LE STÉRÉOTYPIE OU L’ART DE PERSUADER

LE STÉRÉOTYPIE OU L’ART DE PERSUADER

LES STÉRÉOTYPES PARADIGMATIQUES DE L’INVENTIO

L’inventio – ou la recherche d’arguments et des idées – intervient dès la première étape de création et se subdivise en trois lieux d’argumentation ou preuves techniques, ainsi définis par Artistote : « Les preuves inhérentes au discours sont de trois sortes : les unes résident dans le caractère moral de l’orateur [ethos]; d’autres dans la disposition de l’auditoire [pathos]; d’autres enfin dans le discours lui-même [logos]. »9 Dans le contexte littéraire, l’inventio représente tout le travail de caractérisation des personnages, des idées, du thème, de l’histoire, du dénouement, des lieux, des époques, des objets, des actions, etc. À cette étape, l’auteur recherche et adapte diverses ressources logico-discursives pour atteindre des objectifs précis qui desserviront sa création, eux-mêmes déterminés en fonction de son objet, de son public et de ses goûts. La grande majorité des
arguments étiques, pathétiques et logiques demeurent implicites, basés sur des présupposés, des liens sociaux et culturels figés. Le concept de lieu est au cœur de toute la rhétorique d’Aristote. Défini comme figure macrostructurale, « le lieu peut être appréhendé, très généralement, comme un stéréotype logico- ‘ Aristote, Rhétorique, livre I, chapitre II, paragraphe discursif. C’est la base essentielles des preuves techniques de l’argumentation et la matière de l’invention.»10 Chez Aristote, ces lieux sont des prémisses à tous les genres. C’est par eux que se dessinent le possible et le vraisemblable. C’est à travers eux que l’auteur persuadera le lecteur de « participer » à la lecture de son roman.

L1ETHOS

Les preuves éthiques consistent à mettre en scène le caractère de l’orateur (le narrateur ou un protagoniste dans le cas qui nous occupe). Selon Aristote, c’est le caractère moral de l’orateur qui amène la persuasion, quand le discours est tourné de telle façon que l’orateur inspire la confiance. Dans une production romanesque, c’est tout le souci que se donne l’auteur pour la caractérisation, l’image de soi projetée par le narrateur ou les personnages pour les rendre dignes de confiance. Pour que le lecteur y croit, pour que la magie opère, l’auteur doit fournir des pistes crédibles et vraisemblables. Au début du processus de création, l’auteur élabore le caractère de ses personnages en fonction des objectifs de son texte. Le genre choisi déterminera sans doute quelques traits du héros : les personnages seront pensés différemment selon qu’ils s’activeront dans un policier, un récit de voyage ou un texte jeunesse. Umberto Eco, dans Lector in fabula, postule que la 10 Michèle Aquien et Georges Molinier, Dictionnaire de rhétorique et de poétique, p.   coopération du lecteur est une condition d’actualisation du texte. Il déploie le concept du lecteur modèle, celui qui est « apte à coopérer à l’actualisation textuelle de la façon dont lui, l’auteur, le pensait, et capable aussi d’agir interprétativement comme lui a agi générativement. »11 Des moyens sont mis à la disposition de l’auteur pour construire son texte et établir sa stratégie de production, dont le choix de la langue, le choix d’un type d’encyclopédie, comprenant des scénarios
préfabriqués (caractéristique approfondie au chapitre 3 portant sur la dispositio), et le choix d’un patrimoine lexical et stylistique (caractéristiques approfondies au chapitre 4 portant sur Yelocutio).
Le texte est complexe parce qu’il est truffé de non-dit (cf. Ducrot, 1972) et c’est ce « non-dit » qui doit être actualisé par le lecteur. « Le texte est donc un tissu d’espaces blancs, d’interstices à remplir, et celui qui l’a émis prévoyait qu’ils seraient remplis […] »12 Déjà, le fait d’orienter, selon une forme, un contenu, un registre ou un style particulier, son œuvre dans un cadre plus ou moins étiqueté sollicite un certain public et suscite des attentes plus ou moins figées. Pour Hans Robert Jauss (Pour une esthétique de la réception, 1978), le genre sert à modeler un horizon d’attente. Le genre fournit des critères de reconnaissances. Une œuvre littéraire n’est jamais une nouveauté absolue : […] par tout un jeu d’annonces, de signaux – manifestes ou latents -, de références implicites, de caractéristiques déjà familières, son public est Umberto Eco, Lector in fabula, p. 68 Ibid, p. 63 prédisposé à un certain mode de réception. Elle évoque des choses déjàlues, met le lecteur dans telle ou telle disposition émotionnelle.13 L’importance du lecteur est essentielle dans la mise au jour des stéréotypes. Une fois reconnu, le déjà-lu s’active et le lecteur se lance dans sa propre interprétation.
Dans Le Dernier des raisins, un roman phare de la littérature jeunesse québécoise, le personnage principal correspond à un modèle typé : l’intellectuel-à-lunette. L’auteur, dès les premières pages, lance des éléments de description qui permettent rapidement de cerner le personnage de François Gougeon. Je suis un intellectuel de petits chemins. J’aime assez lire, seul dans ma chambre, les écouteurs de mon baladeur sur les oreilles. Bon ! Et j’écoute un groupe de musiciens farfelus qui s’appellent Mozart, Bach, Chopin, Beethoven et quelques autres. […] Mais on me traite d’intellectuel surtout à cause de mes lunettes et de mon physique. Le sport et moi, nous sommes comme le carré de l’hypoténuse et l’haleine du matin. Nous avons très peu de choses en commun. Il suffit que je fasse deux enjambées de jogging pour que je m’enfarge dans mes runningshoes. (p.23) Au-delà de son apparence d’intello, François Gougeon est aussi un adolescent. Isolé entre des parents qui l’étouffent et un ami qui ne le comprend pas, il se cherche : « Après les photos, je suis rentré à la maison content de m’être débarrassé de Luc. J’avais besoin de solitude, je voulais comprendre ce qui m’arrivait » (p.24). Lorsque l’amour le frappe à la cafétéria de la polyvalente, tout son univers bascule. Soudainement, son « existence de timide » et sa gaucherie le frustrent : « Mais je suis débile dans ces occasions-là. Le parfait débile ! » (p. 18). Comme le dit l’auteur, ce n’est pas parce que François Gougeon porte un jean et Jauss, H.R., Pour une esthétique de la réception, p. 50 souffre d’acné que les adolescents se reconnaissent en ce personnage, « mais bien parce qu’il cherche sa place dans un groupe et rêve d’être accepté pour ce qu’il est »14 . Hésitant entre un « Moi, je suis comme je suis » (p. 33) et le rêve d’avoir son permis de conduire pour avoir une fille, fumer un joint pour bien paraître ou devenir un grand sportif pour séduire sa flamme, François Gougeon est un personnage crédible et cohérent pour le lecteur adolescent. Les stéréotypes activent les perceptions et accentuent le vraisemblable. Jean-Louis Dufays appelle participation ce mouvement du lecteur qui se caractérise par une adhésion à l’univers représenté par le texte. Lorsque reçus au premier degré, les phénomènes de stéréotypies « sont à la fois activateurs de perception, indicateurs génériques, agents du vraisemblable, supports d’identification et d’émotion, traits argumentatifs et signaux de littérarité (dans le cadre d’une esthétique de la conformité). »15 Ce personnage de François Gougeon est typé, mais pas convenu, il est différent des adolescents conventionnels : il aime la musique classique et les livres, il adore l’école et déteste le sport… François représente l’archétype de l’adolescent confronté à la grande difficulté de plaire aux autres. Les adolescents y trouveront sans aucun doute un lien d’association. L’étudiant du secondaire s’y reconnaît : ce Dominique Demers, Du petit poucet au dernier des raisins, p. 242 Une lecture au deuxième degré permet la distanciation, qui se caractérise par une mise à distance critique (un regard neutre) de l’univers représenté par le texte. Pour Dufays, le régime ordinaire d’une lecture consiste en un va-et-vient entre l’émotion (participation) et la neutralité (distanciation) : « Lire consiste à se mouvoir dans un rapport dialectique de participationdistanciation aux stéréotypes que nous proposent à la fois le texte et notre propre mémoire. » Le lecteur contribue à la construction du sens, ce faisant, il évalue le texte au fur et à mesure de sa lecture en fonction des satisfactions et des déceptions qu’il occasionne par rapport aux stéréotypes attendus (son horizon d’attente, pré-établi lors du choix du texte, en fonction de ses propres attentes, du genre sélectionné…). Ce double regard sur un texte dépend de la volonté du lecteur. Jean-Louis Dufays, Le stéréotype, un concept-clé pour lire, penser et enseigner la littérature, 2001, François Gougeon existe, en partie ou en tout, dans toutes les écoles; ce François Gougeon existe, en partie ou en tout, en chaque adolescent.

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Table des matières

RÉSUMÉ
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION 
PARTIE 1 – LE STÉRÉOTYPIE OU L’ART DE PERSUADER
1. STÉRÉOTYPE ET AUTRES LIEUX COMMUNS
1.1 ASSISES THÉORIQUES : DÉFINIR LE STÉRÉOTYPE
1.2 LA RHÉTORIQUE : INSTRUIRE, PLAIRE, ÉMOUVOIR
2. LES STÉRÉOTYPES PARADIGMATIQUES DE L’INVENTIO
2.1 l’ETHOS
2.2 LE PATHOS
2.3 LE LOGOS
3. LES STÉRÉOTYPES SYNTAGMATIQUES DE LA DISPOSITIO
4. LES STÉRÉOTYPES VERBAUX DE L’ELOCUTIO
CONCLUSION 
PARTIE 2 – NOUVELLES EN TOUS GENRES SANTÉ! 
L’INTERROGATOIRE
NUIT D’ÉTOILES
GASTON
LE PROCÈS 1
BIBLIOGRAPHIE

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