Le son dans la ville : bruit ou musique ?

Le son dans la ville : bruit ou musique ?

Etat des lieux de la lutte contre les nuisances sonores 

La ville est habitée par tant de sons. Aux « bruits » de la vie quotidienne se sont progressivement mêlées les sonorités électroacoustiques des annonces, des sonneries de téléphone, des dispositifs portatifs d’amplification de la musique, d’installations sonores dans l’espace public… La période actuelle témoigne d’une inflation de la sonorisation et de l’utilisation de musiques d’ambiance ; paradoxalement, elle est marquée par un rejet croissant du bruit, dénoncé comme un obstacle majeur à la qualité de vie en ville. La prise en compte actuelle du son dans l’urbanisme et l’aménagement s’apparente aujourd’hui à une démarche essentiellement quantitative : la lutte contre les nuisances sonores. Celle-ci se fonde sur une définition du bruit établie à partir de mesures acoustiques : l’Organisation Mondiale de la Santé propose un seuil moyen de 53 décibels à ne pas dépasser dans l’environnement . Au travail (dans les bureaux, les usines, les écoles, etc.), le son est considéré comme bruyant à partir de 80 décibels . Les cartes de bruit du Plan Local d’Urbanisme doivent impérativement mentionner les zones où les niveaux sonores dépassent 60 dB(A) . L’éloignement des habitations, les protections acoustiques (écrans, buttes) et l’isolement de façade constituent alors la réponse adoptée par les aménageurs pour garantir le respect des normes acoustiques.

La notion d’environnement sonore a circulé dans les sphères de l’action publique et les milieux de la recherche académique, suscitant une prise en compte progressive du son dans l’environnement. L’Etat se dote d’institutions dédiées à cette question : le Ministère de l’Environnement en 1971 et son service des recherches sur le bruit en 1972, le Centre d’Information et de Documentation sur le Bruit en 1978 et le Conseil National du Bruit en 1982. A la fin des années 2000, paraît une directive européenne portant sur les Plan de Prévention du Bruit dans l’Environnement. Instauré en 2002, ce texte de loi rend obligatoire à partir de 2006 la réalisation de cartes du bruit dans l’environnement et la mise en œuvre d’une stratégie de lutte contre les nuisances sonores, ainsi que l’identification de « zones de calme » dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants.

Pourtant, la réduction globale des niveaux sonores et l’isolation des habitations ne peuvent pas suffire à constituer un objectif qualitatif pour l’aménagement des milieux de vie. « Trop de silence n’est pas plus acceptable que trop de bruit » explique le compositeur Pierre Mariétan : la ville silencieuse et sans bruit est un espace sans vie, mortifère, qui ne suscite aucun agrément d’un point de vue auditif. En outre, une situation qualifiée de silencieuse ne relève pas d’une totale absence de son mais plutôt d’un rapport entre l’auditeur, les sources sonores et l’espace que la composition musicale s’attache à qualifier depuis plus de cinquante ans. D’autre part, l’intensité n’est pas le seul paramètre du son qui puisse le rendre gênant. Les sons suraigus, les bruits répétitifs et continus ou encore les sonorités grinçantes suffisent à démontrer que l’ensemble des paramètres du son (hauteur, intensité, durée, timbre, espace) concourent à définir l‘expérience de l’environnement sonore. Aussi, si les acteurs de l’aménagement s’accordent pour ne pas réduire le calme à la définition quantitative d’un niveau sonore moyen maximal, la définition de critères qualifiant les zones de calme se heurte à l’absence de méthodes partagées permettant d’appréhender la qualité sonore dans l’environnement. Il semble que la prise en compte du son dans l’aménagement apparaisse toujours prisonnière du dualisme qui sépare l’approche dite objective des mesures acoustiques, de l’approche considérée comme subjective et culturelle qui tient compte de la dimension qualitative du son. La musique constitue néanmoins une science portant sur l’organisation des sons, définis à travers des paramètres objectifs et mesurables. Ceux-ci permettent de qualifier le son à travers une expérience sensible : l’écoute.

L’apport de la musique : un « environnement sonore » plutôt que « bruyant » 

Au cours du XXème siècle, le domaine de la musique connaît de profondes transformations à travers l’émergence des technologies électroacoustiques, qui révolutionnent les moyens de captation et de diffusion du son. Les bruits sont progressivement assimilés au matériau musical avec lequel crée le compositeur, qui porte alors son écoute et ses pratiques de composition hors de la salle de concert. Le changement de paradigme s’opère notamment à travers les expérimentations musicales menées par John Cage qui redéfinit le statut du compositeur, du public et de l’espace sonore à travers une nouvelle conception de la musique. L’œuvre de Cage intègre les bruits extérieurs au concert, ceux produits par le public et par les interprètes dans la perspective de susciter une écoute musicale de tous les sons. Cette posture se traduit de manière radicale dans les 4’33’’, une pièce créée en 1952 au cours de laquelle le public prête oreille à un interprète qui ne produit aucun son : l’expérience d’écoute invite l’auditeur à percevoir tous les bruits d’un espace sonore silencieux.

Cette approche musicale de l’ensemble des sons présents dans tous les lieux, de la salle de concert aux espaces naturels, fonde une nouvelle prise en compte du son dans l’environnement : l’« écologie sonore », qui se définit comme « l’étude des relations entre les individus, les communautés et leur environnement sonore » (TRUAX, 1978). Ce mouvement naît simultanément dans plusieurs pays à la fin des années 1960, porté par Raymond Murray Schafer au Canada avec le terme « soudscape » (1969) , traduit par « paysage sonore » et en France par Pierre Mariétan qui crée la même année la notion d’ « environnement sonore » .. Portée par un mouvement général de décloisonnement des arts et l’émergence des problématiques environnementales, l’écologie sonore connaît un certain essor à la fin des années 1970 et au cours des années 1980.

De nouveaux courants de recherche académique se structurent ; au Canada, les soundscape studies rassemblent des théories et des méthodes issues de la musicologie, de l’anthropologie et de la communication au sein d’une discipline académique qui vise à expliquer et représenter l’influence du son sur les êtres vivants. En France, Pierre Mariétan crée le Laboratoire d’Acoustique et de Musique Urbaine (LAMU) en 1979, dont les recherches portent sur la qualification sonore de l’environnement, c’est-à-dire la définition de ce qui fonde la dimension qualitative des situations sonores. La même année, un groupe de chercheurs mené par Jean François Augoyard (sociologue) fonde le Centre de Recherches sur l’Espace Sonore (CRESSON) à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble et développe la notion d’ambiance (AUGOYARD, 1979).

Au cours des années 1980, la diversification des approches de l’environnement sonore s’incarne aussi dans le champ de l’expérimentation artistique avec la multiplication des structures associatives se réclamant d’une approche qualitative du son dans l’environnement. L’intervention artistique se déploie dans l’espace urbain et s’approprie les enjeux de l’écologie sonore pour initier de multiples formes d’intervention en lien avec l’aménagement et l’architecture. La Compagnie Décor Sonore fondée en 1984 par Michel Risse et Pierre Sauvageot met en scène l’écoute dans l’espace public à travers une forme de scénographie musicale pour l’espace urbain. Dès ses premières  qui composent avec les bruits de la ville (locomotives, machines de chantier, sirènes, etc.) Michel Risse aborde le contexte d’intervention à travers un ensemble de pratiques artistiques qui l’amènent à théoriser le « jardinage acoustique » (RISSE, 2015). Cette forme d’intervention éphémère, s’appuie sur les concepts de l’écologie sonore pour faire des espaces publics des lieux d’expérience musicale .

Les expérimentations artistiques donnent lieu à des mises en œuvre opérationnelles dans le champ de l’aménagement, ce dont témoignent les projets de Diasonic, le studio d’architecture et de design sonores fondé par Louis Dandrel en 1984. Cette structure travaille sur les applications fonctionnelles du son dans l’espace aménagé et développe notamment les premières signalétiques sonores en partenariat avec les opérateurs de transport. Diasonic développe des techniques de design sonore qui associent expertise acoustique et création sonore en lien avec les méthodes de programmation architecturale.

Au cours des décennies suivantes, les compositeurs liés à l’écologie sonore déploient leur approche musicale de l’environnement à travers de multiples projets d’intervention sonore sur l’espace urbain dans un contexte de collaboration avec les acteurs de l’aménagement. La démarche de composition de Pierre Mariétan, celle du design sonore de Louis Dandrel et les opérations de « jardinage acoustique » de Michel Risse mettent en œuvre la conception qualitative du son issue de l’écologie sonore. Leurs définitions de l’environnement sonore donnent lieu à une approche musicale de l’espace qui se traduit par des règles d’analyse de l’existant sonore et des principes de composition musicale pour l’aménagement.

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Table des matières

Introduction
1. Le son dans la ville : bruit ou musique ?
2. Présentation de la problématique
3. Une enquête sur l’environnement sonore
Partie I. Du bruit à l’environnement sonore : la prise en compte du son dans l’aménagement du territoire
Chapitre 1. La prise en compte du bruit par les pouvoirs publics
A. L’Etat et la lutte contre le bruit
B. Le bruit dans le plan local d’urbanisme
C. Les plans de prévention du bruit dans l’environnement
Chapitre 2. L’approche musicale de l’environnement sonore
A. La composition musicale de l’espace
B. L’invention de la notion d’environnement sonore
C. La diffusion de l’écologie sonore
Chapitre 3. La recherche académique sur la dimension sonore de l’environnement
A. La création d’institutions de recherche sur l’environnement sonore
B. La diversification des recherches sur l’environnement sonore
C. L’évolution de la prise en compte de l’environnement sonore
Conclusion de la partie I
Partie II. A l’écoute de l’environnement urbain
Chapitre 4. De l’écoute aux qualités sonores de l’environnement
A. L’oreille cassée
B. Ouïr, entendre, écouter
C. La pratique de l’écoute
Chapitre 5. La théorie de l’environnement sonore
A. Un conflit sémantique
B. Le vocabulaire de l’environnement sonore
Chapitre 6. La représentation de l’environnement sonore
A. Les représentations de la dimension temporelle du son
B. Les représentations spatiales de la situation sonore
C. Les représentations interactives de l’environnement sonore
Conclusion de la partie II
Partie III. De la musique à l’urbanisme: trois mises en œuvre de l’écoute dans l’aménagement
Chapitre 7. Pierre Mariétan : la qualification sonore de l’environnement par la pratique de l’écoute
A. De la composition musicale à l’écoute de l’espace
B. Le Groupe d’Etudes et de Réalisations Musicales
C. Le Laboratoire d’Acoustique et Musique Urbaine (LAMU) : de l’expérience musicale à la recherche expérimentale
D. Le Collectif Environnement Sonore
Chapitre 8. Louis Dandrel : l’intégration du son à la conception urbaine par le design sonore
A. Du journalisme musical à la question du bruit
B. L’Atelier de recherche et de création acoustiques Espaces Nouveaux
C. Diasonic : un studio de design et d’architecture sonores
D. L’agence Life Design Sonore
Chapitre 9. Michel Risse : la théâtralisation de l’écoute par la scénographie sonore urbaine
A. De la musique à l’espace public
B. La Compagnie Décor Sonore
C. Décor Sonore, lieu de création scénique et musicale
Conclusion de la partie III
Conclusion

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