Le rural comme culture : d’hier à aujourd’hui, états des lieux et représentation

 Définition et perspectives socio-historiques 

Après des siècles où la ruralité était le contexte de vie d’une majorité de français , la morphologie du territoire français a beaucoup évolué. Et ces évolutions nous obligent à mettre en perspective notre objet pour le comprendre plus en détail.

Qu’est-ce que le rural ? 

Avant de rentrer dans notre analyse, il convient de poser une définition à ce qu’on entend par rural. L’idée de ruralité est complexe à cadrer car elle se trouve au carrefour de nombreux prismes de lecture. Si nous prenons une définition formelle et littérale, la ruralité serait “ce qui appartient au champ et à la campagne” . Cette définition, relativement commune, lie directement la ruralité à sa réalité topologique. On parle ici d’un lieu. Si le topos est un élément important, on ne peut pas se satisfaire de cette seule perspective car elle ne nous donne qu’une vision partielle de ce à quoi le rural peut faire référence.

La définition donnée par le Sénat – institution majeure dans le système politique français – nous permet déjà d’élargir notre horizon. Pour cette institution, la ruralité “se caractérise par une densité de population relativement faible, par un paysage à couverture végétale prépondérante (champs, prairies, forêts, autres espaces naturels), par une activité agricole relativement importante, du moins par les surfaces qu’elle occupe.” Outre le topos – évidemment présent – cette définition nous renseigne sur le fait qu’une population y vit et qu’une économie s’y implante (l’agriculture). Nous commençons déjà à avoir quelques éléments intéressants. La ruralité n’est pas uniquement un lieu – mais un espace dynamique où évoluent des individus et où se déploie une vie économique. Mais là encore, cette définition est quelque peu sèche et prosaïque et ne nous permet pas de définir avec suffisamment de précision notre objet d’étude.

Prenons maintenant une définition plus spécifique – celle de géographes. La publication lyonnaise GéoConfluences – empruntant aux travaux de Jean-Benoît Gourron et Pierre-Marie Georges – définit la ruralité comme étant “l’ensemble des représentations collectives associées à la vie dans les espaces ruraux.” Cette définition complète bien les précédentes en tant qu’elle amène une dimension anthropologique intéressante. D’une part il est fait état de la “vie” dans les espaces ruraux. Au-delà d’un lieu et d’une économie, c’est bien d’une vie dont on parle avec toutes les composantes qu’elle implique : sociale, politique, culturelle. D’autre part, est abordée ici la notion de “représentations collectives”. Cette idée nous est précieuse parce que la représentation est forcément construite par des images et des discours. La ruralité n’est donc pas un entité ou un concept totalement autonome – elle existe en partie pour elle même mais également parce qu’elle est représentée. Et ces représentations se construisent à force de médiations (et de circulation).

C’est au carrefour de ces différentes définitions que nous allons considérer notre objet. La ruralité est à la fois une réalité matérielle en tant que lieu et système économique, politique et sociale mais également l’agglomérat de représentations collectives construites par des processus de médiation.

La population rurale – de la fluctuation à la marginalisation

Pour comprendre de quelles évolutions de perception la ruralité a fait l’objet, il convient de se pencher sur les fluctuations que sa population a connues. La première révolution industrielle – s’étalant de 1780 à 1810 – a vu émerger de nouvelles techniques, notamment la machine à vapeur . De ces innovations ont découlé les grandes vagues d’industrialisation et petit à petit la constitution d’un tissu industriel fort autour des grandes villes. La hausse de la productivité agricole – due en partie à ces nouvelles techniques de production – a peu à peu et assez logiquement conduit à une baisse du besoin en main d’oeuvre dans les exploitations agricoles. C’est le début de l’ exode rural. La jeunesse rurale quitte la campagne pour chercher du travail dans les nouveaux eldorados industriels – le bassin parisien, la Picardie, la vallée du Rhône. Cette décroissance des populations rurales a été mesurée – et on observe effectivement une érosion importante tout au long du XIXème siècle ainsi que durant la première moitié du XXème siècle. On estime qu’entre 1840 et 1850, 27,3 millions de français vivaient en zone rurale sur une population totale de 36,4 millions de personnes .  Cet exode dure selon l’historienne Marie-Claude Georges jusqu’au début des années 1970. En 1975, au plus bas, la population rurale en France ne pèse plus que 14 millions de personnes contre 38 millions pour les zones urbaines . Mais c’est à cette époque qu’un nouveau phénomène commence à s’observer. La forte urbanisation a amené les villes à s’étendre et l’extension des “grandes banlieues” se met en place. L’étalement progressif des zones urbaines sur l’espace rural mène à la création d’un nouvel espace : les zones péri-urbaines, ou périphériques. La population dite “rurale” croît à nouveau. Mais cette redynamisation des zones rurales ne constitue pas pour autant un renouveau de la ruralité telle qu’elle était au début du XIXème siècle.

Acculée par l’étalement des populations urbaines sur leur habitat, la population rurale se trouve mise en marge de son propre territoire. Et la question de son statut anthropologique se pose – qu’est-ce qui est rural et qu’est-ce qui ne l’est pas ? Quel statut pour les zones rurales ? C’est le début d’une forme de marginalisation du rural – qui se caractérise non par une déviance directe comme on peut l’entendre chez Howard Becker – à savoir l’étiquetage d’un comportement comme déviant d’un système normatif – mais plutôt comme l’avancée ou la compression du système normatif urbain sur celui de la ruralité – habitudes de consommation, rapport à la nature… Les populations rurales ne sont pas directement mises à l’écart, ce sont les populations urbaines qui, prenant toujours plus de place, les acculent et les mettent peu à peu sur la touche.

La figure du paysan comme incarnation d’une ruralité marginalisée 

Si cette marginalisation des populations rurales sous l’effet de l’extension des zones périurbaines s’observe depuis les années 1960-1970, la “ mise à l’écart ” des habitants des campagnes n’est pas un phénomène aussi récent. La révolution française – qui fût bien plus bourgeoise que paysanne même si les paysans y ont grandement contribué notamment lors de la Grande Peur ou bien encore lors de la marche des femmes des 5 et 6 octobre 1789 où des paysannes ont ramené le roi Louis XVI de Versailles à Paris – constitue un point de bascule intéressant dans les représentations du monde rural. En effet, alors que cette révolution était censée redonner au peuple – paysan et travailleur – son prestige et son statut, c’est étonnement après la Révolution que ces discours se sont raffermis. Glorifiant et protégeant le paysan à la Convention, le Montagnard Lequinio se disait “sensible à la misère de la paysannerie” et s’était maintes fois positionné en leur faveur . Mais une fois les émois de la Révolution passés et une fois entrée dans l’ère industrielle, la bourgeoisie – tout comme l’aristocratie – se mit à médire à l’égard de ceux qui l’avaient durement aidée.

Balzac, dans son roman posthume “les Paysans” écrit en 1844 et publié en 1855, en dresse un portrait terrifiant – les accusant de tous les vices possibles ; les paysans de la-Ville-aux-Fayes sont décrits comme alcooliques, violents, voleurs et incultes. Dressant un tel portrait du paysan français, Balzac participe à la construction d’un imaginaire du paysan plutôt péjoratif – qui sera d’ailleurs alimenté par d’autres. On peut noter les saillies du diplomate et écrivain Arthur de Gobineau dont voici un extrait :

“Il en va de ces masses de paysans comme de certains sauvages : au premier abord on les juge irréfléchissantes et à demi brutes parce que l’extérieur est humble et effacé, puis on constate que cette antipathie est volontaire. Ils ne sont pas méchants, mais ils se regardent comme d’une autre espèce.”

En décrivant clairement le paysan comme une “ espèce” différente, Gobineau nourrit de ces paroles les représentations du paysan. Il n’est plus uniquement bête et violent comme le dit Balzac – ce qui constitue une marginalisation en soi – mais il n’est pas “comme nous”, sa nature est différente. Il n’est pas mauvais car il n’est pas homme – le paysan est considéré comme un “Autre”. Et si cette considération ethno différentialiste n’était évidemment pas partagée par toute l’opinion de l’époque, elle illustre le statut et l’image que pouvait avoir le paysan au XIXème siècle.

Il est d’ailleurs intéressant de constater que, si ces discours peuvent paraître exagérés voir même délirants, ils ont pu avoir un rôle relativement structurant dans les représentations du paysan. Bien après l’époque de Gobineau et Balzac, Raymond Depardon témoigne dans son livre “Paysans” de la puissance de ces représentations ainsi que des complexes que cela pouvait construire chez l’enfant qu’il était : “Je sais que j’ai eu la chance de vivre mon enfance dans une ferme ! Plus tard, j’ai vécu cela aussi comme un complexe : nous étions, mon frère et moi, les seuls fils d’agriculteurs à l’école. Combien de fois je me suis bagarré dans la cour parce qu’on m’avait traité de “paysan”

Ces représentations d’une ruralité à la marge ont la dent dure – et cette figure du paysan, si durement construite au XIXème siècle, reste encore aujourd’hui puissante et ancrée.

Transition :
Nous avons maintenant une idée plus claire de ce que nous entendrons ici comme étant “rural” ou “paysan”. Cette mise en perspective, à la fois historique, sociale et sémiotique, de la “ruralité” nous permet de la considérer dans son évolution et d’en apprécier les atours – parfois peu glorieux. Pour comprendre ce qu’est la ruralité, il convient d’analyser en détail celles qui l’incarne : les populations rurales. Si il est clair qu’elles ont beaucoup changé en quelques décennies, le “paysan”- et nous venons d’en discuter – reste la figure de proue du monde rural. Nous travaillerons donc dans la prochaine partie à définir qui est ce “paysan” – et quels symboles véhicule-t-il aujourd’hui, au-delà de l’image péjorative dépeinte plus haut.

Le “paysan” : entre “bon sens” et connaissance de son topos – ébauche d’un “mythe” rura

Au-delà d’une certaine marginalité, le paysan représente un certain nombre de symboles forts qu’il convient de rappeler. Ce travail de formalisation d’un “mythe” paysan n’est bien sûr pas exhaustif mais s’inscrit à la fois dans un contexte particulier – celui de notre mémoire – et nous servira de base pour la suite de l’exercice.

Le bon sens paysan – la simplicité comme expression d’une identité singulière

“Quelle race merveilleuse que ces paysans de France, si pleine d’endurance, de courage et de bon sens ! Sous la casaque du soldat ou derrière la charrue, rien ne l’abat, rien ne l’arrête. Sa récolte est-elle détruite par la tempête ? Il reprend dès le lendemain sa tâche accoutumée avec sérénité. Sa Patrie lui demande-t-elle le sacrifice de sa vie ? Il marche à la mort avec simplicité.”

Louis Delalande, président de l’Union Centrale des Syndicats Agricoles – IXème congrès de Nice – 1913

Le langage est un élément important dans la construction symbolique des représentations. Ludwig Wittgenstein disait que “les frontières de mon langage sont les frontières de mon monde” . Le langage cadre nos perceptions, car c’est en un sens lui qui permet de nous exprimer – et finalement d’être au monde. Il en va de même pour nos pairs : les frontières de ma compréhension d’autrui s’arrête à l’appréciation que j’ai de son langage. Concernant le paysan, nous n’allons discuter des accents ou des patois – quoique cela puisse être passionnant. Dans notre volonté de comprendre la ruralité comme un ensemble cohérent d’éléments signifiants, nous allons étudier le langage en faisant fi des spécificités régionales (entendu qu’il est évident pour nous que le langage d’un gascon ne sera pas le même que celui d’un alsacien). On entend souvent parler dans l’opinion du bon sens paysan. On en parle en sciences de gestion et dans les domaines de stratégie d’entreprises , dans la presse – en particulier sur les sujets énergétiques et agricoles. Mais que signifie réellement ce Bon Sens Paysan dans le champ du langage ? Nous pouvons le considérer comme un usage ordinaire du langage. Ordinaire est ici employé comme un genre de négatif de l’ infra-ordinaire – concept d’Emmanuël Souchier pour définir l’ensemble des signifiants que nous intériorisons au point de ne plus en voir l’existence. Par usage ordinaire, on entend donc un mode d’expression rendant son sens à des mots, des expressions ou des idées que le temps et l’usage participent d’une certaine façon à “invisibiliser”. A la manière d’une “routine enkystée dans les structures profondes de nos mémoires” , nous avons produit des cadres instituants  dans notre rapport au langage qui ont eu pour effet de couper ou de masquer le sens de certains mots. Ainsi, le langage paysan, par sa simplicité, se heurte à ces cadres et agit comme un “rappel” à une réalité plus simple.

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Table des matières

Introduction
I) Le rural comme culture : d’hier à aujourd’hui, états des lieux et représentation
1. Définition et perspectives socio-historiques
a. Qu’est-ce que le rural ?
b. La population rurale – de la fluctuation à la marginalisation
c. La figure du paysan comme incarnation d’une ruralité marginalisée
2. Le “paysan” : entre “bon sens” et connaissance de son topos –
ébauche d’un mythe rural
a. Le bon sens paysan comme expression d’une identité singulière
b. Le paysan et son topos
c. Proposition d’un mythe de la paysannerie
3. La ruralité dans la Cité – entre recherche identitaire et quête de
légitimité
a. Une identité à cheval entre singularité et opposition
b. La légitimité paysanne face au modèle technocratique
II) La culture rurale dans l’espace télévisuel – entre circulation et altération
1. L’exposition médiatique de la culture rurale ou la projection d’une
réalité partielle : le cas de l’émission L’Amour est dans le pré
a. L’Amour est dans le pré : une approche “ruraliste”
b. Les mécaniques narratives comme ancrage éditorial de l’émission
c. La construction d’une hétérotopie du rural
2. L’appropriation et l’altération de la culture rurale : le retour
d’Intervilles sans les vachettes
a. Intervilles : qu’est-ce que c’est ?
b. La reprise d’Intervilles en 2021 : le problème des vachettes
c. La trivialité face à l’éthique
III) Ruralité et Internet – analyse de la circulation de la culture rurale dans un espace médiatique socionumérique
1. Le mème : une production culturelle
particulière
a. Internet et les médias socionumériques : un écosystème propice
aux expressions culturelles et identitaires
b. Le mème : définition et limites
c. Le mème comme production culturelle particulière
2. Mèmes Décentralisés : un regard particulier sur le monde rural
a. Présentation de la page et positionnement de l’administrateur
b. L’humour comme outil de mise en lumière de la
ruralité
c. Gouvernance et modération – une vision globale de la ruralité ?
d. Analyse de contenus de Mèmes Décentralisés
3. … Qui se confronte à des enjeux de pouvoir et de régulation
a. Les filtres algorithmiques comme entrave à la liberté éditoriale
b. La circulation dans les communautés ouvertes
Conclusion

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