Le vélo, un véhicule symbole des évolutions sociétales

« Aujourd’hui le vélo est déjà quelque peu entré dans nos mœurs, mais ce n’est que le commencement ; il deviendra, n’en doutez pas, l’instrument usuel de la vie de tous. On l’emploiera à toute heure du jour et de la nuit, en tout temps et en toute saison, pour aller chercher un cigare à cinquante pas de chez soi aussi bien que pour aller à dix lieues. On prendra son vélo en sortant de sa maison, comme on prend son chapeau, par simple habitude et sans trouver la chose extraordinaire. » .

Cette citation datant de 1894 affichait déjà le vélo comme un précurseur de son temps. Outil innovant à la fin du XIXe siècle, réservé aux élites, il perdra de sa superbe au siècle suivant, devenant le « véhicule du pauvre » ou le support d’exploits sportifs et de grandes épopées dans le cadre d’événements à grande échelle comme le Tour de France. La pratique du vélo fait aujourd’hui, et ce depuis une dizaine d’années, l’objet d’une représentation segmentée. Si la bicyclette reste encore largement associée à des balades de loisirs et au sport de compétition, elle tend peu à peu à faire sa place dans l’espace urbain. Le développement des systèmes de partage de vélos a largement contribué à cette extension qui doit se poursuivre pour faire progresser la pratique et pour permettre au deux-roues d’être enfin considéré comme un moyen de transport à part entière.

Le vélo, un véhicule symbole des évolutions sociétales 

Bien plus qu’un moyen de locomotion, le vélo a connu, depuis sa création, une progression de sa perception, suivant les évolutions de la société et avec elles les effets de mode tenant aux mobilités. Moqué à ses débuts, nous verrons comment le vélo a su tirer son épingle du jeu en surfant sur ses atouts (économique, rapide, sain…) et en profitant des valeurs défendues par des générations d’utilisateurs.

Valeurs sociétales et symbolique du vélo 

De la naissance du vélocipède au développement du fixie (vélo à pignon fixe), nous relatons dans cette partie les différents temps ayant influé sur l’avènement de la bicyclette. Il s’agira d’analyser la place du deux-roues dans les évolutions sociétales depuis sa création au XIXe siècle, et toute la symbolique portée par ce véhicule dans la ville, au-delà des terrains d’expression des sportifs tels que les routes du Tour de France. L’analyse porte plus particulièrement sur le milieu urbain, seul espace où se côtoient les différents usages du vélo : utilitaire / de loisirs (grâce notamment au VLS) / et dans une moindre mesure artistique & sportif (limité à quelques villes avec des quartiers gentrifiés telles que Bordeaux, Paris, Lyon, Nantes, etc.).

Histoire de la bicyclette : l’échappée belle, de la draisienne au fixie

« Les esprits grognons ont beau marmotter que c’est une mode, qui passera comme le café, suivant l’expression classique, l’apparition de la reine Bicyclette constitue vraiment un bienfait social. » .

Mode de déplacement régulièrement qualifié d’ancestral, l’invention du vélo est pourtant récente. L’ancêtre de la bicyclette est en effet né au XIXe siècle, époque marquée par l’industrialisation, l’avènement de l’acier et de la vapeur. C’est avec ces avancées que se sont développés de nouveaux modes de transport, et parmi ceux-là la draisienne. Créée en 1818 par le baron Karl Von Drais, avec une longue poutre de bois et deux roues en ligne, la draisienne est un instrument qui nécessite de pousser sur le sol avec les pieds (d’où son nom breveté « Laufsmachine », la machine à courir). Pour la première fois, la draisienne vient mettre l’homme en concurrence de l’animal sur des trajets courts (un cheval qui ne mange par d’avoine versus la calèche) et de la vapeur sur les plus longues distances (la force des jambes versus
le train). Des améliorations vont être au fur et à mesure apportées à l’objet, mais il faudra attendre la rencontre décisive à Paris dans les années 1860 avec les Michaux père et fils (la michaudine) puis le grand-bi dans les années 1870 pour réellement parler de bicyclette au sens où on l’entend aujourd’hui, grâce à l’ajout de la pédale et du pédalier. Ce « secoueur d’os » (bone-shaker, en anglais dans le texte ) connaîtra au fil du temps de nouvelles évolutions, telles que l’arrivée de la pneumatique avec Dunlop, la transmission par chaîne, le changement de vitesse, etc. Si le système mécanique est ingénieux, le vélocipède d’origine apparaît surtout comme un objet de railleries, perçu comme dangereux. Pierre Thiesset, auteur de l’ouvrage Les bienfaits de la vélocipédie, évoque cette révolution devenue vélorution dans laquelle s’inscrit la bicyclette : « Symbole de la vitesse individuelle et de la modernité, la frêle machine redéfinissait le rapport au temps, à l’espace, aux autres. Avant d’être couronnée reine, elle a dû affronter les moqueries » . Le vélo étant jugé dangereux, la municipalité de Paris ira même jusqu’à imposer un brevet à la fin du XIXe pour autoriser à chevaucher cette monture à deux roues dans les rues de la capitale ! Alors même que de nombreuses villes imposent des règlements municipaux antivélo, Bordeaux s’affiche comme précurseur en 1892 avec un arrêté qui servira de référence à la réglementation de la circulation (cf. annexe n°1). La bicyclette devient même très populaire, passant « du statut de nouveauté et d’excentricité pour les gens de la haute société à un mode de vie » . Paris apparaît d’ailleurs comme le «berceau du cyclisme mondial au XIXe siècle » , en organisant le 31 mai 1868 la première course officielle de l’histoire du vélo dans le parc de Saint-Cloud. La pratique de la bicyclette revêt alors un aspect ludique, aussi bien sportif dans les nouveaux vélodromes qui fleurissent dans les villes, que de loisirs, y compris pour les plus jeunes avec l’apprentissage du vélo, rite de passage de l’enfance. La bicyclette est réservée aux élites, elle est alors un passe-temps, un jeu pendant le temps libre réservé aux bourgeois et aristocrates.

Puis le vélo devient bon marché, coïncidant avec l’aménagement des routes jusque là pavées. Le vélo devient même identitaire et culturel dans certaines régions du monde devenues adeptes de la petite reine (Pays du Nord, Pays-Bas, Asie…). L’utilisation du deux roues s’est ainsi peu à peu démocratisée, jusqu’à devenir un mode de déplacement pour les ouvriers, le « cheval du pauvre », avec l’arrivée de la voiture, plus rapide, abordable et mieux adaptée aux besoins de l’époque. La fin de la seconde Guerre Mondiale marque en effet un coup d’arrêt à l’expansion de la bicyclette. Celle-ci souffre alors d’une image « associée à l’effort, à la contrainte et au labeur » face aux restrictions de la période d’occupation. La Libération voit la voiture s’imposer comme un symbole, pied de nez aux années de souffrance et de restriction véhiculées par le vélo : « L’image du vélo pâtit des privations des années d’occupation […]. La voiture à l’inverse symbolise la prospérité, les vacances et toujours la liberté ». Le vélo est remisé et marginalisé pendant quelques années, et n’est plus réservé qu’aux amateurs de cyclisme ou aux personnes n’ayant pas les moyens de s’inscrire dans le système de consommation prôné par le fordisme et « L’automobile pour tous ». Pourtant, sans pouvoir véritablement dater la renaissance du vélo, des phénomènes conjoints tels que la crise pétrolière ou la sensibilisation à l’environnement sont récemment venus questionner la place de la voiture et reconsidérer la position du vélo dans l’espace urbain. L’apparition des pistes cyclables et des premiers systèmes de partage de vélos dans de nombreuses villes occidentales ont permis de donner un coup d’accélérateur au retour du vélo. Né de la prise de conscience de la pollution automobile (congestion des villes et saturation du trafic, pollution atmosphérique, sonore…) et face aux phénomènes répétés de grèves impactant les services de transport en commun, le vélo a su ainsi se faire une place dans un paysage urbain dominé par la voiture et réduisant souvent la petite reine au très populaire et médiatique Tour de France. Du vélo partagé au vélo hollandais, en passant par le fixie, différents styles de vélos ont ces dernières années envahi les rues des grandes villes et métropoles du monde, pour devenir un mode de déplacement, voire même un objet d’art en tant que tel. Cette évolution de l’usage du vélo selon les époques et les catégories socioprofessionnelles est le symbole même d’un véhicule dans l’air du temps, au cœur du présent travail de mémoire.

Image et esthétisation : le vélo marqueur sociologique, une évolution des codes et des pratiques 

« Au-delà du phénomène de mode incontestable qui accompagne le vélo est née une véritable philosophie de vie et d’appropriation de l’espace urbain, basée sur une écologie douce dont le vélo est la pierre angulaire […] et dont le mot d’ordre est liberté ! » .

La mobilité, et à travers elle les différents moyens de locomotion utilisés, ont à chaque période guidé les évolutions d’une société. Les modes de transport sont en effet bien souvent le reflet d’une époque, d’une émancipation offrant l’opportunité de se déplacer à sa guise. La voiture ou la moto en leur temps, les « modes actifs » avec la marche et le vélo aujourd’hui, constituent de véritables phénomènes de société, avec leurs codes et leurs communautés. Cette progression est quantifiable : il s’est vendu en France en 2014 davantage de vélos que de voitures . Le vélo urbain détrônerait également son concurrent en tant que marqueur sociologique : la voiture ne serait plus pour les jeunes un objet statutaire ou un symbole de réussite sociale, tout du moins dans les grandes métropoles disposant d’alternatives au déplacement.

Le vélo a su ainsi profiter d’une inversion des tendances observée ces dernières années : mode de déplacement réduit à l’origine aux populations prolétaires pour des questions de coût (cf. annexe 2), il symbolise aujourd’hui une nouvelle jeunesse urbaine qui fait le choix du vélo pour des raisons pratique, esthétique, environnementale, voire communautaire. Bien que la voiture reste maître de la voirie, « le vélo n’est plus seulement une roue de secours », la pratique se développe par choix, permettant depuis peu une distinction sociale pour les catégories les plus aisées (bobo, cadre…) . Dans son ouvrage Le pouvoir de la pédale, l’auteur Olivier Razemon va jusqu’à en donner une vision certes caricaturale, mais en partie vraie dans l’imaginaire collectif. Avec les bobos, le vélo redevient le véhicule du riche qui est ouvert aux changements et se trouve en situation de choix : il vit et travaille généralement en centre-ville, en opposition aux personnes de CSP inférieures qui habitent en banlieue dans les quartiers populaires, et sont contraints de prendre leur voiture ou les transports en commun pour leurs déplacements quotidiens (le vélo n’apparaît pas comme une alternative valable du fait de la distance et des difficultés à le transporter afin de le combiner avec d’autres modes de transport). Cette vision renvoie au livre La République Bobo, dans lequel le vélo fait partie de la panoplie du parfait bobo « gentrifieur » sensible à la transition cyclable, celui qui « fait le choix d’habiter un quartier anciennement populaire, plein de bobos, pour vivre dans un havre de boboïtude peuplé de spécimens de son espèce, s’égayant dans de jolies rues pleines de restos simples et bars, de concept stores et de vélos hollandais ». Une étude réalisée dans le cadre du schéma directeur des liaisons cyclables de La Rochelle viendrait corroborer cette analyse : la fréquence et le type de mobilité varient en fonction du niveau d’étude, les étudiants et les diplômés de l’enseignement supérieur étant ceux qui pratiquent le plus le vélo. Dans des villes comme Paris ou Bordeaux, il n’est d’ailleurs plus rare de voir des cadres supérieurs suréquipés circuler sur des vélos à plusieurs milliers d’euros pour se rendre au travail, partir en voyage ou participer à différentes épreuves sportives avec la volonté de se challenger : « Le vélo est devenu le golf d’il y a 10 ans, on est passé du vélo ringard au vélo branché ! » .

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Table des matières

INTRODUCTION
REMERCIEMENTS
I. Le vélo, un véhicule symbole des évolutions sociétales
1. Valeurs sociétales et symbolique du vélo
1.1. Histoire de la bicyclette : l’échappée belle, de la draisienne au fixie
1.2. Image et esthétisation : le vélo marqueur sociologique, une évolution des codes et des pratiques
1.3. Vélo & bicyclette : une sémiologie évocatrice de vitesse et de liberté
1.4. La légende du Tour de France : le cyclisme spectacle
2. Le vélo vecteur de recherches : regards croisés sur l’objet social et politique
2.1. Le vélo, objet de fascination
2.2. Le vélo, entre technique et figures rhétoriques
2.3. Le vélo, foyer d’expression politique
3. Usages sociologiques du vélo : le retour de la bicyclette comme bienfait social?
3.1. Moteurs et freins de l’usage du vélo : les bonnes raisons de pédaler
3.2. Les bienfaits du vélo pour la société : en roue libre pour l’environnement et l’économie
II. « Doux en un » : le renouveau du vélo au cœur des politiques publiques
1. Politique nationale en faveur du vélo
1.1. Un mouvement émergeant en France
1.2. Des exemples de politiques avant-gardistes à l’étranger
2. Politiques locales : le vélo fer de lance d’un territoire dynamique et durable
2.1. Energie verte et économie circulaire, les arguments phares du vélo pour une ville apaisée
2.2. Les politiques cyclables, effet de mode ou politique publique rentable ?
2.2.1. Le modèle économique du VLS : un objet partagé booster de pratiques
2.2.2. Le VLS en tant qu’objet connecté : mieux connaître les usages pour développer des services adaptés
2.2.3. Le vélo, un chaînon apolitique porteur ?
III. Communication et communauté vélo : un peloton qui s’étoffe
1. Le développement de partenariats : une mise en réseau qui transcende les limites administratives de la commune
2. Smart Citizens, une communauté vélo organisée
3. A bicyclette, une stratégie de communication bien rodée pour découvrir et vivre la ville autrement
3.1. Développer les pratiques : vers un univers graphique et un vocabulaire dédié
3.1.1. Informer sur la pratique du vélo urbain : une communication « classique » informative
3.1.2. Fédérer autour d’événements festifs
3.1.3. Innover : le vélo chaînon d’une communication et d’une économie créative
3.2. Attirer et fidéliser les cyclistes urbains : un enjeu de marketing expérientiel
3.3. Adapter l’offre à la demande : des axes de communication à exploiter
CONCLUSION

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