Le thème du paria chez Alfred de Vigny

Une sensibilité cristallisée par une succession d’épreuves personnelles

Dès son plus jeune âge, Alfred de Vigny est amené à se trouver dans des situations personnelles d’exclusion de nature à l’affecter profondément. Toute sa vie a été marquée par des mises à l’écart et le sentiment pénible d’être différent, qui bien souvent se traduisait par des humiliations impossibles à oublier. Dans son enfance et au collège, Vigny a subi une certaine forme de marginalité, avec laquelle il dut encore composer à l’armée, dans sa vie privée et même comme écrivain.

Des épreuves vécues dans l’enfance et au collège

Quatrième et dernier enfant d’une fratrie de quatre garçons, Alfred de Vigny, né le 27 mars 1793, n’a pas connu ses trois frères, tous morts en bas âge. Jean-Pierre Lassalle précise à ce sujet que « ce fait, plus tard, impressionna beaucoup le poète qui se trouvait donc le dernier et seul enfant mâle, non seulement de sa famille, mais de sa lignée. » Dès la naissance, l’auteur des Destinées se trouve ainsi dans une situation caractérisée par une forme de solitude et de différence. La singularité de sa situation familiale tient aussi à l’âge de son père, Léon-Pierre de Vigny, qui avait soixante ans à la naissance d’Alfred. Dans son Journal, le poète reviendra, en 1831, sur le contexte familial de son enfance et l’éducation reçue dans ses jeunes années : Naître sans fortune est le plus grand des maux. On ne s’en tire jamais dans cette société basée sur l’or.
Je suis le dernier fils d’une famille très riche. – Mon père, ruiné par la Révolution, consacre le reste de son bien à mon éducation. Bon vieillard à cheveux blancs, spirituel, instruit, blessé, mutilé par la guerre de Sept Ans, et gai et plein de grâces, de manières. – On m’élève bien. On développe le sentiment des arts que j’avais apporté au monde.

Des épreuves qui se poursuivent à l’armée et dans sa vie privée

Après les déconvenues du collège, il semble bien qu’Alfred de Vigny ait éprouvé un grand enthousiasme à commencer une carrière militaire conforme aux valeurs de sa famille et de son statut. Engagé dans les Compagnies Rouges à partir de juillet 1814, il y resta jusqu’au 21 janvier 1816. Il intégra ensuite le 5e régiment d’infanterie de la Garde Royale, avec le grade de sous-lieutenant. Déçu que ce régiment n’intervienne pas en Espagne au début de 1823, dans le cadre de la campagne défendue par Chateaubriand, alors ministre des Affaires étrangères, pour venir en aide à Ferdinand VII, Vigny obtient sa mutation comme capitaine au 55ème régiment de ligne. Malheureusement pour lui, son passage sous les drapeaux ne permettra pas de satisfaire son envie d’aventures et de victoires. Il se retrouvera au contraire cantonné dans une existence morne et souvent contrariante : Officier subalterne, il est contraint à des surveillances rebutantes, et il évoquera sans gaité ‘’le corps de garde, le bruit que faisaient les soldats avec leurs voix, leurs crosses de fusil et leurs ronflements, au milieu d’un nuage infect de fumée de tabac.’’ L’uniformité de la vie militaire irritait son besoin d’imprévu et de mouvement. ‘’La vie est triste, dira-t-il, monotone, régulière. Les heures sonnées par le tambour sont aussi sourdes et aussi sombres que lui ‘’.

Une sensibilité exacerbée par le contexte socio-économique et artistique

L’époque à laquelle Vigny a vécu porte en elle certains facteurs explicatifs de sa sensibilité à la cause des exclus. La période qui commence après la Révolution et l’Empire est marquée, en Angleterre puis en France, par l’avènement d’un libéralisme économique triomphant aux conséquences sociales souvent désastreuses. Les professions les moins stabilisées et en particulier les poètes vont être confrontés à des situations souvent sans espoir. Vigny se mobilisera pour leur cause. Dans le même temps, le mouvement romantique va favoriser l’apparition du paria comme héros typique dans la littérature de l’époque.

Le libéralisme économique et ses conséquences sociales

La première moitié du XIXe siècle correspond en Europe et en France en particulier à des changements profonds de société, expliqués par des mutations économiques de grande ampleur. Par leur impact sur la vie quotidienne des gens, ces évolutions ont créé un contexte de nature à renforcer la sensibilité à la cause des plus pauvres, des exclus, des parias. Dans le même temps, la révolution artistique romantique va aussi favoriser leur importance dans la littérature : le héros romantique vit ou se vit comme un marginal désenchanté.
Louis XVIII d’abord régna sur la France, après l’Empire, de 1814 à 1824. Son frère Charles X lui succéda jusqu’à la révolution de juillet 1830. La Restauration, cette période durant laquelle les Bourbons restaurés sur le trône gouvernèrent la France, fut suivie par la Monarchie de Juillet, c’est-à-dire le règne du duc d’Orléans, devenu Louis-Philippe 1er, « roi des Français ». Pendant dix-huit ans, la monarchie constitutionnelle perdura en France, jusqu’à la révolution de 1848 et la Seconde République.

La situation particulière des poètes et la mobilisation de Vigny

Le Précis de littérature française du XIXe siècle83, dirigé par Madeleine Ambrière, apporte des précisions sur la condition de l’écrivain et le cas particulier du jeune poète : La situation du poète, notamment du jeune poète, la plupart du temps venu de Province à Paris, pauvre mais plein d’illusions, de rêves de gloire et d’argent, représente un exemple particulièrement douloureux de la condition de l’écrivain dans les premières années de la monarchie de Juillet. Elle est à l’origine d’une véritable épidémie de suicides, de nombreux cas de folie ou de mort prématurée imputable à la misère. Dans sa préface à la première édition des œuvres complètes de Vigny à la Bibliothèque de la Pléiade, F. Baldensperger écrit que ce contexte économique et social va « naturellement » amener Vigny à « la défense des ‘’parias’’ contre les puissances d’argent ».
Après la défaite de Charles X, le début du règne de Louis-Philippe 1er marqua presque aussitôt «une déviation des Trois Glorieuses et de leur esprit vers un pouvoir à demi imprévu, celui de l’argent, des grandes entreprises, du capitalisme, d’une bourgeoisie ardente à profiter, une fois de plus, de la victoire populaire sur des privilégiés d’un autre ordre.»

Une sensibilité indissociable de la personnalité profonde de l’écrivain

Indépendamment des aléas de sa vie et des particularités de son époque, la sensibilité de Vigny à la cause des exclus se trouve directement liée à la nature profonde de sa personnalité. Très sensible et même très émotif, le personnage de Vigny a pu donner en société une image complètement opposée de son caractère. Mais son implication en faveur des nécessiteux ne trompe pas : elle révèle un « moi profond » empreint d’une grande bonté.

Une extrême sensibilité malgré des apparences trompeuses

Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’Alfred de Vigny n’est jamais passé, ni de son vivant ni après sa mort, pour un personnage sensible porté à l’altruisme. L’image du poète qui vient spontanément à l’esprit à l’évocation de son nom apparaît généralement comme assez froide, un peu compassée, suffisante. Bien souvent, Vigny est associé à une forme de stoïcisme désenchanté, conséquence d’un côté vieille France désabusé. Pour le Larousse encyclopédique, la caractéristique du poète est qu’il « se fige dans une attitude hautaine et solitaire » . A priori rien qui puisse expliquer d’une quelconque façon le souci du plus faible.
Pourtant, écrit justement Gonzague Saint Bris, « à écouter ceux qui l’ont côtoyé, on comprend que Vigny, dans la vraie vie, n’avait que très peu à voir avec cette statue du commandeur que sa grandiloquente réputation nous a laissée en héritage. » Et il ajoute : Ceux qui l’ont approché disent quel homme digne et bon il était. C’est parce que ce sont des artistes qui l’expriment et que leur âme affleure, qu’on doute d’autant moins de leurs témoignages. Berlioz qui, de longue date, avait éprouvé le dévouement de Vigny, confiait à Liszt, dès 1832 : « De Vigny a quelque chose de doux et d’affectueux qui me charme toujours. » Même impression du côté de l’auteur des Fleurs du mal. Baudelaire, curieusement atteint du virus académique, est reçu par Vigny, malgré les pires souffrances d’un cancer stoïquement supporté. Rentrant chez lui, le provocant et sulfureux poète écrit à sa mère : « De Vigny que je n’avais jamais vu a été admirable. Décidément, la naissance donne des vertus et je crois qu’un grand talent implique une grande bonté. »

Une implication active au service des plus défavorisés

Emile Lauvrière publia en 1909 une biographie de Vigny, sous la forme d’un « ouvrage couronné par l’Académie française », longtemps resté la référence obligée. Il consacre un important développement à l’altruisme de Vigny, et à ses principales manifestations, en différentes occasions. Le poète, écrit-il, «n’avait pas seulement ‘’des charités de théorie’’, dit Ed. Fournier, il fut ‘’philanthrope pratiquant’’». Fernand Baldensperger reprend cette idée en mentionnant chez Vigny, pour terminer son avant-propos au Journal d’un poète, dans son édition de la Bibliothèque de la Pléiade, « un incontestable altruisme, la pitié pour la pauvre espèce humaine. »
Cet amour du prochain a une dimension catholique, que le contexte de l’époque permet aussi d’expliquer par le développement du catholicisme social autour de Félicité de Lamennais. Dans son journal L’Avenir, il recherchait un idéal chrétien plus pur, plus évangélique et invitait les catholiques à « revenir à un christianisme plus authentique, plus charitable, plus pauvre et plus libre ». Vigny appréciait le socialisme chrétien de Lamennais et les deux hommes se sont rencontrés en 1831.

L’histoire d’un poète contraint au suicide

La première scène met en présence le quaker, un vieil ami de la famille, et Kitty Bell. Sa fille Rachel a entre les mains une Bible qu’un jeune locataire dont elle ignore le nom lui a donnée. Sa mère l’invite à rendre le livre, mais le quaker la dissuade pour ne pas humilier le malheureux garçon. Au loin, la colère de John Bell, mari de Kitty, époux et patron autoritaire, se fait entendre. John Bell refuse de reprendre un ouvrier blessé par une machine et qu’il vient de congédier. Il considère que l’ouvrier est maintenant inutile : « tout doit rapporter ». Le quaker ne parvient pas à infléchir sa position et lui reproche son cœur d’acier. (scène II) Dans la scène III, John Bell trouve une erreur dans le livre de comptes tenu par sa femme. Il emmène Kitty dans sa chambre pour vérifier la comptabilité.
Chatterton sort de sa chambre et descend l’escalier ; il regarde le quaker et Rachel. (scène IV) Malheureux, Chatterton affirme au quaker qu’il aurait le droit de se tuer : « dites-moi seulement pourquoi on ne se laisserait pas aller à la pente de son caractère, dès qu’on est sûr de quitter la partie quand la lassitude viendra ? » On entend les remontrances que John Bell adresse à sa femme d’une voix courroucée à propos de l’erreur du livre de comptes. (scène V) Le quaker emmène Chatterton et Kitty Bell, rentrant avec son mari, admet avoir dissimulé six guinées, pour des raisons qu’elle souhaite garder secrètes jusqu’au lendemain. (scène VI)
La première scène de l’acte II met en présence Chatterton et le quaker. Le jeune homme craint d’avoir été reconnu par lord Talbot, l’un de ses anciens compagnons, dont il souhaite rester à l’écart. De retour avec sa femme, John Bell à qui lord Talbot a vanté les mérites de Chatterton, souhaite convier le poète à déjeuner, mais celui-ci décline l’invitation. (scène II) Effectivement, lord Talbot, qui a rencontré John Bell, se rend chez lui pour revoir Chatterton, avec quelques jeunes nobles de sa bande. Il en fait un éloge maladroit, rappelle la période commune à Oxford et les poèmes célèbres de Chatterton. Aussi, il froisse la susceptibilité de Kitty Bell par des propos trop libres. (scène III).

Le soldat comme paria dans le roman Servitude et grandeur militaires

Servitude et grandeur militaires est une œuvre romanesque qui fut d’abord publiée, sous forme de trois nouvelles, dans la Revue des Deux Mondes. Le 1er mars 1833, la publication de Laurette ou le Cachet rouge précède celle, le 1er avril 1834, de La veillée de Vincennes, finalement suivie le 1er octobre 1835, de La vie et la Mort du capitaine Renaud ou la Canne de jonc. Ce n’est qu’en 1835 que le « roman » trouva sa forme unifiée, dans la première édition chez Bonnaire à Paris. Dans sa forme définitive, l’œuvre se compose de trois livres. Les trois premiers chapitres du Livre premier forment une sorte de prologue qui précède l’histoire de Laurette (chapitres IV, V et VI). De même, le premier chapitre du Livre deuxième, intitulé Sur la responsabilité, introduit l’histoire de la Veillée de Vincennes (Chapitres II à XIII). Enfin, le Livre troisième comporte dix chapitres : le premier et le dernier servent respectivement d’introduction à la Vie et la Mort du capitaine Renaud et de conclusion générale.
Après le résumé des trois histoires tragiques qui composent Servitude et grandeur militaires, les trois personnages de soldats parias seront présentés. Un regard critique porté sur l’œuvre permettra alors de mieux en souligner la singularité.

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Table des matières

Introduction 
1 – La problématique
2 – L’état de la question
3 – La question principale de recherche, l’hypothèse principale et le plan de rédaction
Première partie : Une sensibilité particulière aux situations d’exclusion et de souffrance, pour des raisons liées à la vie, à l’époque et à la personnalité de Vigny
1.1 – Une sensibilité cristallisée par une succession d’épreuves personnelles 
1.1.1 – Des épreuves vécues dans l’enfance et au collège
1.1.2 – Des épreuves qui se poursuivent à l’armée et dans sa vie privée
1.1.3 – Des épreuves qui n’épargnent pas l’écrivain
1.2 – Une sensibilité exacerbée par le contexte socio-économique et artistique 
1.2.1 – Le libéralisme économique et ses conséquences sociales
1.2.2 – La situation particulière des poètes et la mobilisation de Vigny
1.2.3 – Le paria comme type du héros romantique
1.3 – Une sensibilité indissociable de la personnalité profonde de l’écrivain 
1.3.1 – Une extrême sensibilité malgré des apparences trompeuses
1.3.2 – Une implication active au service des plus défavorisés
1.3.3 – La bonté, expression du « moi profond » de Vigny
Deuxième partie : Une orchestration du thème du paria dans l’œuvre de Vigny à partir de formes littéraires et de situations humaines différentes
2.1 – Le poète comme paria dans la pièce de théâtre Chatterton 
2.1.1 – L’histoire d’un poète contraint au suicide
2.1.2 – Le personnage de Chatterton, poète paria
2.1.3 – La singularité de la pièce, drame romantique contesté
2.2 – Le soldat comme paria dans le roman Servitude et grandeur militaires 
2.2.1 – Trois histoires tragiques regroupées en une
2.2.2 – Trois exemples différents de soldats parias
2.2.3 – La singularité du livre, œuvre romanesque atypique
2.3 – Le pauvre comme paria dans le poème « La Flûte » 
2.3.1 – Une forme atypique, critiquée comme très imparfaite
2.3.2 – Des avis différents sur la place à donner à Vigny
2.3.3 – Une thématique multiple, philosophique, sociale et humaine
Troisième partie : Une vision paradoxale du paria qui en souligne la grandeur et caractérise la philosophie et la poétique de Vigny
3.1 – Une vision paradoxale du paria qui en souligne la grandeur 
3.1.1 – Des personnages différents pour une même vision du paria
3.1.2 – La grandeur comme caractéristique paradoxale du paria
3.1.3 – Le mythe de Sisyphe comme allégorie de la condition du paria
3.2 – L’homme comme paria, caractéristique de la philosophie de Vigny 
3.2.1 – L’homme comme paria, écrasé par le destin et le silence de Dieu
3.2.2 – La prison comme vision métaphorique de la vie
3.2.3 – Une philosophie éthique fondée comme un nouvel humanisme
3.3 – L’œuvre littéraire comme paria, caractéristique de la poétique de Vigny 
3.3.1 – Le recours à des formes littéraires volontairement marginales
3.3.2 – La grande œuvre littéraire considérée comme nécessairement rejetée
3.3.3 – L’isolement et le silence comme formes ultimes de la création littéraire
Conclusion 
Bibliographie

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