Pour un foyer français, recevoir un colis n’est plus un évènement exceptionnel, c’est une commodité. Les volumes de colis échangés, transportés et distribués en France ne cessent d’augmenter depuis une quinzaine d’années . Le contexte est très favorable à ce mouvement. A la faveur du développement et de l’ancrage de nouveaux comportements d’achat, notamment permis par le développement d’Internet depuis le début du XXIe siècle (Barba C., 2011 ; Moati P., 2011 ; Rapport d’information du Sénat, 2012), le colis connaît, en France, une croissance constante et soutenue de ses volumes qui ne semble pas vouloir faiblir dans les années à venir, même si, pour certains observateurs, le e-commerce aurait tout récemment atteint une certaine maturité. La « nouvelle révolution commerciale » qui remodèle la distribution (Moati P., 2011), la pérennisation d’organisations logistiques industrielles et commerciales reposant sur la réduction des stocks, les flux tendus et un fractionnement des envois (Savy M., Burnham J., 2013), l’urbanisation continue de la population hexagonale et la croissance économique des zones urbaines ou encore les avancées technologiques dans les transports et les systèmes d’informations sont autant d’éléments, parmi un faisceau d’aiguillons encore plus large, qui participent de l’environnement favorable au développement d’une demande de biens et de services et plus spécifiquement de service de transport de marchandises, dont le colis.
Par ailleurs, dans un contexte de crise économique, le colis, et notamment le colis à destination des particuliers dans le cadre du commerce business to consumer (B2C), apparaît pour les professionnels du transport comme un relais de croissance face à la contraction des volumes de marchandises échangés. Le colis est un marché très concurrentiel pour les acteurs du transport et de la messagerie. Nous assistons alors à des recompositions très rapides du jeu des acteurs du transport autour des enjeux de la distribution de colis, mouvements qui contribuent à structurer un segment du colis spécifique au sein de la messagerie traditionnelle. Ce segment est également un creuset d’innovations car les éléments de contexte déjà cités plus haut agissent comme des vecteurs d’innovation en matière d’organisations logistiques et de services pour permettre aux professionnels du transport et de la distribution de s’adapter à l’évolution des volumes de colis, à la multiplication et à la fragmentation des livraisons, et de satisfaire les besoins mouvants des chargeurs et des clients finaux (particuliers-ménages, commerces, artisans, administrations, entreprises, services, etc.) en matière de livraison.
Le segment de la distribution urbaine de colis, une activité urbaine clé en profonde mutation
Le segment du colis et la distribution urbaine de colis, des enjeux importants mais encore mal connus
La distribution de colis est une activité économique clé pour la vitalité d’un territoire urbain de par sa contribution à l’approvisionnement des fonctions urbaines et des ménages . Pourtant le colis comme objet logistique et transport est actuellement peu étudié par la recherche et notamment peu pris en compte en détail par les recherches en logistique urbaine, alors même que ce champ est en plein essor .
Le marché du colis et la distribution urbaine de colis, des enjeux économiques et logistiques majeurs
Définition de l’objet colis et description de la chaîne logistique du colis
Le colis, un objet essentiel de la logistique contemporaine
L’objet de notre étude est le colis léger ou petit colis, marchandise, fret et contenant logistique. Nous ne nous intéresserons pas à son contenu qui peut être très divers.
Pour différencier les différents objets du fret, plusieurs critères peuvent être utilisés: le poids, la nature de la marchandise et son conditionnement, la qualité de service, etc. (Savy M., 2006a). Considérant la définition par le poids maximal du colis léger proposée par l’ARCEP (Autorité de Régulation des Communications Electroniques et des Postes), un colis unitaire léger ne doit pas excéder 30 kg. Cette limite est associée au poids qu’un homme seul peut manipuler. La Commission européenne entend par colis « tout article pesant jusqu’à 30 kilogrammes », faisant référence également au critère de maniabilité (Commission Européenne, 2012). En France, le colis se différencie du courrier dont le poids est compris entre 0 et 2 kg. Mais il est compris dans les termes mail ou postal des anglo-saxons qui recouvrent aussi bien les lettres et autres paquets. Il est également différent du colis lourd ou de la palette – qui regroupe plusieurs colis – de la messagerie traditionnelle qui sont compris entre 30 et 500kg (Beyer, A., 1999). Colis ou palette sont inclus dans le terme générique de messagerie (parcel en anglais) qui renvoie à plusieurs envois de taille inférieure à la capacité unitaire d’un véhicule (less than truck load) (Savy M., Burnham J., 2013).
Le colis est devenu un contenant central des chaînes logistiques, quelles que soient leurs natures. En effet, c’est un contenant innovant ou qui rend possible l’innovation. Il permet de baisser les contraintes opérationnelles en requérant moins de moyens lourds de manutention ou de transport. Standardisé, il permet d’adapter les outils logistiques, d’industrialiser son traitement et de transporter « n’importe quoi », sous certaines conditions toutefois. Il multiplie d’autant les destinataires possibles.
Le colis léger est associé à la messagerie postale (des Postes) et à la messagerie légère par opposition à une messagerie dite lourde ou traditionnelle. La littérature fait état de plusieurs segmentations de la messagerie – messagerie traditionnelle ou économique, rapide et express ; monocolis ou multicolis ; lourde ou légère – selon que sont utilisés des critères de poids des envois, de vitesse de transport, de distance, de niveaux de service, etc. (Branche F., 2006 ; Durrande Moreau A. et Erhel D., 2008 ; Savy M., 2006a ; Dupeyron M., 2000 ; Beyer, A., 1999) (figure 2). « Il n’existe pas une mais des messageries » (Beyer, A., 1999, 48) dont les différences peuvent s’expliquer notamment par les contraintes d’exploitation liées à la nature de l’envoi. Les différents services logistiques du colis peuvent également varier selon le territoire desservi, la vitesse d’acheminement, la taille de l’objet, etc. (Savy M., Burnham J., 2013). La segmentation la plus courante s’agissant du colis léger entre messagerie rapide et express, selon le niveau de service et la vitesse d’acheminement, permet de distinguer le colis express du colis ordinaire (figure 2). Le premier est défini en France par l’ARCEP par son appartenance à la messagerie express, caractérisée par des délais garantis de livraison, égaux ou inférieurs à un jour pour l’express (J, J+1) et des heures de livraison. Par opposition, le colis ordinaire ou hors express est livré dans des délais plus larges, souvent supérieurs à un jour pour le colis hors express (J+1, J+2). L’Autorité ajoute un critère ayant trait à la nature du récepteur : envoi interentreprises pour le colis express – B2B (business to business) – et à destination des particuliers pour lecolis ordinaire – B2C –. Toutefois, ce dernier critère n’est plus aussi différenciant, car les frontières entre ces deux types de colis et de messageries tendent à disparaître (Beyer, A., 1999 ; Savy M., 2006a). Les profils des colis B2B et B2C s’homogénéisent et l’offre de messagerie des transporteurs et prestataires de la distribution convergent de manière à répondre aux exigences de plus en plus similaires des chargeurs et des particuliers en matière de vitesse et de qualité de service.
Eléments de compréhension de la chaîne logistique du colis léger
La chaîne de production, consommation et fin de vie d’un bien est soutenue par des chaînes logistiques se déployant à plusieurs échelles : mondiale, régionale, et locale. La (ou les) supply chain(s) du colis est l’une d’elles. Les maillons initiaux et terminaux de ces chaînes logistiques prennent souvent place dans la ville ou dans une zone urbaine, lieu de production, lieu de vente et zone de consommation des objets transportés . Il est alors possible de parler de transport de marchandises en ville, de fret urbain ou de logistique urbaine pour ce maillon.
L’organisation logistique de la messagerie de colis repose d’abord sur sa fonction première, le transport, process industriel qui a pour but de déplacer un produit d’un point A, son origine, vers un point B, sa destination (Savy M., 2006a). Le mode routier reste le principal mode utilisé par le transport et la distribution de colis. Elle est marquée par plusieurs éléments : une ramasse, un groupage (massification) et dégroupage des envois avec une rupture de charge et un changement de véhicule. La structure de son réseau est souvent en hub and spokes (Savy M., 2006a) .
La distribution urbaine de colis : des enjeux importants pour la ville
L’omniprésence du colis dans la ville
C’est précisément le maillon urbain de la chaîne logistique du colis qui intéresse notre réflexion, maillon que nous appelons distribution urbaine de colis (légers) étant entendu que livraison et enlèvement sont contenus dans le terme distribution. L’appréhension du colis dans toutes ses dimensions logistiques dans la ville est complexe et la recherche l’a peu étudiée en détail.
Les flux de colis sont une composante essentielle et toujours plus importante du transport de marchandises en ville. Le transport de marchandises en ville, dans une définition large permettant d’en appréhender la complexité et la pluralité des supply chains, considère les déplacements d’objets, de biens et matériaux dans, vers, depuis, au travers d’un espace urbain (Ogden KW., 1992 ; Routhier JL., Dufour JG., Patier D., 2006). Le Laboratoire d’Economie des Transports de Lyon (LET) a identifié cent cinquante chaînes logistiques différentes dans les villes européennes (DRAST, LET, 2000). A chaque secteur économique de la ville est associée une supply chain spécifique. Le chiffre pourrait encore être abondé car le transport est divisé entre compte d’autrui (externalisé à une entreprise de transport et logistique dont les processus vont être relativement standardisés) et compte propre (livraison réalisée en moyen propre par l’expéditeur ou le destinataire). Plusieurs typologies des chaînes logistiques, plus ou moins larges et agrégées, ont été proposées par la recherche française (DRAST, LET, 2000 ; PatierMarque, 2002; Routhier JL., Dufour JG., Patier D., 2006, etc.). Dablanc a élargi ces typologies aux villes des pays en voie de développement (Dablanc L., 2009) et des typologies ont été proposées à l’étranger (Ogden KW., 1992 ; Allen J., Anderson S., Browne M., Jones P., 2000, etc.).
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
PARTIE 1. LE SEGMENT DE LA DISTRIBUTION URBAINE DE COLIS, UNE ACTIVITE URBAINE CLE EN PROFONDE MUTATION
CHAPITRE 1. LE SEGMENT DU COLIS ET LA DISTRIBUTION URBAINE DE COLIS, DES ENJEUX IMPORTANTS MAIS ENCORE MAL CONNUS
CHAPITRE 2. LE SEGMENT DE LA DISTRIBUTION DE COLIS EN VILLE : DES FAMILLES D’ACTEURS EN RECOMPOSITION RAPIDE
CHAPITRE 3. LES STRATEGIES ET ORGANISATIONS LOGISTIQUES DES ACTEURS DE LA DISTRIBUTION DE COLIS EN VILLE : ADAPTATION, INNOVATION ET DURABILITE
CONCLUSION INTERMEDIAIRE –PARTIE 1 – ET TRANSITION
PARTIE 2. COMPRENDRE LA DISTRIBUTION DE COLIS DANS SON CONTEXTE URBAIN : LES INTERRELATIONS ENTRE LE TERRITOIRE URBAIN ET LA DISTRIBUTION ET LEURS EFFETS
CHAPITRE 4. METTRE AU JOUR ET COMPRENDRE L’INFLUENCE DU TERRITOIRE SUR LA LIVRAISON URBAINE POUR AMELIORER LA DISTRIBUTION EN VILLE
PREAMBULE AUX CHAPITRES 5 ET 6
CHAPITRE 5. QUAND L’ORGANISATION SPATIALE DU TERRITOIRE INFLUENCE LA DISTRIBUTION URBAINE
CHAPITRE 6 QUAND LA GOUVERNANCE DU TERRITOIRE INFLUENCE LA LIVRAISON URBAINE
CONCLUSION INTERMEDIAIRE –PARTIE 2 – ET TRANSITION
PARTIE 3. ESQUISSE D’UNE MODELISATION DU LIEN ENTRE SYSTEME TERRITORIAL ET LOGISTIQUE URBAINE : ADAPTER OFFRE, ORGANISATION LOGISTIQUE ET GESTION DU FRET URBAIN AUX TERRITOIRES
CHAPITRE 7. MODELISER LE SYSTEME TERRITORIAL POUR COMPRENDRE ET AMELIORER SON ORGANISATION LOGISTIQUE : UNE DEMARCHE INNOVANTE
CHAPITRE 8. LES RESULTATS ET LES LIMITES DE L’ESSAI DE MODELISATION ET DE LA CONSTRUCTION DE L’OUTIL D’AIDE A LA DECISION
CONCLUSION GENERALE
TABLE DES MATIERES
TABLE DES ILLUSTRATIONS
LISTE DE REFERENCES ET BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES