Le sport et le football à l’épreuve de leur construction médiatique

Un phénomène social total

Se positionner sur le rôle et la place du football dans notre société, c’est en fin de compte développer une réflexion sur un aspect ludique et sportif de la réalité sociale. Nous émettons l’hypothèse que le sport en général et le football en particulier sont des objets susceptibles de tisser un ensemble de relations avec le monde social dans sa multidimensionnalité. De sorte que l’association, dans un cadre théorique, de l’épistémologie et du football peut parfois provoquer des sourires gênés, voire quelques railleries. Pourtant, si l’on veut bien suivre Gérard Deréze, et quitte à tordre (peut-être, cf. infra) légèrement la pensée de Marcel Mauss, qui ne songeait pas au spectacle, cette discipline sportive ressemble fort « […] à une mise en spectacle totale d’un fait social total » (Deréze, 2000, 21). Par « un fait » on entend, d’une part, l’ensemble des capacités de l’homme en tant qu’être social et subjectif, d’autre part, un fait universel qui renvoie à la dimension mondiale du football à la fois comme pratique et comme spectacle .

Dans la mesure où l’objectif, que nous nous sommes fixé réside dans le développement d’une approche rigoureuse d’un tel phénomène, on comprend aisément que la méthode mise en œuvre puisse jouer un rôle déterminant. C’est là tout l’enjeu du présent développement, à savoir, sur la base d’une méthodologie éprouvée, poser les principes d’une analyse des publics du football en relation étroite avec les médias et les représentations que ces derniers construisent. Mais il faut aussi de tenir compte de l’évolution de la place du sport dans la société et, au-delà, de la société elle-même. A cet égard, il est nécessaire de faire référence à l’histoire en général comme fondement méthodologique, mais aussi à l’histoire du sport et plus précisément du football qui révèlent, par là même, les conditions de leur développement. Enfin, dans la mesure où les publics de football sont analysés par référence à un cadre médiatique, il conviendra de mettre en évidence le rôle de ces médias, et plus particulièrement de L’Equipe, dans la construction de ces représentations.

Sport, football et civilisation

Comme point de départ, on prendra comme référence analytique les travaux menés par Norbert Elias (1973) sur les « phénomènes civilisationnels » et plus particulièrement le football. Définir ce concept en quelques mots n’est pas évident. C’est la raison pour laquelle nous reprendrons à notre compte l’idée selon laquelle penser les phénomènes civilisationnels revient à « penser ensemble, et dans un temps long de l’histoire, l’évolution des structures psychiques, mentales et affectives des individus et celle des structures sociales et politiques des groupes qu’ils forment» (Delmotte, 2012, 55). Il est important de vérifier ici comment le processus de transformation sociale fait évoluer, sous différents aspects, les individus et les groupes d’un point de vue historique. Il s’agit de relever les transformations dans la façon de se comporter, de ressentir, et de se représenter le monde et d’en déduire les changements dans les rapports sociaux.

La pensée de Norbert Elias renoue avec l’étude de l’histoire sur la longue durée couplée à la sociologie et à l’idée du changement social structuré. La sociologie appelle « configuration » les formes d’interdépendance des individus, ceci permet donc d’étudier de manière conjointe « individu » et « société » (Déchaux, 1995, 293). Ces configurations peuvent être de taille variable, de la forme de relation la plus locale à celle qui relève de l’échelle des relations internationales. La complexité et la longueur des chaînes de relations permettent de différencier ces interdépendances. La notion d’interdépendance est par ailleurs reliée à celle de pouvoir : Norbert Elias envisage le pouvoir comme un déséquilibre dans les interdépendances ; si je suis plus dépendant de l’autre que l’autre ne l’est de moi, alors l’autre a un pouvoir sur moi. L’interdépendance des individus joue aussi sur leur personnalité en leur imposant des réseaux qui sont préexistants et qui laisseront leur empreinte dans l’habitus de l’individu (Duvoux, 2011).

De plus, cette réflexion prend en compte le positionnement défini par des « échelles» (Revel, 1996). Cette approche a pour effet d’étudier un individu ou un groupe dans son contexte (social, géographique, etc.). Ainsi le travail d’analyse ne porte pas sur un phénomène donné lors d’un moment précis, mais sur la portée globale du phénomène étudié. Il n’est donc pas question d’isoler l’événement pour le comprendre, mais de trouver les connexions avec la période et le contexte socio spatial.

On rappellera que Norbert Elias met en garde contre les définitions a priori des notions micro et macro-sociales. Il rejette par ailleurs la vision évolutionniste de l’histoire. Les évolutionnistes voient l’histoire comme unidirectionnelle et unidimensionnelle ; pour Elias l’histoire est la somme des projets sans projet et des finalités sans finalité que les individus ont élaborés au fil du temps. Cette approche entre histoire et sociologie sert ici de base de réflexion pour une approche plus spécifiquement orientée vers les Sciences de l’Information et de la Communication (SIC).

En effet, l’historicisation ne porte pas seulement sur des objets de recherche pensés par la sociologie. Dans le cadre de cette thèse, une approche focalisée sur les médias recentre la question dans une optique communicationnelle. Dès lors, pour comprendre les modes et les modalités de traitement médiatique des informations, des événements, et plus généralement des phénomènes sociaux, il est indispensable de contextualiser. Les groupes sociaux, dans ce cas les publics de football, doivent être analysés, contexte après contexte, à travers non seulement l’évolution des représentations que ces groupes vastes, hétérogènes, mouvants et labiles construisent mais aussi l’évolution des représentations que d’autres acteurs sociaux (parmi lesquels les médias) construisent d’eux.

Norbert Elias a développé cette approche complexe dans des travaux relatifs au sport et plus particulièrement au football. En plus de cette approche d’Elias, nous pouvons retenir le travail mené avec Eric Dunning qui traite de la thématique « sport, violence et civilisation » (1994). Cette recherche reste une référence sur de nombreux points comme par exemple, penser le sport de façon « figurationnelle ». Il est question ici de « figuration » du sport. Eric Dunning, en parlant de Nobert Elias, affirme : « Son intérêt pour ce domaine de recherche est lié au rejet de l’idée selon laquelle les phénomènes physiques seraient de moindre valeur que les phénomènes intellectuels. Elias considérait qu’ils étaient entremêlés et d’égale valeur. Il jugeait également qu’une bonne compréhension du mouvement et des émotions était aussi importante pour bien comprendre les humains qu’une compréhension de la rationalité et de la pensée. En fait, il rejetait toute opposition entre le corps et l’esprit, affirmant que la psychologie sociale devrait s’intéresser à tous les aspects des humains et de leur vie en société » (Dunning, 2010, 179).

Sport, football et médias 

Les médias, tout du moins la presse écrite, n’ont pas attendu le XIXe siècle pour exister , mais c’est bien au XIXe siècle que la presse écrite est devenue ce que l’on appellera plus tard un « média de masse » (Feyel, 1999 ; Jeanneney, 2001 ; Albert & Tudesq, 2008). Le sport et la presse écrite se rencontrent réellement au XIXème siècle dans leur déclinaison « moderne ». La rencontre suppose, d’une part, que les pratiques sportives soient suffisamment codifiées et développées à l’intérieur de certains groupes sociaux, d’autre part, que l’offre de spectacles sportifs dépasse, du moins dans quelques disciplines, le stade de la confidentialité. Dès lors, la presse écrite, et au-delà les médias et le(s) sport(s), ne vont plus se quitter, de sorte que l’on ne peut analyser ce que les médias doivent au sport, sans s’interroger sur ce que le sport doit aux médias. Avec des variations dans l’espace et le temps, mais aussi en fonction des disciplines sportives et de leur évolution, sport et médias vont entretenir des relations de complicité, de connivences et d’intérêts bien compris n’excluant pas des les conflits (Bourg, Gouguet, 1998 ; Attali, dir., 2010), et par conséquent des rapports bien plus complexes. Nous sommes bien en présence d’une configuration médiatico-sportive.

Nous ne souhaitons pas traiter ici de l’origine de cette configuration, ni de réécrire l’histoire de la presse sportive qu’elle soit généraliste ou spécialisée, ou alors la place des sports dans une presse « non sportive » – cela a déjà été fait. Qu’il nous soit simplement permis d’évoquer brièvement les premières années de cette presse car elles contiennent en germe les différents ingrédients qui nourriront très vite les rapports entre la presse et le sport alors même que ce dernier ne s’est pas encore véritablement internationalisé, professionnalisé ni marchandisé :
– développements croisés,
– promotion mutuelle,
– partenariat dans l’organisation de compétitions et d’événements,
– participation conjointe à l’édiction et à la modification des règlements sportifs,
– acculturation réciproque à la mise en récit de compétitions, d’histoires, de
péripéties (exploits, anecdotes…) et de figures du sport (héros, personnages)…

Le Sport est le premier journal spécialisé en France. Il est créé en 1854, c’est un bimensuel à faible tirage du fait du public réduit d’aristocrates qu’il intéresse au travers de certains sports « distinctifs » au sens de Bourdieu (Thomas, 1993). Mais c’est surtout Le Vélo, né juste après la course cycliste Paris-Brest-Paris qui laisse des traces durables. Fondé en 1892 par Paul Rousset, rejoint par Pierre Giffard (organisateur de ladite course) , ce bimensuel s’inspire en partie de la presse d’Outre-manche, dont le contenu est orienté de manière à intéresser les «sportsmen», en fait des aristocrates et des membres de la grande bourgeoisie anglaise (Seray, Lablaine, 2006). Il se centre sur les courses hippiques, le yachting et l’escrime, mais aussi sur quelques disciplines que la médialogie pourrait qualifier de « médiagéniques » -dont les sports mécaniques, le cyclisme et l’automobilisme -, susceptibles d’élargir le lectorat, les pratiquants et les publics vers les couches moyennes et populaires.

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Table des matières

Introduction générale
Chapitre 1 Le sport et le football à l’épreuve de leur construction médiatique : question de méthode
1 Un phénomène social total
1.1 Sport, football et civilisation
1.2 Sport, football et médias
2 Sport, football et sciences humaines et sociales
2.1 Qu’est ce que le sport ?
2.2 Sur et sous des positionnements et des ressources théoriques
2.3 Le champ « Sport et médias »
3 Publics et spectacles sportifs
3.1 Du spectacle en général aux spectacles sportifs et footballistiques en particulier
3.2 Les représentations médiatiques
3.3 Des publics aux publics sportifs
4 Les sources et leur traitement
4.1 L’Equipe dans la presse sportive
4.2 L’Equipe comme « source »
Chapitre 2 Evolution du traitement des publics par L’Equipe
1 De 1946 à la fin des années 1950 : le public en question
1.1 Le poids du contexte de la « reconstruction »
1.2 Les caractéristiques « du public »
1.3 La construction identitaire
1.4 La question de la violence
2 Les années 1960 – 1970 : l’âge des spectateurs
2.1 La montée en puissance de « l’Europe du football » et du spectacle sportif
2.2 Du spectacle aux spectateurs
2.3 Un marquage identitaire régional et européen ?
2.4 Les excès du supporterisme
3 Des années 1980 aux années 2000 : le temps des supporters
3.1 Un contexte de mondialisation
3.2 Les supporters et leurs marqueurs
3.3 De la violence des hooligans à celle des ultras
Chapitre 3 Paroles expertes et paroles profanes
1 De 1946 à la fin des années 1950 : l’expertise unilatérale
1.1 Le journaliste : la parole experte
1.2 Les publics et les paroles profanes dans les discours médiatiques
2 Des années 1960 aux années 1970 : vers une expertise partagée
2.1 Le quasi-monopole du journaliste de presse écrite contesté
2.2 L’émergence de paroles nouvelles dans les publics
3 Années 1980 – années 2000 : multiplicité et multipolarité de l’expertise
3.1 Des paroles expertes éclatées
3.2 Les supporters : l’expertise de proximité
Conclusion générale
Bibliographie

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