Lectures de sable. Les récits de Tahar Ben Jelloun

Le sable a plutôt une mauvaise réputation. Il a eu l’imprudence d’entrer dans des entourages qui ne l’avantagent nullement. Il suffit de penser au voisinage sémantique du mot sable dans différentes expressions, telles « bâtir sur le sable », «semer sur le sable », « se perdre dans les sables », « paroles écrites sur le sable », « sables mouvants », ou même le familier « être sur le sable », pour comprendre pourquoi le sable est une matière dont on se méfie habituellement. Il conduit à une chaîne de connotations, négatives par leur aspect inquiétant : manque de solidité, incapacité à durer et à affronter l’usure du temps, périssabilité, fuite et indétermination, danger d’enlisement, stérilité et caractère éphémère, sécheresse et inhospitalité. Le sable serait donc le coupable par excellence.

Malgré toutes ces données qui semblent hostiles et impropres à la vie, nous savons que dans le désert fleurissent des fleurs, poussent des plantes, succulentes ou grasses, vivent des insectes, reptiles, rongeurs ou quelques oiseaux nocturnes. Nous savons également que les enfants ne cessent de construire des châteaux et remparts de sable, au bord de la mer, même si la première vague plus audacieuse vient les fondre. Nous savons encore qu’il existe une thérapie par le jeu de sable permettant de désamorcer les tensions, de guérir les vieilles blessures et d’exprimer ce que l’on n’arrivait pas à dire autrement. Instrument thérapeutique associé au jeu, le sable facilite l’accès à la propre vérité, grâce à sa symbolique intérieure, il remet la personne qui joue avec le sable en contact avec un espace où la vie s’exprime dans l’imaginaire. Le jeu de sable permet donc une guérison par l’imaginaire. Si le sable est généralement considéré stérile, il ne faut pas oublier le grain de sable qui, introduit dans l’huître et abrité par les couches successives de nacre du mollusque, assure la croissance de la perle. Nous savons encore qu’il y a des artistes qui travaillent le marbre et la pierre, mais aussi des artisans du sable qui dessinent sur le sable, conscients de l’éphémère de leurs productions, du fait que le sable est impropre à la permanence ; cependant, ils sont l’image vive du désir fugace de la création, de la joie créative, suffisante à elle-même, sans aucun souci de durabilité et de prise en possession de l’objet créé. Le sable s’accompagne ainsi d’une joie absolue de la gratuité, de la précarité, de la futilité.

Repères sur la littérature maghrébine de langue française

Toute approche de la littérature maghrébine écrite en langue française commence par une hésitation d’ordre terminologique dont les nombreuses études critiques menées depuis les années soixante-dix témoignent pleinement. En parcourant les références bibliographiques, exhaustives et scrupuleuses, dressant un inventaire d’études et d’anthologies de la littérature maghrébine, nous avons pu saisir facilement cette difficulté taxonomique qui relève principalement d’un double aspect : on a, d’une part un lieu d’origine et d’expression, le Maghreb et, d’autre part, un instrument linguistique, la langue française.

Si le critère de positionnement géographique ne semble pas faire trop de difficultés, entre les appellations littérature nord-africaine, littératures de l’Afrique du Nord et littérature maghrébine, la dernière étant de loin privilégiée, une question s’impose cependant : quel Maghreb ? L’espace nord-africain qui comprend le Maroc, l’Algérie et la Tunisie ? Celui des Maghrébins ? Et quels Maghrébins, qui sont les Maghrébins? Ceux qui l’habitent, ceux qui y sont nés, ceux qui en rêvent, ceux qui écrivent sur le Maghreb ? Faudrait-il ignorer les territoires et les frontières, ou bien distinguer les trois espaces qui constituent le Maghreb et pour y voir plus clair, parler donc de littérature algérienne, marocaine et tunisienne ? Il ne faut cependant pas ignorer le caractère essentiellement multiforme de cet espace, relevant des différences et des particularismes géographiques (montagnes, plaines ou déserts, villes ou campagnes), ethniques (arabes, berbères, juifs) ou religieux (musulmans, juifs, catholiques).

Ces questions, force est de le reconnaître, sont en mesure de semer la confusion ; on a d’ailleurs souligné que la littérature maghrébine de langue française témoigne d’ « une ambiguïté qui lui est consubstantielle » , celle régie par le mélange des deux cultures différentes, des histoires différentes qui se sont entremêlées, des drames de la colonisation et de l’acculturation, des lecteurs divers dans leur horizon culturel et dans leurs attentes. Toutes ces données sont censées d’offrir à cette littérature une grande richesse et variété, mais également d’entraîner des difficultés d’approches et des positions critiques contradictoires. En consultant une bibliographie riche sur la littérature maghrébine, nous avons pu constater une multitude d’essais d’y mettre de l’ordre et de dresser des classifications autant que possible rigoureuses. On a proposé de défricher la double apparence de cette littérature particulière selon le critère du sentiment d’autochtonie, d’appartenance à un espace commun qui, transposé au niveau de la littérature, se définirait par l’existence des thèmes « spécifiquement maghrébins », c’est-à-dire traitant particulièrement de la vie sociale, traditionnelle et moderne, des événements historiques et politiques avant et après les indépendances, de la quête d’une identité personnelle ou collective. Ainsi, à leurs débuts, les textes de la littérature maghrébine de langue française ont une caractéristique commune, celle d’être porteurs d’une mission et d’un message précis: exprimer le drame d’une société en crise, marquée par l’aliénation et la dépersonnalisation, traduire les mutations profondes subies par la société à l’époque de la décolonisation. Ces traits communs, auquel nous pouvons ajouter celui de raconter des histoires spécifiquement locales, sans se préoccuper de la forme et de la structure des écrits, caractérisent les premiers textes de la littérature maghrébine, reconnue en tant que telle dans les années’50, période considérée « prémoderne », mais ils se prolongent également dans des textes de la période ainsi appelée « moderne » , des années ’80. On identifie comme points de repère pour la période prémoderne les romans d’Ahmed Sefrioui, surtout, La Boîte à merveilles (1954) et les premiers romans de Mouloud Feraoun. Ce qui réunit ces premiers textes, c’est principalement la préoccupation de description et de témoignage sur la réalité sociale maghrébine, le caractère autobiographique des récits, une touche d’exotisme et de pittoresque censée à célébrer un espace familier, menacé par les effets de l’occupation étrangère. Marc Gontard synthétise cette période de la littérature prémoderne en francophonie :

Les premiers écrivains sont souvent des enseignants ou des intellectuels, formés à l’école coloniale, qui reproduisent dans un français académique, les modèles littéraires dominants valorisés par l’institution (le roman réaliste et le récit autobiographique). D’où un effet massif d’acculturation…

Il faut souligner que cette description de la première période de la littérature marocaine est loin d’être unanime ; selon d’autres auteurs, la littérature marocaine de langue française naît en pleine modernité, ce qui montre d’ailleurs le manque d’infaillibilité des classements rigoureux et la fragilité des frontières établies entre les périodes. À titre d’exemple, nous rappelons les considérations d’Abdallah Mdarhri Alaoui qui place le roman de Sefrioui, La Boîte à merveilles dans le courant moderniste, par l’intervention de l’intertextualité du conte et de la pratique musulmane, par un récit fortement personnalisé, par un mode d’énonciation autodiégétique, par « certains aspects de la construction narrative [qui] révèlent déjà les tendances ultérieures de la littérature marocaine d’expression française : l’œuvre romanesque intègrent certaines dimensions de l’oralité par la fréquence des conversations, l’usage de la narration de contes et d’anecdotes ».

Le roman Nedjma 

Le moment de séparation nette de l’écriture maghrébine des formes classiques a été marqué en 1956, par la parution de Nedjma de l’écrivain algérien Kateb Yacine. Nous considérons utile de nous attarder sur la fulgurance de ce roman dans le paysage culturel maghrébin car il marque une rupture du passé et un commencement en même temps, celui de la modernité littéraire maghrébine. Le rôle précurseur de Nedjma en ce qui concerne le renouvellement formel de la littérature maghrébine de langue française est sans conteste. Jacques Noiray écrit à ce propos:

Radicalement insolite au moment de sa publication, […] l’œuvre de Kateb, aujourd’hui encore, n’a rien perdu de sa force ni de sa fécondité. Sans elle, ni Mohammed Khaïr-Eddine, ni Rachid Boudjedra, ni Abdelkébir Khatibi, ni Tahar Ben Jelloun, entre bien d’autres, n’auraient sans doute écrit de la même façon.

L’héritage, fécond, que l’œuvre de Kateb lègue pour toute une génération d’écrivains justifie le grand nombre d’études qui lui sont consacrées, avec un attachement particulier pour sa structure formelle. Nous pensons par exemple à l’étude de Marc Gontard qui souligne le caractère novateur de Nedjma : C’est une œuvre qui se situe d’emblée dans ce qu’il est convenu d’appeler l’avant-garde du roman, et c’est bien là, le trait le plus spécifique du génie de Kateb. Alors que le roman maghrébin d’expression française, héritier de toute une tradition littéraire, s’inscrit dans une technique strictement réaliste, sans innovation d’aucune sorte […] Kateb Yacine, par la structure de son récit, rejoint ce qu’on appelle déjà en France le ʺNouveau romanʺ, qui n’en est encore cependant qu’à ses premières productions .

Le critique souligne lui aussi l’influence considérable que le texte de Kateb a suscité pour toute la littérature maghrébine, considérant qu’elle « s’est montré décisive, en provoquant une prise de conscience des nouvelles formes d’écriture, de sorte que l’on peut aujourd’hui, parler d’un véritable ˝Nouveau-Roman maghrébin˝ » . Il en va de soi que l’innovation et le renouvellement engendrent toujours des difficultés de réception, l’opacité de l’écriture de Kateb Yacine, son caractère parfois déroutant expliquant l’impossibilité de classer Nedjma selon les critères de la critique traditionnelle. Le mérite de Kateb est d’avoir compris qu’un contenu révolutionnaire ne peut s’exprimer pleinement que par une écriture révolutionnaire s’attaquant à sa forme et à sa structure. C’est par cette attitude que l’on comprend l’importance de l’écriture comme contenu elle-même, considérée dans une dynamique du rapport entre la forme, le contenu et la technique. Cette idée de l’unité était saisie très tôt par Abdelkébir Khatibi, qui, dans son étude sur le roman maghrébin, affirmait : « Nous partons de l’idée que l’écriture et ses procédés constituent par eux-mêmes un ensemble d’attitudes analysables à différents niveaux, attitudes vis-à-vis des êtres et des objets, attitudes vis-à-vis de l’écriture ellemême ».

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Table des matières

Remerciements
Dédicace
Tables des matières
Introduction générale
1. Repères sur la littérature maghrébine de langue française
2. Repères sur l’imaginaire du désert
3. Tahar Ben Jelloun, la vie et l’œuvre
4. Tahar Ben Jelloun face à la critique
5. Problématique d’une lecture de l’œuvre de Tahar Ben Jelloun
6. Choix du corpus
Première partie L’imaginaire du sable
Introduction
Chapitre I Le sens perdu
I.1 L’être de sable
I.2 L’effritement
I.3 L’errance
I.4 Le labyrinthe
I.5 La chute
I.6 L’érosion
I.7 Les ailes coupées
Chapitre II Le refuge
II.1 L’oubli
II.2 La mer
II.3 Les nuages
II.4 Les mots
II.5 La sensualité
Chapitre III Vers le sens
III.1 Lumière et ténèbres
III.2 « L’éveil des cœurs »
III.3 Le corps cage
III.4 L’incompréhension du monde
III.5 Le secret
Deuxième partie L’écriture de sable
Introduction
Chapitre IV Intertextualité et intratextualité
IV.1 La notion du texte
IV.2 Le concept de transtextualité
IV.3 L’écriture et la lecture
IV.4 L’intertextualité restreinte
IV.5 La métaphore du palimpseste
Chapitre V Raconte-moi une histoire…
V.1 Autour des Mille et Une Nuits
V.2 Les boîtes chinoises
V.3 L’histoire du désert – histoire infinie
V.4 Raconter, vivre
Chapitre VI L’intertexte soufi
VI.1 L’allusion en question
VI.2 Sources, étymologie, définitions
VI.3 Les maîtres soufis
VI.4 La Nuit du Destin
VI.5 Prières et invocations
Chapitre VII Fictions en dialogue
VII.1 La bibliothèque vivante
VII.2 Le danseur de corde
VII.3 L’intertexte tous azimuts
VII.4 Le livre, le labyrinthe
VII.5 La mer des histoires
Chapitre VIII L’écriture et l’oralité
VIII.1 L’oralité en question
VIII.2. Stratégies de l’oralité
VIII.2.1. Entre deux langues
VIII.2.2. Le proverbe
VIII.2.3. La prière
VIII.3. La pratique des contes
VIII.3.1. Dramaturgie de la parole
VIII.3.2. La parole en acte
VIII.3.3. Le scénario initiatique
Conclusions

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