Les dits, les redits et les non-dits de la mémoire

Les dits, les redits et les non-dits de la mémoire

Fadhma : un contexte, une femme et l’histoire d’une vie

  Fadhma Aïth Mansour Amrouche a été contemporaine de ces romanciers algériens de l’entre-deux guerres. Elle a partagé avec eux le contexte colonial où ceux-ci, comme nous l’avons déjà souligné, se sont inscrits dans la tendance littéraire assimilationniste de l’époque. C’est au mois d’août 1946 que Fadhma Aïth Mansour Amrouche a écrit l’essentiel de son histoire22, comme elle l’explique dans l’épilogue de son  œuvre, mais qui ne sera publiée qu’à titre posthume, bien après l’indépendance de l’Algérie. Est-ce que, du fait de cette coïncidence contextuelle coloniale marquée aussi par la domination du roman colonial, l’écriture de Fadhma Aïth Mansour Amrouche est pour autant assimilationniste ? Fadhma Aïth Mansour Amrouche est une femme algérienne kabyle née musulmane en 1883  et baptisée chrétienne à l’âge de seize ans. Elle est la mère des célèbres auteurs d’expression française Jean-El Mouhouv et MarieLouise Taos, connue sous le nom de Marguerite-Taos Amrouche. Son récit édité est son premier et dernier roman. « Il faut que tu rédiges tes souvenirs, sans choisir, au gré de ton humeur, et de l’inspiration. […] Je t’en supplie, petite maman, prends en considération ma requête » lui a écrit son fils, Jean-El Mouhouv, dans une lettre datée du 16 avril 1945, insérée après les préfaces de Histoire de ma vie (p.17). « L’histoire, une fois écrite, sera cachetée et remise entre les mains de ton père qui te la remettra après ma mort » a répondu la mère dans une autre lettre datée du 1er août 1946,et insérée également dans la même œuvre (p.19). La narratrice a accepté d’écrire son histoire en émettant la condition que « tous les noms propres (si jamais [Jean] songe à en faire quelque chose) soient supprimés » (p.19). Le manuscrit a été confié à Jean-El Mouhouv Amrouche puis, à la mort de celui-ci, à Marguerite-Taos Amrouche. Finalement, « il a été décidé avant la mort de Jean que le document serait respecté dans son intégrité » (note, page 19). Fadhma Aïth Mansour Amrouche est décédée le 9 juillet en 1967, à l’âge de quatre-vingt-cinq ans, à l’hôpital de Saint-Brice-en-Coglès, en Bretagne (France). « Quelques temps avant sa fin, elle a su que ses Mémoires seraient édités » (note, page 15). Elle a laissé à la postérité son unique œuvre littéraire. Dans Histoire de ma vie, la narratrice raconte sa propre vie. L’auteure est donc elle-même la narratrice. Elle y raconte l’histoire de sa vie qui s’inscrit dès sa naissance dans le drame et le déchirement. Sa mère, Aïni, musulmane pratiquante, a baigné dans la culture de sa Kabylie natale. Veuve, elle a refusé de réintégrer la maison paternelle comme le lui ordonne son grand frère. Elle est aussitôt reniée. Dans l’entourage de son défunt mari, elle s’est liée secrètement avec un homme. De cette relation illégitime est née la narratrice que le père a refusée de reconnaître. La mère subit alors l’hostilité de son entourage et la petite Fadhma est, quant à elle, persécutée par une société kabyle impitoyable à l’égard de l’« enfant de la faute » (p.26). Pour la protéger des persécutions, sa mère l’a confiée aux Sœurs Blanches à Taddert-Ou-Fella après avoir vécu une courte et malheureuse expérience à l’orphelinat des Ouadhias. Elle passera dix ans à l’école laïque de Taddert-OuFella. Instruite, elle est embauchée par l’hôpital chrétien des Aïth Maneguelleth où elle a reçu son baptême après s’être mariée avec un kabyle d’Ighil Ali converti au christianisme, Belkacem-ou-Amrouche.

Nom de l’auteure : onymat et entre-deux patronymique

  Toute œuvre littéraire est identifiable au nom de son auteur (e). Élément essentiel de l’identité de l’œuvre, le nom de l’auteur (e) revêt une importance certaine et particulière dans une autobiographie. Important parce que le narrateur, ou la narratrice, n’est pas un être de papier mais un être qui a un prolongement dans la réalité. Il est le personnage de son histoire et est impliqué dans celle-ci. Selon G. Genette « le degré maximal de cette implication est évidemment l’autobiographie » parce que le récit de vie est un « écrit référentiel ». L’importance du nom de l’auteur est définie en ces termes : « [Il] remplit une fonction contractuelle d’importance très variable selon les genres : faible ou nulle en fiction, beaucoup plus forte dans toutes les sortes d’écrits référentiels, où la crédibilité du témoignage, ou de sa transmission, s’appuie largement sur l’identité du témoin ou du rapporteur » . Son apparition dans le paratexte n’est, cependant, pas toujours acquise. Il existe des œuvres anonymes et d’autres qui portent les noms d’auteurs préférant parfois prendre des pseudonymes. Mais il y a « fort peu de pseudonymes ou d’anonymes parmi les œuvres de type historique ou documentaire, à plus forte raison lorsque le témoin est lui même impliqué dans son récit ». Entre « pseudonymat et anonymat », G. Genette appelle « onymat » la situation où l’œuvre est signée par le vrai nom de l’auteur. Ainsi, cette situation est extirpée de sa « banalité trompeuse » car il y a des raisons et un sens dans le choix de l’onymat, et que « garder son nom n’est pas toujours un geste innocent » . « L’onymat tient parfois à une raison plus forte ou moins neutre que l’absence de désir, par exemple, de se donner un pseudonyme » . Ce n’est donc pas toujours un geste anodin, irréfléchi ou naïf que de choisir de signer sa propre œuvre de son vrai nom, c’est-à-dire celui de l’état civil. Pour illustrer ce que pourrait être cette « raison plus forte ou moins neutre », Genette donne l’exemple de quelqu’un dont la célébrité profitera à l’ouvrage qu’il éditera plus tard sous son vrai nom, déjà connu.

Un titre ambigu, homonyme et paragénérique

  Le paratexte est un ensemble d’éléments qui n’ont pas tous la même destination. « Certains éléments de paratexte s’adressent effectivement (ce qui ne signifie pas qu’ils l’atteignent) au public en général, c’est-à dire à tout un chacun : c’est le cas […] du titre » . Le titre de notre corpus paraît être une promesse, faite pour le « public en général », de dire la vérité, de raconter une histoire véridique, des faits authentiques, soit l’histoire d’une vie. Cette promesse de vérité, Fadhma Aïth Mansour Amrouche la confirme dans son récit. Elle a soutenu que son « histoire est vraie, pas un épisode n’en a été inventé, tout ce qui est arrivé avant [sa] naissance [lui] a été raconté par [sa] mère, quand [elle a] été d’âge à le comprendre » (p.19). Il faut dire cependant que l’engagement à dire la vérité impose une contrainte, puisque, de ce fait, la narratrice se met devant l’obligation de tenir parole. C’est en cela que « certaines indications génériques (autobiographie, histoire, mémoires) ont, on le sait, une valeur de contrat plus contraignante (« je m’engage à dire la vérité ») » . Il n’y a pas ici l’indication générique d’une autobiographie mais le titre, nous le verrons ci-après, la suggère. Histoire de ma vie est un titre ambigu en ce sens que le terme Histoire peut désigner et le contenu du livre et son objet. Il est de ces titres qui indiquent « le thème ou l’objet central de l’œuvre » . Nous pouvons considérer qu’il porte sur le « contenu » du texte. Et le contenu de l’œuvre de Fadhma Aïth Mansour Amrouche est l’histoire de sa vie. Le titre est dans ce cas thématique. Qu’est-ce que raconte ce livre ? Il raconte l’histoire de la vie de Fadhma Aïth Mansour Amrouche, qui est, en soi, le thème. Ce qui nous permet de le classer aussi titre subjectal littéral parce qu’il désigne « sans détour » le thème du texte, sans métonymie, ni métaphore, ni ironie, ni aucune autre figure de style. Mais ce titre tient son ambiguïté du fait de la double lecture que l’on pourrait faire de sa fonction « d’identification de l’ouvrage ». La raison en est que l’on peut considérer qu’il désigne, en plus du contenu, le discours lui même, c’est à-dire l’objet du texte, ou encore son genre. Histoire indique dans ce deuxième cas une classe précise de récit. Cette œuvre est une histoire, comme elle aurait pu être d’un autre genre et prendre comme titre, par exemple, « Confessions d’une femme kabyle » ou encore « Mémoires de Fadhma Aïth Mansour Amrouche ». Dans ce cas, Histoire de ma vie est un titre rhématique, selon l’acception de G. Genette. C’est donc le terme Histoire qui crée l’ambiguïté du titre. « Certains termes, en effet, désignent à la fois l’objet d’un discours et ce discours lui-même. D’où l’équivoque de titres comme Histoire de…, Vie de… » . Ainsi, nous sommes devant une double classe pour un seul titre. Mais, ce n’est pas là l’unique source d’ambiguïté.

Manifestation iconique : sobriété et double résistance

   La première de couverture de Histoire de ma vie est illustrée, au premier plan, par la photo-portrait en noir et blanc de l’auteure qui occupe la pleine page (Éditions Mehdi, que nous donnons à voir en annexe). Nous tenterons d’examiner de près cette illustration en prenant en compte que « il faut au moins garder à l’esprit la valeur paratextuelle qui peut investir d’autres types de manifestations : iconiques (les illustrations), matérielles […], ou purement factuelles ». Prise de face et sur un fond noir, à Paris, en 1965, la photo en gros plan est du photographe Nicolas Treatt. C’est ce que nous apprend la légende de cette photo que l’éditeur a puisée parmi les dix autres insérées au milieu de l’œuvre. On y voit une vieille femme, (la narratrice à l’âge de 82 ou 83 ans), le visage raviné, le regard profond et triste, tout en blanc vêtue, emmitouflée dans un châle et un foulard noué au cou et couvrant une tête aux cheveux blanchis par l’âge.La tristesse du regard de la vieille femme est accentuée par la sobriété du noir et blanc qui règne sur l’intégralité de la première de couverture. Le regard se confond avec le noir et le blanc pour véhiculer une image communiquant avec la tristesse de l’histoire de l’auteure-personnage. Ces deux éléments conjugués, c’est-à-dire la tristesse et l’absence de couleur vive, donnent un avant-goût du destin hostile qui caractérise l’histoire d’une vie qui, le moins que l’on puisse dire, n’est pas heureuse. Le lecteur sait à quoi s’attendre. Sur le plan culturel, l’illustration de la première de couverture donne à voir une femme dont on pourrait identifier l’époque à la façon particulière de s’habiller. La photo montre une femme (l’auteure) avec un foulard couvrant la moitié de sa tête et un fichu en laine couvrant ses épaules. À travers cette façon de s’habiller se décline un aspect culturel singulier dont on peut comprendre qu’il est sciemment mis en valeur pour distinguer, plus ou moins clairement, une femme non occidentale, ou non occidentalisée. Nous supposons à ce niveau l’expression d’une double résistance : résistance face à l’acharnement du sort, que l’on peut deviner à travers le regard triste et les traits fatigués du visage, et une résistance culturelle par le fait d’une hybridité culturelle qui est vestimentaire dans ce cas précis. Nous pensons que cette hybridité vestimentaire est visible au traditionnel châle cher aux vieilles kabyles accompagné d’un foulard, non kabyle, blanc et noué au cou. Celui-ci prend la place du traditionnel foulard kabyle qui, quant à lui, est plus connu par ses couleurs, où prédomine notamment le jaune, et ceinturant traditionnellement la tête de celle qui le porte. Cette lecture paratextuelle ne peut être faite sur d’autres éditions, nombreuses, du même ouvrage, tant les éléments du paratexte, dont l’illustration de la première de couverture, ne se stabilisent pas.

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Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE I : Au seuil du roman ou l’errance dans le paratexte
1) Nom de l’auteure : onymat et entre-deux patronymique
2) Un titre ambigu, homonyme et paragénérique
3) Manifestation iconique : sobriété et double résistance
4) Premières de couverture : au gré des apparitions-disparitions
5) La dédicace, éclatée et sans lieu fixe
6) Deux préfaces allographes, deux origines et un dialogue culturel
CHAPITRE II : Analyse du personnage embrayeur : Fadhma ou Marguerite ?
1) Nom du personnage : quand Fadhma supplante Marguerite
2) Étiquette sémantique et jeu d’opposition
3) La langue de l’Autre et d’une langue à l’autre
4) Fragments d’Islam dans une vie chrétienne
5) Personnage liminaire ou le piège de l’entre-deux
6) Étrangère partout
CHAPITRE III : Les dits, les redits et les non-dits de la mémoire
1) Discordances temporelles et va-et-vient narratifs
2) Récit et « effets de rythme »
3) Les oublis, signes de l’errance ?
4) Un récit éclaté : à la recherche du fil d’Ariane
5) Les béances de la narration
CHAPITRE IV : L’espace : itinéraires, ruptures et attachement
1) De Tizi-Hibel à Paris : sur les traces de Fadhma
2) Exils et va-et-vient : entre « l’ici » et « là-bas »
3) Espaces clos : la « dysphorie » de l’enfermement
4) Espaces ouverts : l’euphorie du dehors
5) Un récit sous le signe de l’eau
6) L’ambivalence dans un espace coupé en deux
CHAPITRE V : Au bout de l’errance, l’affirmation de soi
1) Référents culturels et lien ombilical
2) Le culinaire au service de l’identitaire
3) Ighil-Ali pour se dire
4) « La Kabyle », ou la résistante culturelle
5) L’épilogue, un message-testament au bout de l’errance
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
MOTS-CLES
RESUMÉ EN FRANÇAIS
RESUMÉ EN ANGLAIS
RESUMÉ EN ARABE

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