L’élaboration d’une nouvelle fonction de médiateur social numérique

L’élaboration d’une nouvelle fonction de médiateur social numérique

La conduite de cette recherche est liée à la volonté de la direction de L’IRTS PACA et Corse d’expérimenter une innovation sociale visant à répondre aux nouveaux défis du travail social : s’adapter aux transformations de la société numérique. En effet, pour reprendre les éléments de la note d’intention du projet :

« L’IRTS PACA et Corse dans le cadre de son Social Lab entreprend avec ses étudiants en formation une expérimentation puis un prototypage d’une Maison de la Solidarité 13 connectée afin de lutter contre la fracture numérique qui soustrait les personnes vulnérables et/ou précaires de l’accès à leurs droits compte tenu de la dématérialisation des services publics (CPAM, Pôle emploi, CAF etc..). Pour ce faire, il semble en première recommandation nécessaire de créer une fonction d’accueil dédiée à la médiation numérique spécialisée dans le traitement des besoins sociaux.» .

Pour l’IRTS, le processus de dématérialisation des démarches administratives exclut certains publics concernés par la fracture numérique et freine leur accès aux droits sociaux. Il s’avère alors indispensable de créer un service et une fonction permettant de lutter contre cette fracture sociale et numérique, envisagée comme structurelle et non conjoncturelle. L’IRTS fait le constat que si les médiateurs numériques ont vocation à accompagner à l’utilisation d’ordinateur et d’internet, ils ne disposent pas de formation pour intervenir spécifiquement auprès des publics des services sociaux, tout particulièrement en matière d’analyse des besoins, d’accompagnement social, mais aussi de maîtrise des démarches administratives, des dispositifs et des prestations sociales dont ils pourraient bénéficier. De la même manière, le recrutement de jeunes en service civique, expérimenté par le Conseil Départemental des Bouches-du-Rhône à ces fins, ne permet pas de répondre aux besoins sociaux d’accompagnement et de médiation numérique des publics pour les mêmes raisons.

Face aux difficultés rencontrées par le Département pour accompagner les publics précarisés dans leurs démarches d’accès aux droits, et dans le prolongement d’un partenariat entamé avec l’association de médiation numérique Urban Prod, l’IRTS Paca & Corse sollicite un financement à la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur pour proposer une expérimentation visant à élaborer une fonction de « médiation sociale numérique ». Elle consiste initialement à « guider l’usager des services sociaux dans l’univers dématérialisé des services publics susceptibles de lui permettre d’accéder à ses droits sociaux » . Ces différents acteurs partagent une volonté d’accompagner les transformations sociales par le développement de compétences propres aux « aidants du numérique » et aux travailleurs sociaux qu’ils cherchent à structurer dans le cadre d’une formation, d’interventions, de pratiques, en lien avec le territoire et les services locaux. À travers cette interaction partenariale quadripartite, plusieurs initiatives imbriquées se dessinent.

D’une part, l’IRTS propose d’élaborer une formation expérimentale qui conjugue travail social et médico-social de proximité et médiation numérique, en co-construction avec les acteurs locaux et notamment Urban Prod. Pour cela il propose d’élaborer une formation de « MoniteurÉducateur Médiateur Social Numérique » (ME-MSN), en partant d’un réaménagement du référentiel du Diplôme d’État (950 heures de formation pratique et 980 heures de formation théorique) afin d’en faire un Moniteur Éducateur « augmenté ». D’autre part, le Conseil Départemental des Bouches-du-Rhône propose de travailler sur la mise en place d’une expérimentation de Maisons Départementales de la Solidarité (MDS) « Connectées » qui s’inscrit dans une logique de développement de téléservices, d’accompagnements au numérique et à la réalisation de démarches administratives en ligne pour les usagers. L’idée est d’attribuer un rôle central de médiation sociale et numérique aux étudiants ME MSN dans le cadre de stages pouvant éventuellement déboucher sur un recrutement si cela est jugé opportun. Enfin, l’IRTS initie la conduite d’une recherche-action portant sur les deux expérimentations proposées, en lien avec le Laboratoire d’Économie et de Sociologie du Travail (LEST). Il s’agit de comprendre les transformations politiques et sociales liées au développement de la dématérialisation des démarches administratives, d’analyser la mutation du travail social et d’alimenter les réflexions sur le contenu de la formation ME MSN et sur les compétences à développer pour allier travail social et médiation numérique, en lien avec les attendus des terrains professionnels. La globalité du projet, composé de ces trois initiatives, s’inscrit plus particulièrement dans le Social Lab, structure partenariale entre l’IRTS et Urban Prod qui cherche à fédérer différents acteurs locaux autour de projets innovants. C’est le cas notamment du CoFor (Centre de Formation au Rétablissement) qui travaille sur la mise en place de système de formation au rétablissement par le biais de pair-aidants en santé mentale (Grard, Letailleur, & Tinland, 2017; Kovess-Masféty & Villani, 2019). Qualifié d’« incubateur citoyen d’innovation sociale », le Social Lab cherche à s’établir en tiers-lieu et à proposer des espaces de rencontre et de collaboration innovants. Le schéma suivant, proposé par l’IRTS, illustre la logique d’intervention et d’expérimentation du Social Lab.

Comprendre les transformations liées à la dématérialisation des démarches administratives et à la mise en œuvre d’une fonction de médiation sociale numérique

La recherche entamée au sein de l’IRTS PACA Corse s’inscrit, pour ma part, plus généralement dans un parcours de recherche visant à interroger les transformations de l’État social, de ses instruments d’action publique (Lascoumes & Le Galès, 2005), de ses modalités d’intervention et de la réception des politiques publiques. En effet, mes recherches sur les expérimentations du RSA et leur évaluation mettent en évidence en quoi le gouvernement mobilise stratégiquement des instruments sociotechniques, dans une perspective de rationalisation et de dépolitisation des questions sociales, pour légitimer la généralisation du dispositif et son référentiel d’activation, sans pour autant s’intéresser à ses effets sociaux en termes de lutte contre la pauvreté (Okbani, 2014b). Les travaux sur le non-recours au RSA révèlent les inadaptations du dispositif au public cible, mais aussi en quoi les logiques managériales, organisationnelles, interinstitutionnelles ou professionnelles peuvent constituer des facteurs explicatifs du non-recours, interrogeant ainsi la pertinence de l’offre publique (Okbani, 2013b, 2013a, 2014a). Ces analyses m’ont conduit à m’intéresser à l’institutionnalisation de l’évaluation des politiques à la CAF pour questionner la production de savoirs et l’adaptation de l’action publique à la demande sociale. Ma thèse montre la prédominance des logiques objectifs-résultats du Nouveau Management Public (NMP) sur les logiques d’analyse d’impact des effets sociaux. Les évaluations de politiques et les résultats qu’elles produisent sont conditionnés et contraints par les intérêts d’acteurs qui se les approprient et par leur environnement d’intervention, conduisant au final à des ajustements incrémentaux, plus souvent tournés sur des préoccupations internes et des positionnements stratégiques que sur l’adaptation aux besoins des destinataires (Okbani, 2016). Cela m’amène à questionner l’articulation des interventions dans un contexte de réforme territoriale et de reconfiguration de l’action sociale locale pour mettre en évidence la permanence de problématiques de coordination des acteurs et des politiques au détriment de leur lisibilité, de leur adaptation et de leur accessibilité pour les usagers. Les problématiques d’accès aux droits, de fracture numérique des publics précaires et les difficultés de l’intervention sociale à y répondre, face aux logiques d’e-administration et d’e-démocratie, m’amènent à interroger les effets sociaux et politiques de ces mutations en termes de citoyenneté sociale. La question de la dématérialisation des démarches administratives face à la fracture numérique m’est apparue centrale. Non seulement parce qu’elle n’a cessé d’être évoquée par les différents acteurs rencontrés au fil des différentes recherches, mais aussi parce qu’elle prend de l’ampleur et s’impose lorsque l’on cherche à saisir les transformations à l’œuvre dans les politiques sociales, le travail social et l’accès aux droits.

Axe 1. Appropriations, légitimation et modalités d’élaboration de l’eadministration du social et de l’inclusion numérique par les différents acteurs

Cet axe de recherche entend saisir comment s’imposent et s’opérationnalisent l’eadministration et les politiques nationales et locales d’inclusion numérique dans l’environnement politico-administratif. Il s’intéresse aux modalités de légitimation, d’appropriation et d’ajustements, aux usages et aux changements introduits par ces instruments sur l’offre de service et sur l’organisation du travail. Tout d’abord, il importe de saisir comment l’e-administration est légitimée et pensée par les acteurs de la réforme de l’État, par les élites du Welfare (Genieys & Hassenteufel, 2001) et par les acteurs qui cherchent à développer des politiques d’inclusion numérique. Il s’agit de comprendre les cadres cognitifs et les objectifs stratégiques qui leurs sont assignés, comment cela prend forme, fait intervenir un nouveau vocabulaire mais aussi de nouveaux acteurs (consultants, formateurs, etc.). L’évolution des constructions cognitives (Muller, 2000) du service public et de l’usager sont analysés comme une fabrication, aussi bien politique, juridique, technique que sociale du public, jouant un rôle important sur la conception du métier et du sens du travail pour les agents (Weller, 2010).

Axe 2. Le travail social à l’épreuve du numérique : transformation et réorganisation du travail

Cet axe de recherche étudie les changements introduits par l’e-administration dans le travail social, entendu ici au sens large, intégrant les différents acteurs qui interviennent auprès de publics précaires et dans leur accès aux droits (assistants sociaux, conseillers en économie sociale et familiale, techniciens conseils, agents d’accueil, etc.) mais aussi leur encadrement (contrôleurs de gestion, cadres, agents de direction) qui participent à la définition et au management de leurs missions, de leurs conditions travail et d’accueil du public. Il s’agit de saisir en quoi les nouvelles modalités d’intervention, mais aussi les transferts tacites ou explicites qu’elles impliquent (auprès des usagers et des acteurs du social), génèrent des changements dans le travail social. Sur le plan collectif, on cherche à comprendre comment la dématérialisation des démarches et de la relation à l’usager, modifient les pratiques professionnelles, les conditions de travail et de rémunération, les perceptions de leurs compétences et percutent leur identité professionnelle (Hugues, 1958). Les potentielles tensions entre les normes professionnelles et les normes de gestion sont interrogées, mais aussi entre des nouvelles compétences numériques à acquérir et l’émergence de nouveaux métiers de l’accueil socio-numérique. Les réorganisations des responsabilités, de la répartition des « tâches nobles » et du « sale boulot » (Hugues, 1962) entre agents sont examinés pour analyser comment ce transfert d’activité est vécu par les professionnels et réaménage potentiellement leurs marges de manœuvres, les rapports de pouvoirs et la mise en concurrence des agents.

Axe 3. Formation et transformation de Moniteur Éducateur en « médiateur social numérique »

Cet axe de recherche entend questionner le rôle de la formation dans cet environnement de transformation du travail social, ses acteurs, son contenu, ses logiques d’intervention et sa réception par les professionnels. Il vise à saisir selon quelles modalités la formation participe à la conduite du changement, à la diffusion ou à la transformation des cadres cognitifs sur l’eadministration et à des activités d’intermédiaire (Nay, Smith, 2002) . D’une part, il importe d’identifier les différents types d’organismes de formation mobilisés sur le travail social numérique, afin de caractériser leurs propriétés sociales, leurs positionnements, leurs registres de légitimation, leurs investissements stratégiques et enjeux propres dans ce marché émergent. Par-là, il s’agit de saisir dans quelles logiques ils s’inscrivent, comment ils abordent le contenu de la formation, l’inclusion numérique, l’adaptation de la médiation numérique au travail social. Dans quelle mesure ils s’inscrivent dans une posture prescriptive et définissent les compétences à acquérir ou des modèles de métier de l’accueil pour faire coïncider les attentes des professionnels, des directions et des publics précaires. D’autre part, l’étude de la réception de ces formations par les destinataires vise à comprendre dans quelle mesure ces nouveaux besoins sociaux, ces compétences numériques, et/ou exigences des pouvoirs publics sont reçus, interagissent avec leurs identités professionnelles et se traduisent dans leurs pratiques. L’analyse de cette appropriation des formations, de ces compétences spécifiques et potentiellement de ces nouvelles générations de métiers émergents de la médiation sociale numérique, contribue à saisir comment s’opèrent ces transformations dans la communauté professionnelle. En cela, il s’agit de comprendre comment les travailleurs sociaux intègrent les problématiques rencontrés par les publics précaires dans l’eadministration au regard de leurs conditions d’exercice et de leur identité professionnelle, mais aussi comment ils se représentent leur rôle.

Axe 4. Relation de service, accès aux droits et non-recours

Cet axe de recherche questionne en quoi la transformation des modalités de déploiement des politiques sociales par la dématérialisation des démarches administratives (a. axe 1), la mutation du travail social qui lui sont associés (b. axe 2) et/ou le déploiement d’initiatives de médiation sociale numérique (c. axe 3) modifient la relation de service à l’usager et l’accès aux droits, contribuant potentiellement à transformer le rapport à l’administration et à la citoyenneté sociale. L’attention porte sur la manière dont la nature de la relation de service (Chauviere & Godbout, 1992; Vitalis & Duhaut, 2004) varie en fonction des conditions de travail, des pratiques professionnelles, des profils d’usagers, mais aussi du mode de contact mobilisé. Il s’agit de saisir dans quelles mesures l’e-administration vient modifier la relation de service (interaction en face à face, côte à côte, numérique ou mixte) et comment elle est perçue par les acteurs sociaux et les publics comme un potentiel frein et/ou facilitateur de l’accès aux droits. L’étude de l’e-administration dans la relation de service envisage de contribuer aux controverses autour du guichet, du service public et du rapport entre l’administration et l’administré (Dubois, 1999; Spire, 2007, 2008; Weller, 1997, 1999, 2010).

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Table des matières

Introduction
I. Une recherche sur un fait social, une formation et une expérimentation partenariale
1. L’élaboration d’une nouvelle fonction de médiateur social numérique
2. Comprendre les transformations liées à la dématérialisation des démarches administratives et à la mise en œuvre d’une fonction de médiation sociale numérique
3. Contexte de réalisation et méthodologie de recherche déployée
II. Comprendre le contexte et les effets de la dématérialisation des services publics face à la fracture numérique
1. Le discours et la généralisation de la dématérialisation des services publics
2. De la fracture numérique à la fracture sociale : des publics en difficulté dans l’accès aux droits
3. Le travail social face à l’e-administration
4. Une politique d’inclusion numérique en tâtonnement face à l’émergence d’un marché du numérique en recherche de légitimité, de structuration et de professionnalisation
III. L’expérimentation d’une formation de ME MSN comme réponse
1. Appropriations et usages du numérique : entre enjeux de positionnement stratégique et réponse à un besoin social
2. Les ME MSN en formation
3. L’expérimentation de la fonction de médiation sociale numérique sur le terrain professionnel
Conclusion et perspectives
Bibliographie

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