« Le roman historique : mensonge historique ou vérité romanesque ? » 

Les spécificités du roman historique

Essayer de définir le roman historique n’est pas une mince affaire vu l’étendu du sujet. L’essentiel étant dit, cela permet d’en venir à discuter de ses nombreuses spécificités. Pendant longtemps, et encore aujourd’hui, le roman historique a été et est encore vu comme un mélange de vérité et d’invention. Bertrand Solet , écrivain de littérature pour la jeunesse, intitule même un de ses ouvrages « Le roman historique : invention ou vérité ? ». Il cherche, dans son ouvrage, à nous faire comprendre ce qui a donné naissance à un genre romanesque à part entière en expliquant les défis et les enjeux de ce genre.
Comme je l’ai évoqué plus tôt, le roman historique connait un certain succès du fait qu’il combine les attraits de la fiction et du document, de la littérature et de l’histoire. Ce qu’il propose est forcément plus vivant, plus parlant et évocateur que ce que pourrait proposer un texte ou un document historiographe qui doit répondre à des normes spécifiques, autrement dit vérifiables. Ces techniques propres au romanesque permettent au lecteur de vivre l’histoire comme s’il y était. De plus, les auteurs de ces romans ne vont pas tout inventer d’un bout à l’autre de leur récit. Ils vont s’inspirer de véritables documents historiques, ce qui amène la confusion du genre entre vérité et invention. Comme le ferait un historien, l’écrivain cherche ses sources pour rédiger à son tour.
A l’aide de ce mélange entre la vérité et l’invention, le lecteur peut se faire une idée concrète, si elle n’est pas exacte, une représentation de tel ou tel élément du passé (la cour du roi Louis XIV par exemple, ou encore la manière de vivre des Gallo-romains).
Le roman historique mélange donc également les genres et les formes littéraires. Il ne peut exister seul. Il vit au cœur de divers genres littéraires comme les romans d’aventures, policiers, de science-fiction, initiatiques, épistolaires…etc. Il permet de voir tellement d’éléments en même temps qu’il est facilement exploitable par tous les genres mais aussi toutes les formes culturelles que l’on peut connaitre : le roman, le recueil d’histoires courtes, l’album, la bande-dessinée, les scénarios de films, les séries, les biographies romancées etc… Le genre possède des origines variées où l’Histoire de France est fortement illustrée.
Ces ouvrages concernant l’Histoire de France sont souvent traduits ce qui permet de percevoir une approche européenne voire même mondiale. De plus, toutes les époques sont proposées à travers le récit historique. On trouve notamment des romans s’étendant de la Préhistoire à nos jours. Il s’agit donc d’un support qui offre des approches pour toutes les époques.
De plus, certains chercheurs suggèrent que l’Histoire est une intrigue au sens littéraire du terme. L’histoire raconte, et c’est en racontant qu’elle explique. Paul Veyne dans son ouvrage Comment on écrit l’histoire évoque le rôle de l’historien en affirmant qu’il voit en lui « un narrateur, un romancier du vrai ». L’Histoire n’est autre qu’un récit d’événements. Selon Paul Veyne, les faits possèdent une « organisation naturelle » que l’historien trouve toute faite, et lorsque ce dernier a choisi le sujet qu’il voulait évoquer, fait donc pas revivre les évènements, tout comme le roman. Les historiens vont partager le vécu des hommes d’autrefois à leurs lecteurs mais ce ne sera pas exactement celui des acteurs, étant donné qu’on ne peut pas retranscrire dans l’exactitude le vécu d’autrui. Il s’agit plutôt d’une narration, de cette manière les historiens peuvent éliminer ce qui leur pose problème dans leur exposition des faits, notamment les événements qui n’ont pas laissés de traces ou très peu et qui sont difficilement exploitables.
Une grande variété de moyens est employée pour construire la description des récits historiques. Les auteurs utilisent particulièrement les personnages qui évoluent bien entendu dans une époque distincte de celle des lecteurs. Leurs vêtements, par exemple, répondent à une autre mode, leurs demeures sont également différentes et les objets qu’ils utilisent peuvent aussi être éloignés des nôtres. Le travail de l’auteur va être de guider le plus précisément le lecteur dans ce récit d’autrefois pour que sa compréhension s’active. Le lexique doit également être varié pour étendre la compréhension du lecteur. Il doit apporter la précision nécessaire afin que l’imaginaire s’installe dans la pensée du lecteur, afin qu’il vive l’histoire comme s’il y était, là est l’objectif du roman historique.
Outre la description, les lieux ont aussi un rôle important au sein du récit historique.
Ils apportent une dimension culturelle au lecteur. Il est donc primordial de savoir où se situe ces lieux dans lesquels se déroule le récit, mais aussi savoir à quoi ils ressemblent, ce qui nous ramène à la description indispensable à la compréhension. Le but est que le lecteur puisse situer ces endroits sur une carte, étant donné que le roman historique est basé sur la réalité. La fiction doit nous amener à retracer les pas des figures historiques sur une carte grâce à ses détails et à ses précisions, d’où la confusion de nouveau avec la vérité. Comment peut-on, grâce à la fiction, retracer une part de la réalité, même si là n’est pas l’objectif premier du roman historique ? Voici tout le mystère que nous fait découvrir le roman historique.
Bien évidemment, il ne faut pas oublier l’importance des personnages dans le roman historique. Des figures réelles de l’histoire sont associées aux personnages fictifs dans les récits historiques. Grâce à cette démarche, le lecteur rencontre un personnage historique connu ou bien oublié de la plupart à l’aide du témoignage d’un personnage fictif qui facilitera la narration d’une époque passée et de faits historiques réels. Ces figures fictives sont souvent des servants, des personnages quelconques qui permettent de dépeindre un portrait réel. Bien entendu, il arrive qu’une véritable figure historique ait le rôle principal et le pouvoir de narration mais cela parait moins évident par le fait de ne pouvoir se mettre à la place d’une personne ayant réellement existée, même si cette possibilité n’est pas à exclure.

Les origines du roman historique

Le roman historique a pris son essor au XIXe siècle comme la plupart des formes romanesques. On sait que le genre du roman a souvent puisé dans l’histoire pour avoir matière à créer ses fictions. Cette technique donne un certain prestige au genre et l’amène au plus près du semblable. Dans son article intitulé « Roman Historique », Claude Burgelin , professeur de littérature française à l’université de Lyon, explique qu’à partir du XVIIIe siècle l’histoire commence à être traité comme étant une science. La compréhension de l’histoire entre donc dans certain domaine comme la politique, ou elle devient un moyen d’agir sur les réalités présentes. On peut voir cela avec la Révolution où les hommes prennent conscience d’être « les agents de l’histoire » comme le signale l’auteur dans son article.
On apprend aussi qu’au cours du XIXe siècle, presque tous les romanciers s’essayent au roman historique. Ils utilisent des formes variées mais ils s’appuient tous sur l’histoire, qui certes souvent est placée en toile de fond mais elle est aussi au cœur du récit dans ces romans. On peut citer quelques exemples comme Balzac avec Les chouans, où l’auteur restitue l’esprit d’une époque empli de guerres civiles, Victor Hugo avec Quatrevingt-treize, qui illustre les conflits entre révolutionnaires et monarchistes, Zola avec La débâcle, qui se déroule pendant la guerre franco-allemande et la chute de l’Empire. L’histoire de France est bien présente dans ces récits, c’est pourquoi l’on peut parler de romans historiques même si ce n’était pas le but premier des auteurs de composer dans ce genre romanesque, leur trame choisie fait que ces romans rentrent dans le cadre de ce sujet d’étude et peuvent y être assimilés. Claude Burgelin explique bien dans son article que les auteurs ont une conception de l’histoire et y assignent un but bien diversifié concernant le roman historique, notamment en ajoutant des exemples. On peut citer comme exemple Quatrevingt-treize où Hugo dans son œuvre trouve dans le roman historique un lieu ou faire s’interpénétrer des faits, des idéologies, … et le cadre fictionnel parait plus en adéquation avec la manière de faire de l’auteur, surtout pour en faire ressortir le côté « phénomène révolutionnaire ». On peut comparer le but qu’assigne Hugo au roman historique au but que lui assigne Michelet avec son œuvre Histoire de la Révolution Française. Ce dernier se sert des procédés de dramatisation empruntés à la technique du romanesque pour dire l’histoire, ce qui est le contraire de la démarche de Victor Hugo.
Le roman historique connait son âge d’or au XIXe siècle car c’est la période où les exigences d’analyse réaliste et les constructions utopiques coexistent. Ce genre, qu’est le roman historique, introduit des personnages représentatifs aptes à incarner, à la fois, l’esprit d’une époque, d’une classe, d’un pays, et qui ont d’une certaine manière un pouvoir sur le cours des choses.
En revanche, le roman historique change de statut au moment où s’intensifie la lutte des classes en France. La lutte des classes sera un moteur des transformations des sociétés et de l’histoire moderne, c’est-à-dire « l’histoire écrite ». On peut prendre pour exemple l’œuvre de Flaubert, Salammbô de 1862, qui nous montre que le roman historique qui décrit la rencontre d’individus symboliques et privilégiés avec l’histoire perd du terrain. En effet, dans ce roman, Flaubert prend pour sujet la guerre des Mercenaires qui a eu lieu au III e siècle avant J.C., opposant la ville de Carthage aux mercenaires barbares qu’elle avait employée pendant la première guerre punique. Pour ce roman, l’auteur veut respecter l’histoire connue mais profite aussi qu’on ait peu d’informations pour décrire un Orient à l’exotisme sensuel et violent. Cette manière d’écrire prouve que le roman historique utilise davantage l’Histoire comme un décor de fond et privilégie la fiction afin de plaire au lecteur et de le captiver. L’Histoire est donc souvent tournée à l’avantage de son auteur qui va s’octroyer plus de libertés dès lors ou peu d’informations subsistent. Mais si des auteurs continuent à se référer à l’Histoire, c’est aussi pour dépeindre une vision plus pessimiste des choses. Commence donc à se faire ressentir les inhérences du genre, comme le fait qu’il cède trop sa place à l’imaginaire, qu’il n’est plus crédible et on ajoute également que si ce dernier est centré sur l’explication des faits, il n’est plus un roman. Le fossé commence donc à se creuser entre les partisans purs et durs d’un récit dépeignant une époque de l’Histoire de France et les partisans du roman traditionnel, constitué d’une grande partie de l’imaginaire de son auteur et non influencé d’un bout à l’autre par l’histoire. C’est donc là que va naitre le débat entre historiens, scientifiques de l’histoire et littéraire, romanciers d’une époque.
Au XXe siècle, les propos tenus au sujet du roman historique évoluent encore. Les auteurs prennent de nouveau des directions très divergentes. Dans certains cas, ils racontent les aventures d’individus isolés et écrasés par l’histoire, dans d’autres cas, ils offrent une méditation distanciée sur le cours même de l’histoire. Les directions que peuvent employer les auteurs sont encore très nombreuses. Claude Burgelin, nous apprend également que le roman historique post-moderne, c’est-à-dire le roman qui privilégie le hasard à la technique et emploie la métafiction, qui dévoile ses propres mécanismes par des références explicites, pour affaiblir le contrôle de la voix unique de l’auteur, « remet en question notre attitude face à l’histoire en tant que série d’évènements objectivement décelables ». Il faut donc se méfier en tant que lecteur des sources employées pour créer un tel récit, même si des références explicites nous sont confiées. C’est pourquoi, l’histoire en tant que récit où évoluent des personnages fictifs ou non, devient une source d’interrogations diverses.
Le roman historique se développe donc durant ces siècles tout en étant associé à la littérature populaire qui bien évidemment fait que ce genre se développe, étant accessible à un large public. Les raisons en sont multiples. La bourgeoisie prend le pouvoir et la censure est relâchée, la compréhension de l’histoire devient donc un moyen politique d’agir sur le présent. Le nombre de lecteurs évoluent également, notamment grâce à la loi Guizot de 1833, qui entraîne l’ouverture de 2 275 écoles. La presse s’accroit davantage également et permet de diffuser de nombreuses œuvres. Un goût du concret chez les lecteurs se fait ressentir, que ce soit dans le passé historique ou dans le monde contemporain de l’époque.
Avec l’époque Romantique, au XIXe siècle, on voit naitre le goût du public pour l’Histoire, qui fournit un cadre et une matière aux romans de nombreux auteurs : Dumas, Vigny, Hugo,Balzac…
On peut, bien évidemment, citer un des pionniers du roman historique, qui nous a apporté sa manière de narrer et eu une influence très forte sur les auteurs et la découverte du genre : Walter Scott. Ses romans intéressaient les lecteurs grâce à une intrigue romanesque mais aussi grâce à la description d’éléments marquants tirés de l’Histoire de l’Ecosse, de l’Angleterre ou de la France. Pour cela, il utilisait des héros-narrateurs, ce qui permettait au lecteur d’avoir l’impression d’être plongé dans l’intrigue et donc dans l’Histoire, de la vivre au même rythme que les personnages. Cet auteur a inspiré et influencé grandement nos écrivains romantiques du XIXe siècle, c’est à lui qu’on doit l’invention du roman historique en partie. Nombreux sont nés ces auteurs qui ont cherché à dépeindre au plus près leur société, leur époque, les conditions dans lesquelles ils vivaient, etc. C’est ce qu’a fait Victor Hugo en écrivant Les Misérables. Son but était d’écrire un grand roman sur son époque et sur son peuple, en plaidant la cause de tous ceux que la société méprise.

« Le roman historique : mensonge historique ou vérité romanesque ? »

Le but du roman historique n’est pas toujours décelé par tous. Gérard Gengembre, critique littéraire français, spécialiste de la littérature française du XIX e siècle, propose une étude sur le roman historique et ses capacités à dire le vrai ou accentuer sur le fictionnel dans l’un de ses articles . Il s’est énormément penché sur le sujet en portant notamment sa pensée sur les rapports entre littérature, idéologie et politique. L’auteur cherche à comprendre ce qui rend le roman historique aussi populaire auprès des lecteurs. Je vais donc m’appuyer sur son article « Le roman historique : mensonge historique ou vérité romanesque ? » afin de développer mes propos.
Comme on le sait, le roman historique « est à la mode », notamment du fait qu’aujourd’hui nous vivons dans une période où l’historicité est « devenue problématique ». Cela expliquerait donc un tel enthousiasme pour l’histoire mise en fiction. L’Histoire semble « incertaine, contradictoire, obscure » et les lecteurs se méfient de ce qu’on peutrelater, à savoir si les faits sont avérés ou non. Dans le style romanesque, l’Histoire est souvent prise comme étant une toile de fond. Jusqu’à la fin du XVIII e siècle, l’Histoire sert davantage de décor pour illustrer l’intrigue. Dans le roman de l’âge classique, on commence à repérer une dimension historique qui permet aux individus de retrouver des marques du passé. La Révolution marque un tournant dans la représentation de l’Histoire chez les lecteurs, entre autre. Le roman va davantage se nourrir de ce changement au niveau de la conception de l’Histoire. Il connait donc, lui aussi, une certaine évolution dans sa manière de traiter l’Histoire. Une nouvelle forme sera donc inventée et explicitement historique.
Comme nous l’avons déjà évoqué, c’est au XIX e siècle que nait réellement le roman historique en tant que tel, car c’est une période qui le permet. La période romantique offre plus de liberté concernant l’introduction de la narration, c’est à ce moment-là que les romans sont produits en masse et donc les domaines se développent. C’est aussi l’époque où émerge la littérature populaire, ainsi l’Histoire peut être accessible à un plus grand nombre.
Les grands ouvrages historiques peuvent paraitre trop difficiles pour être compris d’une large diversité de lecteurs au XIX e siècle. C’est alors que l’on comprend l’utilité du roman historique car il permet de mêler à l’Histoire le roman et ainsi rendre plus simple de compréhension les moments clés de l’Histoire. L’Histoire serait donc une science qui a davantage besoin d’être illustrée par le roman historique qui « tire sa légitimité du besoin de narration ». Il est donc évident que le roman historique permet, d’une certaine manière, de simplifier l’Histoire, de la reconstituer d’une manière plus accessible avec une forme plus attirante grâce à « l’écriture romanesque ».
En revanche, selon Gérard Gengembre, il ne faut pas oublier de faire la différence entre roman historique et histoire romancée. Il est vrai que ces deux notions se rapprochent vaguement par leur sens, pourtant « l’histoire romancée prétend raconter sous une forme plaisante les événements historiques et la vie de personnages authentiques » alors que le roman historique est « une mise en forme séduisante de problématiques, comme reconstitution pas trop infidèle ou simplifiée d’une époque restituée, rendue vivante et plus proche par les procédures de l’écriture romanesque ». On pourrait presque en venir à entremêler les deux définitions qui semble quasiment similaires et indifférenciables. Mais, l’histoire romancée sert à séduire un public désireux « de se dépayser et de se plonger dans une autre époque ». On ne peut identifier l’histoire romancée au détriment de l’histoire pure car cette histoire romancée demande à être adaptée à son genre littéraire, au niveau des personnages, des mentalités afin de les rendre plus proches des lecteurs actuels qu’elle vise.
Les faits, dans la plupart des cas, sont ainsi déformés soit pour simplifier ce que l’on veut transcrire de l’Histoire, soit pour dramatiser les faits ou tout simplement pour rendre ce qui est raconté plus pittoresque. Dans l’histoire romancée, la « dose romanesque » est beaucoup trop importante, ce qui signifie qu’il vaut mieux prendre du recul quant à la trame historique du récit. Le roman historique devient, ensuite, un genre à part entière dès le XX e siècle. Selon Gérard Gengembre, le roman historique appartient davantage au monde littéraire qu’au monde historique notamment à cause des attentes du lectorat dues « aux grands mouvements et aux grandes catastrophes historiques d’un siècle de bouleversements et de convulsions ».

La place de la recherche documentaire dans le processus créateur

En général, les romanciers et les historiens ne sont pas d’avis à ce qu’on mélange leurs deux professions. Nous le savons, des débats épistémologiques persistent entre les deux camps. Pourtant, selon divers chercheurs, la consultations d’ouvrages historiques, dans le cadre d’une fiction historique, est primordiale. Elle pourrait, de plus, conduire à une sorte de hiérarchisation des sources, ce qui montrerait l’ampleur considérable du travail qu’effectuerait le romancier, presque au même titre que l’historien. Pour cela, je m’appuierai sur le travail de recherche de Philippe Clermont et Danièle Henky , maîtres de conférences à l’Université de Strasbourg qui ont déjà traité la question du genre en littérature de jeunesse, notamment celle de l’écriture engagée.
Le processus de création est donc complexe quand on y regarde de plus près. On peut souligner les interactions nécessaires avec des sources, plus ou moins historiques, pour ce qui est de sa mise en œuvre. Le choix de la source est donc fondamental et la mise en écriture de l’histoire qui s’ensuit dépend de diverses contraintes, que ce soit au niveau dugenre ou du projet de l’auteur.

Le débat autour du genre

Le récit des romanciers et des historiens

Depuis des décennies, existe ce débat entre romanciers et historiens qui veulent avoir des frontières bien distinctes entre leurs deux domaines. Plusieurs critiques ayant écrit sur le sujet vont prendre pour exemples des romanciers ou historiens reconnus. C’est le cas de Mona Ozouf , historienne et philosophe française, qui a rédigé un article sur le sujet. Elle prend l’exemple de Stendhal et Hugo, qui ont chacun écrit des récits qu’on pourrait qualifier d’historique mais les auteurs se défendent en exprimant n’avoir écrit que des romans qui se veulent vrais et non des romans historiques.
Par ailleurs, les écrivains tiennent généralement à ce qu’une frontière soit bien dessinée entre les deux genres narratifs que sont l’histoire et le roman. Le romancier peut se permettre d’écrire des choses que l’historien ne peut écrire et cela joue sur le scepticisme du lecteur. Par exemple, dans le récit des Chouans de Balzac, Danton, personnage réel de l’histoire de France, épouse Marie de Verneuil, un personnage fictif du roman. Le romancier a cette liberté de marier, introduire n’importe quel personnage dans son récit en lien avec des êtres imaginaires ou réels, alors que l’historien ne peut pas mêler n’importe quel individu, il doit avoir des preuves solides et s’appuyer sur des faits avérés.
Pour certains auteurs, comme Paul Valéry dans les années 1930, l’histoire est une manière naïve de conter les événements, car l’historien peut se permettre de dire « ceci est un fait » et il faudrait comprendre par là qu’on peut le croire sur parole. De ce fait, le récit historique apparait comme un objet ayant un caractère arbitraire car d’une part les faits sont innombrables, il faut donc en choisir certains pour que le discours ne soit pas confus ou trop vaste, et par ailleurs, les faits ne parlent pas seuls et ne prennent sens que dans l’organisation narrative de l’historien. Naissent ainsi des interprétations diverses car les historiens, comme tout être humain, vont faire part de leur ressenti, leurs passions, on va voir naître des avis, rien qu’avec le fait qu’ils choisissent les éléments qu’ils veulent évoquer.
Pourtant, le récit historique semble, dans le courant du XXe siècle, échapper à la défiance radicale à laquelle est confrontée le récit romanesque. L’historien se rapporte à une réalité extérieure et il a une dette à l’égard de ce qui a existé. Ce dernier se réfère à des citations, des documents pour chercher à valider ce qu’il avance. Mais en réalité, ce qui s’est passé pour le roman a gagné l’histoire également, à la fin du XIXe siècle, avec la tentative de retirer les facteurs individuels, c’est-à-dire le partage d’un avis trop personnel qui pourrait influencer le lecteur. Une certaine objectivité et impartialité devait être faite envers les documents pour une histoire qui se voulait plus « scientifique ». Pourtant, si on élimine la partialité de l’historien, on échappe à l’arbitraire.
Les avis sur le genre hybride du roman historique sont divergents. Autrefois, au début du XIXe siècle, Chateaubriand a qualifié le roman historique comme étant un « parangon de la fausseté ». Les deux genres que sont le roman et l’histoire sont donc renvoyés à la même indignité. Ils sont qualifiés de « fables historiques » puisqu’ils prétendent tous deux à une vérité générale. On pourrait ainsi croire que romanciers et historiens sont proches du fait d’avoir eu la même critique à un moment donné. Mais cela n’est pas le cas car la frontière reste réelle. On a d’un côté, une histoire scientifique, qui se cantonne aux phénomènes qui présentent des régularités et exhibe son appartenance à la science et de l’autre côté, le roman qui se voue à décrire des événements et des personnages singuliers et condamnés à la subjectivité.
Le XXe siècle est une époque ou formalisme du récit se fait sentir et lorsque cette époque est révolue, de nouvelles relations entre le roman et l’histoire s’établissent. Cela est notamment dû à la lassitude qu’éprouvaient les lecteurs, au sujet de ces romans dépassés, qui ne trouvaient plus de lien avec une réalité historique. Avec le temps, les historiens ont atténué leur méfiance envers la narration, notamment avec l’arrivée d’une nouvelle génération d’historiens qui considéraient que « l’histoire traditionnelle » n’était plus en cohérence avec la France d’entre-deux guerres. Par la suite, les historiens ne peuvent présenter leurs résultats qu’en les inscrivant dans des formes de narration et de mise en intrigue, comme le signale Michel de Certeau en affirmant que « le langage poétique est le moyen selon lequel l’historien donne corps à l’altérité du passé afin qu’elle puisse devenir, d’une certaine façon, visible et mémorable » . Il faut bien que l’historien use de la narration, rien que pour conter la vie des individus à une époque donnée, les caractéristiques de leur façon de vivre, de leurs coutumes. Ce dernier n’a donc jamais pu s’éloigner ou échapper aux contraintes de la narration. Michel de Certeau souhaite affranchir l’histoire de sa prétendue « objectivité » en évoquant le non-dit de l’histoire et des historiens.
De plus, l’histoire est redevenue une source d’inspiration pour les romanciers. Avec le roman historique, le romancier rappelle à l’historien que les récits historiques s’incarnent dans des visions particulières, et l’invite à réfléchir aux aspects personnels et privés des grands événements. C’est alors que commence à se ressentir une proximité entre les deux genres. Les historiens se font donc romanciers lorsqu’ils utilisent l’imagination pour passer outre le silence ou l’insuffisance des sources.
De nos jours, ces frontières qui existent entre les deux genres nous paraissent plus évidentes. On peut penser aux contraintes auxquelles est toujours exposées l’historien. Ce dernier s’installe sur un terrain qui est déjà balisé dans le temps et dans l’espace. Il part d’une réalité qui est fixée et passée, mais qu’on ne peut pas contester. Ils évoquent des personnages réels qui ont un vécu, une histoire, qui vivent dans une époque précise, il n’est pas possible de faire évoluer ces éléments. L’historien, contrairement au romancier, est obligé d’organiser son récit sur un axe chronologique, en respectant l’ordre dans lequel se sont succédés les événements. Le romancier peut se permettre tout l’inverse, son personnage n’est pas contraint par le temps qui n’est ici pas définit par une date mais par un enjeu. Le romancier peut manipuler le temps comme bon lui semble. On peut confirmer le fait qu’une frontière est encore bien distincte entre les genres, rien qu’avec leurs contraintes auxquelles ils sont soumis.

La visée idéologique du roman historique

On peut désormais en venir à assimiler le roman historique à l’idéologie. En effet, ce dernier à une portée idéologique, il s’agit même de sa particularité la plus marquante.
Son « emprise idéologique » est exercée à la fois par son auteur et les grands débats de notre époque. Gérard Gengembre, dont nous avons évoqué le nom plus tôt, affirme que le sens même de l’Histoire est remis en cause dans le roman à partir du XIX e siècle. Il prend l’exemple de deux grands romans, Quatrevingt-treize de Victor Hugo et Les Dieux ont soif d’Anatole France, en les comparant. Il remarque qu’à l’époque de Hugo, la Révolution en elle-même n’était pas remise en cause, en revanche lorsque Anatole France écrit son roman, on constate des aspects plus « atroces de la Révolution » et cela dominerait la production de ces dernières années selon lui.
A cette époque, le roman participe à une révision du « moment Révolution française » dans l’histoire mondiale. La combinaison de la fiction et de la référence historique, avec ses propres codes, permet cette révision. Il ne s’agit pas de voir dans ces œuvres des romans contre-révolutionnaire mais plutôt des « symptômes littéraires de nos interrogations et de nos retours sur les fondations de notre modernité, pour le meilleur et pour le pire ».
Autrement dit, le roman historique porté sur la Révolution Française a pour but de réviser ce qui a permis un tel changement en revenant aux sources historiques de cet événement marquant et que la littérature permet de rendre compte des moments primordiales comme des moments difficiles. Plusieurs auteurs ont mis en roman les origines de diverses révolutions, comme Soljenitsyne avec La Roue Rouge qui « met en lumière les origines de la Révolution russe », d’autres ont également mis en roman les origines de tels ou tels événements, comme le communisme, le marxisme par exemple. Le roman est ainsi souvent qualifié de « lieu de mise en scène, de déploiement, de problématisation des conflits », il s’agit là d’une tradition mondiale. Ainsi on peut constater que l’Histoire est mise en scène grâce au roman.

Un débat contemporain

Le roman historique est source de débats contemporains également. Ce roman peut tout s’accaparer de l’Histoire mais il doit cela à sa forme, et au fait que rien n’est exclu de la mise en fiction. Ce qui fait source de débats sont en l’occurrence les sujets plutôt sensibles.
Si on se réfère de nouveau à l’article de Gérard Gengembre, on sait que les fictions télévisées prennent une envergure importante à notre époque. Il cite en particulier une émission : La caméra explore le temps. Dans son article, le critique explique qu’on assiste à l’explosion d’un genre nouveau qui est le « docufiction ». Pour illustrer son propos, il cite deux études, celle d’Isabelle Veyrat Masson avec Quand la télévision explore le temps (2000) et Télévision et Histoire : la confusion des genres (2008), et celle de Béatrice Fleury-Vilatte avec « Comment la télévision écrit et réécrit l’Histoire » (dans Communication et langages de 1998). Béatrice Fleury-Vilatte, explique que « les liens entre le fait historique et son énoncé télévisuel confèrent […] un sens très particulier aux notions d’exactitude ou de vérité. » nous rapporte Gérard Gengembre. Certains faits reproduits ont donc des conséquences médiatiques, ce qui explique les conflits qu’ont pu avoir télévision et Histoire en France, selon le critique. Comme pour la littérature, des codes particuliers s’imposent au média. Cela va engendrer des simplifications et modifications qui seront en accord avec notre époque, ce qui cause des problèmes de fidélité à la crédibilité des faits.
On apprend également que certaines émissions ont été source de débats comme sur France 2 avec la série « Ce jour-là, tout a changé », la diffusion de L’Évasion de Louis XVI avait fait polémique. Ce qui ne plaisait pas dans cette diffusion était le fait que l’accent soit mis sur les amours du roi et que l’on montrait une vision du roi développée par une interprétation anachronique. Gérard Gengembre rapporte les propos d’Aurore Chéry, docteure en histoire, qui a contribué à la polémique sur le site de l’Institut d’Histoire de la Révolution française. Elle souligne le fait que la réussite de l’union entre télévision et Histoire « réside dans une vigilance d’autant plus grande face à des problématiques mémorielles de plus en plus prégnantes et auxquelles la télévision offre une formidable caisse de résonance ». On apprend, de plus, que beaucoup de faits sont modifiés en faveur de la télévision et du média, ce qui ne plaît absolument pas aux historiens car cela transforme les faits. Gérard Gengembre évoque aussi le fait qu’avec certaines émissions, on a affaire à une « double médiation par la fiction romanesque et par la fiction télévisuelle ». L’Histoire est ainsi fortement modifiée pour faciliter la reproduction et la traduction de ses événements.
De plus, certains sujets sont traités en fonction des orientations idéologiques de leurs auteurs. Cela confronte, une fois de plus, la relation complexe entre Histoire, mémoire et révision. Selon Gérard Gengembre, la « fictionnalisation télévisuelle aggrave considérablement les déformations, voire les manipulations du roman historique ».
L’Histoire devient donc de moins en moins fiable dans des représentations telle que les montre la télévision.
Il faut également se méfier du fait, qu’aujourd’hui, énormément de romans historiques relèvent de la littérature de consommation, mais cela doit-il réellement être condamnable étant donné qu’il s’agit d’un genre qui plaît ? En revanche, certains critiques condamnent le fait que pour une grande quantité de lecteurs, « un roman historique pèse du même poids qu’une information historique rigoureuse ». On doit être conscient qu’il s’agit de fiction donc d’un point de vue imaginatif et pas forcément réaliste traduisant avec exactitude les faits déroulés à l’époque.
Gérard Gengembre rapporte ce que souligne l’historien Patrick Boucheron dans l’un de ses propos au sujet de la polémique autour de l’ouvrage Jan Karski de l’écrivain Yannick Haenel, accusé d’avoir falsifié l’histoire pour écrire sur ce rési stant polonais. Cet historien souligne le fait « que les historiens ne doivent pas évaluer une œuvre de fiction en fonction de la seule vérité des faits relatés ». De plus, l’auteur de notre article précise qu’utiliser un roman « comme un assemblage de documents est parfaitement réducteur et ne permet pas d’en saisir la pertinence, ni d’en apprécier la valeur de miroir de notre temps ». Il complète son propos en explicitant que le roman historique de « qualité » ne nous parle pas spécifiquement du passé mais au contraire, ce roman nous parle de nous aujourd’hui. Il faut donc avoir une vision reculée par rapport à ce qui est raconté dans un roman historique car pour la plupart, l’histoire fait référence au présent. On revit le passé par le présent, d’une certaine manière.

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Table des matières
Résumé 
Remerciements 
INTRODUCTION 
1. Le roman historique : un genre qui évolue dans le temps
1.1 Qu’est-ce que le roman historique ?
1.1.1 Définition du genre
1.1.2 Les spécificités du roman historique
1.1.3 Les origines du roman historique
1.2 Un conflit entre histoire et littérature
1.2.1 Les frontières
1.2.2 « Le roman historique : mensonge historique ou vérité romanesque ? »
1.2.3 La place de la recherche documentaire dans le processus créateur
1.3 Le débat autour du genre
1.3.1 Le récit des romanciers et des historiens
1.3.2 La visée idéologique du roman historique
1.3.3 Un débat contemporain
1.3.4 L’usage de la fiction dans l’histoire
2. Le roman historique en tant que support pédagogique
2.1 L’avis de quelques chercheurs
2.1.1 Pourquoi choisir le roman historique ?
2.1.2 Les réticences des auteurs
2.1.3 L’intérêt des jeunes lecteurs pour le roman historique
2.2 L’enseignement de l’histoire à travers la littérature de jeunesse
2.2.1 Réflexion sur la chronologie et la temporalité
2.2.2 Les références du récit historique dans les programmes scolaires
2.2.3 La vision des enseignants
2.3 Les pistes pédagogiques proposées
2.3.1 Les points essentiels à traiter avec les élèves
2.3.2 Des exemples de situations d’apprentissages
2.3.3 Les récits brefs pour illustrer l’histoire
2.3.4 Une méthode historique
3. Expérimentation sur le travail autour du roman historique en classe de CM1 
3.1 Présentation de la séquence et des supports employés
3.1.1 La séquence sur Les orangers de Versailles
3.1.2 Les supports employés pour la séquence
3.2 Les activités réalisées par la classe
3.2.1 La sortie à Versailles
3.2.2 La phase de recherche des élèves
3.3 Bilan et réflexion sur la mise en pratique
Conclusion 
BIBLIOGRAPHIE
Annexes

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