieu. Devant le refus réitéré de sa mère de la laisser partir au couvent, elle confie son désir à son confesseur. La future postulante tient tête à sa mère et à ses infinies promesses de richesses :
« Enfin, après plusieurs réitérations, elle eut la permission de le faire pour toujours. Ce fut alors que, s’offrant comme une victime à la divine majesté, elle commença à souffrir du costé de madame sa mere à laquelle elle n’avoit garde de faire part de son secret et qui la pressoit fortement de profiter des avantages que la fortune lui presentoit, de manière qu’elle se vit obligée de lui faire dire qu’elle ne s’etabliroit jamais dans le monde, ce qui affligeoit beaucoup cette bonne dame».
Le conflit, entre les deux parties, perdure. Personne ne veut abandonner : la jeune fille persiste dans son désir de cloître tout comme la mère ne cesse de presser sa chère fille à accepter le choix maternel :
« S’en estant retournée à la maison, elles se sollicitoient l’une et l’autre de condescendre à leurs volontés, mais les resistances estoient égales. Quelque fois, il sembloit que la bonne mere commençoit à se rendre et puis, un moment après, elle ne le vouloit plus. Il y avoit un de messieurs le grand vicaire de cet esveche, grand missionnaire et qui s’estoit mérité par sa vertu, l’estime et confiance de toutes les personnes de distinctions. Il possedoit parfaitement celle de madame de Treurant et sa chere fille. Il avoit tâché, plusieurs fois, de faire condescendre cette bonne dame a accorder a notre vertueuse demoiselle ce qu’elle desiroit.
Mais, toujours, inutilement. Elle se résolut de faire un dernier effort et de profiter du premier oui que madame sa mere diroit. Elle escrivit a ce monsieur et le pria de se rendre chez elle. Comme il n’ignoroit pas le sujet, il y alla. Il fut reçu avec toute la joye et la consolation que l’on pouvoit souhaiter. Il commença par renouveler sa batterie et, pressant si fortement cette bonne mere du costé de Dieu et de la conscience, qu’il obtint un oui assez faible. Notre vertueuse demoiselle qui était à la porte, n’attendoit que ce mot depuis bien des années et qui avoit un cheval tout équipé afin de partir, prend incontinant le chemin de Vannes, estant eloignée de 7 grandes lieues et ne fut pas longtems à se rendre.
Le séjour qu’elle avoit fait en cette ville lui avoit procuré le bien de connaître feu notre très honorée et très vertueuse mere Marie de la Trinité Heurtaut et n’avoit d’autres desirs que de vivre sous la conduite. Elle se rendit droit en cette maison qui etoit bien commençante et en demanda l’entrée. Ce qu’on lui accorda avec d’autant plus de joie que l’on etoit prévenu depuis longtems de sa bonne vocation. Deux heures apres son départ, madame sa mere s’en estant aperçu fit mettre les chevaux au corral et vint a Vannes en poste, mais quelque diligence qu’elle put faire, elle trouva sa chere fille entrée à laquelle elle dit tout ce que la tendresse et le dépit lui inspira toujours résolue de la faire sortir. Il fallut que notre très honorée mere Marie de la Trinité se fut servi de toute son éloquence pour lui persuader de la laisser passer la nuit ce qu’elle obtint apres bien des peines».
On pourrait aisément conclure ce long passage : tout est bien qui finit bien… tout du moins pour la jeune postulante.
Il n’y a pas que les mères qui veulent placer leur fille dans le monde. Les pères aussi comme l’affirme quelques lignes sur soeur Marianne de Saint-Joseph Buchet : « Environs l’age de quinze ans, monsieur son pere la vint voir et comme il n’avoit plus qu’elle qu’il peut establir dans le monde il en avoit pris le dessein, il le luy communiqua et la fit habiller proprement, luy disant que ce n’étoit qu’en attandant qu’elle retourneroit à Rennes ou il comptoit qu’elle seroit au printemps prochain. Notre demoiselle escouta tout ce discour mais elle ne sy laissa pas surprendre. La grace avoit tellement pris l’empire audessus de la nature que toutes les tendresses d’un pere, l’éclat d’une honneste fortune, la liberté d’un monde dont on le luy representoit a lors que les plaisirs, tout cela, dis-je, ne fit aucune impression dans son ame. Elle fut toujours constante dans le projet formé de se donner à Dieu et, au sortir du parloir, sa chere soeur luy temoignant la joye qu’elle avoit de tout ce que son pere vouloit faire pour elle. Elle luy répartit : je vous assure, ma chere soeur, que tout cela ne me touche point ».
La persévérance de chacune des futures postulantes est récompensée, à chaque fois, au prix d’un chagrin évident de la part des parents. Cette tristesse revient dans d’autres abrégés.
Pour soeur Marie de Saint-François Xavier Geffroy de Kergouziou, c’est le père qui est en proie au chagrin : « Ce monsieur, excellant chrétien, se chargea volontier de cette commission. Nôtre chere demoiselle y joignit des sollicitations des plus vives, pressantes et réitérées, de sorte que monsieur son pere, homme véritablement craignant Dieu, ne crut pas devoir s’opposer au divin vouloir sur son aimable fille. Il luy accorda son agrement malgré que le sacrifice couta prodigieusement à son coeur, tout conspirant a luy rendre cette chere enfant des plus cheres.
Le terme utilisé pour évoquer cette séparation sans retour est fort. L’abrégé parle ainsi de « sacrifice ». A nulle reprise, dans ce récit, il n’est fait mention d’un éventuel mariage. Aussi peut-on penser que derrière ce mot se cache le tendre amour d’un père à sa fille et non des considérations d’alliance et d’argent. Il apparait, à la lecture de plusieurs de ces notices nécrologiques, que les parents – les pères comme les mères – étaient attachés à leurs enfants.
Leurs réticences à voir leur fille quitter le cocon familial pour finir sa vie derrière les grilles d’un cloître est peut-être le signe, comme l’évoque Karine Jégou dans son mémoire, « d’un changement des mentalités » au XVIIIème siècle. L’opposition est ici, affective et sentimentale.
Cette tendresse dont parlent les abrégés de soeur Marianne de Saint-Joseph Buchet – « toutes les tendresses d’un pere » – et de soeur Marie de Sainte-Reine de Journeaux -« c’etoit, de toutes ses filles, sa tendresse » -, cet amour tendre dont il est question dans celui de soeur Marie de Sainte Rosalie Dondel – « monsieur son père et messieurs ses frères l’aimaient tendrement et avaient pour elle, des considérations infinies218 » -, toutes ces manifestations intimes sont, peut-être, les signes d’un attachement plus profond des pères et des mères vis-à-vis de leurs filles. Elles sont peut-être aussi, les indices infimes d’un détachement progressif des familles vis-à-vis d’une vocation conventuelle.
« Elle entra dans notre monastere en qualite de pensionnaire et n’y fut pas longtemps qu’elle ne conçut le desir d’estre religieuse. Elle fit savoir à monsieur son pere et madame sa mere, qui y formèrent toutes les oppositions imaginables a raison, qu’ils n’avoient quelle d’enfant ».
C’est la seule fois, au cours de ce manuscrit, qu’il est fait mention d’une fille unique.
Sans nul doute, l’idée de voir leur enfant quitter le berceau familial leur est d’autant plus douloureuse qu’ils n’ont « quelle d’enfant ». Cette mention, apparemment anodine, dénote, là encore peut-être, une dilection toute particulière à son égard.
D’autres exemples de vocations freinées par les parents peuvent être encore mentionnés :
« Elle n’eut pas encore atteint l’age de quatorze ans que ses parents furent obliges de céder à ses pressantes sollicitations pour son entrée au noviciat, avec sa chere compagne ». « Plusieurs annees s’écoulerent en ses plaintes amoureuses et comme elle se sentoit defaillir d’ennui et de tristesse, elle dit à messieurs ses parents qu’elle ne pouvoit plus vivre s’ils ne la laissoient se rendre religieuse ».
Les mots sont forts pour cette demoiselle Rohu. On imagine sans peine son « chantage » affectif. C’est volonté contre volonté et c’est à qui cédera le premier. Les quelques exemples cités ci-dessus viennent contredire les écrits des philosophes comme Diderot. S’il ne doit pas manquer dans l’histoire des congrégations religieuses féminines des cas de vocations forcées, force est de constater que dans le cadre de notre mémoire, nous n’en découvrons aucun. Les jeunes filles que nous rencontrons au fil des pages de ce manuscrit semblent des filles déterminées, résolues à outrepasser les foudres familiales. En dépit de leur amour et du pouvoir qu’ils ont sur celles-ci, ils doivent céder à leurs injonctions.
Comme le montre le tableau ci-après, 32 soeurs sur les 145 dont nous possédons l’abrégé ont vu leur vocation réfrénée par leurs proches (soit au total, 22,06% sur 97 ans, de 1688 à 1785). Sur la période couverte par le livre du couvent de Vannes, 12 l’ont été avant 1700 et 20 après. Pour mieux étudier cette question de l’opposition parentale, il faudrait disposer de données sur une période plus longue, histoire de pouvoir mieux appréhender le développement, progressif, de cette opposition progressive. En comparant nos 23,18 % avec les pourcentages mentionnés par Jean-Marc Lejuste dans son article – 33 % pour les carmélites néocastriennes, de 1711 à 1789 ou encore 43 % des soeurs grises, entre 1720 et 1789227 -, nous voyons que les futures postulantes de Notre-Dame de Charité de Vannes ont été freinées dans leur vocation religieuse par leurs familles.
La famille n’est pas la seule à entraver les désirs de jeunes filles. Le diable, le démon jouent aussi les trouble-fête dans certains de ces abrégés. Comme pour l’appel de Dieu, la présence de ces deux entités ne doit rien au hasard. En effet, elles font partie de la religion du quotidien, une religion où l’enfer est promis aux pécheurs par les prédicateurs sillonnant la Basse Bretagne comme le Père Julien Maunoir. Il faut frapper les esprits et quoi de mieux qu’un être maléfique pour ne pas dévier de la voie tracée par Dieu. Car le diable – du grec diabolos – « se jette en travers du chemin que l’homme parcourt sur terre. Il est là pour le faire douter de la confiance que Dieu a mis en lui ». C’est bien l’image du diable – ou du démon – tentateur qui apparaît sous la plume des rédactrices : le démon est cet être « jaloux des heureuses dispositions » de soeur Marie de Saint-François de Sales Le Milloch. Il « dresse des pieges à cette ame innocente pour la perdre et la retirer de la fidélité où elle était ». Le démon est cet être tapi dans l’ombre qui n’attend qu’un faux pas de la part d’une jeune fille a la vocation naissante : « Mais, tres peu de tems apres qu’elle l’eut obtenue, le demon, toujours jaloux du bien des ames et qui veille jour et nuit pour nous surprendre, luy suscita une forte tentation contre sa vocation, en sorte qu’elle ne respiroit plus que le moment de sortir».
Ce démon tentateur n’est pas sans nous rappeler le diable tentant Jésus dans le désert : «Alors l’Esprit Saint conduisit Jésus dans le désert pour qu’il y soit tenté par le diable. Après avoir jeûné pendant quarante jours et quarante nuits, il eut faim. Le tentateur s’approcha et lui dit :- Si tu es le Fils de Dieu, ordonne que ces pierres se changent en pains ».
Ces deux personnages sont, sans doute, des passages obligés de toute éducation religieuse au XVIIIe siècle. Ils font partie de l’enseignement prodigué, non seulement en chaire, mais également au sein des pensionnats des couvents. Ils sont là pour faire peur, pour éviter que tout un chacun ne s’écarte d’un chemin placé sous le signe de Dieu. Il faut tenir les âmes éloignées de ces incarnations du Mal qui peuvent gangréner le coeur de l’être humain. Passé les années 1730, ils n’apparaissent plus une seule fois dans les abrégés. Cette disparition signe, sans doute, une évolution progressive des mentalités et le « crépuscule du diable ». Comme le dit le philosophe Jean-Jacques Rousseau dans Emile ou de l’éducation : « Homme, ne cherche plus l’auteur du mal, cet auteur, c’est toi-même. Il n’existe point d’autre mal que celui que tu fais ou que tu souffres, et l’un et l’autre te vient de toi ».
Comme l’écrit Jean-Marc Lejuste, il n’existe pas vraiment d’études sur les vocations contrariées. Pourtant, à l’image des exemples signalés ci-dessus, elles existent bien. Et la plume qui les évoque ne cache rien de sa réalité et l’exaspération qu’elles provoquent au sein du foyer familial. Toutefois, celui-ci n’est pas toujours un lieu de tension. En effet, il peut aussi être le lieu où le « feu tout divin embrase le coeur » d’une jeune fille.

Le conditionnement familial

Le berceau familial La famille a, de tout temps, été le creuset où se sont formées des manières d’être, d’agir et de penser propre à un individu, fruit d’un apprentissage particulier lié à son groupe d’appartenance. Pour certaines futures religieuses de Notre-Dame de Charité, la famille fut, en effet, le lieu où elles apprirent les premiers rudiments de la foi catholique et ce, dès leur prime enfance. Ainsi, plusieurs abrégés évoquent « cette sainte semence jetée avec sagesse dans une terre, aussi bien disposée que [l’étaient ces jeunes coeurs] ». Eduquer avec soin ses enfants, fille et garçon, est un principe de vie affirmé au fil de ces pages. Piété et crainte de Dieu sont à la base de cette pédagogie familiale comme le mentionne un passage de la notice nécrologique de soeur Marie du Saint-Sacrement Buntier. Cette crainte de Dieu est le « commencement de toute sagesse ».
Dès son plus jeune âge, la future soeur Marie des Séraphins de Chalon de Fosse, a sucé, « avec le lait, la rare piété » dont ses parents « charmoient et edifioient tout le monde », tout comme d’ailleurs, la future soeur Marie de la Visitation Chupeau. Les pères, comme les mères dans ces abrégés, sont des modèles à suivre, des êtres « pleins de religion et de vertu ».
Cette socialisation primaire est donc à l’oeuvre au sein du foyer parental. Dans ce dernier, on n’inculque « rien que de plaire au Seigneur en verite et de chercher, diligemment, à faire ce qui lui plaist ». Aussi ne peut-il y naître que « d’heureuses dispositions » pour le cloître et une vie retirée du monde. Si le couple est souvent mis en avant en matière d’éducation, c’est quand même à la mère que revient le rôle d’ »institutrice » principale. C’est ainsi le cas de la mère de soeur Marie du Verbe-incarné Bourgeois.

L’influence du cercle familial

Plusieurs abrégés évoquent le cas où plusieurs enfants d’une même famille se retirent du monde. Sans doute existe-t-il, notamment entre soeurs, une sorte de sainte émulation. Un extrait de l’abrégé de soeur Marie de Sainte-Anne Perret le laisse à penser : « celle dont escrivons la vie etoit la segonde qui, ayant puissé sous la conduite de son ayné, la veritable piété, prie le partie de se donner toute à Dieu à l’age de 25 ans». La même influence sororale se retrouve chez les Le Gouvello. Dans cette famille de la Presqu’Ile-de-Rhuys, c’est la demi-soeur, religieuse au couvent de Vannes – soeur Marie de Sainte-Cécile Le Gouvello de Keriaval – qui « déclenche » cette vocation : « Son jeune coeur fut sensible et docile à de si tendres et favorables invitations et, ayant ici religieuse, une soeur ainée qui etoit née du premier mariage de Monsieur de Keriaval. Elle se détermina à la venir joindre pour partager avec elle, le bonheur inestimable de vivre sous les loix et au nombre des epouses chéries d’un Dieu crucifié ».
Au sein d’une même famille, les aînées ne sont pas les seules à servir de modèle à leurs cadettes. Les proches parentes le sont aussi. Les exemples que nous trouvons dans ce livre du couvent de Vannes nous parlent notamment de tantes, vertueuses, inculquant une solide piété à leurs nièces. C’est le cas de la jeune soeur Marie de Sainte-Scholastique Duboys. Entrée à l’âge de 8 ans au couvent de Vannes, la jeune fille est élevée par deux de ses tantes: « bien propres à lui insinuer la piété et lesquelles trouvant un bon fond y ensemencerent les fruits qu’il produisit dans son tems ». Soeur Marie de Sainte-Catherine Buchet, elle, bénéficie de l’éducation de sa tante, soeur Marie de Saint-Michel Galpin, soeur de la seconde femme de son père : « Cette jeune enfant, née avec un naturel porte à la vertu, se rendit susceptible des saintes impressions que lui donna sa vertueuse tante ». Elevées par de tels parangons de vertu, toutes ces jeunes filles ne peuvent que se sentir appelées à un destin religieux. Le terrain est, en quelque sorte, déjà bien labouré pour y faire pousser une telle « graine » ainsi que le mentionne un passage de la vie de soeur Marie de Saint- Stanislas Dondel : « Cette vertueuse tante tandis qu’elle vécut, ne negligea rien pour inculquer la plus solide piété à sa chere niece ».
La rencontre et l’influence décisives de la parentèle ne se font pas toujours au sein du couvent vannetais. En effet, elles peuvent aussi se produire dans le couvent d’un autre ordre comme c’est le cas avec soeur Marie de Sainte-Elisabeth Le Gouvello. Entrée chez les Cisterciennes de l’Abbaye Notre-Dame de la Joie de Hennebont, « avancée en age », elle y est prise en mains par sa marraine, madame Sachot, « laquelle cultiva avec soin le penchant qu’elle avoit pour la piété, d’ou provint bientost le désir de sa vocation religieuse dont elle conçut une si haute estime qu’elle souhaita, des lors, la pouvoir embrasser ». La genèse de cette vocation, pour cette jeune fille, ne fait ainsi aucun doute.
La famille est pour beaucoup de ces jeunes filles un terreau fertile où la graine de la religion peut croître bien souvent grâce au soutien des proches (des proches qui partagent « oreille musicale pour la religion » pour reprendre une expression du sociologue Max Weber. Cette socialisation religieuse primaire peut être développée sous l’influence de l’Eglise et de ses promoteurs (socialisation secondaire).
« Cela porta a mettre cette chere soeur pensionnaire en notre monastere ou elle entra à environ 13 ans. Comme elle etoit d’un naturel pesant et tardif, elle n’avoit pas l’ouverture d’esprit ordinaire en cet age et etoit tres peu avancee, mais neantmoins, tres desireuse d’apprendre les choses necessaires et tout ce qui lui marquoit souhaiter. A quoy elle s’appliqua avec tant d’ardeur et d’affection qu’il semble que Dieu respandit sur elle une particuliere benediction par la grande facilite qu’elle eut a concevoir ce qu’on lui enseignoit». « Elle vint pensionnaire dans notre maison environ l’age de 15 ans. Comme elle etoit fort aimée de ses pere et mere, cette separation lui couta. Cependant apres avoir fait les habitudes, elle prit gout pour la communauté et demanda d’estre religieuse ».
« C’est donc sur le raport de cette tres honoree soeur que nous entreprenons le petit recüeil des vertus de notre chere deffunte qui entra en notre monastere, a l’age de 13 ans en qualités de pentionnaire. Par son esprit doux, docille et obligeant, elle se rendit aimable a ses compagnes et a ses maistresse qui en estoient tres contentes. Elle s’est servie de son bon jugement et de l’esprit que Dieu lui avait donné pour faire un choix tel que celuy de la religion et n’a pas eu lieu de regretter les années quelle a passé dans le monde car aussy tost qu’elle a receu la grace de sa vocation, elle y a repondüe [obtenant] l’agrement de sa famille »
Le pensionnat, dans les quelques exemples mentionnés ci-dessus, joue, en quelque sorte, un rôle d’ »incubateur » de la vocation religieuse. « Conduites et stylées ès choses spirituelles fort suavement », elles entrevoient, le temps de leur passage en ce lieu, « les quelques rayons de soleil de la vocation religieuse ». Elles s’y forgent une raison de quitter le monde et ses apparences trompeuses. Malheureusement, nous ne savons si toutes les jeunes filles passées par le pensionnat de Notre-Dame de Charité de Vannes sont devenues religieuses. Le livre du couvent que nous étudions ne nous en parle qu’une fois : « Une jeune demoiselle de cette ville, fille de bonne maison qui s’etoit attachee à notre chere soeur pendant qu’elle etoit pensionnaire dans notre communauté la vint voir, apres en estre sortie ». Il faudrait, pour pouvoir mesurer avec exactitude, ce taux de « déperdition », disposer d’autres documents tels des registres de vêture.

La première communion

Cette cérémonie désigne « la première fois qu’une personne baptisée communie au cours de la célébration de l’Eucharistie ». Pour certaines jeunes filles, cette solennité signe la naissance de leur désir de cloître : « Elle fit sa premiere communion, environ 9 ans, estant instruite au plus parfait
catechisme et autres instructions convenables. Ce fut dans cette intime union avec Dieu qu’elle commença a lui faire connoitre qu’il vouloit la preference de son coeur, la gratifiant de la vocation religieuse». « Apres la mort de madame sa mere, elle fut mise dans le monastere de la Visitation de cette ville pour y estre élevée et se disposer a sa premiere communion. La grace qui travaille ordinairement d’une maniere proportionnee à la qualite du sujet qu’elle anime, trouva dans cette aimable enfant, un excellent fond naturel, un esprit bien fait, un jugement solide, des passions fort modestes, avec un grand fond de piété qu’elle a toujours fait paraistre. Si bien, qu’agissant de concert avec la nature qui l’avoit douée de si riches talents, elle en fit un objet agreable aux yeux de Dieu et des hommes ».

Les confesseurs

Même si les passages évoquant ces « médecins des âmes » n’indiquent pas, explicitement, qu’ils sont à l’origine d’une vocation religieuse, on peut toutefois penser qu’ils ont joué un rôle certain dans celle-ci. Ils ont certainement dû chercher à faire avancer les jeunes filles dont ils étaient les directeurs de conscience dans le chemin de la perfection auquel elles se sentaient destinées. Aucun nom n’est mentionné dans les abrégés où ils apparaissent. Tout au plus sait-on que parmi ceux-ci, il y avait une père trinitaire – abrégé de soeur Marie Angélique Pageaud -, un révérend père jésuite – abrégé de soeur Marie des Anges Caris – et un grand missionnaire – abrégé de soeur Marie des Saints-Anges Le Guennec de Treurant. De ce dernier, on peut penser qu’il s’agit du père jésuite Vincent Huby (1608-1693), célèbre missionnaire breton :
« Enfin, pour se mettre à l’abri de toutes les sujétions que l’ennemi, jaloux de notre repos et bonheur lui suffisait, elle se résolut de faire voeu de chasteté, n’osant demander à madame sa mère la permission de se faire religieuse, sachant les oppositions qu’elle avait pour sa séparation. Elle proposa son dessein à monsieur son confesseur, grand missionnaire, homme aussi prudent qu’éclairé, lequel connaissant la solidité de son esprit lui permit de faire ce voeu pour un an et le renouvelait pendant plusieurs années de cette sorte».

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Table des matières

Première partie : Devenir religieuse
Avant-propos
I. Trouver la voie de Dieu : la question de la vocation religieuse
A. Aux sources de la vocation religieuse
B. Une graine est tombée dans le jardin de la religion : poussera-t-elle ?
C. La vocation prend racine
II. Les épreuves pour être une “Fille de Notre-Dame de Charité”
A- La cérémonie de vêture
B- Le temps du noviciat
C- La question financière
III. Le recrutement du couvent de Notre-Dame de Charité de Vannes
A- L’origine géographique des religieuses
B. L’origine sociale
C. Les origines familiales
Deuxième partie : Etre religieuse
I. Les entrées en religion
A. Quelques remarques préliminaires
B. L’analyse des entrées en religion
C. L’âge d’entrée au couvent
II. La question de l’identité monastique
A. La gamme des noms de religion
B Les différentes identités religieuses : analyse quantitative
C- L’identité religieuse : un marqueur social ?
II. Laborare et orare : travailler et prier au service de Dieu
A. Supérieures, assistantes, choristes, converses, tourières… : la hiérarchie conventuelle
B. Les différentes charges ou offices des choristes au sein du couvent
C. Cultiver les coeurs et assurer la vie quotidienne du couvent
Troisième partie : Mourir en religion
I. Des maladies aux fins dernières
A. « Dans le monde, vous aurez à souffrir » (Jn 16, 33)
B. Soigner les corps défaillants
II. Quitter le monde après avoir été : mourir au couvent
A. L’analyse des décès
B. Les années passées en religion
C. Devenir une « femme de papier » au terme d’une vie religieuse
III. Les abrégés de vie et de vertus: au croisement de la mémoire et de la religion
A. Ecrire des vies : suivre une voie et laisser sa voix
B. L’analyse quantitative des abrégés
C. Tremper sa plume dans les textes sacrés
Source
Sources manuscrites
Bibliographie
1. Instruments de travail
2. Histoire générale
BARTHES Roland, Comment vivre ensemble: simulations romanesques de quelques espaces quotidiens: notes de cours et de séminaires au Collège de France, 1976-1977, Paris, Seuil-Imec, “Traces écrites (Paris)”, 2002, 244 p
Toussaint de Saint-Luc. « De la différence qu’il y a entre les titres du clergé et de la noblesse de Bretagne », Mémoires sur l’état du clergé et de la noblesse de Bretagne, Rennes, H. Vater, 1858,
4. Histoire de l’Eglise et de la religion
5. Histoire des ordres et des congrégations religieuses
6. Histoire des femmes
7. La spiritualité aux Moyen-Age et à l’époque moderne
8. Histoire de l’éducation
9. Histoire de la santé et de la médecine
10. Anthropologie sociale et culturelle/sociologie

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