L’enseignement scolaire de la géographie au prisme de l’école sorties

L’exploration du monde est inscrite dans l’histoire de l’humanité. Au commencement, l’homme est parti à la découverte de ce qu’il y avait plus loin, de l’autre côté de la colline, par goût ou par nécessité. L’être humain est par essence un voyageur sur terre (en latin : homo viator), un homme en chemin, à l’image de la figure du pèlerin de l’occident médiéval. Explorer, défricher, découvrir des espaces que l’on pouvait croire vierges, par ignorance ou par cécité, s’aventurer sur des terres inconnues, les grands voyages ont succédé à la découverte de l’espace immédiat. Ces voyages lointains d’exploration ont permis, surtout à partir de la Renaissance, de nommer la surface de la Terre, d’en faire un inventaire. Généralement, l’exploration concerne des espaces étrangers que l’on cherche à rendre familiers par une confrontation de sa propre culture à celle des autres. Mais le proche nous est-il si connu et si familier ? N’y-a-t-il pas un intérêt à percevoir et à chercher à comprendre le monde qui nous entoure immédiatement, à aller interroger et s’étonner de notre propre culture ?

Cette aventure, c’est aussi la mienne à travers cette recherche. Elle a débuté avant la rédaction de cette thèse par des pratiques professionnelles dans le cadre de l’exercice de mon métier d’enseignant du premier degré et de formateur d’enseignants. Elle est même antérieure au regard de mon expérience personnelle et de mon implication dans des mouvements associatifs d’éducation populaire et dans l’encadrement de séjours de vacances pour les jeunes. En quoi ce parcours multiple d’animateur, d’enseignant et de formateur a-t-il favorisé mon intérêt pour les sorties ? D’abord parce que ces sorties scolaires ont très souvent concordé avec des expériences pédagogiques faisant transparaître un plaisir d’apprendre chez les élèves, avec des moments de socialisation heureux et à des mises en situations faisant vivre la géographie alors que je ne l’appréhendais pas toujours de la sorte dans mes pratiques « ordinaires » de classe qui pouvaient parfois être ennuyeuses. Les sorties scolaires et les voyages éducatifs, sous des formes diverses (sorties à proximité de l’établissement scolaire, classes de découvertes en bord de mer ou à la montagne, centres de vacances itinérants en France – découverte de la vallée de l’Ubaye en V.T.T. ou à l’étranger – circuit en Grande-Bretagne jusqu’au mur d’Hadrien, limite nord de l’ancien empire romain) ont donc été mes premiers « terrains » d’expérimentation. J’ai eu sans doute, au départ de ce travail, une image quelque peu idéalisée de la sortie, a priori favorable, qu’il a fallu mettre parfois de côté pour mieux comprendre les ressorts des questions que posent les sorties scolaires. Les sorties correspondent également à des situations de formations en didactique de la géographie avec des groupes d’étudiants en formation initiale d’enseignants du premier degré, situations quelque peu inhabituelles où l’on se donne rendez-vous non pas dans une salle d’un centre de formation mais, sur place, par exemple pour arpenter la butte de la Roche (sur la commune de Haute-Goulaine en Loire-Atlantique) et accéder à un point de vue dominant pour lire le paysage du marais de Goulaine, utiliser des cartes pour s’orienter, se situer et tenter le passage de la vue à la carte en effectuant un croquis sur le vif afin d’amorcer une modélisation spatiale. Les sorties, c’est aussi la prise de conscience de la difficulté pour les étudiants, a fortiori dans le concret, de prendre en compte le caractère subjectif de l’appréhension de l’espace. Ainsi, il est arrivé souvent que les étudiants ne perçoivent de ce qu’ils avaient sous les yeux qu’un simple substrat naturel alors que l’espace est plus complexe et construit par les acteurs de la société. Mes sorties intégraient des démarches méthodologiques employées en formation, que je juge insatisfaisantes et qui plaçaient l’objet étudié en géographie, c’est-àdire l’espace, au centre, comme étendue terrestre sans que les populations qui y vivent et le pratiquent ne soient explicitement enquêtées ou qu’une relation directe entre l’étudiant et l’espace d’étude soit valorisée et mobilisée à travers les sens réunis en un même concert « géographique ».

UNE RECHERCHE COMPRÉHENSIVE POUR APPRÉHENDER L’INTIMITÉ GÉOGRAPHIQUE DES ÉLÈVES AVEC LE MONDE EN SORTIE SCOLAIRE 

La sortie, le terrain, le sensible, la proximité et le quotidien : problématiques communes de la géographie scolaire et de la géographie savante ?

À travers ce premier chapitre, je cherche à éclairer le sens et les enjeux d’usages des termes importants de cette thèse que sont « sortie », « terrain » et «sensible». En arrière-plan, les oppositions classiques en géographie entre le proche et le lointain ainsi qu’entre le quotidien et le hors quotidien sont explicitées. Pour les deux premiers termes (« sortie » et « terrain ») qui peuvent être de sens relativement commun, l’enjeu est d’identifier les confusions possibles en référence à la géographie scientifique et plus particulièrement à l’épistémologie de la géographie. Bien que s’inscrivant dans une filiation maintenant ancienne (courant de l’espace vécu), le terme « sensible » est non stabilisé en géographie scientifique. Il s’agit donc de voir comment il est utilisé dans des disciplines voisines de la géographie (en particulier la philosophie et l’ethnologie) et ainsi d’expliciter, sur cette base, mon appropriation du terme. Il convient dans les trois cas d’articuler les problématiques épistémologiques disciplinaires avec celles de la géographie scolaire. En effet, s’appuyer sur les débats scientifiques, malgré la spécificité de ceux-ci, est en effet intéressant comme moyen de mettre à distance des mots usuels de la profession ou de l’institution et de mettre au clair les enjeux que l’utilisation très contextualisée de ces mots peut recouvrir.

En premier lieu, je discute des emplois possibles du mot « sortie » pour en saisir les sens dans le cadre scolaire. Qu’est-ce qui relient la sortie et la géographie scolaire ? En quoi l’univers de la classe est-il différent de l’extérieur ? Quelle place l’institution scolaire reconnaît aux sorties ? Quelle est la spécificité de la sortie de type géographique ? Dans un second temps, j’examine le terme « terrain », envisagé comme objet, pratique et surtout relation construite à l’espace. Quelles sont les rapports entre la géographie et le « terrain » ? Dans un troisième temps, c’est l’acceptation « sensible » qui est interrogée. Enfin, des duos géographiques « célèbres » (proche/lointain et quotidien/hors quotidien) sont questionnés dans leurs divergences ou leurs interdépendances.

Pourquoi sortie et géographie ?

Il s’agit ici de distinguer les sens communs du terme « sortie » des significations spécifiques dans l’univers scolaire. Comment comprendre ce terme dans le cadre scolaire ? En quoi ce qui est désigné comme « sortie » l’est par rapport à l’école, à la salle de classe ? Comment l’institution scolaire s’en est-elle emparée ? Quelles connotations prend-il alors ? Quels rapports la géographie scolaire entretient-elle avec les dispositifs ou dispositions concernés ?

La sortie au sens commun

Le mot « sortie » est au premier abord dépourvu d’originalité et somme toute usuel. Il importe donc d’en questionner ses sens, d’en mesurer les enjeux et d’identifier les confusions possibles.

Le terme comporte une acception commune principale à laquelle on peut associer deux sens complémentaires que je vais clarifier. Issu du langage courant, il exprime une idée de mouvement, du dedans au dehors. La sortie désigne l’action de quitter un lieu pour aller à l’extérieur, dans un autre lieu. Ce sens spatial concret et dominant aujourd’hui est confirmé depuis le début du XVe siècle. Notons l’évolution sémantique vers ce sens à partir du verbe latin sortiri « qui a été désigné par le sort », d’où « qui échappe à » et « qui se manifeste au dehors » . Dans le même temps et selon les contextes, il révèle une acception qui complète la précédente avec l’idée de sortir pour faire quelque chose. Sortir s’emploie dans ce cas quand il s’agit de quitter un lieu pour pratiquer une activité extérieure, pour se distraire, pour prendre l’air, faire une course… Il est alors synonyme de balade, d’échappée. On sort pour aller se promener, faire des visites, des excursions, des explorations… Ces sens communs traduisent un phénomène métonymique, c’est à-dire que le mot « sortie » signifie à la fois l’action – aller hors d’un lieu – et le résultat de cette action – être à l’extérieur, se manifester au dehors. La sortie serait alors comme un passage d’une action à l’effet de cette action. Sortir est utilisé enfin dans une troisième signification quand il s’agit de quitter un lieu où l’on est enfermé pour s’en extraire, pour s’en libérer, sens que l’on retrouve par exemple dans l’expression « sortir de prison ».

Première définition au sens didactique

La sortie dite de terrain dans un cadre scolaire peut être définie dans une première approche comme un ensemble de pratiques consistant pour des élèves et leur professeur à quitter ensemble et momentanément l’enceinte de l’école pour rejoindre un lieu plus ou moins proche de l’établissement, plus ou moins familier qui fait partie de leur quotidien ou non.

D’un point de vue didactique, la sortie se rapporte à une mise en situation de découverte pour des élèves en dehors de la classe pour quelques heures (souvent deux ou trois) sur un espace plus ou moins connu sans que les élèves se trouvent pour autant dans des situations de transplantation, pris au sens institutionnel d’installation de la classe en dehors de l’établissement scolaire. La taille de l’espace pratiqué pendant la sortie correspond à une étendue de l’ordre de un à deux kilomètres donc un espace que l’on peut parcourir à pied grâce à un mode de mobilité simple. La sortie, au sens où je l’entends, peut, malgré tout, s’intégrer à un temps de classe transplantée. La sortie est enfin une expérience didactique. En géographie, elle peut correspondre à tous les espaces humanisés accessibles aux piétons mais ne relève pas du milieu naturel ou de l’écosystème des sciences de la vie comme une mare en tant qu’unité micro-locale.

Il s’agit à partir d’ici de déplier les différents sens du terme « sortie » pour expliciter et construire mon objet de recherche – à savoir ce que peut être un apprentissage géographique par le sensible en sortie – avant de l’observer et de le tester auprès des enseignants. Il est donc question de déplier la(les) sortie(s), réalité et représentation protéiforme et d’identifier ses dimensions qui en font, côté enseignement, un dispositif qui me semble a priori pertinent, et, côté élèves, un moyen et une occasion d’apprendre en géographie/de la géographie. Ces « dimensions » saillantes permettront de développer et d’affiner mon intuition initiale. Elles peuvent s’envisager, sur le plan méthodologique, comme des outils d’aide à la description/caractérisation de pratiques de sortie, à la conception des apprentissages, chez les professeurs que je vais enquêter. Les différentes formes de sorties sont aussi pensées pour moi qui souhaite exploiter pleinement ces dimensions au service d’un apprentissage par le sensible.

La sortie comme déplacement physique pour une mise à découvert encadrée

La première dimension de la sortie est le déplacement de l’école vers un autre lieu. C’est une dimension physique qu’on peut qualifier, comme le fait Gaston Pineau pour le voyage, de « basique » (Pineau, 2009, p.73). Ce mouvement s’opère le plus souvent à pied, parfois associé à des moyens de transports collectifs comme le car ou le tramway qui permettent de changer plus rapidement de lieu. L’enfant piéton est un passant « simplement » de passage puisqu’il rentrera dans sa classe à l’issue de la sortie. Il est dehors au contact direct avec le monde, à l’épreuve des conditions atmosphériques (climatiques) locales (pluie, vent, températures basses, chaleur…). Il a dû s’équiper en fonction du beau ou du mauvais temps (casquette, manteau, bonnet, écharpe) et prévoir des chaussures adaptées (chaussures de marche, baskets ou bottes pour aller dans un ruisseau) pour déambuler dans un environnement qui n’est plus le milieu connu de la classe. L’enseignant a été vigilant pour vérifier que chacun était prêt à affronter le dehors. En sortant, l’enfant s’expose au monde extérieur, il est à découvert. Cette épreuve pédestre est évidemment maîtrisée et contrôlée par l’enseignant ou l’adulte qui encadre le groupe d’élèves et qui est garant de la sécurité des individus qui composent le groupe. En ce sens, la sortie de « terrain » se rapproche du voyage organisé par une agence dans les moindres détails (itinéraire, durée, contenu, stations…) et où rien ne doit arriver surtout pas au niveau de la sécurité physique des élèves (accident de la circulation notamment). Elle se différencie du voyage aventure où « tout ou presque peut arriver » (Pineau, 2009, p.73) même si la sortie peut laisser la place à l’inattendu, au plaisir de la découverte, à l’exposition hors des sentiers battus.

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Table des matières

INTRODUCTION GÉNÉRALE
CHAPITRE UN. La sortie, le terrain, le sensible, la proximité et le quotidien : problématiques communes de la géographie scolaire et de la géographie savante ?
1. Pourquoi sortie et géographie ?
2. Le terrain comme objet ou comme relation en géographie ?
3. La géographie et la question du sensible
4. Le corps, un objet émergent en géographie ?
5. Proximité ou éloignement ? Une notion à géométrie variable
6. Quotidien et hors quotidien en géographie
7. Problématique et hypothèses
CHAPITRE DEUX. Apprendre la géographie en sortie scolaire
1. Qu’est-ce qu’apprendre la géographie en sortie dite de terrain ?
1.1 Apprendre… oui, mais en sortie
1.2 Qu’est-ce qui peut s’apprendre dans ces situations de sortie ?
2. Les conditions d’appropriation du savoir ou comment apprendre en sortie ?
2.1 Peut-on apprendre au contact direct des objets ?
2.2 Les obstacles aux processus d’apprentissage et d’enseignement de la géographie en sortie
2.3 Apprendre en dehors de l’école dans le quotidien
2.4 Apprendre par une démarche sensible
CHAPITRE TROIS. Une recherche à dominante qualitative dans ses démarches et ses méthodes
1. Une démarche inspirée de la Grounded Theory pour appréhender les enquêtés
1.1 Qu’est-ce que la Grounded Theory ?
1.2 Comment se positionne-t-elle dans le champ des sciences sociales ?
1.3 Une démarche qualitative et compréhensive
1.4 Les étapes de la mise en œuvre
1.5 Un exemple de mise en œuvre
2. La méthodologie du focus group avec des enfants scolarisés en cycle trois : enjeux, spécificités et positions d’un chercheur en didactique de la géographie
2.1 Les origines du focus group…
2.2 Le choix de cette méthodologie et ses raisons
2.3 Des focus groups avec des enfants : mise en œuvre, spécificité et questions posées
2.4 Retour réflexif sur une pratique de focus group
3. L’entretien d’explicitation pour accéder aux savoirs implicites des enseignants sur les pratiques de sortie
3.1 La mise en œuvre de l’entretien
3.1.1 La demande
3.1.2 Une stratégie à réajuster pour faire décrire l’action et non induire
3.1.3 Une mise en œuvre adaptée
3.1.4 Et après l’entretien ?
4. La transcription des entretiens
4.1 Le passage de l’oral à l’écrit
4.2 Choix du codage et premiers éléments d’analyse
CONCLUSION GÉNÉRALE

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