Le sens de l’action, la théorie de la rationalité ordinaire de Raymond Boudon

Le sens de l’action, la théorie de la rationalité ordinaire de Raymond Boudon 

« Les insuffisances de la conception instrumentaliste de la rationalité ont une conséquence redoutable : elles encouragent une vision éclectique de l’action sociale. Puisque, selon cette conception, les objectifs, les croyances et les valeurs de l’être humain échappent à la rationalité, ou bien il faut les tenir pour des données de fait, ou bien il faut admettre que les objectifs, les croyances et les valeurs de l’être humain sont l’effet de forces irrationnelles, de nature psychologique, biologique, sociale ou culturelle. » Raymond Boudon (2010)

C’est avec la question du SENS que nous nous permettons d’aborder les travaux de Raymond Boudon., mais selon lui c’est bien ce qui fait SENS pour l’individu qui va le pousser à agir. Autrement dit, l’individu agit parce qu’il a ses raisons, l’individu attribue ses propres significations à ses actes. Ce postulat laisse ainsi supposer que toutes les actions peuvent être expliquées, sous réserve de saisir les raisons qui les ont motivées. Inspiré par Max Weber, et à contresens des sociologues de son époque (Assogba 1999), Raymond Boudon met la lumière sur l’individu comme acteur social, l’individu comme unité élémentaire de l’analyse sociologique (Lécuyer 1988). Raymond Boudon se démarque donc d’une conception holiste de la société qui surplomberait les individus, comme dans les théories marxistes ou culturalistes, par exemple.

L’individualisme méthodologique de Raymond Boudon 

L’individualisme méthodologique peut se définir de manière simple, il s’agit d’un paradigme selon lequel tous les phénomènes collectifs n’existent et ne peuvent être décrits qu’en fonction des logiques individuelles qui les composent (Boudon 1998).

« Le terme d’individualisme méthodologique apparait en 1871 chez Karl Menger (économiste autrichien néo- classique), et il a été repris par Joseph Schumpeter (économiste situé à la frontière entre l’école classique et néo- classique) dans le domaine de la sociologie. Cette expression est le point de départ de l’approche compréhensive de Max Weber. En cherchant à̀ comprendre la « relativité́ significative des comportements » (Julien Freund), le grand penseur allemand met, en fait, l’individu à la base de sa sociologie. » (Vultur 1997)

Mettant en avant ce concept, dans la tradition de Max Weber (Eldridge 1971), Raymond Boudon explique l’action collective comme un agrégat d’intentions individuelles. La sociologie de Raymond Boudon ne s’intéresse pour autant pas à la personne individuellement, mais à des typologies de personnes qui partagent des caractéristiques communes. Ainsi, selon Raymond Boudon, « les phénomènes sociaux ne peuvent se comprendre qu’en prenant en considération, d’abord, les logiques individuelles » (Damon 2008). Pour Raymond Boudon c’est donc la rationalité de l’individu, et notamment ses croyances, qui est centrale dans l’analyse sociologique.

C’est une question de Raymond Aron qui poussa Raymond Boudon à étudier le rapport entre rationalité et croyances. Raymond Aron demanda donc : « pouvez-vous expliquer les croyances collectives selon les principes de l’individualisme méthodologique ? » (Gerald Bronner 2010). Pour répondre à cette question, Raymond Boudon publie L’idéologie ou L’origine des idées reçues (1986) dans lequel il critique, entre autres, les approches des croyances qu’il qualifie d’irrationalistes de Marx et Pareto et celle de Foucault à qui il reproche un manque de rigueur logique. Il les qualifie d’irrationnelles dans la mesure où ces approches s’intéressent davantage à des raisons extérieures à l’individu, qui le transcendent et le surdéterminent. Il met au centre de sa réflexion le comportement rationnel de l’individu, même si cette rationalité est centrée sur des croyances : la rationalité axiologique.

La notion de rationalité axiologique apparaît d’abord chez Max Weber (1971) « dans la célèbre typologie qui distingue les actions inspirées respectivement par la rationalité instrumentale, ́ par la rationalité́ axiologique, par la tradition et par l’affectivité. » (Boudon 1999a). Boudon corrige les mauvaises interprétations de la théorie de Weber qui font de la rationalité axiologique une sorte de conformité à des croyances collectives. Or, selon Boudon, Weber n’utilise pas le terme de conformité, mais bien celui de rationalité (Boudon 1999a). Pour Weber, rationalité axiologique et rationalité instrumentale sont d’égale importance et sont même complémentaires pour comprendre et expliquer les actions des individus. La rationalité axiologique renvoie aux croyances normatives et aux valeurs des individus, tandis que la rationalité en finalité, puisque Weber n’utilise pas directement la notion de rationalité instrumentale, renvoie à ses intérêts. Comme nous l’avons évoqué dans l’introduction, Castoriadis montre justement que la notion de rationalité en fins devrait davantage être nommée « rationalité en moyens eu égard aux fins » (Castoriadis 1988). Boudon, prolongeant les thèses de Weber, montre que la théorie compréhensive du sociologue allemand repose sur le fait que les actions des individus sont profondément rationnelles et donc explicables, mais que cette compréhension dépend de la place de l’observateur.

« Les causes des actions, des attitudes ou des croyances d’un ensemble d’individus résident dans leur sens [signification] pour chacun d’entre eux pris individuellement » (Boudon 1999a)

Pour Boudon l’individu agit donc parce qu’il a ses raisons (Boudon 2003), il agit en fonction de ses croyances, qu’elles soient justes ou fausses (Boudon 2014). Et les croyances ne se trouvent pas que dans la vie ordinaire, les sciences humaines en sont pleines. L’intérêt des sciences ne tient pas à leur réalisme, à leur capacité à décrire la réalité, mais à la façon qu’elles ont de donner des raisons de croire aux individus (Boudon 2014), à la façon dont les individus les utilisent pour construire des significations à leurs actes. Même si ces significations sont parfois difficiles à interpréter et que les acteurs, eux-mêmes peuvent peiner à en avoir conscience (Girin 2017a). A ce titre, selon Raymond Boudon, les sciences ne sont pas plus légitimes à décrire la réalité que les mythes. Il focalise l’attention non sur la technique ou la légitimité mais sur la raison de croire de l’individu.

La rationalité chez Raymond Boudon 

Comme nous l’avons évoqué dans l’introduction, Thibault le Texier, dans son ouvrage « Le maniement des hommes, essai sur la rationalité managériale » prétend que la rationalité managériale domine désormais les entreprises mais aussi les services publics et toute la société. La rationalité managériale, selon lui est cette façon de penser l’action du gestionnaire comme un ensemble action visant à «organiser, contrôler et optimiser des ressources humaines » (Le Texier 2016). Selon lui, la rationalité managériale n’est pas seulement l’applications de normes ou de best practices comme pour d’autres auteurs (d’Iribarne 2002), mais ce serait davantage l’application de modes de rationalité dominant dans la société, notamment des modèles productivistes inspirés directement de Taylor et de son management scientifique. Selon Le Texier, le managérialisme se répand ainsi dans toutes les sphères de la société, et les acteurs manageurs et managés intériorisent ces principes de pensée. L’hégémonie de la pensée managériale conditionnerait jusqu’à la décision individuelle des acteurs. Cette théorie s’oppose frontalement à l’approche de la rationalité portée par Raymond Boudon.

Tout au long de son œuvre, Raymond Boudon a tenté de construire une théorie de la rationalité qui soit moins radicale que les théories extrêmes niant la rationalité des acteurs d’un côté, qu’il dénomme les Modèles présumant une Causalité exclusivement Matérielle (MCM) et la théorie du choix rationnel (TCR) de l’autre pour laquelle l’individu sait tout et peut tout (Boudon 2003). Il résume ainsi les différentes théories par une typologie de postulats ou paradigmes qui ne peuvent exister que dans le cadre d’une sociologie scientifique .

« Il est évident que l’analyse sociologique ne peut se contenter de la théorie de la rationalité développée dans le sillage de l’économie classique et qui se réduit à une vision étroite de la rationalité instrumentale. La rationalité postulée par Boudon est une rationalité située qui tient compte des ressources de l’acteur et des contraintes structurelles de l’action. »(Vultur 1997) .

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Table des matières

Introduction générale
Partie 1 – Revue de littérature
Chapitre 1 – Le sens de l’action, la théorie de la rationalité ordinaire de Raymond Boudon
L’individualisme méthodologique de Raymond Boudon
La rationalité chez Raymond Boudon
Conclusion du chapitre
Chapitre 2 – Organisations et institutions, le SENS de l’action collective
Introduction
De l’organisation à l’institution
Institutionnalisation : de l’instituant à l’institué
Conclusion du chapitre
Chapitre 3 : Les outils de gestion
Introduction
Outils, instruments et dispositifs
L’outil et l’organisation
Les outils et le politique
L’outil organise et désorganise
Conclusion du chapitre
Partie 2 – Matériau
Chapitre 4 : Méthodologie
Notre rôle au fil de la recherche-action
Entrer dans l’organisation par l’outil
Les Disability Studies ou la considération d’une valeur équivalente au discours
de tous les acteurs
Phasage de la recherche et associations étudiées
Conclusion du chapitre
Chapitre 5 : L’outil et la notion de besoin
Introduction
L’outil ObServeur, un outil et des besoins
Performance, Impact social et notion de besoin
La notion de besoin
Conclusion du chapitre
Chapitre 6 : Phase 1, le projet piloté par l’Unapei
Introduction
L’association qui a créé l’outil
Le changement de niveau de l’outil, le passage au national
L’expérience lorraine
Conclusion du chapitre
Chapitre 7 : Phase 2, le projet piloté par l’association ObServeur
Introduction
Description de la V2 de l’outil ObServeur
La production des statistiques
L’interopérabilité au centre des préoccupations des acteurs
Conclusion du chapitre
Chapitre 8 : Difficultés et problèmes rencontrés avec la version 2 de l’outil
Introduction
La révélation des difficultés
L’évolution des fonctionnalités entre les versions 1 et 2
Problèmes de communication et bugs
L’évolution de la production de données
Conclusion du chapitre
Chapitre 9 : L’outil en situation
Introduction
La découverte et l’appropriation de l’outil
La formation des utilisateurs
La réunion de synthèse ou de projet
Conclusion du chapitre
Chapitre 10 : Une typologie des besoins comme croyances
Introduction
C1 : le besoin défini par le savoir des experts
C2 : le besoin déterminé par l’offre de service de l’établissement
C3 : le besoin défini par l’individu considéré comme consommateur
C4 : le besoin comme attente de la personne, défini par l’individu
Conclusion du chapitre
Chapitre 11: Synthèse et analyse des résultats
Introduction
La domination d’une logique besoins/objectifs/moyens
Externalisation de la rationalité des dirigeants
Standardisation de l’action collective
Conclusion du chapitre
Partie 3 : Discussion
Chapitre 12 : Croyances et rationalité, de l’intérêt de penser la gestion avec Boudon
Les croyances des gestionnaires
Les limites du paradigme de l’individualisme méthodologique
Chapitre 13 : Le processus d’institution, une construction du SENS
Les mécanismes de l’institution
La désinstitutionnalisation comme moteur de l’organisation
Chapitre 14 : L’outil et la plateformisation des organisations
Un outil de désinstitutionnalisation
Découplage et standardisation de l’action collective
Chapitre 15 : Technique et rationalité
La technologie et la personnification des organisations
L’outil et le discours managérial autocentré
Conclusion générale

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