Le statut équivoque du biologique dans la consommation intermittente

L’alimentation biologique, du militantisme au supermarché

L’agriculture biologique est une méthode de production qui n’utilise pas ou peu d’intrants de synthèse, comme les engrais et pesticides de synthèse ou les antibiotiques vétérinaires (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, [FAO] 2014), le cahier des charges précis variant selon l’organisme de certification et le pays de mise en vente. L’agriculture biologique apparaît au début du XXe siècle en Europe (Besson, 2011; Lockeretz, 2007). Elle prend son essor au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, en réaction à l’industrialisation et à la mécanisation de la production agricole (Dubuisson-Quellier, 2009). Il s’agit alors d’un mouvement d’opposition qui critique à la fois les nouvelles méthodes agricoles productivistes et les transformations sociales qu’elles suscitent, comme l’exode rural et la mise en place d’une société de consommation dont la grande distribution, dans son ensemble, serait le symbole (Rémy, 2004). De fait, production et consommation alimentaires sont perçues par les premiers mouvements en faveur de l’agriculture biologique comme intrinsèquement liées, l’industrialisation de la production agricole entraînant une consommation de masse. Dans cette logique, la consommation de produits issus de l’agriculture biologique est alors militante, perçue comme un moyen de refuser un système économique et politique, portée par les différentes mouvances contestataires des années 1960 et 1970 (Dubuisson-Quellier, 2009; Rémy, 2004).
La consommation de produits biologiques en tant que telle n’est donc pas nouvelle. En revanche, l’intérêt du grand public pour l’agriculture biologique est plus récent. Phénomène d’abord marginal, la consommation d’aliments biologiques a émergé ces dernières années sur la place publique, devenant un sujet de société suffisamment important pour que des médias de masse y consacrent régulièrement des articles de presse et des émissions de télévision. La filière se structure et s’organise peu à peu, notamment par la mise en place de cahiers des charges et de certifications pour permettre au consommateur d’identifier les produits issus de l’agriculture biologique.

La figure du consommateur intermittent

Le développement de la consommation d’aliments biologiques ne s’est pas traduit par la conversion massive de nouveaux consommateurs à un régime alimentaire strictement composé de produits biologiques. Au contraire, pour la plupart d’entre eux, les aliments biologiques ne représentent qu’une portion de leur régime alimentaire global. Ces consommateurs, que nous qualifierons d’intermittents dans la lignée des travaux de Lamine (2008), représentent l’écrasante majorité des consommateurs de produits biologiques. Au Québec, seuls 18% des consommateurs d’aliments biologiques évaluent la part du biologique dans leur alimentation à plus de 30% (Filière Biologique du Québec, 2013). Cinquante cinq pour cent estiment que le biologique ne représente qu’entre 6% et 30% de leur alimentation globale. En France, seulement 8% des consommateurs de produits biologiques déclarent consommer des aliments biologiques tous les jours (Agence Bio, 2013). En Australie, 1,4% des consommateurs d’aliments biologiques déclarent consommer exclusivement ces aliments (Lockie et al., 2002).
Ces intermittents se distinguent à la fois des consommateurs conventionnels qui ne consomment pas de produits biologiques ou le font sans le savoir (dans le cadre de repas pris hors domicile, par exemple), et des consommateurs puristes, qui ne consomment que ce type d’aliments. Là où le consommateur puriste se fie entièrement à la présence du label biologique pour ses achats, le consommateur intermittent s’autorise à considérer d’autres critères avant de faire son choix, rendant ses décisions plus complexes à comprendre, car moins codifiées et plus souples (Lamine, 2008). Il semble que consommateur puriste et consommateur intermittent vont suivre des chemins inverses : là où le consommateur puriste va commencer par s’assurer du caractère biologique d’un aliment, le consommateur intermittent va d’abord sélectionner un aliment avant de considérer, ou non, l’option biologique. En nous appuyant sur l’enquête sociologique de Lamine (2008), on peut faire émerger quatre principaux éléments caractéristiques de la consommation intermittente d’aliments biologiques. Tout d’abord, par définition, elle est éclatée. Elle ne touche pas tous les aliments consommés et même, ne concerne que rarement une catégorie entière de produits. Leur consommation est également irrégulière, un même individu pouvant systématiquement opter pour l’option biologique d’un produit lorsqu’il effectue ses achats, mais pas dans le cadre d’un repas au restaurant.

Qui est le consommateur d’aliments biologiques 

Afin de pouvoir comprendre les consommateurs intermittents d’aliments biologiques, il convient de se pencher dans un premier temps sur leurs caractéristiques sociodémographiques. Compte tenu de la rareté des études spécifiquement consacrées aux consommateurs intermittents, les études portant sur les consommateurs d’aliments biologiques en général ont aussi été intégrées à notre recension. Cela ne semble pas poser de problème méthodologique dans le sens où ces études incluent, de fait, des représentants de la population intermittente. Les seuils de consommation utilisés pour définir les consommateurs d’aliments biologiques (achat d’un produit biologique par semaine, par mois ou par année) supposent en effet une consommation non exclusive d’aliments biologiques. La recension qui suit est fondée sur des recherches obéissant à deux critères. D’une part, les études citées, sauf exception liée au caractère fondateur d’une recherche, sont postérieures à l’année 2000. La raison d’un tel seuil est que le marché des produits biologiques a connu un développement rapide depuis le début des années 2000, marqué notamment par l’essor de l’offre alimentaire biologique dans les rayons de la grande distribution, qui a fortement participé au développement du marché (Roux, 2013). Un tel développement s’est accompagné d’une évolution du profil des consommateurs (Dimitri & Dettmann, 2012). Il nous a donc semblé raisonnable de limiter la recherche aux 15 dernières années. D’autre part, toutes les études citées portent sur des consommateurs du monde occidental, qui représente plus des 9/10e de la demande. Malgré cet effort d’homogénéisation, force est de constater que les conclusions sur l’impact des caractéristiques sociodémographiques des consommateurs d’aliments biologiques sont contradictoires, observation déjà faite à plusieurs reprises sans que cela ne soit discuté par les auteurs. Nous commencerons par présenter ces résultats avant d’en discuter les contradictions dans une partie dédiée.

Les freins à la consommation d’aliments biologiques

Le prix, principal frein:
Le principal frein à la consommation d’aliments biologiques, invoqué dans presque toutes les études, est le prix des produits biologiques . Il est invoqué tant par les consommateurs de produits alimentaires biologiques que par les non consommateurs (Lockie et al., 2002). Les consommateurs affirment volontiers qu’ils commenceraient à acheter du biologique, ou en achèteraient plus, si les prix de ces produits baissaient (Lea & Worsley, 2005; Tsakiridou, Zotos, & Mattas, 2006). Pourtant, des baisses effectives et importantes de prix ne se sont pas traduites par de plus grandes fréquences d’achat (Fearne, 2008; Hassan et al., 2009). De plus, la plupart des consommateurs se disent prêts à payer plus cher pour des produits biologiques que pour des produits conventionnels (Krystallis & Chryssohoidis, 2005; Radman, 2005). Ces deux constats laissent penser que le prix des aliments biologiques n’explique pas à lui seul le non achat.
Les différences de consentement à payer laissent voir une perception différenciée des produits biologiques. Aucun consensus n’émerge sur le montant des premiums que les consommateurs seraient prêts à consentir.
Certaines catégories d’aliments biologiques semblent pouvoir supporter un premium plus important que d’autres. Hutchins et Greenhalgh (1997) observent ainsi que les consommateurs britanniques seraient deux fois plus nombreux à accepter de payer 20 à 30% de plus pour de la viande biologique que pour des fruits, légumes ou céréales, où le premium acceptable se situe plutôt entre 10 et 20%. Selon Millock et al. (2002), les premium que des consommateurs danois étaient prêts à verser allaient en moyenne de 18,5% pour du bœuf émincé à 40,2% pour des pommes de terre.

Le modèle des chaînages cognitifs

Pour comprendre comment les consommateurs effectuent leurs choix de produit dans un contexte d’abondance et de multiples possibilités, Gutman (1982) a proposé un modèle des processus de choix du consommateur, le modèle des chainages cognitifs (ou means-end chain analysis), qui propose d’articuler les valeurs d’un consommateur avec ses choix de consommation. Le modèle postule que le consommateur est animé par des valeurs qui le poussent à rechercher certains états d’être, nommés dans ce modèle les conséquences. Cette recherche le mène à privilégier certains attributs dans les produits qu’il juge pouvoir lui procurer les conséquences recherchées. Cet enchainement valeur – conséquence – attributs constitue le cœur du modèle. Il est d’ordre théorique: étant donné que le consommateur peut ne pas avoir conscience du rôle de ses valeurs dans ses choix de consommation (Gutman, 1982), le modèle propose de partir des attributs pour remonter jusqu’aux valeurs lors de la collecte de données, sous la forme d’entretiens. Le modèle des chaînages cognitifs propose d’accéder et de reconstituer les considérations qui conduisent le consommateur à opter pour un produit à différents niveaux d’abstraction, et donc de rendre compte de la dynamique des hiérarchies des consommateurs.

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Table des matières

Introduction
Chapitre 1. Problématique 
1. L’alimentation biologique, du militantisme au supermarché
2. Un marché en croissance
3. Une consommation parcellaire 
3.1. La figure du consommateur intermittent
3.2. Une consommation diverse et hétérogène
4. Questions et objectifs de recherche
4.1. Intérêt de la recherche
Chapitre 2. Revue de littérature 
1. Qui est le consommateur d’aliments biologiques ?
1.1. Genre
1.2. Niveau d’éducation
1.3. Âge
1.4. Revenu
1.5. Présence d’enfants au foyer
1.6. Discussion des résultats contradictoires
2. Les domaines motivationnels
2.1. Les motivations d’ordre égoïste
2.1.1. La santé, principale motivation
Le biologique, sain car plus nutritif
Le biologique, sain car exempt de certains éléments
2.1.2. La qualité, un motif récurrent
2.1.3. Le goût, motivation incertaine
2.2. Les motivations d’ordre altruiste
2.2.1. La protection de l’environnement
2.2.2. Le bien-être animal
3. Les freins à la consommation d’aliments biologiques 
3.1. Le prix, principal frein
Les différences de consentement à payer laissent voir une perception différenciée des produits biologiques
3.2. L’accessibilité
4. L’offre biologique interagit avec la perception de l’offre alimentaire générale
4.1. Le biologique comme assurance
4.2. Le biologique, une considération parmi d’autres
5. Une grande hétérogénéité des approches individuelles
5.1. Des perceptions différenciées selon la catégorie de produits à l’étude
5.2. Mêmes critères de choix, différentes sélections
Chapitre 3. Modèle théorique et méthodologie
1. Le modèle des chaînages cognitifs
1.1. Les attributs
1.2. Les conséquences
1.3. Les valeurs
1.4. Pertinence du modèle
2. Méthodologie 
2.1. Les techniques d’entretien
L’entretien souple en échelon
L’entretien rigide en échelon
Choix de la technique
2.2. Limites de la méthodologie
3. Recueil des données
3.1. Échantillonnage
3.2. Pré-tests et adaptation du guide d’entretien
3.3. Recrutement
3.4. Profil des répondants
4. Analyse des données
4.1. Positionnement théorique
4.2. Transcription des données
4.3. Codage et analyse des données
4.4. La validité en recherche qualitative
Chapitre 4. Résultats et discussion 
1. Pourquoi manger biologique ?
1.1. L’option biologique comme réponse à une insatisfaction vis-à-vis de l’offre non biologique
Résultats
Discussion
1.2. Les raisons invoquées changent selon le type d’aliments
Résultats
2. Restitution du processus de choix des consommateurs intermittents 
2.1. Différents critères permettent aux répondants de juger de l’acuité du problème pour un aliment spécifique
Résultats
Discussion
2.2. La nécessité de recourir au biologique pour répondre au problème identifié n’est pas systématique
Résultats
Discussion
3. Le statut équivoque du biologique dans la consommation intermittente 
3.1. Le caractère biologique d’un aliment est diversement valorisé, même quand ce dernier est acheté en biologique
Résultats
Discussion
3.2. Des stratégies d’adaptation différenciées pour gérer l’absence d’option biologique
Résultats
Discussion
Conclusion

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