LE TRAVAIL EN EQUIPE, UNE PRATIQUE PROFESSIONNELLE ENSEIGNANTE NECESSAIRE ET DIFFICILE A METTRE EN OEUVRE

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Cycles pédagogiques et différenciation

La philosophie des cycles pédagogiques a donc pour enjeu majeur la différenciation : la prise en charge de chaque élève compte tenu de son bagage social, intellectuel et comportemental. Pour que les cycles puissent déployer leurs potentialités, ils doivent s’appuyer sur des outils solides et utilisables par les professeurs dans le but de connaître au mieux leurs élèves : quels besoins ? Quel rapport au savoir ? Quelle façon d’apprendre ? D’un point de vue institutionnel le texte de la réforme met en valeur trois outils principaux, repris depuis par les différents textes. Il s’agit des programmes, des compétences et de l’évaluation. Ces trois grands thèmes ont connu des déclinaisons diverses au fur et à mesure du temps mais ils restent néanmoins les trois piliers de la fondation de la différenciation pédagogique.
 Les programmes : Ils sont l’outil qui permet aux professeurs de cadrer les contenus disciplinaires, en définissant les connaissances que les élèves doivent acquérir au sein des « domaines ». Ainsi les compétences viennent s’imbriquer dans le grand cadre des programmes. Le changement impliqué par l’instauration des cycles est fondamental puisqu’elle permet aux enseignants d’exercer une plus grande liberté pédagogique en envisageant les contenus sous un angle global et en favorisant le plus possible les passerelles existantes entre différents contenus disciplinaires (pour donner un exemple très concret, les activités rattachées au langage sont présentes dans l’ensemble des domaines). Cette marge de manoeuvre se révèle également très intéressante en termes d’organisation puisque la répartition horaire devient plus souple, permettant à l’enseignant d’exercer encore une fois sa liberté pédagogique et favorisant ainsi l’innovation dans ce domaine. Cette souplesse nouvelle est une des conditions nécessaire à la différenciation puisqu’elle permet une modulation de la démarche pédagogique de l’enseignant et donc la mise en place de situations d’apprentissages adaptées aux acquis antérieurs et aux parcours individuels des élèves. Cette réforme des cycles fait voler en éclats la conception selon laquelle l’école serait une architecture modèle de savoir-faire de parcours-types pour des élèves-types dans une espace-temps unique (la classe, l’année scolaire). Petit à petit les programmes se sont ajustés afin de devenir des outils de référence portant le concept de cycles en leur sein : les programmes sont centrés sur l’unité de temps « cycles » et définissent des compétences à maîtriser en fin de cycle, laissant aux enseignants-collaborateurs le soin de s’organiser et de se répartir les apprentissages selon les acquis antérieurs, les savoirs réels et les progrès des élèves. Les programmes répondent désormais à la question « à quoi veut-on parvenir ? » quand les équipes de cycles doivent s’interroger sur le « comment ? ». On entrevoit ici l’importance du travail d’équipe, de collaboration entre enseignants.
 Les compétences : elles sont la capacité d’un individu à maîtriser et transférer des connaissances articulées autour d’objectifs précis : les connaissances ne sont plus enseignées, ni appliquées dans un objectif disciplinaire. Les compétences désignent plus une attitude au savoir plutôt qu’un savoir lui-même, un individu n’a jamais vraiment achevé d’acquérir une compétence puisque celle-ci est évolutive et personnelle (dans sa mise en pratique et dans son acquisition). C’est la raison pour laquelle cette nouvelle « notion » s’intègre dans la philosophie des cycles. Chaque étape de la scolarité d’un individu vient enrichir, développer ou amplifier les compétences construites précédemment en s’appuyant sur le vécu de chacun. Cet outil vient modifier la pratique professionnelle enseignante qui se fonde désormais sur les attitudes des élèves et leur capacité à décliner des méthodes, des raisonnements, face aux situations particulières que l’enseignant propose. L’élaboration des situations pédagogiques n’est donc plus la même, ainsi que les rapports entre collègues qui deviennent des collaborateurs à part entière qui mettent en place des parcours adaptés et pertinents sur plusieurs années : une compétence s’acquière et se transforme sur tout le parcours et non sur une année unique avec une enseignant unique.
 L’évaluation : L’évaluation est un levier essentiel de la différenciation pédagogique selon Meirieu. Elle peut être de trois types : diagnostique, formative ou sommative. Or la mise en place de la scolarité par cycles a forcément une incidence sur la conception et les pratiques évaluatives. En passant à une approche par compétences (notamment transversales), il est impératif de créer de nouveaux modes d’évaluation correspondant à ces nouveaux modes d’apprentissages. C’est pourquoi il semble primordial de valoriser l’évaluation formative, outil privilégié de la différenciation pédagogique. Cette dernière permet l’autorégulation de l’élève mais également une meilleure prise en compte de l’élève par l’enseignant, elles font figure d’outil d’ajustement permanent dans l‘élaboration des apprentissages et des stratégies pédagogiques. Ce mode d’évaluation apparait en décalage par rapport l’image sociale de l’école, c’est pour cette raison d’ailleurs qu’elle est parfois mal accueillie par la communauté éducative notamment par les parents. Si la réforme des cycles commence à dater, les freins à sa mise en place pleine et entière existent toujours, et il est nécessaire de sensibiliser les parents à ce sujet de l’évaluation formative comme outil pédagogique aux détriments de l’évaluation sommative qui est souvent vécue comme une sanction. Néanmoins on perçoit ici une contradiction : en l’absence d’évaluation sommative en fin de cycles comment établir un diagnostic permettant d’envisager la structure des apprentissages à mener dans le cycle suivant ? En réalité la réforme des cycles amène également une tout autre manière d’envisager les progrès des élèves : à la sanction d’un niveau on substitue une observation détaillée et personnelle des acquis et lacunes de chacun en fonction des compétences en jeu. Il s’agit davantage d’un bilan d’informations transmis entre enseignants collaborateurs plutôt que d’un bulletin de notes dont la pertinence peut être mise en cause. La fonction de l’enseignant change sensiblement ici, et c’est une des nouveautés de la mise en place des cycles : l’enseignant en tant que professionnel de l’éducation opère un bilan objectif, une analyse de l’élève qui détermine la suite de son parcours scolaire sans sanction ni récompense mais uniquement dans l’intérêt de ce dernier.

La réforme des cycles impose une rénovation totale (méthodes et contenus)

La rénovation pédagogique que demande la réforme des cycles touche deux points essentiels : la rénovation des contenus et celle des méthodes.
 Une rénovation des contenus : ce premier chantier concerne la structure même des contenus, en effet comme nous l’avons déjà évoqué l‘évaluation est l’une des clefs de l’enseignement différencié. Pour autant il est indispensable de diversifier cet outil et de ne plus le considérer uniquement comme un outil de sanction et/ou de sélection même si nous l’avons vu cette fonction doit aussi exister d’une autre manière. D’autre part il ne faut plus voir l’évaluation comme un processus unilatéral « enseignant vers élèves », en effet la bonne mise en oeuvre de l’évaluation formative engendre systématiquement une auto-évaluation de l’enseignant lui-même : l’élève n’est en aucun cas le seul responsable d’un « échec » et ce constat doit s’accompagner d’une remise en question et d’une adaptation des situations d’apprentissage proposées.
Néanmoins il faut noter que ce sujet de l’évaluation est pris en charge et étudié par la communauté enseignante et le ministère de l’éducation afin de cadrer et d’aider les enseignants dans leur pratique professionnelle.
Etudions à présent les contenus des programmes, en effet lorsqu’on parle de mise en place des cycles et de différenciation il est indispensable de considérer les connaissances à enseigner. Certains chercheurs ont définis à ce propos la notion de programme-noyau ou objectif-noyau5, il s’agit ici de définir collectivement (en conseil de cycles) quelques objectifs essentiels que tous les élèves doivent acquérir au cours d’un cycle. C’est sur ces éléments de base que les variations de la pédagogie différenciée pourront s’opérer au sein d’un cycle. Dans cette perspective les compétences définies par les cycles présentent un intérêt certain et permettent de mener de façon plus aboutie la réflexion sur la différenciation.
 Une rénovation des méthodes : Si les contenus des apprentissages sont différenciés, il faut également porter notre attention sur les méthodes d’enseignement qui font partie intégrante de l’exigence de différenciation. Afin de mener tous les élèves vers la réussite, les enseignants ont souvent pour habitude d’organiser des temps de prise en charge dédiés aux élèves en difficultés. Cette pratique porte plusieurs noms : soutien, aide, remédiation, Aide Personnalisée Complémentaire.. et consiste à reprendre en effectif réduit une notion qui a posé problème. Effectif réduit, vitesse ralentie, exemples et exercices simplifiés, cette mise en oeuvre de la différenciation pédagogique n’a en réalité aucun sens puisque l’on répète à l’identique une notion que les élèves concernés n’ont pas réussi à maîtriser. IL serait pourtant plus intéressant de travailler en concertation avec les autres enseignants de cycles et cibler une action plus appropriée aux différents profils d’élèves : selon le profil on mettra en place des ateliers utilisant des supports d’apprentissages variés et adaptés aux points forts des élèves. Le rôle du maitre prend alors tout son sens puisque c’est lui décline sur des supports variés les savoirs à acquérir : il fait le lien entre savoirs et élèves de la meilleure façon possible.
Dans la perspective d’amener les élèves en difficultés à l’école vers une image positive et porteuse de sens de cette dernière, on peut aussi imaginer des activités qui engageraient davantage les élèves entre eux par la pratique des enseignements mutuels. Pour aider les élèves qui présentent un désintérêt pour la chose scolaire et pour leur redonner motivation et une estime d’eux même il peut être intéressant de former des binômes entre élèves de PS et de GS (dans une école maternelle) ou entre des élèves de 1ere et dernière année de cycle 2 ou 3 et de mener un projet commun. Ici les élèves acquièrent un statut différent qui les valorise et dédramatise les situations d’échecs vécues en classe. La force des cycles réside aussi dans la progression : en prenant conscience de celle-ci (« je montre ce que je sais faire à un élève qui était comme moi il y a deux ans ») les élèves retrouvent le plaisir dans les apprentissages et un projet nait : celui de pouvoir montrer plus lors des prochains ateliers-binômes.

Le travail en équipe : pourquoi ? Pour quoi ? Pour qui ?

Le travail en équipe fait son apparition très tôt à l’école, dès les années 1930 on parle de « pédagogie d’équipe » puis de « classes nouvelles » (Gustave Monod). Pourtant cette notion s’applique exclusivement aux élèves. Ce n’est que vers les années 70 que la notion se transfèrera aux groupes d’adultes ayant en charge un ou des groupes d’élèves. Cette exigence apparait explicitement avec le décret de 1976 sur l’organisation des collèges et des lycées qui mentionne « l’équipe éducative » de l’établissement. Mais c’est véritablement en 1989 avec la réforme des cycles que le travail en équipe des enseignants devient une réalité éducative et une exigence institutionnelle.
Cette exigence de l’Education nationale est mise en place pour répondre à la complexité et à la variété de la fonction enseignante dans le but ultime d’amener tous les élèves à la réussite. On comprend ici que le terme d’équipe recouvre l’ensemble des fonctions complémentaires qui vont concourir à la prise en charge d’un ou plusieurs groupes d’élèves.

Pour qui ? Les enseignants !

Dans tous les domaines professionnels le travail en équipe est un volet primordial, valorisé et indispensable pour mener à bien les missions confiées. Dans les métiers liés à l’éducation ce critère n’est pas mis en valeur, à aucun moment de la carrière d’un enseignant. Pourtant il s’agit d’une injonction explicite des textes réglementaires qui définissent les missions du personnel d’éducation. Pour aller plus loin, nous pouvons même affirmer que le travail en équipe ne fait pas partie de la culture professionnelle des enseignants, en effet la coordination des tâches et des acteurs participants aux missions d’éducation est réalisée de façon centralisée : organisation pédagogique, définition des programmes, des heures d’enseignement etc.. Tous ces éléments sont donnés clé en main par le législateur qui contrôle, notamment par le biais des inspecteurs, le respect des différentes directives. C’est ainsi que la coordination se met en place dans le domaine de l’éducation, et non au travers d’une concertation, collaboration entre des enseignants qui élaboreraient l’architecture et la mise en oeuvre des contenus et situations pédagogiques dans le but de s’adapter au mieux aux élèves. Cette centralisation se traduit par une représentation très forte du métier que l’on assimile à une activité solitaire : l’enseignant seul face à « ses » élèves. A tel point que les activités autres dont doit s’acquitter l’enseignant (participation aux différentes instances collectives comme les conseils ou encore les rencontres avec les parents) sont perçues comme des obligations administratives sans intérêt8.
La culture professionnelle des enseignants se partage donc entre une culture pyramidale très hiérarchisée qui prend les décisions et les « fait redescendre » à ses personnels, et une culture plus « libérale » avec la notion prégnante de liberté pédagogique. Nous sommes donc face à une culture très installée, solidement partagée par tous les membres de la sphère scolaire, ce qui la rend très complexe à modifier. Le travail en équipe enseignante ne semble donc pas avoir de beaux jours devant lui…
Evoquer le travail en équipe en milieu enseignant ce n’est paradoxalement pas toucher à l’enseignement dudit enseignant face à sa classe. Le co-enseignement est très peu mis en valeur par les instances décisionnaires ce qui ne joue peut être pas en faveur de la mise en place de projets communs impliquant une collaboration étroite entre enseignants.

Le travail en équipe : pour quoi ?

Il serait donc utile d’examiner les justifications du travail en équipe, autrement dit le « pourquoi » ? Quels seraient ses bénéfices quand mon enseignement « roule » dans ma classe ? Tout d’abord il peut être intéressant de considérer les établissements spécialisés qui, depuis bien longtemps, travaillent en équipe. Cette modalité de travail est même absolument indispensable puisqu’il s’agit avant tout d’articuler les interventions de professionnels variés pour des enfants présentant des problématiques diverses à des degrés divers. Répondre à cette demande ne peut être l’oeuvre de décisions centralisées : seuls la concertation, la collaboration et le travail en interdépendance permettront d’avoir une action efficace sur un tel public. Si l’on considère les établissements classiques on constate une diversification des fonctions et une augmentation des acteurs impliqués dans une journée scolaire : ces nouveautés appellent à un besoin de collaboration accru. Pour le bien-être des élèves et l’intérêt de l’école il pourrait être intéressant de pratiquer une collaboration plus systématiquement avec les différents acteurs. Nous avons pu observer dans une maternelle, une enseignante qui travaille depuis de nombreuses années avec la même référente périscolaire (cette dame prenait en charge les élèves après la classe bien avant la réforme des rythmes scolaires). Cette collaboration, favorisée par l’entente humaine existante entre l’enseignante et la référente, permet de prolonger les bénéfices des actions menées en classe sur certains élèves présentant des problèmes de comportements ou notamment sur les élèves allophones qui sont nombreux dans cette classe de petite section. Nous avons trouvé intéressant d’évoquer cet exemple précis puisque les élèves se trouvent stimulés par cet environnement rassurant, cadré par les mêmes règles qui ont été mises en place à la fois par l’enseignante et la référente. Il s’agit d’un exemple de collaboration et de travail d’équipe (non enseignante mais d’équipe éducative) qui a des effets très positifs sur les élèves.
La seconde raison qui appelle à l’efficacité et la systématisation du travail en équipe c’est l’exigence de la lutte contre l’échec scolaire. Il est clair que les individus qui ont vécu ou vivent l’échec scolaire nourrissent de la déception voire du ressentiment vis à vis de l’institution, ce qui est parfois à la source des phénomènes de violence scolaire. C’est dans ce contexte que l’on s’aperçoit que les véritables équipes d’enseignants se développent plus volontiers dans les milieux scolaires difficiles. En lançant des projets pédagogiquement innovants ces écoles doivent se constituer en équipe d’enseignants pour mener à bien ces projets et leur donner la pérennité nécessaire à leur amélioration et à leur efficacité. L’injonction est ici institutionnelle mais également nécessaire, appelée par les besoins spécifiques de ce type d’établissements.

Finalités du travail en équipe et bénéfices attendus

Si l’on compare travail d’équipe et travail de groupe, nous observons qu’il ne faut pas les confondre. En effet le travail de groupe désigne le fait de réaliser ensemble une tâche commune. Dans ce type de modalité de travail la différenciation des tâches est très faible et s’apparente plutôt à une répartition décidée par le groupe lui-même au moment de son organisation, la hiérarchie est quasi inexistante. A l’inverse, le travail d’équipe désigne une collaboration entre personnes effectuant des tâches très différenciées mais interdépendantes dont l’attribution est effectuée en amont par une hiérarchie définie.
Si l’on considère les deux exemples donnés plus haut des écoles en milieux difficiles et des établissements spécialisés, on s’aperçoit que c’est précisément les différences et expertises complémentaires que présentent les membres de l’équipe qui font son efficacité. La complémentarité, la pertinence du découpage des tâches, leur articulation et le professionnalisme sont les ingrédients d’une coopération réussie.
Cette même coopération permettra à terme de proposer un enseignement riche et pertinemment différencié au moyen d’outils innovants ou simplement de situations d’apprentissages diversifiées qui puissent convenir aux différents élèves et à leurs différentes manières d’apprendre (voir plus haut). Mais cette coopération sera aussi le moyen de venir en aide à des professeurs parfois démunis face à l’ampleur de la tâche de la différenciation. Face à des publics de plus en plus hétérogènes, on se demande parfois comment animer son enseignement pour que les uns puissent progresser sans que les autres ne s’ennuient, il s’agit là d’un véritable défi qui serait potentiellement relevé avec brio si les enseignants travaillaient ensemble.
Si nous allons plus loin et que nous considérons le développement et l’épanouissement des élèves, il apparait que le travail en équipe est un facteur de progrès au-delà même de l’exigence de différenciation qui doit être opérée dans les classes. En effet, les élèves en travaillant au contact les uns des autres entre niveaux différents, s’apportent beaucoup mutuellement : les plus petits s’identifient au plus âgés et les savoirs que ces derniers mettent oeuvre sont générateur de motivation. Les plus grands sont valorisés et peuvent directement mettre en pratique les apprentissages qui ont été vus en classe. Ainsi le travail en équipe enseignantes peut avoir un impact très fort et surtout très direct sur les élèves et leur rapport au savoir. Motivation, familiarisation avec le travail d’équipe (à l’échelle « élève » cette fois), valorisation, construction identitaire sont autant de bénéfices qu’apportent le travail d’équipe. Ce type de rencontres entre élèves est encore une fois le fruit d’une volonté forte qui ne peut être mise en oeuvre qu’à la condition que les enseignants soient engagés dans une démarche collective de collaboration et de partage. Nous en reparlerons plus tard dans le troisième chapitre de notre travail.

Les freins et les obstacles

Les obstacles les plus souvent évoqués lorsque l’on aborde le travail en équipe sont à la fois pratiques mais aussi psychologiques.
Le temps est le principal élément évoqué, et c’est une difficulté objective. En n’incluant pas ce temps de travail dans l’emploi du temps hebdomadaire du professeur il est vécu comme un alourdissement de la charge de travail. De plus il n’existe pas dans les écoles de lieux dédiés à ce type de concertation, la plupart du temps la salle des maitres, exiguë, est assez bruyante, il est donc difficile de donner de l’importance à ces réunions quand le contexte de travail donne à penser qu’il s’agit de tâches annexes.
Un autre frein que l’on peut évoquer est l’absence de responsabilisation des membres de l’équipe. Le plus souvent le directeur endosse un rôle administratif fort et pilote le bateau, transformant les différents conseils et instances de réunion, qui ont des objectifs et des points à traiter bien précis, en une succession de compte-rendu d’informations. En responsabilisant chacun des acteurs des différentes instances via l’attribution d’un rôle défini dans une équipe devant restituer sur un sujet donné, ces instances pourraient alors produire les résultats escomptés et par là donner corps à ce travail d’équipe dont l’éducation a besoin. Ce point précis est évoqué dans de nombreux articles de recherche sur le travail en équipe qui mentionnent la nécessité de définir en amont la répartition des tâches en rendant responsable le dépositaire qui a donc des « comptes à rendre »9. Monica Gather Thuler évoque un autre obstacle qui tient aux spécificités du monde de l’éducation. En effet par son objet même, l’univers éducatif rencontre des difficultés à s’ériger en acteur collectif10 et à proposer des solutions innovantes passant par lui. L’éducation en tant qu’elle est dispensée par des humains à d’autres humains semble paradoxalement éprouver des difficultés à admettre l’erreur ou le tâtonnement : on ne prend pas les élèves pour des cobayes et on ne peut se permettre de « sacrifier » une classe sous prétexte d’expérimentation. L’article11 étudié retient cet argument qui dissuade la plupart du temps les professeurs à travailler en collectif : si jamais le dispositif mis en place est un échec alors nous aurons perdu du temps dans les apprentissages et les élèves n’auront pas acquis la notion visée. Pourtant cette dimension humaine intrinsèque au métier d’enseignant est expérimentée au quotidien par tous. Chez les enseignants l’erreur et la remise en question est quotidienne, permanente, et ne devrait donc pas être invoquée comme point négatif lors de la mise en place de projet collectif innovants.

Travail en équipe et cycles pédagogiques : un nouveau métier à bâtir

Il faut noter que le travail en équipe, outre ses vertus indéniables quant à la réussite des élèves, revêt également des enjeux socioprofessionnels très forts pour le monde enseignant. On parle ici de problématiques telles que l’isolement, le leadership mais également la pratique professionnelle en tant que telle avec ce qu’elle implique de réflexif et de remise en cause constante. En effet, les témoignages recueillis sur le sujet sont explicites : lorsque le défi du collectif a été relevé, les enseignants concernés sont catégoriques quant à l’influence de l’expérience sur leurs pratiques. Un véritable changement de regard et de perspectives a été opéré au contact des collègues. Il s’agit d’un ajustement (atteint parfois dans la douleur !) qui ouvre les portes d’une pratique professionnelle rénovée, plus en accord avec les nouveaux enjeux sociaux dévolus à l’éducation.

Des compétences à acquérir

Si la formation des enseignants a beaucoup évolué ces dernières années, on constate que la formation initiale au même titre que la formation continue ne met pas l’accent sur l’acquisition des bases du travail en équipe. En effet mettre en oeuvre de telles modalités de travail ne va pas de soi et il existe quelques règles à respecter afin de rendre ledit travail en équipe plus efficace et surtout plus bénéfique pour tous, c’est une des raisons pour lesquelles aujourd’hui la formation des enseignants intègre un important volet sur le travail en équipe (à la fois en théorie avec des cours intitulés « gestion de projet » ou « travailler en équipe au service de tous les élèves » mais également en pratique avec des projets, présentations, travaux dont les rendus sont à élaborer en groupe. Au-delà de ces règles à mettre en oeuvre il existe aussi un savoir-être en équipe, des attitudes qui, pour certains, n’ont rien de naturel et qui pourtant favorise grandement l’aboutissement d’un projet d’équipe.
Le constat est simple : certains établissements semblent plus enclins que d’autres à la collaboration entre enseignants. Ces différences tiennent elles uniquement à la bonne entente régnant dans l’équipe ? Ou existe-t-il des facteurs stimulant la mise en place d’équipes solides et efficaces ? C’est une des questions traitées dans l’ouvrage de Marie-Claude Grandguillot12, qui parle de conditions à réunir pour développer le travail en équipe. Au même titre que des compétences à mettre en oeuvre, il faudrait aussi réunir des conditions favorables. L’auteur pointe du doigt le climat qui se doit d’être « sympathique », « bienveillant », même si cela n’empêche pas de débattre et d’affronter les désaccords sur certains sujets. Comme dans n’importe quelle entreprise13, l’accent doit être mis sur la connaissance de l’autre et l’intérêt qu’on lui porte, afin d’instaurer un climat de confiance dans lequel chacun se sent libre de s’exprimer. Notre expérience au sein de l’école cette année est révélatrice sur ce point : le climat relationnel serein permet à chacun de faire valoir ses idées, ou du moins de les énoncer en toute confiance. M-C Grandguillot évoque également les questions de temps et de lieux, nous en avons déjà parlé, il est difficile de trouver des moments de concertation, les emplois du temps sont compacts et chacun a des impératifs extérieurs, il est donc difficile de réunir tout le monde pour une durée significative. C’est là qu’intervient une des compétences à acquérir pour travailler en groupe : celle de s’organiser et de définir des rôles en amont, ici désigner un coordinateur chargé d’organiser pratiquement la réunion et de trouver un moment qui conviennent à tous. Pour ce qui est des lieux, les salles des maîtres sont souvent des mieux assimilés à la détente ou aux temps de repos (déjeuners notamment) il semble donc hasardeux d’y mener les réunions : notre expérience montre que les réunions en salle des maîtres tournent souvent au déjeuner lors duquel on « parle boulot » plutôt qu’à de véritables réunions avec prise de notes, animateur désigné et prise de parole régulée. L’environnement est un facteur essentiel dans la réussite de la réunion, il faut que les participants soient mis dans une ambiance propice et professionnelle, ce qui n’est pas le cas la plupart du temps.
Enfin l’auteur mentionne l’importance de l’équipe de direction (pour le premier degré il s’agit du directeur ou de la directrice de l’établissement) dans la mise en place du travail d’équipe, en effet il est primordial que cette dernière soit à même de repérer les synergies entre membres de l’équipe enseignante et ainsi de suggérer/ mettre en avant les idées de projet pour déclencher la constitution des équipes, quitte parfois à « imposer » la distribution des rôles au sein de l’équipe afin d’amorcer le travail. L’équipe de direction se doit également d’instaurer une ambiance cordiale et professionnelle au sein de l’équipe, en organisant par exemple des moments dédiés à la régulation afin de trouver des solutions aux difficultés rencontrées lors des concertations. Pour P. Mahieu14 ces moments doivent privilégier l’échange, la confrontation des points de vue, et l’analyse. En faisant ce travail de retour sur les pratiques on peut sensiblement améliorer l’efficacité et le bon déroulement des réunions, qui favoriseront alors un travail en équipe de qualité et auquel les différents acteurs adhèreront pleinement.

Une culture à reconstruire

Le travail en équipe avec ce qu’il implique de remise en questions, de partage et de responsabilisation touche en réalité au coeur du métier de l’enseignant : il vient modifier la relation pédagogique (P. Perrenoud15) c’est-à-dire « l’ensemble des relations d’apprentissage, d’enseignement et didactique dans une situation pédagogique »16. Cette relation en tant qu’elle se constitue entre l’enseignant et les élèves est tout à fait personnelle et relève fortement de la personnalité de l’enseignant, de sa vision de l’enseignement mais aussi de l‘attitude des élèves et de leur rapport au savoir. Au fil d’une carrière les enseignants se construisent et développent un savoir-faire et un savoir-être, propre à chacun. On pourrait même parler d’identité-enseignante qui est un caractère très fort de la profession, totalement intégré dans la culture professionnelle : je me distingue par mon identité professionnelle enseignante qui sera différente de celle de mon collègue en ce que nous n’avons pas le même vécu de classe, de formation, de relation à l’institution, etc : en réalité nous n’avons pas la/les même(s) expérience(s). Et c’est précisément à cette identité professionnelle que le travail d’équipe va toucher, il faut désormais partager cette expérience avec les collègues, se dévoiler, en montrer plus sur cette identité forgée au fil des ans, parfois même en faisant entrer les collègues dans la classe, dans la relation pédagogique tissée avec les élèves. C’est pour cette raison notamment que le travail d’équipe suscite des appréhensions et de la méfiance alors même que les retours d’expériences sur le travail en équipe enseignante rapportent que les pratiques enseignantes et de fait l’identité professionnelle de l’enseignant concerné se retrouvent enrichies de l’observation d’un collègue. Il apparaît en filigrane que la peur des enseignants se situe au niveau du jugement que peuvent émettre les collègues sur la sacrosainte relation pédagogique. L’évaluation des pratiques enseignantes doit entrer dans les classes dans son acception positive : évaluer c’est mettre en avant la valeur d’un travail (nous devons d’ailleurs intégrer cette pratique de l’évaluation avec nos élèves), pourquoi ne pas appliquer cette notion à nous-même ? Ces éléments doivent être intégrés dans la nouvelle culture professionnelle des enseignants.
Cette mise en place du collectif dans les établissements implique donc une autre vision du métier et de nouvelles modalités d’exercice : un engagement plus fort et plus complet doit être mis en oeuvre par les enseignants. S’exposer à l’autre quand on a l’habitude de travailler seul, faire confiance, accepter les idées et les pratiques, partager un objectif et une vision de la profession, céder et se laisser influencer, autant de nouvelles postures que l’enseignant doit intégrer dans sa pratique professionnelle afin de répondre aux enjeux sociaux de l’école d’aujourd’hui. C’est la cohérence pédagogique et la continuité qui doivent présider à l’élaboration des enseignements et ces deux impératifs ne peuvent être effectifs que dans la concertation et la collaboration des équipes intra ET inter cycles.

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Table des matières

INTRODUCTION
PARTIE 1 : LA REFORME DES CYCLES, UN BILAN MITIGE
I. Quels objectifs ?
1. Le concept des cycles
2. Origines
3. Cycles pédagogiques et différenciation
II. Quelle mise en oeuvre ?
1. Mise en oeuvre des cycles (pratique)
2. La réforme des cycles impose une rénovation totale (méthodes et contenus)
3. Limites
III. Bilan
PARTIE 2 : LE TRAVAIL EN EQUIPE, UNE PRATIQUE PROFESSIONNELLE ENSEIGNANTE NECESSAIRE ET DIFFICILE A METTRE EN OEUVRE
I. Le travail en équipe : pourquoi ? pour quoi ? pour qui ?
1. Pour qui ? Les enseignants !
2. Le travail en équipe : pour quoi ?
II. Objectifs et difficultés
1. Finalités du travail en équipe et bénéfices attendus
2. Les freins et les obstacles
III. Travail en équipe et cycles pédagogiques : un nouveau métier à bâtir
1. Des compétences à acquérir
2. Une culture à reconstruire
PARTIE 3 : LES ACTIVITES DECLOISONNEES, SUPPORT PRIVILEGIE DU TRAVAIL D’EQUIPE EFFECTIF ET EFFICACE ?
I. Définition et objectifs
1. Définition
2. Objectifs
II. Expérimentations et bilan
1. Expérimentations en situation
a. Description
b. Analyse
2. Activités décloisonnées et objectifs d’apprentissage
III. Une alternative aux activités décloisonnées
1. La démarche de projet
2. Démarche projet et travail en équipe
CONCLUSION
Bibliographie

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