Le système immunitaire et le stroma tumoral jouent-ils un rôle pronostique dans l’adénocarcinome pancréatique

INTRODUCTION

  L’adénocarcinome canalaire du pancréas (AP) est un problème majeur de santé publique. Avec une incidence en constante augmentation, il devrait être la deuxième cause de décès par cancer, après le cancer broncho-pulmonaire, d’ici 2030 1,2. Malgré des efforts considérables pour en améliorer la prise en charge, son pronostic reste sombre, en raison du diagnostic tardif, d’une progression tumorale rapide 3, de récidives précoces après résection 4,5, de sa résistance aux traitements systémiques et du manque d’options thérapeutiques, notamment à travers les thérapies ciblées 6–9. En effet, la chimiothérapie systémique et la radio-chimiothérapie ne parviennent pas à améliorer de manière significative la survie des patients atteints d’un AP 10–14, et le taux de survie globale à 5 ans, tous stades confondus, reste proche de 5%15. Le seul traitement potentiellement curatif repose sur l’exérèse chirurgicale associée à une chimiothérapie adjuvante, mais moins de 20% des patients y sont éligible, et le taux de survie globale à 5 ans, dans cette population, peine à dépasser les 20%. Par conséquent, de nouveaux traitements sont nécessaires, de toute urgence, pour espérer parvenir à traiter cette pathologie redoutable 16. La résistance au traitement pourrait être imputable au microenvironnement tumoral, une structure complexe dans laquelle interagissent les cellules tumorales, les cellules immunitaires et les autres cellules du stroma. Le microenvironnement se caractérise notamment par un stroma desmoplastique abondant, dominé par les fibroblastes associés au cancer (CAFs), qui interagit avec les cellules cancéreuses et jouent un rôle important dans le comportement biologique du cancer, influant ainsi sur la survie des patients 17–19. Récemment, une grande hétérogénéité a été observée parmi les sous-types de CAFs, mais leur rôle précis et leur signification clinique restent à établir 20–22. En parallèle, le microenvironnement contient également des lymphocytes infiltrant la tumeur (TILs) parmi lesquels certains sont dotés de fonctions anti-tumorales. Il a été démontré que des sous-types spécifiques de TILs influent sur la progression tumorale et la survie des patients, dans différents types de cancers 23–38. La quantification, la qualification et la localisation des TILs permettent d’estimer la survie avec plus de précision que le système de classification TNM de référence dans le cancer colorectal 24, mais leur impact pronostique dans l’AP reste encore incertain 39. Les facteurs pronostiques de l’AP ont été largement étudiés et beaucoup ont été validés, notamment les données cliniques, la classification histopronostique (classification TNM), les caractéristiques histopathologiques (grade histologique, emboles vasculaires et péri-nerveux, envahissement des marges de résection) et les biomarqueurs circulants (Antigène Carbohydrate 19-9) 40–42. Cependant, l’association entre les CAFs, la réponse immunitaire de l’hôte et la survie n’a été que peu étudiée jusqu’à présent 43–47. Nous nous sommes intéressés aux AP gauche (corps et queue du pancréas) qui seraient plus agressifs que l’adénocarcinome céphalique 48. À notre connaissance, une seule étude a examiné l’influence de la réponse immunitaire sur la survie chez les patients atteints d’un AP gauche, mais sans prendre en compte l’impact des CAFs 49. Notre hypothèse est que la caractérisation des relations entre les CAFs et les TILs, au regard de la survie, pourrait permettre une classification des patients dans des sous-groupes pronostiques plus pertinents, améliorant ainsi leur sélection pour les différentes traitements disponibles, et éventuellement identifier de nouvelles cibles thérapeutiques. Pour évaluer la valeur pronostique des TILs et des CAFs dans l’AP gauche, nous avons étudié la corrélation entre l’infiltration lymphocytaire (CD45, CD3, CD4, FoxP3, CD8), l’expression des CAFs (vimentine, alpha-smooth muscle actin (αSMA)) et la survie (survie globale (SG) et survie sans récidive (SSR)), chez les patients opérés d’un adénocarcinome canalaire du pancréas gauche.

Examen anatomopathologique

   Tous les comptes-rendus anatomopathologiques ont été réinterprétés conformément à la 8ème édition de la classification de l’American Joint Commission on Cancer (AJCC). Les données suivantes ont été inclus dans l’étude: taille de la tumeur (T), nombre de ganglions envahis (N), présence de métastases à distance (M), grade histologique (bien différencié G1 -moyennement différencié G2 – peu différencié G3) , envahissement des marges de résection (R), présence d’emboles vasculaires et/ou péri-nerveux.

Construction du Tissu Micro Arrays (TMA) et immunohistochimie

  Tous les échantillons tumoraux utilisés pour la construction du TMA ont été fixés dans du formol tamponné, inclus en paraffine et stockés à une température contrôlée (18 à 22 °C). En résumé, la TMA a été préparé comme suit: pour chaque tumeur, deux zones représentatives ont été délimitées en les encerclant avec un stylo noir permanent, sur les coupes inclus en paraffine et colorées à l’HE (Hématoxyline/Eosine), afin de guider la réalisation des carottes dans la paraffine primaire. Les carottes ont été échantillonnées à l’aide du dispositif de mise en réseau ALPHELYS (ALPHELYS, 78370 Plaisir, France). Des carottes de 0,6 mm de diamètre percés dans le bloc donneur ont ensuite été déposés dans le bloc de paraffine receveur. Des coupes de 4 mm d’épaisseur ont enfin été réalisées sur le bloc receveur, 24 heures avant la réalisation de l’immunohistochimie 50. Les anticorps suivants ont été analysés lors de l’immunohistochimie: CD45 (marqueur lymphocytaire ubiquitaire), CD3 (marqueur des lymphocytes T), CD4 (marqueur des lymphocytes T auxiliaires), FoxP3 (marqueur des lymphocytes T régulateurs, une souspopulation de lymphocytes T CD4 garants de la tolérance immunitaire par l’inhibition des lymphocytes T effecteurs), CD8 (marqueur des lymphocytes T cytotoxiques), vimentine (marqueurs des cellules stromales, dont les CAFs), αSMA (marqueur des CAFs), Ki67 (marqueur de la prolifération), PD-L1 (protéine exprimée par les cellules de l’immunité et par les cellules cancéreuses, modulant leur activation ou leur inhibition). L’immunohistochimie a été réalisée à l’aide d’un automate Ventana Benchmark Autostainer. Les lames ont été incubées pendant 32 min à 371°C avec les anticorps spécifiques.

Caractéristiques clinicopathologiques et procédures chirurgicales

    Au total, 43 patients ont été inclus dans l’étude. Le suivi médian était de 16 mois (intervalles: 3-130). Le Tableau 1 résume les caractéristiques clinicopathologiques des patients et les procédures chirurgicales. En résumé, seize patients (37,21%) étaient des femmes et la moyenne d’âge était de 68 ans (45 à 87 ans). Dix patients (23,26%) ont reçu un traitement néoadjuvant. Chez dix patients (23,26%), une résection élargie à des organes adjacents «en bloc» a été nécessaire (veine porte (n = 2); tronc coeliaque (n = 1); duodénum (n = 2); estomac (n = 4); côlon ( n = 2); rein (n = 4) et glande surrénale (n = 6)).

DISCUSSION

  L’adénocarcinome canalaire du pancréas est une tumeur hétérogène et la survie à long terme des patients atteints varie en fonction de ses caractéristiques intrinsèques, de ses caractéristiques histologiques et de la classification anatomopathologique 52. La biologie moléculaire a révélé la grande hétérogénéité des cancers, et notamment celle du pancréas 53–56. Le système de classification TNM de l’AJCC représente actuellement le seul facteur pronostique utilisé en pratique clinique pour évaluer la survie à long terme des patients opérés d’un cancer du pancréas. Cependant, sa capacité à prédire de manière cohérente la survie des patients est limitée, avec une importante hétérogénéité au sein des classes pronostiques ainsi définies 57. L’AP se caractérise par un stroma très dense (60 à 90% du volume tumoral) 58 au sein duquel on observe une faible concentration de cellules tumorales. Peu d’études suggèrent que le stroma joue un rôle dans la régulation de la progression tumorale 59–62. Les lymphocytes infiltrant la tumeur (TILs) représentent une part fonctionnelle du stroma. Le rôle des TILs a été décrit ces dix dernières années, en démontrant leur influence favorable sur le pronostic dans plusieurs types de cancers 63,64. Dans un contexte de médecine de précision, les thérapies ciblées, y compris les immunothérapies, suscitent un vif intérêt en raison de leurs résultats remarquables dans le traitement d’autres cancers (mélanome 65, poumon 66, sein 67, colon 68). Cependant, leur rôle dans le traitement de l’AP reste à ce jour très limité 69. Il est donc essentiel de caractériser précisément le stroma tumoral et sa relation avec la réponse immunitaire afin de mettre au point des traitements combinés pour surmonter cette résistance . Le but de notre étude était de déterminer si les TILs et les CAFs pourraient devenir des facteurs pronostiques supplémentaires chez les patients opérés d’un adénocarcinome canalaire du pancréas gauche. Nos résultats ont montré que la survie après résection était a) abaissée lorsque le ratio lymphocytaire CD4/CD3 était élevé, avec des médianes de survie globale et de survie sans récidive de 13 et 8 mois respectivement, et que b) l’association d’un ratio lymphocytaire CD4/ CD3 élevé avec un ratio αSMA/vimentine faible était également un facteur pronostique péjoratif. Dans notre étude, nous avons choisi d’inclure exclusivement les adénocarcinomes canalaires du corps et de la queue du pancréas pour trois raisons: premièrement, en raison d’une survie potentiellement différentes de celle des autres localisations pancréatiques (isthme, tête, uncus) 48; deuxièmement, afin d’éviter toute confusion potentielle avec d’autres cancers périampullaires, tels que le cholangiocarcinome du bas cholédoque, l’ampullome dégénéré et les cancers du duodénum; et troisièmement, pour éviter les biais liés aux modifications récentes dans l’examen anatomopathologique des pièces opératoires de pancréaticoduodénectomie (envahissement de la marge de résection 70,71). Les protagonistes essentiels du système immunitaire anti-tumoral sont les lymphocytes T (LT). Les LT CD4 sont des lymphocytes T auxiliaires dotés d’une double fonction: produire des cytokines qui vont orchestrer la réaction immunitaire, et ordonner le relargage d’anticorps aux lymphocytes T et aux lymphocytes B cytotoxiques. Parmi les LT CD4, les lymphocytes T régulateurs (Treg) expriment de manière constitutive le marqueur FoxP3 et constituent un sous-type particulier. Les Treg sont impliqués dans le maintien de la tolérance périphérique et la prévention des maladies auto-immunes. Ils suppriment l’activation, la prolifération et les fonctions effectrices d’un large éventail de cellules immunitaires, notamment les LT CD4 et les LT CD8 cytotoxiques. Les Treg reconnaissent spécifiquement les antigènes associés aux tumeurs et peuvent supprimer la réponse immunitaire dirigée contre les cellules tumorales. Les LT CD8 + sont des LT cytotoxiques capables de détruire une cellule exprimant des signaux «anormaux», tels que des cellules infectées ou les cellules malignes, notamment via la sécrétion de Granzyme B, une protéase induisant l’apoptose des cellules cibles 72.À ce jour, les travaux ayant décrit l’impact pronostique des TILs dans l’AP restent discordants (Tableau 6). En effet, seuls quelques-uns ont montré que les infiltrats lymphocytaires CD3 43,47,73–75, CD4 46,74,76, FoxP3 32,45,46,49 ou CD8 46,47,49,74,75,77, considérées séparément ou sous la forme de ratios, étaient associés à la survie. Contrairement à ces études, nous n’avons pas pu mettre en évidence d’association significative entre les sous-types de TILs et la survie lorsqu’ils étaient analysés séparément. Mais nous avons identifié une corrélation entre une infiltration élevée de CD3 et des caractéristiques pathologiques favorables (petite taille tumorale et absence d’emboles vasculaires – Tableau 2). Cependant, dans une revue systématique de la littérature avec méta-analyse, portant sur l’influence pronostique des TILs dans le cancer, Gooden et al. 39 ont souligné la nécessité d’examiner les lymphocytes en tant que ratios plutôt qu’isolément. Ainsi, dans notre étude, nous avons pu mettre en évidence une corrélation entre un ratio lymphocytaire FoxP3/CD8 élevé et une faible différenciation tumorale (Tableau 2), caractéristique histologique associée à une moins bonne survie. Nous avons ensuite établi qu’un ratio CD4/CD3 élevé était associé à une moins bonne survie. Les autres ratios (CD3/ CD45, CD8/CD3 et CD4/CD8) n’ont pas montré d’association significative avec la survie. Pour approfondir nos résultats, nous avons analysé les Treg (FoxP3) seul ou sous forme de ratios (FoxP3/CD3; FoxP3/CD4; FoxP3/CD8). En effet, Hwang et al.49 ont découvert, chez 30 patients opérés d’un AP du pancréas gauche, qu’un faible ratio lymphocytaire Foxp3/ granzyme B était associé à une meilleure survie. Dans notre cohorte de patients, nous avons constaté que le rapport FoxP3/CD8 était associé de manière presque significative à la survie sans récidive (p = 0,08) (Tableau 4). Ces résultats démontrent que les lymphocytes FoxP3, par leur action immunosuppressive, influencent le comportement tumoral et, par conséquent, la survie. Outre les TILs, les CAFs constituent également une entité du microenvironnement. L’impact des CAFs sur la survie a déjà été décrit, mais il n’est pas encore clairement établie s’ils sont liés à un meilleur 78 ou bien à un moins bon pronostic 79, en raison de leur hétérogénéité 21,22. Les fibroblastes (et d’autres cellules stromales telles que les cellules endothéliales …) expriment la vimentine 80, mais les fibroblastes en contact avec les cellules tumorales expriment également αSMA . Étant donné la prépondérance du microenvironnement dans les AP, nous avons étudié la corrélation (et la valeur pronostique) des CAFs et des TILs. Une étude récente, incluant 385 patients opérés d’un AP, a mis en évidence une signature pronostique intégrant des sous-types lymphocytaires (CD3, CD4, CD8, CD68 et CD206 TILs) et le stroma (αSMA et collagène de type I), permettant de stratifier les patients en fonction de leur survie 43. Dans notre étude, nous avons constaté que les patients qui combinent un faible ratio αSMA/vimentine et un ratio élevé de lymphocytes CD4/CD3 avaient un pronostic plus sombre (Tableau 5 et Figure 5). Pour apprécier la réponse immunitaire et l’activité tumorale d’un point de vue fonctionnel, nous avons analysé nos échantillons avec des anticorps dirigés contre PD-L1 et Ki67. La surexpression de PD-L1 par les cellules tumorales a été retrouvée dans un certain nombre de cancers, et le blocage de la voie PD1-PD-L1 constitue une approche thérapeutique prometteuse en oncologie 82. En effet, la voie PD1 joue un rôle majeur dans la régulation des réponses immunitaires à médiation cellulaire. Elle atténue l’activation des lymphocytes, favorise le développement et la fonction des LT régulateurs et altère la réponse immunitaire des cellules T anti-tumorales. Seules quelques études ont montré une corrélation entre la surexpression de PD-L1 et une moins bonne survie chez les patients atteints d’un cancer du pancréas 83. L’expression de PD-L1 n’était pas corrélée à la survie dans notre population, probablement en raison de la petite taille de l’échantillon. Ki67 est un marqueur de la prolifération qui permet d’établir une classification histopronostique dans le cancer du sein et les tumeurs neuroendocrines 51,84. Nous avons étudié son expression dans notre population, mais nous n’avons pas trouver d’association avec à la survie. Notre étude a plusieurs limites. Tout d’abord, la détermination des seuils afin de dichotomiser les patients à l’intérieur d’une population, diffère largement dans la littérature. Certaines études utilisent des percentiles, des tertiles ou la médiane, tandis que d’autres utilisent une approche qualitative (absence ou présence), ou bien ne signalent tout simplement pas de seuil. Notre analyse statistique était basée sur le seuil du 75ème percentile. Cela a permis de diviser la population en deux groupes (élevé et faible) en fonction de la quantité de TILs et de CAFs. Mais cette classification ne reflète que le profil de la population de l’étude et n’est donc pas reproductible. Il est possible que, dans des études antérieures (comme dans la nôtre), cette dichotomisation est secondaire au manque de résultats obtenus avec d’autres techniques statistiques. La méthodologie est-elle à l’origine de l’hétérogénéité des résultats concernant l’impact des TILs et des CAFs sur la survie? Enfin, notre étude est limitée par son caractère rétrospectif et, essentiellement, par la taille de sa population. Pour analyser l’importance de la réponse immunitaire dans l’adénocarcinome canalaire du pancréas, connu pour son caractère peu immunogène et immunosuppressif, il apparaît nécessaire d’étudier un nombre important de patients.

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Table des matières

● Liste des abréviations
● Résumé et mots-clés
● Introduction
● Matériels et Méthodes
● Résultats
● Discussion
● Conclusion
● Légendes des figures
● Légendes des tableaux
● Références
● Remerciements
● Serment d’Hippocrate

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