Le sens donné à la nature dans le lieu résidentiel collectif

La crise écologique interroge nos relations au vivant

Depuis plus de deux siècles, l’impact humain sur la nature n’a fait que s’accentuer, on parle de crise écologique. Pour rendre compte de cette crise, le Living Planet Index, indiquant l’état de la diversité biologique mondiale, et suivant l’abondance des mammifères, oiseaux, reptiles et amphibiens, relève par exemple une baisse des populations à hauteur de 68 % entre 1970 et 2016 (Bureau et al., 2020). Parallèlement à ce relevé, on peut évoquer chez les individus une perte d’expérience de la nature (Shwartz et al., 2014). On pourrait alors parler d’un côté de crise de la biodiversité, et de l’autre côté de crise du rapport à la biodiversité, biodiversité plus communément appelée nature. Ainsi, en pensant à demain et pour limiter l’impact humain sur la nature, il s’avère fondamental de comprendre les relations qu’entretiennent les individus à celle-ci, dans une perspective de les repenser. Mais qu’entend-on derrière le terme de nature ?

La philosophe Virginie Maris définit la nature comme « la part du monde que nous n’avons pas créée », laquelle évolue selon « ses finalités propres » en l’absence de traces de la volonté humaine. Plus particulièrement, elle désigne la nature comme nature-altérité, altérité dont l’origine alter désigne le caractère de ce qui est autre, et ainsi la reconnaissance de cet autre dans sa différence. De cette manière, elle conserve le partage entre nature et culture en pensant « la division non plus comme le « dénie » d’une partie sur l’autre, mais comme une séparation permettant la reconnaissance de l’autre partie. » (Nougarol, 2019). C’est pourquoi, en s’appuyant sur cette définition très générale, nous garderons le terme de nature, qui sera par la suite nuancé d’un point de vue écologique.

Une conception décorative de la nature dans l’histoire des grands ensembles 

C’est au début du XXème siècle, dans les années 1930, alors que les quartiers anciens sont extrêmement dégradés, que l’urbanisme fonctionnaliste apparaît. Pensé en opposition avec la ville traditionnelle, il prend plus exactement forme à la suite du 4ème Congrès International d’Architecture Moderne (CIAM), dont en ressortira la Chartes d’Athènes (1933). Au travers de cette dernière, l’urbanisme se réduit synthétiquement à quatre grandes fonctions caractérisant la pensée technocrate : habiter, circuler, travailler, se récréer. L’espace est ainsi rationnalisé par la séparation spatiale des fonctions et la déconnexion des composantes matérielles entre-elles. Au moyen de la rénovation urbaine, c’est-à-dire par la mise en place de la démolition et de la reconstruction, il s’agit ainsi, dans un contexte de crise du logement, d’éradiquer les taudis et de concevoir la bonne ville, celle dans laquelle transparaît hygiène, ordre, clarté, rationalité. Dans cette perspective, l’Etat mobilise d’importants moyens pour rendre les habitations modernes, disposant de sanitaires, de l’eau courante et de l’électricité. De nombreux grands ensembles sont alors créés, dont on retiendra par exemple un peu plus tard la fameuse unité d’habitation de l’architecte Le Corbusier, dimensionnée sur la base de l’individu, fonctionnelle et reproductible. La période d’après-guerres, durant laquelle a eu lieu le « baby-boom», a largement accéléré l’opérationnalisation de l’approche fonctionnaliste. En effet, la peur de ne pas pouvoir accueillir la croissance démographique, pour laquelle la France gagne en l’espace de 20 ans, entre 1945 et 1965, presque 9 millions d’habitants (Dumont, 2000), amène en 1958 les ZUP, zones à urbaniser en priorité. Il faut construire vite, beaucoup et à moindre coût, en périphérie des villes, sur des terrains vacants, comme à partir d’une feuille blanche. Les formes urbaines y sont denses, et leur industrialisation provoque leur uniformisation, par rupture avec la ville ancienne. Ainsi, en l’espace de 40 ans, la modernisation de la ville dont l’avènement tient à un contexte d’urgence, s’est traduite par la multiplication des grands ensembles (Brevet, support de cours, 2018).

Par ailleurs, dans cette conception de la ville, la nature y occupe une place fondamentale. Pour y décrire la pensée de l’architecte Le Corbusier, Françoise Choay, philosophe et historienne des théories et formes urbaines et architecturales, écrit : « des appartements ouvrant sur toutes les faces à l’air et à la lumière, et donnant non pas sur les arbres malingres des boulevards actuels, mais sur des pelouses, des terrains de jeux et des plantations abondantes. La nature a été reprise en considération. La ville, au lieu de devenir un pierrier impitoyable, est un grand parc. L’agglomération urbaine est traitée en ville verte. Soleil, espace, verdure. Les immeubles sont posés dans la ville derrière la dentelle d’arbres. Le pacte est signé avec la nature. » (Choay, 1965, p242). La considération de la nature tient à ses aspects esthétiques et hygiéniques, elle est restreinte à des services sociaux. Dans la Charte d’Athènes, Le Corbusier y écrit d’ailleurs (1933, proposition 11) : « plus la ville s’accroît, moins les « conditions de nature » y sont respectées. Par « conditions de nature », on entend la présence dans une proportion suffisante, de certains éléments indispensables aux êtres vivants : soleil, espace, verdure. Une extension incontrôlée a privé les villes de ces nourritures fondamentales, d’ordre aussi bien psychologique que physiologique. L’individu qui perd le contact avec la nature en est diminué et paie cher, par la maladie et la déchéance, une rupture qui affaiblit son corps et ruine sa sensibilité corrompue par les joies illusoires de la ville ». Dans cette proposition, la nature contribue alors au bonheur de l’homme, au bien être des individus, où le surfaces vertes collectives représentent un cadre de vie bienfaisant aux citadins (Bourdeau-Lepage, 2019). C’est ainsi que dans les années 60-70 des grands ensembles, « il a été décidé d’annexer à l’ensemble des constructions et équipements publics des espaces plantés, désignés par : « espace vert d’accompagnement », de statut public ou privé. » (Mehdi et al., 2012). On remarquera d’ailleurs que sur l’inventaire des surfaces végétalisées de Blois, cette dénomination est restée la même.

Présentation des quartiers d’étude

Caractéristiques spatiales

Partant de l’hypothèse que la configuration spatiale des lieux résidentiels collectifs module le sens donné à la nature et ses caractéristiques écologiques, trois quartiers d’étude ont été sélectionnés à Blois présentant des formes urbaines et un agencement des espaces publics différents. Ces trois quartiers datant donc de la période des grands ensembles (1960 – 1980) correspondent : au quartier Quinière à l’ouest de Blois, ainsi qu’aux quartiers Croix Chevalier et Hautes Saules, au nord ouest de Blois situés dans la ZUP (Zone à Urbaniser en Priorité).

Au sein du quartier Quinière, un îlot plus particulier a été sélectionné : l’îlot Corneille. Celui-ci, d’1,8 ha, est le seul de forme carré et présente une surface végétale intérieure plus importante que les autres îlots du quartier (8200 m2). Il est constitué de 3 barres d’immeubles (3850 m2), 2 R+3, 1 R+4 dont 2 ont une emprise en sol de 1500 m2, et 1 de 850 m2. La plus petite barre à l’est regroupe des propriétaires, les deux autres des locataires. Deux parkings se situent au nord (rue Jean de la Fontaine) et à l’ouest (rue Voltaire) de l’îlot, des voitures se garent également le long des trottoirs dans les rues sud (rue Jean Jacques Rousseau) et est (rue Corneille). Les parkings sont donc à l’extérieur et les espaces verts à l’intérieur de la forme urbaine. On trouve quelques bandes herborées en bordure des bâtiments à l’extérieur. La surface végétale est majoritairement herborée (7000 m2), tondue régulièrement (actuellement tous les 10 jours), et présente quelques arbres, dont 7 de taille importante ont été plantés à l’automne 2020 (liquidambar), également des prunus de plus petite taille.

En termes de mobiliers urbains, on trouve 2 structures de jeux pour les enfants, une table de pingpong, un terrain de pétanque, quelques bancs et une table de pique nique.

Le quartier Croix Chevalier de 6,5 ha se situe au sud-ouest de la ZUP. Plutôt de forme rectangulaire, il est constitué de 5 barres R+4 de 1400 m2 et de 4 tours R+9 de 450 m2, dont l’agencement forme deux sous-îlots présentant des espaces verts intérieurs. L’ensemble des logements est à vocation sociale. Pareillement à l’îlot Corneille, les parkings sont situés à l’extérieur des formes urbaines. La végétation y est également présente à l’extérieur, notamment au sud et ouest sous la forme de grande surface herborée au pied des bâtiments, ainsi que d’allées d’alignement d’arbres. La surface végétale totale (3,5 ha) se constitue alors de 2 ha de surface herborée ainsi que d’1,5 ha de surface canopée. En termes de mobiliers urbains, on peut noter quelques bancs (ou murets) à l’intérieur des deux sous-îlots ainsi que dans les allées d’alignement d’arbres. On peut aussi noter la présence de la plaine comprenant des jeux pour enfants au nord-ouest de Croix Chevalier. Le quartier d’étude, aux formes urbaines très denses, est ainsi délimité par l’avenue de l’Europe au sud, la rue Dumont d’Urville à l’est et se retrouvant à l’ouest, la rue Christophe Colomb et la plaine de jeux au nord.

Le quartier Hautes Saules de 9 ha se situe au nord-ouest de la ZUP. Il est constitué de 22 tours R+4 de 350 m2, disposées par petits groupes et plutôt de manière circulaire, autour d’une école au centre et sur une surface herborée de 3,5 ha. Pareillement au quartier Croix Chevalier, l’ensemble des logements est à vocation sociale. Les parkings sont également situés à l’extérieur, seul un parking au sud donne davantage sur les espaces intérieurs. La surface herborée prend notamment la forme de trois plaines au centre qui encadrent l’école, chacune comportant des aires de jeux. Ces surfaces herborées encadrent également les tours et donne quelques fois sur l’extérieur sous la forme de petites buttes. Depuis l’année 2021, quelques zones enherbées autour de l’école, surtout au nord, sont tondues moins fréquemment. La surface canopée (2 ha) se retrouve plus particulièrement autour de l’école et sur les extérieurs du quartier notamment dans les allées d’alignement d’arbres. En termes de mobiliers urbains, on trouve aussi quelques bancs. Ce quartier d’étude, aux formes urbaines moins denses, est délimité par la rue de la Croix Pichon au sud-ouest, par les rues Marcel Doret et Michel Detroyat à l’est, la rue Latham au nord et la rue Pigelée à l’ouest.

En termes de configuration spatiale, on retient ainsi les barres moins denses et formant un carré du petit îlot Corneille, ainsi que sa végétation essentiellement intérieure. On retient aussi les barres plus denses du quartier croix chevalier, ses deux sous-îlots, et ses larges bandes enherbées à l’extérieur. Enfin, on retient les petites tours du quartier hautes saules disposées de manière aérée sur une importante surface végétale. On peut noter le manque de relief de la végétation des trois quartiers, la strate arbustive étant beaucoup moins présente, notamment au travers d’un arrachage progressif des haies. Le tableau ci-dessous récapitule les surfaces bâties et végétales pour chaque quartier d’étude. Également, la carte ci-après synthétise l’essentiel des éléments dits ci-dessus, et permet de visualiser les caractéristiques spatiales des quartiers d’étude.

Caractéristiques socio-démographiques

A la suite de la loi Lamy de 2014 (loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine), les quartiers les plus en difficultés (identifiés par le revenu des habitants) sont qualifiés de quartiers prioritaires (QPV), auxquels sont attribués les aides de la politique de la ville (ensemble d’actions politiques tourné vers les zones urbaines sensibles). Les quartiers de veille active correspondent ainsi aux anciennes zones urbaines sensibles non retenues comme quartiers prioritaires. La carte ci-dessous identifie la ZUP de Blois en quartier prioritaire et le quartier Quinière en quartier de veille active. Elle laisse également apparaître le découpage IRIS des quartiers d’étude sélectionnés. Le tableau annexé à la carte rend compte de quelques données socio-démographiques (population, genre, âge et taille moyenne des ménages) des quartiers d’étude selon leur IRIS (Insee, 2016).

En regardant la synthèse des difficultés sociales à Blois  , on constate que les quartiers d’étude sélectionnés se situent dans un contexte défavorable par rapport au reste de Blois (hors ZUP et Quinière). En effet, les habitants des quartiers Hautes Saules et Quinière ont un revenu médian faible, un taux de pauvreté plus élevé et de nombreuses fragilités sociales dont certaines se renforcent. Les habitants du quartier Croix Chevalier ont un taux de pauvreté très élevé, des indicateurs sociaux défavorables mais quelques signes d’amélioration. Également, on peut noter un taux de chômage (figure 7) deux fois plus élevé (20 %) sur la moyenne des quartiers d’étude par rapport au reste de Blois (10 %). Bien que les trois quartiers d’étude présentent des difficultés sociales, on remarque que le quartier Quinière est celui qui en présente le moins et le quartier Croix Chevalier celui qui en présente le plus.

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Table des matières

REMERCIEMENTS
TABLE DES MATIERES
TABLE DES ILLUSTRATIONS
PRESENTATION DE LA MISSION
INTRODUCTION
1) La crise écologique interroge nos relations au vivant
2) Des perceptions de la nature en ville au sens donné à la nature dans le lieu résidentiel
3) Une conception décorative de la nature dans l’histoire des grands ensembles
PARTIE 1 – MATERIEL ET METHODE
1) Présentation des quartiers d’étude
A – Caractéristiques spatiales
B – Caractéristiques socio-démographiques
2) Outils méthodologiques
A – Les entretiens courts auprès des habitants
B – Les observations des usages faits des lieux résidentiels collectifs
C – Les entretiens longs auprès des agents d’entretien et gardiens d’immeuble
PARTIE 2 – RESULTATS
1) Les entretiens courts auprès des habitants
A – Part des lieux de nature dans les lieux fréquentés
B – Part de la nature dans le sens donné au lieu résidentiel collectif
C – Sens donné aux animaux et à la végétation et propension d’évolution vers un lieu plus naturel
2) Les observations des usages faits des lieux résidentiels collectifs
3) Les entretiens longs auprès des agents d’entretien et gardiens d’immeuble
A – Tableau de synthèse des différents acteurs rencontrés sur les lieux résidentiels collectifs
B – Schéma des interactions entre acteurs
PARTIE 3 – DISCUSSION
1) L’expérience de la nature comme moyen de faire évoluer les perceptions des lieux
résidentiels collectifs
2) La participation comme moyen de faire évoluer les perceptions des lieux résidentiels collectifs
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES

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