L’essor : le cinéma comme nouveau mode d’apostolat [1925- 1939]

Le rejet du cinéma comme instrument de perversion

L’intérêt accru pour les projections lumineuses

Alors que l’Église et l’État se séparent en 1905, L’Église doit trouver un moyen d’exister sans son soutien. Pour renouveler son discours et attirer les fidèles, elle développe tout un arsenal pédagogique à travers les projections lumineuses. Destinées aux patronages et aux cercles d’études, elles sont utilisées comme un vecteur éducatif privilégié et mises à contribution pour l’enseignement du catéchisme, par exemple, ou lors de conférences. Selon l’historien Michel Lagrée, une union des conférences avec projections lumineuses est créée à Rennes en 1905. Cette oeuvre est chargée de la diffusion du prêt et de la circulation des vues. En 1910, un congrès est organisé dans la ville et rassemble environ 300 prêtres et laïcs8, c’est dire l’importance que la communauté des éducateurs rennais accorde à cet outil pédagogique. En 1907, une oeuvre de cinématographie vient s’ajouter à celle des projections lumineuses à Rennes. L’idée d’un « bon » cinématographe, c’est-à-dire d’un cinéma respectueux de la morale, s’esquisse déjà.
En France, certains prêtres attirés par l’image animée se servent de films éducatifs qui mettent en exergue la Bible. Cependant ces initiatives sont encore rares. Qu’en est-il de l’utilisation du cinématographe à Rennes ? Un article de la Semaine Religieuse du Diocèse de Rennes fournit l’information suivante : quatre séances de pédagogie de l’enseignement religieux sont proposées à raison d’une heure les mardis du mois de novembre 1921. Les Dames catéchistes pourront ainsi faire connaissance avec « certaines industries propres à faire pénétrer jusqu’aux coeurs de leurs jeunes élèves les notions abstraites du catéchisme et de les en faire vivre.9 » Qu’entend-on ici par « industrie » ? S’agit-il du cinématographe ou bien d’un quelconque appareil de projections lumineuses ?
Cette imprécision persiste dans de nombreuses rubriques consacrées aux conférences, souvent étayées par des projections, mais dont on ignore le contenu exact et la durée. Il semble cependant que les projections lumineuses fixes priment sur « les projections animées de la naissante cinématographie » qui n’auraient pas trouvé leur place au sein du catéchisme. En effet, la série k11 des archives de la maison diocésaine de Rennes contient en majorité des films fixes. On connait aussi l’attrait des catholiques pour l’image fixe, qui subsiste encore dans l’entre-deux-guerres – voire même se renforce – et le désintéressement quasi unanime pour un cinéma pédagogique alors que celuici est considéré plutôt comme un loisir. Si l’utilisation du cinématographe comme instrument de pédagogie catéchistique n’est pas vraiment reconnu, le film fixe, dérivé de la photographie et du cinématographe, est en revanche l’outil le plus couramment exploité à Rennes avant 1914 et après 1918. La raison principale de cette utilisation intensive est le degré de perfection qu’atteignent les projections lumineuses fixes contrairement au cinématographe qui n’est
qu’un instrument balbutiant aux yeux des catholiques. Dans un article consacré au rôle des projections lumineuses dans la pastorale catholique française, Jacques André et Marie André analysent les marques de ce perfectionnement : « y ont contribué tout au long du siècle l’utilisation des lumières intensives (lumière oxhydrique, pétrole, électricité, etc.), le progrès des optiques elles mêmes, enfin, et surtout, l’invention de la photographie. La lanterne magique est devenue un appareil moderne permettant des projections à toute une assemblée, d’une grandeur et d’une qualité jamais obtenues.» Les deux auteurs notent une relative « cohabitation » des projections fixes et animées de 1895 à 1914. Après la Première Guerre mondiale, les conférences avec projections lumineuses à Rennes sont encore nombreuses. Des annonces de la presse rennaise d’après guerre prouvent la présence de projections lumineuses « fixes » mais le terme de « projection animée » apparaît peu. Cette information confirme le succès des projections lumineuses fixes à Rennes après le conflit de 1914-1918 et le relatif déni des projections lumineuses animées du cinématographe.
L’Église tente également d’introduire des représentations cinématographiques en dehors des séances de catéchisme ; en tirant partie du succès du cinématographe, elle compte attirer en masse les fidèles et favoriser leur instruction religieuse. D’abord approuvées par les autorités religieuses, les projections fixes et représentations cinématographiques dans les églises sont interdites, dès 1912, par un décret formulé par la Sacrée Congrégation Consistoriale de Rome :Considérant que les édifices consacrés à Dieu où se célèbrent les mystères divins et où les fidèles sont élevés aux choses célestes et surnaturelles, ne devaient pas être transférés à d’autres usages, particulièrement à des représentations même honnêtes et pieuses, les pères éminentissimes ont estimé que projections fixes et représentations cinématographiques, quelles qu’elles soient, doivent être absolument interdites dans les églises.
C’est pourquoi le cinématographe se développe en dehors du lieu sacré dans lesoeuvres éducatives de l’Église. Il est considéré plutôt comme une distraction naïve par rapport aux projections fixes, plus dignes d’intérêt.
Pour autant, les catholiques sont conscients de l’engouement qu’il provoque auprès des masses : le cinéma utilisé comme instrument de propagande va servir d’appât pour les projections lumineuses fixes, jugées plus sérieuses.
Ainsi, les spectateurs rennais comme ceux du patronage de la Tour d’Auvergne peuvent, dès 1907, se rendre aux séances pour assister durant deux heures à des projections animées, des courts métrages (du burlesque surtout) mais aussi à des projections de vues fixes. Le cinéma permet au clergé de fidéliser les spectateurs et de les sensibiliser à la religion par le biais des vues fixes également au programme.
S’il sert de publicité pour les projections fixes, le cinéma est aussi utilisé pour son aspect lucratif. Il est en effet une source de revenu non négligeable pour l’oeuvre. À Rennes, l’activité du cinéma de la Tour d’Auvergne, ouvert le 2 octobre 1911, est considérée comme « une importante source de bénéfice».
Les salles de patronages développent très vite le cinéma car, attractif, il est aussi un loisir rentable qui permet de financer des fêtes, des conférences et de développer d’autres activités parmi celles proposées par les oeuvres éducatives.
Aussi, après guerre, les salles de patronages sont ré-ouvertes comme à Toutes- Grâces qui, en 1919 se dote d’un nouvel écran, et au vieux patronage de la Sainte-Famille, qui est remis sur pied alors qu’un incendie avait ravagé en 1918 une partie de la salle.

La Grande Guerre et la démoralisation de la jeunesse

La Grande Guerre affecte une part du clergé qui s’est vue mobilisée. Les effectifs étant réduits, l’organisation diocésaine a du mal à se remettre sur pied.
De plus, la fermeture des cinémas paroissiaux à partir de 1914 laisse la place aux cinémas commerciaux et forains qui se maintiennent grâce à la fidélité d’un public au moral en berne venu chercher du réconfort et de la chaleur dans les salles. Les films américains qui contiennent des scènes de débauche, de sexe et de violence abondent. Les catholiques réagissent très vite face à ce phénomène qu’ils condamnent âprement. Pour eux, ce cinéma est pernicieux, il enrôle la jeunesse et la pousse au vice. À Rennes, l’après-guerre est aussi marquée par l’éviction du cinéma mais l’idée de l’intégrer dans les patronages afin de mieux le contrôler prend de l’ampleur. Si avant la Première Guerre mondiale le cinéma était exploité comme un divertissement par l’Église, dès 1918 s’esquisse la volonté d’étendre les activités des patronages aux projections cinématographiques saines et respectueuses de la morale.
À Rennes, les réactions contre le cinéma sont nombreuses. Selon Jean de Perros, journaliste-cinéma attitré de l’hebdomadaire La Vie Rennaise, en 1921 les États- Unis alimentent en films près de 80% des établissements cinématographiques français. Face à cet envahissement du film américain parmi le marché français, l’union des OEuvres Ouvrières Catholiques de Rennes déplore lors d’une réunion : « […] C’est à de pareils spectacles que trop de parents conduisent de pauvres enfants, qui trouvent dans ces images mouvantes et troublantes des illustrations bien crues aux mauvaises lectures déjà faites…19 ». Dès 1913, une censure nationale est mise en place et diffusée par les préfets et maires de France. Le préfet d’Ille-et-Vilaine interdit par arrêté « la représentation par les cinématographes des crimes, exécutions capitales, scènes de débauche ou d’ivrognerie, cambriolages, romans policiers, et, en général, de toutes scènes ayant un caractère immoral, scandaleux et licencieux au nom de la protection du public » et « contre l’influence de certains spectacles susceptibles de porter atteinte à la morale et de pervertir l’imagination de la jeunesse ». Il existe donc une censure cinématographique indépendante du véto de l’Église, qui a pour origine une circulaire adressée aux préfets datant de 1909 dans laquelle certaines bandes d’actualité sont proscrites, et qui s’appuie sur la Loi du 5 avril 1884. Pendant la Première Guerre mondiale la censure cinématographique prend de l’ampleur : la préfecture de police organise un système de visa préalable à la projection puis, à partir de 1916, un organisme central de contrôle des films est créé. Une commission, composée de cinq policiers représentant le Ministre de l’Intérieur, a la charge de l’examen et du contrôle des films projetés en France. Enfin, en 1919, le nombre de membres de la commission de contrôle s’élève à trente. Désormais, aucun film ne peut être projeté sans avoir obtenu le visa délivré par le Ministre de l’Instruction Publique et des Beaux Arts. Ce bref rappel historique témoigne du climat ambiant de contrôle cinématographique qui règne pendant et après la Première Guerre mondiale. Les représentants de l’Église ne sont donc pas les seuls à s’insurger contre un certain cinéma. Par conséquent, il semblait nécessaire de rappeler la légitimité de leur discours, bien que plus radicaux, dans ce contexte de censure nationale.
Édouard Poulain se montre réfractaire au mauvais cinéma lorsqu’il condamne ces projections animées pour leur influence néfaste sur la jeunesse. Il expose ici l’idée qu’entre certains films et l’augmentation de la délinquance juvénile, il existe un lien de causalité probant. Cependant, rien ne prouve qu’il y ait un rapport concret entre la criminalité et ces représentations cinématographiques.
Fait troublant il est vrai, l’augmentation de délits à cette époque coïncide avec l’importation de films étrangers où tous les vices sont représentés. Cependant, l’explication la plus plausible à cette recrudescence serait les dommages causés par la guerre, responsable du chaos à la fois matériel et psychologique qui règne en France. Michel Lagrée explique que « l’absence des pères au front»
peut être à l’origine de la recrudescence de la délinquance juvénile. Sans la tutelle parentale, les enfants, les adolescents, sont abandonnés à leur sort. C’est aussi la thèse développée par Éric Mension-Rigau : « en raison des drames que [la guerre] a suscités, le comportement de la jeunesse a commencé à se dissocier de “l’empreinte” de ses ascendants». Selon l’auteur, « un transfert, et […] un démantèlement des assises et prérogatives fondamentales de la famille» aurait eu lieu à partir de 1914. Cela peut expliquer l’attitude du clergé face aux parents : des articles, omniprésents dans les revues religieuses de cette époque, les avertissent des méfaits du cinéma, faisant ainsi appel à leur autorité.
Destiné en priorité aux parents, l’article tente de démontrer l’effet d’un cinéma criminogène en s’appuyant sur une pluralité de faits divers (vols, agressions, etc.) qui remettent en cause le bien fondé de ce divertissement. L’invocation de discours de magistrats, dont le statut atteste une certaine impartialité, conforte la thèse.
L’article pose surtout la question de la responsabilité des parents dupés par cette industrie. Des termes forts sont utilisés pour évoquer l’emprise du cinéma sur les jeunes : on parle d’« intoxication », d’«empoisonnement », d’« épidémie ». Au détour d’une phrase, sont évoqués les quelques cinémas respectables qui subsistent. Une information concise, presque subliminale, leur est ainsi donnée dans l’espoir, peut-être, qu’ils fuient les cinémas commerciaux des entrepreneurs « malhonnêtes » pour les cinémas paroissiaux « qui donnent, au contraire, un enseignement patriotique, moral et religieux ». Cette thèse est aussi celle d’Édouard Poulain : sans la tutelle des parents, la jeunesse est perdue et se laisse aller à ce divertissement pervers. C’est à eux qu’incombe la charge d’éloigner leurs enfants de ces spectacles pernicieux, où n’ont de place que la brutalité et la dépravation ; des exemples à ne pas suivre.

Chronique d’une activité pernicieuse sur la ville de Rennes

Selon Michel Lagrée, les catholiques sont très hostiles à « l’appétit de plaisir et de jouissance qui marque la fin de la [Première] [G]uerre [mondiale] » : la danse, la mode, les lectures, les spectacles ; tous sont critiqués. En voici un exemple probant à travers le discours du chanoine de la Celle, de Moulins, qui s’exclame en 1922.

Chronique d’une activité pernicieuse sur la ville de Rennes

Selon Michel Lagrée, les catholiques sont très hostiles à « l’appétit de plaisir et de jouissance qui marque la fin de la [Première] [G]uerre [mondiale] » : la danse, la mode, les lectures, les spectacles ; tous sont critiqués. En voici un exemple probant à travers le discours du chanoine de la Celle, de Moulins, qui s’exclame en 1922.
Le cinéma, comme les autres loisirs pratiqués à plusieurs, n’échappe pas à la règle et se voit fustigé. Manifestation de la culture de masse, il est considéré comme une sous-culture. Dans la presse rennaise, on assiste à un réel déferlement de critiques. Un article atypique nous fait part de « nouvelles victimes du cinéma » : des enfants de choeur de la paroisse de Saint-Sauveur auraient volé des films de la maison Phocéa-Location, place du Palais, à Rennes, puis, n’ayant pas d’appareil pour les projeter, le plus brave d’entre eux aurait volé quarante francs pour l’acheter. Malgré la gravité du fait, ces enfants ont le « droit à l’indulgence de la chrétienté. » Le ton ironique de l’article atteste un certain amusement d’une part, et, une compassion dévouée d’autre part. Le cinéma est victime de lui-même : cette situation d’ « arroseur arrosé » amuse. Au contraire, les termes familiers et bienveillants envers ces « garnements », ces « mignons », montre une compassion pour ces victimes que le cinéma n’a pas épargné. L’article se clôt sur une remontrance qui dévoile une réticence affichée pour les valeurs laïques : « […] quand on voit jusqu’où peuvent s’abandonner des enfants de choeur […], on est en droit de se demander de quoi les enfants de l’école laïque ne sont pas capables.46 » Une campagne active contre cet instrument de perversion est lancée par les autorités religieuses. Le cardinal Charost, évêque de Rennes, s’était prononcé,
alors qu’il était encore évêque à Lille, comme farouchement opposé au cinéma, véritable « toxique moral ». Ci-après, un extrait de sa lettre pastorale dans laquelle il condamne le cinéma en vertu de la morale chrétienne.
Cette critique tranchante de la représentation cinématographique rejoint l’analyse faite par Michèle Lagny lorsque qu’elle explique les raisons pour lesquelles le cinéma reste un objet « indigne » d’histoire. Ce sont ces mêmes mécanismes de rejet qui sont à l’oeuvre dans la lettre du cardinal Charost. En effet, le cinéma est considéré comme une « sous-culture d’autant moins recommandable car dangereuse, immorale, malsaine, qui favorise l’agressivité et la passivité48» du spectateur. Le premier vice de ce spectacle renvoie d’abord à son environnement, c’est-à-dire au lieu dans lequel il se joue. Il s’agit d’un lieu clos et obscur, apparenté à une « chambre » par l’auteur. Le cadre de la représentation évoque déjà une situation intime qui doit restée privée et non partagée. À cela s’ajoute un second vice qui découle du premier : il s’agit d’une activité passive qui neutralise justement toute activité critique du spectateur,
noyé dans le « seul flot des images [qui] déferle[nt] sans arrêt et sans fin ». Cette considération du spectateur comme récepteur passif est à prendre en compte car, c’est en partant de ce constat, que l’Église va, par la suite, prendre conscience qu’il faut l’éduquer non pas pour qu’il subisse ce qu’il voit mais, au contraire, pour qu’il le maîtrise. Enfin, la perversité du cinéma s’explique par un dispositif représentationnel qui lui est propre. Contrairement au théâtre, avec lequel on le compare souvent, ces « projections mobiles […] prennent corps et durée » mais de manière plus opaque et « inconsciente », « moins matériel[le] ». Aussi, le public accepte mieux ce qu’il n’aurait pu cautionner au théâtre.
Non seulement le cinéma est dangereux pour la jeunesse mais il est aussi déconseillé pour tout bon chrétien. Du coup, les représentants de l’ordre religieux voient d’un mauvais oeil la réconciliation de la classe bourgeoise avec le cinéma, boudé depuis l’incendie meurtrier du Bazard de la Charité en 1897.
En effet, si le cinéma séduit les milieux ouvriers, la classe bourgeoise va peu à peu regagner les salles, ce que le témoignage suivant semble confirmer : « Les milieux sociaux plus élevés, pour chercher des plaisirs plus raffinés, mais non moins égoïstes, sont atteints de la même plaie, et révèlent la même oblitération du sens moral.»
Certains ecclésiastiques comme M. Gilbert, curé de la paroisse de Toussaints à Rennes, y sont totalement réfractaires. Il remet en question le cinéma situé dans les locaux de la Sainte-Famille, boulevard de la Tour d’Auvergne. Doit-il appartenir au patronage ? Certes, il est contrôlé et approuvé par le clergé mais, selon le curé, il doit être considéré indépendamment du patronage au risque de détourner le but de l’OEuvre : selon lui, ce cinéma de divertissement n’est pas recommandable. D’ailleurs, M. Janvier, directeur de l’OEuvre, décide de mettre fin au partenariat conclu avec M. Sauton, directeur du Ciné-Palace rennais, car le fonctionnement d’une telle industrie ne correspondrait pas à l’idéal qu’il s’était proposé de réaliser. Dans une lettre qui date du 11 décembre 1920, M. Janvier déclare : « Je désire faire cesser l’exploitation du cinéma Sauton ». Les closes du bail n’étant pas respectées par M. Sauton, celui-ci est obligé de quitter les lieux au cours du mois de février 1922. Le cinéma de divertissement d’avant guerre fût profitable à l’OEuvre mais, après guerre, dans un tel climat d’opposition, il ne put subsister au sein de l’OEuvre d’un patronage catholique.

La conquête du cinéma : un climat propice

Le patronage comme lieu d’encadrement

Pour remédier au « mauvais cinéma », la communauté ecclésiastique rennaise met en place une politique de prévention basée, premièrement, sur l’éducation des parents, car c’est d’elle que découle celle des enfants et deuxièmement, sur l’instauration dans les patronages de séances de cinéma instructives et éducatives qui prônent des valeurs davantage constructives que celles à l’oeuvre dans les films de mauvais goût.
Dans un premier temps et, pour remédier à l’ignorance religieuse des parents et des enfants, les catholiques doivent franchir un premier obstacle, celui de la déchristianisation et la laïcisation qui ont eu pour conséquence un relatif détachement des fidèles face aux principes religieux. Or, « L’instruction sans religion forge une arme dangereuse contre la société ». C’est en tout cas l’idée défendue par les catholiques y compris à Rennes où l’on considère l’ignorance religieuse comme « un grand péril social ». La Semaine Religieuse du Diocèse de Rennes y consacre un article qui s’ouvre sur ce constat malheureux : « L’ignorance religieuse est une des nombreuses plaies de notre époque et pas la moins inquiétante.58» Ce recul s’explique, pour les catholiques, par l’éviction du catéchisme, pourtant essentiel à la formation religieuse des jeunes. En effet, depuis la laïcisation, les leçons de catéchisme occupent les heures post-scolaires puisque l’enseignement laïque domine désormais. Les enfants, fatigués de leur journée de travail, sont inattentifs : « comment alors espérer l’attention requise par des matières graves, et si souvent abstraites, qui ne devraient être offertes qu’à des intelligences fraîches et disposées à s’ouvrir ?». C’est alors à la famille de prendre le relais : « La famille vraiment chrétienne est le temple de l’idée religieuse », « au sanctuaire domestique, on a des habitudes familiales qui font entrer la religion non seulement dans l’esprit, mais dans le coeur et dans la vie de chacun. » Une politique d’aide aux parents se met en place : des conseils leur sont promulgués dans les revues, des bibliographies complétées par des résumés d’ouvrages occupent aussi les dernières pages de La Semaine Religieuse du Diocèse de Rennes.
Épauler les parents dans leur mission éducative, c’est le but que s’est fixé l’Église à travers l’incitation à la lecture instructive, mais aussi par le biais de conférences morales, sociales et religieuses, organisées par les cercles d’études. Souvent destinées « à la formation de l’esprit de la femme », ces conférences, menées par des professeurs qualifiés, ont lieu à Rennes tous les jeudis et vendredis dans les salles du Cercle d’Étudiantes, 14 rue des Fossés. Outre la pratique de la religion et la tutelle des parents, le travail est également salvateur et source d’équilibre. Sortir le jeune des dangers de la rue et lui promettre un avenir meilleur, tel est le but des ateliers de pré-apprentissage.
À Rennes, un atelier-école, logé dans le vieux couvent des Carmes, et dirigé par MM. Le Ray et Nitsch, voit le jour au cours de l’année 1920.
À l’époque, l’intérêt de ces ateliers de professionnalisation est avant tout de remédier à la crise de l’apprentissage que connait l’Ille-et-Vilaine d’après guerre  : « il convient de lutter pour assurer au pays une élite de travailleurs habiles et capables ». Mais le cas des ateliers-écoles nous intéressent ici plus particulièrement, car ce projet prend place au sein d’une ambition qui s’amplifie après la Grande Guerre : l’encadrement et la formation de la jeunesse. « Pour réussir, apprenez un métier. L’avenir est à ceux qui sauront travailler de leurs mains. » : tel est le message stimulant affiché aux murs de l’atelier-école de Rennes. Jean-Pierre Augustin constate en effet qu’une « volonté éducative a longtemps perduré dans l’extra-scolaire en direction des jeunes. Au-delà de l’école, la société n’a eu de cesse, un siècle durant, de tenter d’encadrer éducativement les jeunes. »
Cette « volonté éducative » qu’évoque Jean-Pierre Augustin, s’exprime particulièrement dans les patronages religieux, véritables lieux d’accueil créés spécialement pour « occuper » la jeunesse tout en l’instruisant pendant son temps libre. Après la Grande Guerre, cette volonté d’encadrement se renforce.
Le conflit ayant désorganisé les institutions, les OEuvres de l’Église se font rares. La priorité affichée par les catholiques comme M. Gilbert, curé de la paroisse de Toussaints, est de reconstruire la patrie à travers le rétablissement des OEuvres. Le patronage devient un lieu de rassemblement de la jeunesse qui trouve ainsi un moyen de s’investir dans des activités vertueuses et ludiques et, une forme d’engagement dans la vie paroissiale. Le bulletin de la paroisse des Sacrés-Coeurs de Rennes rend compte de sa place indispensable au sein du dispositif d’encadrement et de protection de la jeunesse.
Le recours aux loisirs et aux sports s’explique par la volonté du clergé d’attirer davantage la jeunesse vers le patronage. D’autre part, ils offrent la possibilité d’instruire tout en distrayant ; ces nouvelles « armes » pédagogiques contemporaines apportent une réponse concrète face au souci de l’autorité catholique : « Comment moraliser sans ennui nos petits bonhommes, comment les instruire et fixer leur attention ? ».
Pour y remédier, on assiste à un renversement de la pensée de la communauté ecclésiastique sur le cinéma. Conscients de l’enthousiasme qu’il génère auprès de toutes les générations, y compris la jeunesse, les catholiques voient dans le cinéma un nouveau mode d’apostolat, à condition qu’il relève de la morale chrétienne. Ainsi, se multiplient les séances éducatives et instructives dans les cinémas de patronage ou bien dans des salles aménagées pour l’occasion. Plus rares sont en fait les « grands » cinémas de patronage réputés à Rennes : on compte surtout le cinéma de la Tour d’Auvergne, patronage religieux, et le cinéma du Cercle Paul Bert qui dépend d’un patronage laïque. Comme la construction d’un tel édifice est assez coûteuse, des salles spécialement construites pour accueillir des projections cinématographiques fleurissent dans l’enceinte des paroisses. Souvent, les salles des oeuvres affectées aux activités du patronage sont réquisitionnées pour ce type de séances, ainsi les travaux effectués demandent peu d’investissement. À Rennes c’est le cas pour la salle du Colombier ou encore la salle de la paroisse des Sacrés-Coeurs.
S’il est impossible de fermer les cinémas commerciaux ou d’en interdire l’accès aux jeunes, le remède se trouve donc dans la multiplication des fêtes religieuses et dans le développement d’activités instructives et éducatives basées sur la pratique de loisirs sains. C’est en tout cas l’optique du Congrès des OEuvres Catholiques de Rennes qui a lieu les 19, 20 et 21 septembre 1922 : « [d]es séances récréatives, [au] caractère moral, tout en restant attrayantes» doivent être mises en place. Concernant le cinématographe, « Tous les Congressistes sont unanimes à reconnaître les ravages moraux » qu’il cause. Pour répondre au danger du cinéma, des mesures purement restrictives avait été mises en place comme le droit de surveillance des cinémas que peuvent appliquer les municipalités, ou bien, l’interdiction de la publicité de films rejetés par la Presse. La « Presse » fait ici référence à La Maison de la Bonne Presse, organe de censure puissant qui contrôle la diffusion et l’exploitation des films : c’est la première organisation catholique qui utilise le cinéma dans ses oeuvres. Elle est aussi chargée de constituer des filmothèques et de répartir sur le territoire le matériel cinématographique.
Ces limites imposées par l’Église semblent cependant difficiles à mettre en place sur le plan pratique. Du coup, une mesure plus « constructive » voit le jour en même temps que se poursuit la chasse aux spectacles répréhensibles : opposer au « mauvais » cinéma le « bon » cinéma.

La pratique curative du « bon » cinéma

Après le conflit de 1914-1918, dans une France amoindrie par les pertes tant humaines que matérielles, le cinéma est perçu comme un élément perturbateur qui, plutôt que de participer à la reconstruction de la France, contribue au désordre ambiant par son influence pernicieuse. Nombreux sont les discours chauvinistes venant appuyer cette thèse. Parallèlement à ce discours répressif d’après-guerre, se construit un discours moins radical qui s’exprime à travers le désir de certains d’accéder à un idéal cinématographique, plus honorable et plus digne de la pensée religieuse qu’il ne l’a été pendant et après la Première Guerre mondiale. En réalité, il faut rappeler que l’idée du « bon » cinéma naît déjà au début du XXème siècle en particulier sous l’impulsion d’un anti-laïque invétéré, G. Michel Coissac, directeur de la Bonne Presse. Les questions de l’utilisation du cinéma à des fins éducatives ainsi que la problématique de la diffusion et de la production d’un cinéma essentiellement catholique sont déjà d’actualité, mais pas assez suivies par les membres de l’Église pour résister aux tumultes de la guerre. La vision conservatrice de l’Église et son antimodernisme peuvent expliquer ce manque d’enthousiasme. Comme ce fût le cas à l’égard du théâtre ou de la presse, l’Église reste méfiante. Il faut surtout rappeler qu’« En l’absence d’une prise de position officielle de la papauté sur la conduite à tenir, beaucoup d’entre eux [les membres du clergé] se cantonnent à des réflexes antimodernistes qui leur font rejeter le cinéma comme propagateur de vice et du paganisme.» Pour les plus actifs, l’action au niveau local est quasi autonome : en haut lieu, on ne partage pas cet enthousiasme, du moins jusqu’en 1936 date à laquelle le Pape en personne se prononce favorablement pour le contrôle du cinéma dans un long discours, retranscrit dans l’encyclique Vigilenti Cura, où est évoquée l’attitude à adopter face au média.
En revanche, dans Divini Illius Magistri, encyclique de 1929 qui porte sur l’éducation de la jeunesse, ainsi que dans Casti connubii, Des nécessités, des erreurs et des vices de la famille et de la société, encyclique de 1930, le cinéma est en bonne place parmi les spectacles pernicieux : Pie XI s’y montre totalement réfractaire car, selon lui, il favorise « l’excitation des passions mauvaises et […] l’insatiable avidité du gain» mais, d’un autre côté, il peut aussi être « [un] moyen merveilleux de diffusion, […] de la plus grande utilité pour l’instruction et l’éducation » s’il est dirigé par de « saints principes ». Ces deux discours, plus préventifs que constructifs, s’inscrivent dans une période confuse où engouement et vigilance se mêlent. L’introduction du dispositif cinématographique au sein de l’Église est lente, car accompagnant l’évolution des mentalités.

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Table des matières
Plan 
Introduction générale
I- La rencontre des catholiques avec l’image cinématographique : d’une désillusion vers un idéal [1918-1920] 
Introduction
1.1- Le rejet du cinéma comme instrument de perversion
1.1.1- L’intérêt accru pour les projections lumineuses
1.1.2- La Grande Guerre et la démoralisation de la jeunesse
1.1.3- Chronique d’une activité pernicieuse sur la ville de Rennes
1.2- La conquête du cinéma : un climat propice
1.2.1- Le patronage comme lieu d’encadrement
1.2.2- La pratique curative du « bon » cinéma
Conclusion
II- Le temps de la réconciliation : l’expansion du cinéma dans le paysage catholique rennais [1919-1925] 
Introduction
2.1- Etat des lieux de l’exploitation cinématographique à Rennes
2.1.1- Le défi des salles commerciales
2.1.2- Le réseau du Cinéma Éducateur rennais
2.1.3- Le grand patronage laïque du Cercle Paul Bert
2.2- Les prémices du cinéma paroissial
2.2.1- La salle du Colombier
2.2.2- Le Cinéma de la Jeunesse
2.2.3- L’Abri du Soldat
2.2.4- Le cas particulier du patronage de la Tour d’Auvergne
Conclusion
III- L’essor : le cinéma comme nouveau mode d’apostolat [1925- 1939] 
Introduction
3.1- La promotion du « bon » cinéma
3.1.1- L’Action Catholique mobilisée
3.1.2- Le devenir des premières salles paroissiales rennaises
3.2- L’institutionnalisation du réseau de salles catholiques
3.2.1- L’extension et l’aménagement du réseau : l’arrivée de nouvelles salles paroissiales à Rennes
3.2.2- La coordination régionale : l’exemple de la F.A.C.O
Conclusion 
Conclusion générale 
Bibliographie 
Annexes

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