L’enseignement moral de la galanterie dans le salon mondain

Le salon mondain: une véritable école de civilisation

Toute VIe intellectuelle en général commande un cadre spatial où elle s’élabore. Aristote philosophait avec ses élèves dans le lycée, lieu de promenade où la discussion se déroulait en marchant. Quelques siècles après lui, Cicéron délibérait dans le forum romain ou dans des jardins ornés des statues des orateurs et philosophes célèbres. À partir de la Renaissance, le charme de la causerie dans des « assemblées» se réaffirme de manière importante, et plus particulièrement au Grand Siècle dans des hôtels particuliers qui deviennent le foyer de la vie mondaine et où règnent les femmes de la France lettrée. Plus précisément, cet espace correspond à celui du salon littéraire. C’est un lieu où se réunissent hommes et femmes de lettres et un endroit qui favorise la circulation des idées, tout en promouvant un idéal d’expression fondé sur une aspiration à la pureté, à la clarté et à l’élégance. On y voit se déployer les effets d’une parole séduisante, qui était jadis le privilège du seul rhéteur, mais qui, contrairement à l’exemple antique, est désormais une pratique partagée à la faveur de formes de sociabilité mixtes. Mais comment expliquer cette réapparition de la notion d’assemblée intellectuelle qui relève d’un souvenir antiqueet son adaptation moderne ? Qui tiendra les rênes de la conversation et quelle sera la nature des sujets de discussion?

Résistance de l’assemblée intellectuelle

Dans un ouvrage intitulé Les salons, de Marguerite de Navarre (1492- 1549) à Suzanne Necker (1740-1794), Maurice Lebel présente le texte, jusque-là inédit, de Jean Calvet (1874-1965) qui attribue la renaissance de ces assemblées à Marguerite de Navarre, soeur de François Ier23 . Cette femme de talent, rapporte Calvet, vécut à la cour de son frère. Dévouée à ses neveux et nièces, elle était leur éducatrice et elle faisait entrer dans la composition de la « bonne compagnie» qu’elle choisissait pour eux non seulement des princes du sang, mais aussi des savants et des précepteurs. Le cercle s’étendait ainsi hors des milieux aristocratiques au nom d’un nouvel idéal, celui d’une assemblée lettrée, qu’elle présidait et animait. Elle y établissait des règles; tous les matins, la pratique de « l’esbat» (la marche ou le footing) inaugurait la période d’étude. De plus, le respect devait régner dans les débats et les textes qui en étaient issus. Marguerite de Navarre préparait de la sorte la cour de France à mettre en pratique les principes de l’ humanitas, qui signifiait «culture de l’espri(4 ». Par le privilège que lui octroyait son rang, elle se donnait pour ambition de gouverner une société lettrée qui s’élargirait jusqu’à devenir une véritable institution littéraire et sociale. Par la suite, cette forme de sociabilité lettrée dont Marguerite de Navarre avait fourni le modèle allait se répandre, particulièrement en France et par le biais des femmes. Ce chapitre propose davantage qu’une simple approche historique de la renaissance de la notion d’assemblée intellectuelle, de sorte qu’on verra principalement comment cette assemblée, connue par le nom donné à l’espace où elle se tenait, le salon, devient partie intégrante du mode de vie des hommes et femmes de lettres, qui en font une activité privilégiée.

Dans l’avant-propos à son ouvrage, Antoine Lilti oriente d’abord sa réflexion sur les connotations que comporte le terme même de sa/on: « Le mot, dit-il, reste curieusement chargé de connotations contrastées qui évoquent à la fois le mode de vie raffmé d’une élite, les divertissements superficiels des mondains, et un idéal de communication intellectuelle25 ». Lilti résume en ces trois termes les enjeux du commerce aristocratique salonnier, en ce sens où la parole atteint une forme de plénitude dans le verbe d’une élite composée de personnalités politiques, littéraires et artistiques qui s’amusent en élevant le niveau de l’entretien à un idéal de «rencontres conviviales ouvertes au débat intellectuef6 ». Le salon mondain fonctionne, Lilti l’affirme, comme «une métonymie du XVIIIe siècle dans son entier, si ce n’est de la culture française ou de la conversation27 ».

Loin d’évoquer les salons en adoptant le ton de la polémique satirique de nombre de critiques dUXIxe siècle, qui les associent à « des temples du snobisme et des bavardages insignifiants28 », nous nous proposons d’adopter la défmition que A. Lilti reprend de Margaret Mead, en relevant les composantes ludiques, spéculatives et institutrices de cette forme de sociabilité intellectuelle selon laquelle « un petit groupe de citoyens engagés et réfléchis [est] capable de changer le monde29 ». Poursuivant la tradition instaurée au siècle précédent, le salon mondain demeure une grande institution au XVIIIe siècle et son développement est marqué par une réactualisation de la théorie cicéronienne de l’éducation morale, selon laquelle le plaisir va de pair avec l’enseignement3o . En effet, le salon mondain exige que l’on s’approprie certaines qualités pour y être admis. Il était, à l’origine, le genus certum ou la causa, définie par Cicéron dans l’introduction de l’Orateur comme le «domaine de la discussion pratique et d’affaires3l ». À l’époque moderne, il favorise désormais, grâce à un jeu fondé sur l’échange verbal, la circulation d’une parole formatrice et devient non plus le lieu du negotium, mais celui du loisir, ce qui suppose que l’éducation qu’ il est possible d’en tirer soit modulée par un principe de plaisir.

La resliteraria féminine

Réflexions sur l’intervention de la femme dans le milieu mondain «Il n’est bon bec que de Paris », écrit Marc Fumaroli44 en reprenant un vieil article de religion nationale. Il ajoute, dans sa préface à L’esprit de société de Jacqueline Hellegouarc’h, que « l’esprit de société parisien ne se limite pas à la conversation, mais il est vrai que cet art particulier, porté à Paris jusqu’au grand art, est à l’esprit ce que le solfège, l’harmonie et le contrepoint sont à la musique45 ». Cela implique à la fois un éloge de la référence parisienne et le projet de découvrir le secret de son charme si puissant, surtout dans un contexte caractérisé par l’accès des femmes au savoir. En effet, Linda Timmermans, dans L’accès des femmes à la culture sous l’Ancien Régime, décrit comment les préoccupations des femmes aristocrates et bourgeoises se sont orientées, surtout après la Fronde, vers une vie intellectuelle plus largement inscrite dans le cadre de la vie mondaine46 : plus en nombreuses à jouer un rôle important dans la vie de salon [ … ] Dans la plupart des grandes villes de province aussi, les ruelles se multiplient [ … ]47. L’auteure ne fait pas que relever historiquement le phénomène, elle explique surtout les raisons de cette explosion de la vie mondaine au lendemain de la Fronde: « [A]bandonnant ses rêves féodaux, poursuit-elle, l’aristocratie se réfugie dans la vie de salon et la vie de Cour, accomplissant ainsi sa transformation – exigée par l’absolutisme triomphant – de la classe guerrière en noblesse de Cour; réduite à l’inactivité politique, elle s’adonne aux divertissements mondains et aux activités intellectuelles48 ».

Aussi Timmermans rapporte-t-elle la remarque de M. Fumaroli attestant que 1’« autorité sociale et littéraire s’accroît au fur et à mesure que décline l’héroïsme viri149 ».La volonté de paraître avantageusement sur la scène culturelle implique un désir d’élaborer un ethos qui fera autorité dans la sphère sociale et qui se trouve associé à une ambition de valoriser les qualités de politesse et de galanterie encouragées dans la société mondaine. Cette ambition est nourrie, chez les salonnières, d’une vive envie de diriger un cercle conçu comme le plus fréquenté et où dominent les valeurs associées à la féminité, à une époque où peu à peu on commençait à dénoncer la mollesse des hommes, autrement dit, leur «dévirilisation» et leur transformation en «demifemme [ s ]50 ». Par exemple, dans une lettre à Balzac, Chapelain mentionne avec dérision le salon de Mme d’Auchy, un des premiers salons du XVIIe siècle (vers 1605), et le décrit comme une «académie femelles 1 ». De telles critiques n’empêchent pas de distinguer, comme l’atteste M. Fumaroli dans sa préface à L’esprit de société de Jacqueline Hellegouarc ‘h, le simple «plaisir inexplicable d’être ensemble52 » de la promotion de vrais cercles savants, ou de « salons », avec les femmes cultivées qui l’animent, telles que Mme de Lambert, Mme de Tencin et plus tard Mme Geoffrin. Celles-ci incarneront la figure de l’intellectuelle et feront du salon une institution littéraire engagée dans le débatd’idées ; sous le règne de Louis XVI, Talleyrand écrit ainsi, dans ses Mémoires : «On voulait [tout] connaître, [tout] approfondir, [tout] juger. Les sentiments furent remplacés par des idées philosophiques; les passions par l’analyse du coeur humain; l’envie de plaire, par des opinions; les amusements, par des projets etc.53 » La tendance philosophique des salons du xvme a donc favorisé l’intégration du goût pour la connaissance et du souci pour l’éducation au salon mondain.

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Table des matières

REMERCIEMENTS
INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE
LA FEMME À L’ÂGE DU LOISIR LETTRÉ ET DE LA CIVILISATION GALANTE
CHAPITRE 1 L’APPORT DE LA FEMME À LA LITTÉRATURE
1. Le salon mondain: une véritable école de civilisation
2. La res literaria féminine
3. Vers un idéal de sociabilité
CHAPITRE II LA PÉDAGOGIE DE L’EXEMPLE GALANT
1. L’enseignement moral de la galanterie dans le salon mondain
2. La pédagogie galante dans l’Histoire de Tul/ie
3. Aimer à l’époque moderne: la galanterie réévaluée
DEUXIÈME PARTIE USAGE GALANT DE LA RÉFÉRENCE mSTORIQUE
CHAPITRE 1 L’ANTIQUITÉ RECHERCHÉE PARLA MARQUISE DE LASSAY
1. Réflexions sur la philosophie morale et l’idée de bonheur dans l’univers galant
2.« On n ‘est jamais assez vertueux parce qu’on n ‘est jamais assez heureux»
3. Utopie moralisante d’un bonheur social galant
CHAPITRE II L’ANTIQUITÉ RETROUVÉE ET RÉINVENTÉE EN FAVEUR D’UN CICÉRONIANISME GALANT
1. La valeur morale de la fiction
2. L’exégèse du songe allégorique: une présentation socio-historique de la réalité mondaine
3. L’Antiquité métamorphosée dans l’Histoire de Tullie
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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