L’éducation musicale et son évolution

De l’enseignement de la musique à l’éveil musical

      L’éducation musicale a beaucoup évolué dans les instructions officielles de l’éducation nationale. D’abord, « la loi [Ferry] du 28 mars 1882 sur l’enseignement primaire obligatoire introduisait dans les programmes l’enseignement des éléments de la musique ». Il s’agissait d’un « modèle de pratique musicale […] au service d’une idéologie politique et sociale », qui prévoyait des « leçons de chant » avec des contenus très ambitieux, tel que la connaissance théorique des signes et des exercices de solfège. Des « exercices de chant », « dont la fonction était essentiellement moralisatrice et disciplinaire », avaient également lieu tous les jours. En 1923, « les instructions officielles […] condamnent les méthodes utilisées jusque-là dans les écoles », en privilégiant une certaine progression : la pratique musicale doit d’abord être centrée sur le travail de l’oreille (écoute des sons), et la voix (chant, pratique musicale orale), avant toute instruction abstraite des signes écrits. Il s’agit de proposer aux élèves des conduites perceptives d’identification, de discrimination et de mémorisation des sons. Mais c’est seulement en 1960 que le terme d’« Éducation musicale » est prononcé, dans le contexte de laquelle « tout doit être centré sur « l’enfant » [et non plus sur la musique] car la musique et l’éducation musicale contribuent au développement de l’enfant ». On commence alors à évoquer la notion de « méthodes actives » (principalement celles d’Edgar Willems, Karl Orff, Zoltan Kodaly, Maurice Martenot). Elles tiennent compte des recherches sur la psychologie de l’enfant et s’inspirent des principes d’éducation active élaborées par les grands pédagogues, dont Maria Montessori et Jacques Dalcroze. Ce dernier est à l’origine de la méthode « rythmique corporelle », qui permet notamment de faire vivre aux élèves le rythme corporellement. Ces démarches actives sont comparables : il s’agit de « partir d’une pratique musicale vivante et globale, [de] suivre une progression pédagogique adaptée au développement psychologique et moteur de l’enfant, et s’acheminer peu à peu vers l’acquisition du langage musical ; [de] partir du jeu musical, pour favoriser le développement de l’enfant dans toutes ses composantes (corporelles, affectives, sensorielles, intellectuelles, sociales), [de] prendre peu à peu conscience des éléments de la musique (rythme, mélodie, harmonie) mais ne les analyser et les nommer qu’après les avoir vécus ». Ces méthodes sont donc dites « actives » puisqu’elles « favorisent la participation de l’enfant, et ne partent pas d’une connaissance théorique mais, par contre, font vivre et expérimenter des situations pour arriver plus tard à l’analyse sur des bases concrètes ». Toutefois, bien qu’une formation à ces méthodes soit proposée dans les anciennes Écoles Normales d’Instituteurs, elles ne sont pas retenues par les instructions officielles de l’Éducation nationale, et ce sont d’autres qui se développent à partir des années 1970, avec l’apparition de la notion d’« éveil musical » à partir de 1977. La pédagogie de l’éveil est générale et globale, elle « vise à favoriser le développement de l’enfant dans toutes ses composantes » et « se fonde sur la participation active des élèves aux découvertes et aux acquisitions, grâce auxquelles ils construisent leurs connaissances et leur savoir-faire ». Ainsi, l’éveil musical se caractérise notamment par le développement du jeu et de l’invention musicale, privilégiant une approche spontanée de la musique par les élèves. Finalement, les programmes et instructions de 1985 et de 1995 préconisent une pratique musicale active, perceptive et progressive, prenant en compte la psychologie de l’enfant et ses stades de développement. Cette démarche est centrée sur l’écoute active et la création sonore par les élèves, qui doivent être mises en interaction : « par l’alternance et l’interaction entre écoute, production et invention, les élèves peuvent s’exprimer, développer leurs compétences, améliorer leurs productions et les comparer avec celles des autres, émettre des avis argumentés ; développer leur sensibilité musicale, leur imagination créatrice et vivre des démarches qui rejoignent celles du musicien ». Plus précisément à l’école maternelle, « par l’affinement et la mise en relation de perceptions sensorielles, les enfants découvrent et reconnaissent des bruits, des sons et des objets sonores. Ils apprennent ainsi à écouter leur environnement sonore, mais aussi de la musique sous des formes variées. Ils développent leur imagination créatrice en inventant et produisant des musiques pour traduire leurs sentiments et impressions. En outre, toutes ces activités participent à leur socialisation »

De trois à six ans : les jeux symboliques

    En maternelle, c’est « l’âge d’or de l’imaginaire » 15, le stade du jeu symbolique, c’està-dire « le jeu de « faire semblant », le jeu qui mime le réel, qui l’arrange à sa manière » 16, selon sa vie affective. En musique, « l’enfant donne une signification au son » 17, c’est-à-dire qu’il évoque quelque chose qui appartient à son propre vécu et à sa propre expérience, par le geste et les sons qu’il produit (une situation, une émotion, un mouvement, une image etc.). François Delalande affirme ainsi que « Le vécu extra-musical est présent dans la musique comme une sorte de trace ». Or, nous retrouvons bien ici l’une des caractéristiques de la musique, qui d’une manière générale, mime le réel, grâce aux paramètres du son et à l’organisation des sons entre eux notamment. C’est cette dimension symbolique qui donne un caractère expressif à la musique.

Le rôle de l’enseignant

    Dans une telle démarche de production musicale, l’enseignant adopte un rôle similaire à celui qui est le sien lors de la mise en œuvre d’autres situations d’apprentissage, quel que soit leur domaine d’apprentissage. Ainsi, il les « encourage à développer des essais personnels, prendre des initiatives, apprendre progressivement à faire des choix ». Il assure donc une fonction d’étayage, en apportant « les aides nécessaires à l’accomplissement des tâches proposées, tout en laissant aux élèves la part d’initiative et de tâtonnement propice aux apprentissages ». Ainsi, l’enseignant a un rôle « d’incitateur et d’observateur » : il crée les conditions pour que chaque élève ait les moyens de créer, notamment en explicitant la consigne et l’objectif de l’activité aux élèves, éventuellement une ou plusieurs contrainte(s), en leur mettant à disposition le matériel nécessaire etc. Il guide ensuite la recherche des élèves, par l’observation et l’écoute attentive de leurs propositions. Il peut éventuellement intervenir ponctuellement pour accompagner ceux qui en auraient besoin, sans pour autant les influencer ou leur imposer ses idées.

L’écoute active

    La musique incite au mouvement, c’est ce que Paul Fraisse appelle les effets dynamogéniques (par exemple, taper du pied en suivant le rythme). En éducation musicale, il convient de distinguer l’écoute active, innovante et contemporaine, de l’écoute passive, plus traditionnelle. Il s’agit d’une « activité complexe englobant une diversité d’actions », qui utilise « le jeu, l’imagination, le corps, la voix et des matériaux sonores divers pour que l’attention auditive se développe peu à peu » . Une écoute, nourrie d’imagination et impliquant l’activité du corps, permettrait ainsi de comprendre (prendre en soi) la musique. Selon Cristina Agosti-Gherban, « L’une des caractéristiques principales de l’éveil musical est de faire appel à la créativité et à l’imaginaire, qui s’affineront peu à peu. [Nous retrouvons ici l’objectif de l’école maternelle « d’enrichir les possibilités de création et l’imaginaire musical »]. Comme corollaire, la concentration et l’attention seront accrues ». Ce travail d’écoute active, qui doit être ritualisé et donc régulier, constitue ainsi pour les jeunes élèves un entrainement efficace pour mieux écouter, et pour développer leur capacité de concentration et d’attention auditive d’une manière générale. En effet, la régularité d’un tel travail spécifique d’apprentissage d’une attitude d’écoute affinée permettrait aux élèves d’être « beaucoup plus attentifs et critiques dans l’écoute des contes comme de la musique et même dans la vie ». L’écoute active implique donc une expérience vivante qui implique le corps et les émotions, en lien avec le vécu. En maternelle, la musique que l’on fait entendre aux élèves les incite très spontanément au mouvement, à l’imitation du son entendu par la voix et/ou le geste.Il s’agit d’une forme d’expression naturelle construite à partir de leur imagination et de leur perception des sons liée à leur affectivité et à leur éventuelle expérience kinesthésique associée à ce son (par exemple, un bruit de pas dont ils auront fait l’expérience en marchant). Cette sensibilité joue de surcroît un rôle essentiel dans la démarche de production sonore.

Conclusion

    Pour conclure, un tel projet d’invention sonore a de nombreux bienfaits pour les élèves. Il envisage une pédagogie plus active pour eux, et permet notamment de développer leurs facultés de musicien (écoute et production de la musique), leur créativité et leur imagination, de susciter en eux de la motivation et du plaisir. Aussi, ce projet joue un rôle important dans l’apprentissage du « vivre ensemble », qui est l’une des priorités de l’école maternelle selon le programme d’enseignement : « Une école où les enfants vont apprendre ensemble et vivre ensemble ». En effet, les élèves créent un paysage sonore unique, à plusieurs. Il leur faut donc coopérer, échanger, avoir une écoute partagée, respecter des règles (de comportements mais aussi musicales, liées à l’organisation des sons entre eux), éventuellement faire des concessions etc. En bref, il faut travailler ensemble dans les meilleures conditions possibles pour produire une « œuvre » collective. Cette idée de sonorisation d’album sans texte pourrait être transposée aux deux autres cycles, notamment par l’évocation musicale d’éléments abstraits, tels que des émotions, ou encore une atmosphère globale ressentie. Elle pourrait aussi être réalisée à partir d’une bande dessinée à sonoriser, ou bien non plus à partir d’illustrations, mais d’un texte (album, poésie), ou même d’un court extrait vidéo. En outre, la contrainte des instruments proposés aux élèves pourrait varier : seule utilisation de la voix (jeux vocaux), utilisation du corps (percussions corporelles), instruments traditionnels etc. Par ailleurs, la transversalité du projet pourrait concerner non plus l’association littérature/musique, mais histoire/musique par la mise en son de thèmes étudiés (par exemple, « L’âge industriel en France » en CM2 avec la sonorisation d’un extrait du film Les temps modernes de Charlie Chaplin). En fonction du matériel disponible, l’expérimentation de la musique concrète, au vrai sens du terme, pourrait être proposée aux élèves. Il s’agit d’enregistrer des sons d’origines diverses (objets du quotidiens, voix, bruits de la nature etc.), puis éventuellement de les transformer pour obtenir la production musicale. La caractéristique essentielle de la musique concrète est l’utilisation d’outils numériques pour créer (logiciels d’enregistrement et de montage tel qu’Audacity). La pédagogie d’invention sonore est donc très riche, relativement à ses effets bénéfiques sur les apprentissages, mais aussi à ses nombreuses modalités de mise en œuvre.

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Table des matières

Introduction
I Les apports théoriques de la recherche
I.1. L’éducation musicale et son évolution
I.1.1. De l’enseignement de la musique à l’éveil musical
I.1.2. L’éveil musical
I.1.3. L’éducation musicale à l’école maternelle aujourd’hui
Le programme d’enseignement de l’école maternelle
Une démarche pédagogique active privilégiée
I.2. L’évolution des manifestations musicales du jeune enfant
I.2.1. Le jeu du musicien, en lien avec le jeu de l’enfant
I.2.2. Les trois phases évolutives du jeu musical
Jusqu’à deux ou trois ans : les jeux sensori-moteurs
De trois à six ans : les jeux symboliques
Avec la socialisation : les jeux de règle
Ce que les élèves sont capables de faire en Grande Section
I.3. La pratique musicale d’invention
I.3.1. Le rôle de l’enseignant
I.3.2. Les objectifs de la pédagogie musicale d’invention
I.3.3. La contribution du geste et du mouvement, de l’écoute, et de la sensibilité
Le geste
L’écoute
I.3.3.2.1. Définition de l’écoute
I.3.3.2.2. L’écoute active
I.3.3.2.3. L’écoute, essentielle dans la pédagogie de production sonore
Les émotions et l’expressivité de la musique
Un exemple pédagogique : la création d’un paysage sonore (notion)
II. Le projet de sonorisation d’un album sans texte, Loup Noir (Antoine Guilloppé) au cycle 1
II.1. La présentation du projet
II.1.1. Contexte de classe
II.1.2. Le projet
II.1.3. Le choix de l’album
Les personnages
L’expressivité des illustrations
L’environnement
II.1.4. Les choix à effectuer
Les doubles-pages à sonoriser
La textualisation de l’album : avant ou après la sonorisation ?
Les instruments
Modalité de travail : groupe classe ou ateliers ?
II.1.5. Les prérequis, en lien avec la compréhension de l’album
II.2. La séquence : La sonorisation de quelques illustrations de l’album Loup Noir (paysages sonores)
II.2.1. Séance 1 : Écoute et apprentissage de la chanson Chut (Jean Humenry)
II.2.2. Séance 2 : Réappropriation de l’album et analyse de l’illustration d’un point de vue musical
II.2.3. Séance 3 : Exploration et recherche sonores
II.2.4. Séance 4 : Codage des sons créés
II.2.5. Séance 5 : organisation des différents sons entre eux pour construire un paysage sonore collectif
Conclusion
Bibliographie
Annexes

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