Economie des Andes préhispaniques

Notre intérêt pour l’économie des Andes préhispaniques est né lors de recherches menées dans le cadre de travaux antérieurs concernant les rapports existant entre les incas et les peuples des basses terres amazoniennes du Pérou sud-oriental et de la Bolivie septentrionale. Si nos recherches, se fondant principalement sur les données ethno-historiques disséminées dans les œuvres de nombreux chroniqueurs du XVIe et du XVIIe siècles, ne portaient alors que partiellement sur les relations économiques connectant les milieux montagnard et tropical, elles ne manquèrent pas de faire émerger l’idée d’une coexistence de diverses situations au sein de cette zone frontalière du Tahuantinsuyu. La mise en évidence d’une disparité des mécanismes d’échange en jeu dans la région contrastait cependant sérieusement avec la vision monolithique très souvent dépeinte par les chroniques espagnoles. Ces sources véhiculent en effet l’image d’un État inca homogène dont l’économie se fondait essentiellement sur le versement régulier par chaque sujet du souverain cusquénien d’un tribut dont la nature pouvait être matérielle ou immatérielle (s’apparentant alors un tribut en force de travail). Ce dernier point, central dans la compréhension du système de tribut prévalant à l’époque inca, fait bien souvent l’objet de contradictions dans la littérature ethno-historique. La confusion qui en découle nous incite à penser que les subtilités régissant cette pratique étaient difficilement décelables pour les conquérants espagnols et que les changements inévitables opérés sous l’influence de l’administration coloniale contribuèrent à brouiller plus encore la perception que les auteurs, n’ayant pour la plupart pas participé à la Conquête, pouvaient avoir de l’économie inca. Quoiqu’il en soit, la singularité de la région évoquée auparavant, suggérée par les sources littéraires, nous incita à envisager plus globalement dans la présente étude une vaste zone géographique que nous désignons par l’expression « monde inca » afin de déterminer si les mécanismes observés à l’échelle d’une région donnée constituaient une norme systématique, une configuration possible ou une exception à l’échelle d’un territoire dépassant les bornes officielles de l’empire inca (bien que leur matérialisation soit sujette à débat).

LES SOURCES PRIMAIRES ET LA SÉLECTION DES DONNÉES ETHNO HISTORIQUES

La première étape, selon toute logique, a consisté à nous plonger dans l’important volume de sources ethno-historiques concernant le monde inca. Il ne s’agissait pas seulement de comprendre le fonctionnement de la société, explicité de manière plus ou moins détaillé par de nombreux chroniqueurs du XVIe et du XVIIe siècle, mais de puiser dans l’œuvre de chaque auteur les éléments d’information, aussi succincts soient-ils, susceptibles de nous intéresser. Les sources ethno-historiques, qu’il s’agisse des chroniques ou des visitas rédigées à l’occasion d’inspections générales réalisées par l’administration coloniale, constituent un outil essentiel pour l’étude du monde inca. Nombre d’entre elles datent en effet de l’intervalle de temps écoulé entre la conquête espagnole du Pérou et le début du XVIIe siècle, soit une période relativement proche de la chute de l’empire inca. Leurs auteurs ont été témoins, pour la plupart, soit des dernières heures de la domination cusquénienne sur le territoire du Tahuantinsuyu, soit de la dégradation plus ou moins rapide du système qui prédominait dans les Andes préhispaniques à la veille de la prise de pouvoir des conquistadores. Cependant, à l’exception des rares chroniqueurs d’ascendance exclusivement indigène , ces auteurs partagent tous un point commun : ils sont soit espagnols, soit nés d’une union entre un colon espagnol et une femme indigène. Si leur naissance ne conditionne pas automatiquement leur inclination à rapporter les faits de manière bienveillante ou négative à l’égard des Incas, leur condition d’étranger en terre conquise ou de métis tiraillé entre deux héritages culturels éloignés, rédigeant des chroniques essentiellement destinées à un public européen et bien souvent espagnol, implique nécessairement un travail de recontextualisation et de reconceptualisation en adéquation avec les préoccupations coloniales de l’époque . On peut en effet distinguer plusieurs types de chroniqueurs. D’une part, il y a ceux qui observaient le monde inca aussi objectivement que possible avec leurs yeux d’européens. D’autre part, certains défendaient la cause inca en magnifiant l’œuvre sociétale indigène foulée aux pieds par les conquérants espagnols tandis que d’autres avaient pour mission de dénigrer l’essence même de l’empire inca afin de justifier la conquête du Tahuantinsuyu et la domination nouvelle des espagnols sur l’aire andine. Il est donc nécessaire d’être prudent dans l’usage que nous faisons des sources ethno-historiques, et notamment des chroniques.

LES DOCUMENTS COLONIAUX À CARACTÈRE ADMINISTRATIF ET LES RELACIÓNES NON CENTRÉES SUR L’HISTOIRE INCA

Au sein de cette catégorie de documents, nous avons opéré une distinction simple entre ceux qui retracent l’histoire de la conquête espagnole du Pérou et ceux dont l’existence résulte des besoins de l’administration coloniale.

Retracer la conquête espagnole : entre récit historique et mine d’informations exploitables

Le plus ancien document qui nous soit parvenu et présentant un intérêt pour l’étude de l’économie est un manuscrit de cinq pages relatant les deux expéditions menées par Francisco Pizarro entre 1523 et 1527, qui l’ont mené à découvrir la côte de l’actuel Équateur. Cette chronique est désignée sous l’appellation de Relación Samano. Publiée pour la première fois en 1937 par l’historien péruvien Raúl Porras Barrenechea, ce dernier estimait que sa rédaction avait du intervenir entre novembre 1527 et juillet 1528. Malgré son nom, l’attribution de cette œuvre demeure incertaine, au point que certains historiens préfèrent la considérer comme anonyme . Les deux auteurs qui lui sont le plus souvent associés sont Juan de Sámano et Francisco López de Jerez. L’intérêt de ce document réside dans la description qui y est consignée d’un radeau de balsa indigène, adapté à la navigation en haute mer, et intercepté par Bartolomé Ruiz. Ce radeau était utilisé par des marchands et transportait divers produits destinés à être échangés. Sans en avoir conscience, l’auteur de cette Relación est le premier à avoir collecté et enregistré un élément de réflexion essentiel pour l’ensemble des chercheurs s’intéressant à l’économie du monde inca et aux échanges existants au sein de l’aire andine à la veille de la Conquête.

Deux autres récits, à peine plus tardifs, sont tout aussi importants dans cette optique. Il s’agit de la Verdadera Relación de la conquista del Perú y provincia de Cusco, llamada la Nueva Castilla de Francisco de Jerez et de La Relación del viaje que hizo el señor Capitán Hernando Pizarro por mandado del señor Gobernador, su hermano, desde el pueblo de Caxamalca a Pachacamac y de alli a Jauja de Miguel de Estete, tous deux publiés en 1534. Relatant le déroulement de la Conquête pour le premier, et l’expédition menée par Hernando Pizarro jusqu’au sanctuaire de Pachacamac pour le second, ces récits fourmillent de détails sur les infrastructures incas. Les mentions relatives aux ponts empruntés par la population et leur réglementation, à ce que les Espagnols ont identifié comme des péages et à l’existence de marchés découlent d’observations directes qu’il convient d’analyser avec prudence dans le cadre de notre étude (en raison de l’absence d’espaces identifiés comme tels lors de fouilles archéologiques).

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Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE 1. LES CHRONIQUES ET LA LITTÉRATURE SCIENTIFIQUE À L’ÉPREUVE DU TERRAIN : CHOIX MÉTHODOLOGIQUES ET ÉTAT DES LIEUX DE LA RECHERCHE
I. LES SOURCES PRIMAIRES ET LA SÉLECTION DES DONNÉES ETHNO-HISTORIQUES
LES DOCUMENTS COLONIAUX À CARACTÈRE ADMINISTRATIF ET LES RELACIÓNES NON CENTRÉES SUR L’HISTOIRE INCA
1. Retracer la conquête espagnole : entre récit historique et mine d’informations exploitables
2. Les sources liées à l’administration coloniale
LES CHRONIQUES ESPAGNOLES DU XVIE ET DU XVIIE
SIÈCLE : ENTRE HISTOIRE VÉRIDIQUE, INFLUENCE POLITIQUE ET VISION ROMANCÉE
1. La parole sans entraves : 1535-1569
2. Les écrits tardifs et le développement de l’influence du pouvoir colonial sur les auteurs : 1569-1617
a. Francisco de Toledo et le contrôle de l’information (1569-1581)
b. Souplesse du pouvoir colonial et émulation entre chroniqueurs (1581-1617)
II. DU SOCIALISME IMPÉRIAL AUX PARTICULARISMES RÉGIONAUX : L’ÉCONOMIE INCA DANS TOUS SES ÉTATS
LE « SOCIALISME INCA » : 1920-1955
JOHN MURRA ET LA « VERTICALITÉ ANDINE » AU CŒUR DE LA PENSÉE ÉCONOMIQUE :
1955-1980
DU DÉBAT SUR LES MARCHÉS À LA POLITISATION DE L’ÉCONOMIE : 1980-2000
1. L’existence des marchés, un débat enflammé
2. La « politisation » de l’économie inca
2000-2019 : CONSIDÉRATIONS ACTUELLES SUR L’ÉCONOMIE INCA
III. CORPUS ARCHÉOLOGIQUE : VARIÉTÉ DES SITES EN LIEN AVEC L’ÉCONOMIE
CHAPITRE 2. RELATIONS ÉCONOMIQUES ASYMÉTRIQUES : UN PHÉNOMÈNE PROTÉIFORME DE CAPTATION DE LA FORCE DE TRAVAIL
I. LA MIT’A OU LA POLITIQUE DE TRAVAIL GÉNÉRALISÉ AU CŒUR DU SYSTÈME ÉCONOMIQUE INCA
QU’EST-CE QUE LA MIT’A ET QUI DEVAIT S’EN ACQUITTER ?
1. La nature du tribut inca
2. Qui devait s’acquitter du tribut ?
DOMAINES D’ACTIVITÉ ET CATÉGORISATION DE LA MIT’A
SPÉCIFICITÉ DES MISSIONS LIÉES AU TRIBUT : MIT’A DE SERVICE GÉNÉRAL ET MIT’AYUQ SPÉCIALISÉS
1. Les travailleurs généraux : des mit’ayuq polyvalents engagés temporairement
2. Les mit’ayuq spécialisés : une expertise recherchée et préservée
LA MIT’A : UN TRAVAIL COLLECTIF MINUTIEUSEMENT ORGANISÉ
1. La mise en œuvre de la mit’a : cadre légal et dispositions théoriques
2. Organisation et gestion de la mit’a
a. Le rôle central des quipucamayoc dans la gestion de la mit’a
b. Un tribut collectif versé à l’échelle de la communauté
c. Quantifier la mit’a : variation de la durée du service de travail obligatoire
d. Logistique de déploiement et d’entretien de la force de travail
II. LE TRAVAIL AU CŒUR DE LA STRATÉGIE INCA D’IMPLANTATION ET DE CONTRÔLE DES TERRITOIRES CONQUIS
L’OMNIPRÉSENCE DU TRAVAIL DANS LA PENSÉE ET LA SOCIÉTÉ INCA
1. Le rejet de l’oisiveté et de la paresse
2. Entre quête de gloire et assujettissement pacifique : comment le travail a façonné la pensée conquérante inca
3. Le travail à tout prix : curiosités et paradoxes d’une pratique universelle
S’ADAPTER POUR DOMINER : STRATÉGIES INCAS D’IMPLANTATION ET D’IMPOSITION DE LA MIT’A
1. Stratégie de contrôle territorial et manifestations de l’autorité impériale
a. Regroupement des populations et centralisation du pouvoir local
b. Infrastructures nouvelles et modification du paysage culturel
2. Séduire les hommes, s’allier les dieux : stratégie inca de contrôle hégémonique
a. La séduction des élites
b. Alliances et implantations religieuses
HÉTÉROGÉNÉITÉ DU PAYSAGE DES MIT’AYUQ : L’EXEMPLE DU CHINCHASUYU
1. Zones écologiques et stratégies d’implantation
a. Ubiquité impériale dans la Sierra centrale et septentrionale
b. Une présence moins affirmée sur la côte
Les Incas sur la côte sud du Chinchasuyu
Les Incas sur la côte nord du Chinchasuyu
2. Ce que le cas du Chinchasuyu nous apprend sur la mit’a
III. RÉFLEXION CHRONO-ÉCONOMIQUE : HYPOTHÈSES SUR L’ORIGINE DU SYSTÈME INCA D’INTÉGRATION PAR LE TRAVAIL
UNE POSSIBLE EXPANSION PRÉCOCE VERS LE COLLASUYU ET SES IMPLICATIONS POUR
L’HISTOIRE ÉCONOMIQUE DE L’EMPIRE INCA
LA LOI DE L’HÉRITAGE PARTAGÉ : UN TOURNANT DANS L’HISTOIRE DE L’ÉCONOMIE INCA ?
LA MINCA : UN TRAVAIL COLLECTIF LOCAL D’INTÉRÊT GÉNÉRAL À L’ORIGINE DE LA MIT’A
1. Le fonctionnement de la minca à l’époque inca
a. L’entretien d’infrastructures locales utiles au pouvoir impérial
b. Organisation de la minca : une responsabilité partagée
c. Fréquence et durée de la minca
2. Théorie sur l’évolution concrète et symbolique de la minca à l’époque inca
a. D’un effort rétribué à un travail collectif d’intérêt général
b. La minca et la mit’a : héritage et interdépendance
Synthèse
CHAPITRE 3. RELATIONS ÉCONOMIQUES SYMÉTRIQUES : ÉCHANGES NON-CONTRAINTS ET COMMERCE PROFESSIONNALISÉ AU SEIN DU TAHUANTINSUYU
I. LES CARACTÉRISTIQUES DU COMMERCE DANS LE MONDE INCA
MODE D’ÉCHANGE ET ACTEURS DU COMMERCE
1. Troquer sur les marchés : mode d’échange et lieux dédiés
2. Marchands amateurs et préempteurs impériaux : acteurs d’un commerce non professionnalisé
a. Marchand amateur : une activité essentiellement féminine
b. Les « marchands de l’Inca » : prospecteurs et préempteurs impériaux
3. Les marchands professionnels : foyers isolés ou phénomène généralisé ?
a. Les mindaláes : des marchands spécialisés dans le commerce à différents étages écologiques
b. Les marchands de la province Chincha : un cas controversé
NATURE ET VARIÉTÉ DES PRODUITS ÉCHANGÉS
1. Stratégie d’acquisition et diversité des denrées alimentaires
a. Produits de la terre et denrées non carnées
Le rôle de l’agriculture dans l’approvisionnement des marchés apparents
Cueillette et récolte de denrées sauvages : l’autre voie d’approvisionnement
b. Activités de prédation et acquisition des denrées carnées
2. Matériaux bruts et biens manufacturés : stratégies d’acquisition et confection d’objets utilitaires destinés à l’échange sur les marchés apparents
II. LE MARCHÉ DANS LE MONDE INCA : UN LIEU D’ÉCHANGES AUX OBJECTIFS VARIÉS
LES MARCHÉS COMMUNS ET L’IMPORTANCE DE LA RÉCIPROCITÉ
1. Les marchands amateurs et la réciprocité : une quête de connexions sociales
2. La question de la localisation des marchés communs
LES MARCHÉS DE PRESTIGE : DANS LE GIRON DES SANCTUAIRES
1. Le pouvoir d’attraction des sanctuaires
2. Le marché de Cusipata : un lieu de choix pour honorer l’Inca et les dieux
L’ÉVENTUALITÉ D’UN COMMERCE EXTÉRIEUR : PERSPECTIVES DE RECHERCHE
1. Le marché de Yanatile : carrefour commercial entre les Andes et l’Amazonie ?
2. La question des partenaires orientaux
Synthèse
CONCLUSION

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