Le roman épistolaire par courrier électronique

PRÉSENTATION ET STRUCTURE

L’oeuvre commence par une interpellation pour fermer un abonnement et elle se poursuit dans des épanchements qui aboutissent à un lien amoureux. Des courriels défilent entre Leo et Emmi, sous les yeux du lecteur qui en prend connaissance en même temps qu’eux. Retranchés derrière l’écran de leur ordinateur, Leo et Emmi conversent en parfaits inconnus. Loin de leur contingence, de leur physique, des carcans du quotidien, libérés par l’anonymat, ils s’écrivent sans entrave. Les pages défilent vite, très vite. Emportés par cet échange, ils sont dans l’attente de la réponse, du dénouement, de la suite. Et le lecteur aussi. Pris au jeu de cet échange passionnel, il est intrigué. C’est tout ? En resteront-ils là ? Se satisferont-ils de ne rester que des inconnus l’un pour l’autre, enchaînés à leur histoire, attachés l’un à l’autre par le fil d’Ariane qu’est Internet ?
Leo et Emmi ne communiquent que par l’électronique, qui va leur devenir essentiel. Là où ils n’étaient que nom et fonction au début du récit, ils deviennent des êtres d’imagination. Où s’arrête leur identité virtuelle et où commence leur personnalité réelle ? Les deux se confondent de plus en plus. Emmi et Leo ne se connaissent pas, ils ne se sont jamais vus, ils ignorent tout l’un de l’autre. Pourtant, au fil de leur échange, ils deviendront tout l’un pour l’autre partageant le rythme de leur existence, le quotidien de leur vie.
Constitué de 348 pages répartis en dix chapitres, ce roman est construit uniquement à partir de courriels échangés durant une période d’environ un an et demi. C’est un roman à la fois classique de par sa nature épistolaire et très contemporain du fait qu’il est adapté aux pratiques technologiques actuelles. Il n’y a ni prologue ni épilogue pour situer l’action, seulement la date du premier courriel, le 15 janvier, au début du roman. La trame suit la chronologie des courriels espacés de quelques secondes à plusieurs jours. Le temps écoulé entre deux courriels sert autant à établir le déroulement de l’action qu’à imaginer les émotions des épistoliers. Le discours direct fait dialoguer les personnages sans la médiation d’une instance narrative. Leur parole n’est ainsi subordonnée à aucun autre discours.
L’échange se compose de 785 courriels qui comptent en moyenne sept lignes, au minimum une ligne et au maximum 172 lignes. Il est à noter que 54 % des courriels ont trois lignes et moins et 90 % ont onze lignes et moins, sachant que 28 lignes occupent une page. De plus, 399 courriels proviennent d’Emmi, 383 courriels de Leo. L’essentiel de l’action se déroule sur 186 jours d’échange régulier de courriels. On pourrait comptabiliser le temps passé entre Leo et Emmi dans un tableau. Leur correspondance s’apparente à une communication orale par son instantanéité. Le rythme conversationnel est rapide et les répliques des épistoliers se chevauchent parfois.
Hormis les indications de temps et les intitulés de messages, aucune information externe ne vient troubler la correspondance; ce qui amplifie l’impression de surfer dans un monde virtuel. Le lecteur assiste à une représentation dans laquelle les personnages se donnent à concevoir et à appréhender à travers leurs messages et leurs émotions. Par ailleurs, l’auteur a su assortir et adapter chaque style d’écriture en fonction de la personnalité de chacun des personnages donnant ainsi de la vraisemblance aux échanges. L’intrigue est échafaudée par les personnages qui tout en offrant leur trame de vie se décrivent dans leur style discursif. Par exemple, Emmi appliquera souvent une présentation logique dans ses messages (1. 2. 3.); ce qui correspond bien à la façon de penser d’une consultante en informatique. La lecture de ce roman sur une tablette électronique accentue cette impression de réalité.
Ce livre est écrit dans un langage simple et épuré; celui que les deux épistoliers utilisent usuellement dans leur quotidien. Les courriels sont plus ou moins longs, allant d’un simple point d’interrogation à plusieurs pages. Ils prennent tantôt le style du dialogue vif et spontané, tantôt celui de la lettre dans sa forme classique avec une réflexion plus en profondeur. Daniel Glattauer78 veut conférer à son roman un style familier et conversationnel79, à l’image des messages échangés sur Internet. L’auteur a déployé une rhétorique amoureuse tout à fait classique, clairement identifiable et qui s’inscrit dans la grande tradition de la lettre d’amour et du roman épistolaire. Avec finesse et humour, il nous décrit la naissance du sentiment amoureux à travers la rhétorique de ses personnages : l’ironie pour attiser l’intérêt, le lyrisme pour susciter les émotions et la poésie pour souffler les sentiments. Recourant à différents registres, le niveau de langue peut être familier, courant ou soutenu. Notons cependant que le ton est presque toujours respectueux, le vouvoiement étant pratiquement constant d’un bout à l’autre du roman.
Ce roman se laisse voir comme une scène de théâtre où les épistoliers métamorphosent le réel par l’imagination. Le quotidien est amplifié et fantasmé. Des images emplissent leur échange et l’animent. Les mots courent et signifient des métaphores, étalent des figures de style et des syllogismes. Des repères emplissent l’espace et décrivent la scène : l’ordinateur, l’écran, le clavier, le piano, Bernard, les enfants et le chat, Emmi sous ses masques, Leo ivre, Leo et sa soeur à l’enterrement de leur mère, Marlene, Mia, le café Huber et le vent du nord qui souffle. Le discours verbalise les postures, les gestes, les mimiques, les expressions faciales et les émotions. De nombreux connecteurs logiques relient les dialogues. Les indices typographiques, les points de suspension, les gros caractères, les émoticônes et les points d’exclamation sont autant de « signes ».

ANALYSE DE LA RHÉTORIQUE MISE EN OEUVRE

En voulant résilier son abonnement au magazine « Like », Emmi Rothner se trompe d’adresse et envoie par erreur plusieurs courriels à un inconnu, un certain Leo Leike. Cette petite erreur est la lettre « e » qui s’est glissée par inadvertance dans l’adresse de messagerie. Ce dernier, au bout du troisième courriel, lui signale poliment son erreur. Emmi se justifie. Le malentendu est éclairci, mais l’adresse erronée se retrouve désormais dans le « fichier client » d’Emmi. L’affaire aurait pu en rester là si, neuf mois plus tard, la même Emmi n’avait pas de nouveau joint l’adresse de Leo Leike à un envoi en lot de voeux de Noël pré-formatés. « Joyeux Noël et bonne année de la part d’Emmi Rothner » (p. 9). Le propriétaire de la boîte « courriel » la remercie en ironisant sur la « sincérité » et l’« originalité » de ses voeux : « … j’aime les courriels groupés destinés à un groupe auquel je n’appartiens pas » (p. 9). Confuse, Emmi lui répond 18 minutes plus tard pour s’excuser de son « harcèlement épistolaire » : « Vous vous êtes glissé par erreur dans mon fichier clients […] » (p. 9). Et puis, vexée, elle le met au défi de lui trouver une formule originale de voeux; ce que fera Leo six minutes plus tard : « Je vous souhaite d’agréables fêtes et espère de tout coeur que cette nouvelle année qui commence comptera parmi vos 80 meilleures » (p. 10). Est-ce le fruit du hasard ? Toujours est-il que trente-huit jours plus tard, Emmi s’adresse une nouvelle fois à Leo Leike en croyant contacter la fameuse revue. Badine, cette fois, elle met son erreur sur le compte « d’une maladie chronique du « Ei », c’est-à-dire du « E » avant le « I » (p. 11). S’ensuit alors un échange de courriels dans lesquels Emmi et Leo vont aborder différents sujets sur un ton léger, plaisantant sur le temps de rédaction des mails, se racontant un peu de leur vie et tentant de se deviner l’un et l’autre à travers les lignes des messages. L’humour est le ressort de ce dialogue, il les inspire et les relie. Comme dans un jeu de ping-pong, les courriels vont et viennent créant distraction et diversion. Par le pouvoir des mots, la séduction agit sur la pensée et sur l’esprit. Tout en entraînant une suspension de la raison, elle met en scène une image idéalisée de l’autre.
Jan Herman fait remarquer que : « Un jeu de questions et de réponses met progressivement en place l’univers fictionnel (fonction informative)80. » Une question en entraînant une autre qui invite aux détails; Leo et Emmi se donnent à connaître. Leo est conseiller en communication et assistant en psychologie du langage à l’université. Emmi, quant à elle, travaille sur les sites Internet. D’une banale erreur de saisie naît une amitié qui peu à peu se transforme en une véritable dépendance. Les premiers courriels froids et impersonnels deviennent rapidement chaleureux et affectueux. Au début, les formules de politesse sont « Cordialement » (p. 8) et « Sincères salutations » (p. 9). Au bout du onzième courriel, Emmi conclut par « Bises » (p. 10). Ce mot installe la promiscuité et prend une consonance érogène en inférant l’effleurement. Emmi le fait sourire et Leo en est touché : « Et ce soir, rien ni personne d’autre n’y serait arrivé » (p. 13), lui dit-il. Le style des phrases, le choix des mots subjuguent et aliènent la volonté de Leo qui se laisse aller à la confidence. Les mots d’Emmi lui font du « bien ». Les mots de Leo induisent et sous-entendent une profonde tristesse… que les mots d’Emmi vont égayer. Cette dernière démontre une grande facilité de communication, ce qui lui permet de décrire ses états d’âme et de toucher son destinataire. Ce qui dénote un ethos convivial et sincère, un style sans affectation apparente. Cet ethos rejaillit sur l’ensemble de son discours et transmet ses qualités au style. Du désir de bien-dire au souci de bien le dire, cela encourage les échanges interpersonnels. D’ailleurs, Leo en est séduit et impressionné :
Quand je lis vos mails, je n’y trouve aucune pause. Leur ton et leur rythme me semblent bouillonnants, précipités, énergiques, vifs, un peu énervés même. […] J’ai l’impression que toutes vos pensées spontanées se bousculent dans le texte. Cela montre que […] vous maniez les mots de manière habile et très précise. (p. 14-15)
L’échange entre Leo et Emmi montre comment se met en place une topique de l’amour, une écriture de la passion, un lexique, un style et un lyrisme de l’amour81. Les mots fusent et une correspondance soutenue se met en place. Leo et Emmi s’attachent progressivement l’un à l’autre. En parfaite connivence, ils flirtent « sans ambages » et se laissent aller à des sentiments qui les meuvent. C’est par le coeur qu’ils se livrent l’un à l’autre et succombent. Pourtant, leur lien est fondé exclusivement sur un investissement sentimental virtuel. Rien de tangible. Seulement de « l’air entre les touches du clavier ». Taquine, Emmi n’hésite pas à signer « Emmi « qui déborde d’énergie » Rothner » (p. 16). Comme il ne lui répond pas, elle lui écrit de nouveau 18 jours plus tard. « Google ne vous connaît pas, ou alors il vous cache bien » (p. 17). Leo lui répond deux heures plus tard : « … c’est gentil de m’écrire. Vous m’avez manqué. […] Telle que je vous imagine, vous vous êtes sûrement acheté tout un stock de faux nez et de langues de belle-mère. – 🙂 Je vous embrasse » (p. 17-18). En utilisant une émoticône, Leo veut influer sur l’interprétation que Emmi va faire de son message, il veut y mettre une touche d’ironie taquine. Et, puis, 22 minutes plus tard, Emmi lui déclare : « Je vous embrasse, c’est très agréable de bavarder avec vous » (p. 19). Elle présente un ethos authentique et primesautier. Ses arguments spontanés et pleins d’humour charment Leo qui la remercie pour ses « conseils en matière d’humour ! » (p. 19). Une subtile communion s’établit entre eux. L’un en face de l’autre, complices, ils se sourient à travers l’écran de leur ordinateur. Tour à tour émouvants, drôles, déchirants, sarcastiques, désabusés, ardents, désopilants, intenses, parfois puérils, pleins d’esprit, véhéments, tendres, cyniques, piquants et surtout plein de malice, leurs mots s’enchaînent, vecteurs d’émotions et de sensations. Dès les premiers courriels, Leo a laissé voir de lui un ethos honnête et serviable. Non seulement il l’avertit qu’elle ne s’adresse pas au bon destinataire, mais il lui fournit les renseignements nécessaires pour corriger la situation et il ira même jusqu’à lui proposer de la « désabonner » pour elle : « … voulez-vous que je le fasse ? » (p. 16). De plus, Leo fera preuve d’humour dès son deuxième courriel et « cet esprit » sera présent dans presque tous ses messages subséquents. Il en est de même pour Emmi.
Les sujets abordés tournent autour de leur personne, mais ne portent que sur des aspects anodins (exemple : pointure de souliers, temps qu’ils prennent pour écrire un message). Ces sujets pourraient être discutés en public et il n’y aurait aucune conséquence, ni pour l’un ni pour l’autre; ils s’avèrent sans danger au niveau de l’« affectif » et de la « réputation ». Ce sont là les aspects « sécurité » et « respectabilité » du destinataire que l’on retrouve dans le discours. Qui plus est, chacun attise l’intérêt de l’autre en le sondant et le distrayant. C’est un jeu de rôles qui les amuse et les fait exister en dehors de leur « quotidien ». L’honnêteté, la confiance, l’humour ainsi que la bienveillance sont autant d’ingrédients indispensables pour charmer. Ces « composants » sont toujours présents dans leurs messages, surtout l’humour. Dans la rhétorique, le rire est le moyen le plus efficace pour attirer l’autre et l’amener à adhérer à soi. Ancré dans le discours, il détend et apaise. Contagieux, le rire s’attrape ! Les études le montrent, la séduction se joue lors des deux premières minutes et la partie est pratiquement gagnée si le séducteur arrive à faire rire l’autre. D’ailleurs, lorsqu’Emmi lui répond huit minutes plus tard, elle le lui dit bien : « Je m’amuse beaucoup avec vous » (p. 20). Taquin, Leo essaie de l’imaginer : « Vous êtes petite, menue et débordante d’énergie, vous êtes brune aux cheveux courts. Et vous parlez à toute vitesse. Je me trompe ? » (p. 21). Comme elle ne lui répond pas, le jour suivant, il lui écrit de nouveau et s’excuse : « … je vous en prie, ne soyez pas fâchée. […] Je ne voulais pas vous froisser » (p. 22). Peut-être fait-il la moue ?
Ce dialogue épistolaire met en évidence l’ambiguïté de l’écrit. L’absence d’expression du visage, de tonalité de voix fait que des mots ou des phrases, apparemment inoffensifs, peuvent blesser la personne à qui ils sont destinés. Les paroles écrites peuvent être sujettes aux malentendus et à l’interprétation. Des quiproquos se corrigent dans une conversation à vive voix alors qu’à l’écrit les mots s’inscrivent en preuve. Verbalement, on peut se réajuster même si la voix trahit les émotions. « Sur l’écran, seule la déclaration fait foi ». Emmi lui répond deux heures plus tard : « Cher « professeur », j’aime votre humour […]. Je vous écris demain. Je m’en réjouis déjà ! » (p. 22). Ce qui le tranquillise : « Merci ! Maintenant, je peux aller dormir tranquille. Leo » (p. 22). Leo la fait sourire, la rend heureuse : « Chaque ligne me réjouit ! J’ai beaucoup de plaisir à vous lire, cher Leo » (p. 22). Le message affectueux ou simplement attentif amplifie la relation et encourage le rapprochement. « Certaines formules de politesse pénètrent indirectement l’intimité de l’autre.83 » Chacun offrant un ethos agréable attend de l’autre une forme d’adhésion, un engagement. En proposant à Leo de se nommer par leur prénom, Emmi veut réduire la distance « convenue » : « Cher Leo, j’abandonne le « Leike ». Vous pouvez donc oublier le « Rothner » (p. 23). La table est donc mise pour que Leo s’aventure plus loin, dans la familiarité.
Ce contact épistolier régulier exacerbe leur intérêt l’un pour l’autre. La distance et la proximité coexistent dans la mesure où leur échange a un caractère immédiat et direct. Leur échange se fait présence pour réduire et, pourquoi pas, annihiler la distance qui est entre eux. Le virtuel se présente comme un intermédiaire, un objet transactionnel de substitution84. Leurs liens s’étoffent, alimentant l’attachement. Quand Leo ne lui écrit pas pendant trois jours, Emmi se languit de lui : « Quand vous ne m’écrivez pas pendant trois jours, j’ai deux réactions : 1. Je suis étonnée. 2. Je ressens un manque. Ce n’est pas très agréable. Faites quelque chose ! » (p. 25). Les silences sont des messages implicites; ils font partie de la rhétorique de l’amour. En creusant l’absence, ils envoient des signes qui font craindre la perte de l’aimé; ce qui vient renforcer le lien. Le coeur se remplit de l’attente85. L’échange est ainsi l’établissement d’une relation psychologique et émotionnelle par laquelle les épistoliers nouent des liens. La notion d’émetteur et de récepteur a laissé place à une conception qui donne à voir les interlocuteurs comme étant façonnés par leurs pensées, leurs émotions, leurs affects et leur identité, et qui expriment leur intériorité. La spontanéité, l’aspect fragmentaire et allusif de ces textes sont des éléments irremplaçables pour connaître les épistoliers et ils apportent un éclairage sur leur caractère et leur personnalité. Les courriers électroniques, nourris et instantanés, rapprochent les amoureux, cependant ils ne permettent pas d’apprécier la calligraphie du texte, de reconnaître le tracé de la main.
Le pouvoir des mots est immense et on comprend que les deux personnages redoutent la rencontre. Comment être à la hauteur de l’image idéalisée que s’est fait l’autre à travers cette correspondance ? Et comment ne pas être déçu soi-même en se confrontant au « vrai » Leo ou à la « vraie » Emmi ? Alors que rester dans le virtuel permet de conserver l’illusion de cet amour né dans les limbes de l’électronique. D’ailleurs, Leo le lui dit bien : « … si vous pouviez amener à un éventuel rendez-vous une bonne dose du charme considérable de vos mails et si l’esprit que vous montrez par écrit résonnait dans le timbre de votre voix, se cachait dans vos pupilles, dans les coins de votre bouche et dans vos narines » (p. 30). Après lui avoir exposé ses sentiments, Leo demande à Emmi si elle veut « toujours » qu’il lui « envoie des courriels » ? Avec une telle rhétorique, la réponse d’Emmi s’avère tout à fait prévisible et elle répond immédiatement utilisant les majuscules pour marquer l’impératif d’une parole criée. Les lettres en gros caractères et les points d’exclamation ont autant d’insistance sur les mots. Emmi utilise ainsi le pathos comme méthode de persuasion pour faire appel à l’émotion de Leo :
… je veux que vous m’écriviez encore des courriels, si ce1a ne vous dérange pas. Au cas où je ne serais pas assez claire, je réessaie : OUI, JE VEUX !!!!!! DES COURRIELS DE LEO ! DES COURRIELS DE LEO ! DES COURRIELS DE LEO. S’IL VOUS PLAÎT ! JE SUIS ACCRO AUX COURRIELS, DE LEO ! […] Je vous embrasse très fort, et je rajoute « très », Emmi. (PS : votre dernier message était très classe ! Sans une once d’humour, mais vraiment très classe !) (p. 31).
Je n’insisterai pas sur le fond du texte, car il est assez explicite en soi. Je souligne seulement le sous-entendu dans le post-scriptum, le « très classe ! » s’adressant autant à l’auteur du message qu’au message lui-même. Cette formule de clôture vient renforcer la relation amoureuse et moduler l’ethos de l’épistolière par le recours à « très » qui précise son insistance. Ce mot y gagne un ton de tendresse profonde qui exemplifie le sentiment qu’elle porte à Leo. L’ethos de la femme pleine de verve et d’esprit s’y transforme en celui d’une femme qui montre son attachement et sa détermination.
Cet extrait illustre bien les avantages qu’offre la typographie du courriel par rapport à la lettre manuscrite en ce qui concerne l’expression des émotions. Ainsi, l’utilisation de majuscules, de caractères gras, la répétition de phrases avec le copier-coller permettent d’attirer l’attention, d’insister et d’amplifier les sentiments que l’épistolier veut laisser paraître. En outre, les messages électroniques personnels sont souvent émaillés d’émoticônes afin de transmettre une émotion, un état d’esprit, une ambiance ou une intensité. Qui plus est, la typographie électronique peut-être animée ce qui permet d’en accentuer l’intensité. En fait, il n’y a qu’une seule émoticône dans ce roman parce qu’Emmi trouve que cela est superflu en ce qui la concerne : « … faites-moi confiance pour reconnaître l’ironie et renoncez aux smileys ! » (p. 19).
Deux jours plus tard, ayant obtenu la réponse qu’il espérait, Leo s’ouvre à Emmi pour la première fois sur sa vie privée. Il lui adresse un long courriel dans lequel il lui parle de sa relation amoureuse avec Marlene, de ses questionnements; et enfin, il lui révèle l’impact de ses courriels sur son ambivalence. Ce courriel de trois pages, dénué de tout humour, prend la forme d’un récit fait sur le ton de la confidence : « Elle s’appelait Marlene. Il y a trois mois, j’aurais écrit : elle s’appelle Marlene. […] Après cinq années de présent sans futur, j’ai enfin trouvé l’imparfait » (p. 31). Leo se confie à son « personnage virtuel, imaginaire », son « portrait-robot illusoire », « l’être et le néant ». Leo a répondu au courriel d’Emmi pour oublier son échec : « … j’ai considéré nos discussions comme une partie de ma thérapie pour me remettre de Marlène » (p. 38). Cette dernière l’avait quitté pour un « pilote dans une compagnie aérienne espagnole ». Leo avait tout fait pour qu’elle lui revienne, en vain. Il avait espéré, attendu un message d’elle en fixant son courrier électronique. Et c’est là qu’il avait reçu le message qu’Emmi lui avait envoyé par erreur. « Il était 20 h 57. Et soudain : un son, une petite enveloppe […], un message. […] J’écarquille les yeux, j’ouvre le message. Et je lis, je lis, je lis : « Joyeux Noel et bonne année de la part d’Emmi Rothner » (p. 33-34). Une fois de plus, ce courriel est construit de façon à susciter la curiosité d’Emmi, d’autant plus que Leo lui explique le rôle qu’elle a joué dans le début de leur relation. Son courriel lui est apparu « salvateur », providentiel. Ce message implicite une destinée commune. Les épanchements de Leo confortent l’ethos empathique d’Emmi : « J’apprécie beaucoup que vous m’ayez parlé de Marlene » (p. 41). Emmi compatit à la souffrance de cet homme qui a été quitté par sa petite amie. Leo s’émeut de cette femme qui a élevé les enfants d’une autre comme les siens. Ces marques contribuent à la construction d’un ethos de dévouement pour Emmi et de fragilité pour Leo. Leurs confidences les rapprochent et agissent sur leurs sentiments. Emmi ne peut qu’éprouver de la compassion envers cet inconnu qui lui dévoile son intimité dans un abandon qui renforce l’effet émotionnel. Elle partage sa peine : « J’espère que vous vous rendez compte que vous m’avez révélé […] quelque chose d’exceptionnel. […] Dormez bien, et faites des rêves raisonnables. En un mot, je vous conseille de ne pas rêver de Marlene » (p. 34). Les révélations la rendent jalouse, ce qui laisse supposer un sentiment particulier…
Bien que certains courriels soient très courts, ils n’en entretiennent pas moins le lien qui se nourrit du moindre signe : « Temps pourri aujourd’hui, non ? Bises, E. » (Trois minutes plus tard) « RÉP : 1. Pluie 2. Neige 3. Pluie neigeuse. Sincères salutations, Leo » (p. 39). Ce tête-à-tête virtuel les lie profondément et les émoustille. Leurs conversations se tiennent parfois à bâtons rompus et suscitent des réactions qui vont de pair avec l’évolution de leurs sentiments. La relation évolue par étapes au gré de leurs confidences. De plus en plus attirés l’un par l’autre, Emmi et Leo repoussent néanmoins le moment fatidique de la rencontre physique préférant s’en tenir aux courriels. Suivront alors quatre longues lettres, puis un long silence de trois jours. N’ayant reçu aucun courriel de Leo, Emmi lui transmet un message pour savoir ce qui se passe. Aucune réponse le jour même. Elle récidive :
Par ailleurs, cet extrait montre que la vitesse de transmission des courriels favorise l’écriture de messages courts et laconiques. Ces textes constituent la plupart du temps une transposition écrite d’une conversation orale dans laquelle les émoticônes et la ponctuation pallient la brièveté du texte quant à l’expression des intentions et des émotions92. L’échange électronique permet donc deux types de discours : oral quand le texte est court, épistolaire quand il est long. Cet extrait nous montre aussi que la correspondance peut se faire dans un sens unique lorsqu’un épistolier prend plus de temps à répondre. Transposé au niveau de la rhétorique du discours, c’est le silence manifesté par l’auditoire qui attend que l’orateur précise ses idées et ses intentions. L’extrait ne sera pas relevé ici, mais l’appréciation de la présence ou non de la durée des silences (absence de réponse) varie en fonction du type de conversation. Dans une conversation de « type oral », les épistoliers l’évaluent en termes de
92 Il est à noter que même s’ils sont quasi absents dans ce roman, les émoticônes se multiplient à une vitesse fulgurante dans les messages électroniques. Non seulement ils sont en train de devenir la base d’un langage universel exprimant des émotions, mais ils remplacent le verbe.
minutes, tandis que dans des lettres plus longues, ils pourront s’en référer à des jours93. Les deux épistoliers construisent une image qu’ils veulent conforme à l’autre. Emmi expose et oppose savamment son personnage à celui de Leo plus « terre-à-terre ». Leo est d’emblée introduit dans la peau de cette femme qui est captive de ses sentiments pour lui : « … Je me fais une image de vous à partir des textes que vous m’écrivez. Je bricole ma propre Emmi Rothner » (p. 44-45). Leur discours illustre leur caractère, leur psychologie et les donne à imaginer. C’est ainsi que les particularités de leur langage ne font que traduire les particularités de leur caractère. Alors que Leo s’étonne que Emmi délaisse son mari pour lui écrire : « … pourquoi une femme mariée et heureuse […] tient-elle à entretenir une conversation intensive […] avec un professeur inconnu ? Qu’en dit votre mari ? » (p. 45). Emmi reconnaît son inclination pour lui (ou plutôt pour son discours) : « … Leo, j’ai tout simplement le béguin pour vous. Vous me plaisez. Beaucoup, même ! Beaucoup, beaucoup, beaucoup ! Et je ne peux pas croire que vous ne vouliez pas me voir. […], J’aimerais savoir à quoi vous ressemblez » (p. 47). Les figures de la passion se manifestent dans ce passage. Emmi ne l’a jamais vu, elle ne sait pas à quoi il ressemble. Est-il jeune ou vieux, blanc ou noir, beau ou laid, grand ou petit, gros ou maigre ? Elle ne sait rien de son physique, il est uniquement le produit de ses fantasmes. Cette relation est une échappatoire pour Emmi, un souffle qui lui vient du « vent du nord ». Tiraillée, Emmi oscille entre ses principes et ses sentiments pour Leo. Elle apparaît vivre un désordre amoureux et tout en faisant un aveu direct, elle l’incite à se déclarer. L’échange prend un caractère intime qui donne tout son poids à leur relation. Voulant convaincre Leo de sa transparence, elle lui raconte avoir parlé à son mari de leur relation épistolaire et qu’il n’a « pas eu envie d’en savoir plus […] » (p. 47-48). En exploitant des arguments qui renvoient à ses valeurs morales et à sa vertu, Emmi veut projeter l’ethos d’une femme honorable et respectable, au-dessus de tout soupçon. Enfin, elle veut attirer la mansuétude de Leo en lui montrant qu’elle ne fait rien que communiquer « virtuellement ».
Comme dans des jeux de rôles, ils passent beaucoup de temps sur internet. Ils jouent. Silence. Pause. Ainsi ce bouleversement va-t-il de pair avec l’évolution de l’intrigue, entendue comme figure du récit, dramatique ou romanesque, qui effectue le passage d’une situation initiale des actants à une autre. Leur relation s’intensifie favorisée par la confiance réciproque et la régularité des échanges. « Si étouffé, si mal balbutié que soit le dialogue, il porte la double marque du donné et du reçu ou tout au moins, comme un prélude la double tonalité de l’aspiration et de l’inspiration des âmes.94 » La sensibilité d’Emmi et la gentillesse de Leo sont enveloppantes. Leur ethos et leurs confidences ont tissé peu à peu entre eux une invisible toile empreinte d’affection et de tendresse. Ils ouvrent leur « armoire à sentiments ». L’attente, l’espoir et l’imaginaire ne font que renforcer leur attachement. L’idéalisation et la fascination qu’ils éprouvent l’un pour l’autre les embrasent. Ce n’est pas Leo qu’elle aime, mais une idée qu’elle se fait de lui. Ce n’est pas Emmi qu’il aime, c’est l’image qu’il se fait d’elle. Ils sont poussés l’un vers l’autre par la force de leurs mots. Ils se délectent et se nourrissent de leur esprit, de leur ton et de leur humour. Ils se lèvent et se couchent avec une seule pensée : Leo ou Emmi… Ils ont besoin l’un de l’autre; un jour sans courriel et c’est le manque, une torture. Alors même qu’ils décident de ne rien révéler de leur vie respective, ils cherchent à deviner les secrets de l’autre… Très vite se repose la question de la rencontre, elle semble incontournable, mais fait encore peur. Oscillant entre fiction et réalité, ils craignent par-dessus tout de se voir tels qu’ils sont réellement, d’être déçus, et de « se perdre ».
Ce roman pose une question fondamentale en termes de séduction : peut-il y avoir « séduction » si les épistoliers en restent seulement à des échanges virtuels, sans avoir vu la personne qui parle, sans l’avoir rencontrée au moins une fois ? Pour Emmi, la réponse est négative : «… Et j’aimerais bien savoir à quoi peut ressembler quelqu’un qui écrit comme cela. Ceci expliquerait cela » (p. 47). Et un peu plus loin «… J’aime 1. qu’on me plaise. Et j’aime 2. plaire » (p. 52). J’ouvre une parenthèse, pour mentionner qu’avec la présence des chiffres, l’auteur est cohérent avec la façon de penser d’Emmi qui travaille dans le domaine de l’informatique, ce qui exige une pensée structurée. Leo usera du même langage pour lui répondre : « N’est-ce pas suffisant si vous 3. Vous plaisez à vous-même ? » (p. 53). Leo applique l’art de la rhétorique en utilisant le même langage, le même vocabulaire – plaire – et la même structure de pensée qu’Emmi, son message sera ainsi mieux compris, car il s’inscrit dans la suite logique de choix listés par cette dernière.
Ces compliments sont allégoriques, cela prouve que chacun d’eux est amoureux d’une construction qu’il imagine et qui lui correspond. Leur discours montre d’eux un ethos idéaliste et naïf. Le monde virtuel se joue du monde réel dont il grignote l’espace. Emmi et Leo ne sont jamais très loin l’un de l’autre puisque le numérique fait éclater l’espace physique de la séparation. D’ailleurs, un soir, Emmi invite Leo à un « romantique interlude nocturne face à l’ordinateur » (p. 43) pour boire un verre de vin avec elle, chacun de son côté dans « l’anonymat du virtuel ». Physiologiquement immatériels, ils se contentent de leur intimité virtuelle. Ils sont ensemble, unis par l’écran : « Ici, nous n’existons que pour nous deux » (p. 57). Le virtuel n’a jamais paru aussi « vrai ». Leurs écrits s’exposent dans un esprit de vérité. Emmi n’arrive « à penser à rien d’autre » (p. 85). Elle s’inquiète de ce qui leur arrive :
Ce que nous faisons n’a aucun sens. Ce n’est pas un fragment de vraie vie. […] pour vous, je suis une femme imaginaire, seules sont réelles les lettres de l’alphabet que vous assemblez pour qu’elles sonnent bien […]. Et pour moi vous n’êtes qu’un petit jeu, un service de flirt rafraîchissant. (p. 63-64)
Derrière leur écran, Leo et Emmi se sont s’attachés à un être sans visage, à cet inconnu pourtant si familier qui n’a d’autre visage que celui qu’ils lui donnent. Le courriel est devenu leur île imaginaire, le pont virtuel entre leurs deux solitudes, le vase communicant où ils déversent leurs confidences, réfrènent leurs penchants ironiques, cyniques, caustiques et s’attachent au fil des minutes, des heures, des jours passés face à l’écran, dans l’attente d’un signe, de quelques lignes supplémentaires qui viendraient enrichir leur histoire à peine éclose. Ils échangent des courriels jusqu’à en devenir accros, jusqu’à ne plus pouvoir se passer l’un de l’autre. Vont-ils se rencontrer pour autant ? Comment apaiser ce mouvement de l’âme qui les transporte ? Ce coeur qui palpite au son du message qui s’annonce, ce lieu dans lequel raison et émotion se lient harmonieusement et se fondent dans les sentiments…
Sans dévoiler la fin du roman, disons que Leo, cohérent avec son discours, s’arrangera pour maintenir l’aspect virtuel de l’image qu’il se fait d’Emmi. De plus, il sera loyal envers Emmi et lui rappellera la rencontre promise prouvant encore son ethos d’honnêteté et d’engagement : « Je viens d’y penser : que sont devenus notre rendez-vous et notre jeu de reconnaissance ? […] Donc, que diriez-vous d’après-demain, dimanche 25/03, à partir de 15 heures, dans un café Huber plein à craquer ? » Et il insiste : « Dites oui ! Emmi » (p. 57). Cette supplique sera entendue et honorée.
Leurs interactions enrichissent leur relation virtuelle et la consolident. Ces échanges asynchrones leur donnent envie de se connaître davantage. Leo voudrait en savoir plus sur son quotidien : « J’aimerais que vous me fassiez part de vos soucis » (p. 159). Emmi lui ouvre alors l’intimité de son monde réel : elle lui parle du chat, de Bernhard, des enfants, de sa vie en dehors de lui. Elle lui révèle que son mari et elle ne partagent pas la même chambre et que « chacun a même sa propre vie ». Ils ont en commun « la musique, le théâtre. […] beaucoup d’amis ». Alors que « Bernhard travaille encore », que Fiona passe la nuit chez une copine et que Jonas dort, Emmi est dans sa chambre, à son ordinateur en conversation électronique avec Leo99. Cet « aparté » lui permet de fuir la réalité : « J’ai besoin de sentir […] que j’existe en dehors de mon univers » (p. 162-163). Pour Emmi, Leo devient le lieu de représentations imaginaires. Il lui déclare qu’il « savoure » ses courriels et qu’il lui en est « très reconnaissant ». Lorsqu’Emmi lui demande quel type de femmes lui plaît, il répond : « Les femmes qui ressemblent à votre manière d’écrire, Emmi » (p. 164). Emmi et Leo se font des déclarations d’amour qui amplifient leurs sentiments réciproques : « Leo, je vous aime beaucoup, beaucoup » (p. 219), « Moi aussi [Emmi] je vous aime beaucoup » (p. 219). C’est leur discours qui a fait naître en eux le sentiment amoureux. Emmi et Leo sont « tombés » amoureux de leurs mots, s’enracinant l’un en l’autre. Chacun, par son ethos sensible et ses mots touchants, s’est immiscé dans l’esprit de l’autre pour toucher son coeur et ses émotions. Les passions se manifestent ainsi dans la dynamique dialogique.
Le rythme de leur échange est soutenu. Des passages illustrent bien la difficulté qu’ont souvent les amoureux à briser le lien ténu qui les relie à l’autre, que ce soit par courriel, texto ou par téléphone. De la page 235 à 237, en 25 minutes, Leo et Emmi se sont envoyé neuf courriels pour se souhaiter « bonne nuit ». Ils restent désespérément accrochés l’un à l’autre faisant fi de la distance et du temps. Emmi part au Portugal pour deux semaines avec les enfants et s’ennuie de Leo durant tout son voyage. Quand ils ne peuvent se joindre par courriel, la séparation s’ajoute à la distance, elle se fait plus cruelle, car rien ne vient la rompre. Emmi craint qu’il ne lui écrive plus ou disparaisse de son monde virtuel : « Je n’avais qu’une envie, rentrer chez moi – auprès de Leo » (p. 264) Avec appréhension, Emmi lui demande s’il a perdu « tout intérêt » pour elle. Leo lui rétorque qu’il sera « toujours là » pour elle : « Quand je vois un nouveau courriel de vous, mon coeur bat » (p. 240). « Le but principal du discours épistolaire consiste ici en une sollicitation visant à maintenir et raviver chez le partenaire des sentiments amoureux qui forment la base d’une liaison déjà établie».
C’est dans son discours qu’il se fait persuasif. Le logos signifiant à la fois la parole et la raison, Leo va mettre la parole au service de la raison pour convaincre Emmi. Dans la première partie de ce courriel, Leo fait implicitement appel aux souvenirs d’Emmi, notamment en comparant leur relation avec celle qu’il a eue avec son amie Mia. Il fait reposer le ressort de son argumentation101 sur cet exemple. Avec Mia, ce fut une relation basée sur des rencontres physiques au cours desquelles chacun a appris à connaître la personnalité de l’autre au fil des discussions et à partir d’un vécu partagé. Leo s’appuie donc sur sa rencontre avec Mia pour bien faire comprendre à Emmi les différences dans le cheminement et surtout, dans les issues possibles. La ligne d’arrivée sert d’image pour cette connaissance de l’autre autant au niveau physique qu’intellectuel. Avec cette image, Leo renforce son raisonnement et montre bien qu’il n’y a qu’une issue possible à leur relation, étant donné que chacun a déjà acquis une bonne connaissance intellectuelle de l’autre : un retour dans le passé pour la « connaissance » physique. En utilisant des arguments probants, Leo veut faire infléchir Emmi et l’amener à souscrire à son raisonnement.
Dans son développement, Leo explique à Emmi ce qui risque de se produire immanquablement en faisant appel autant à sa raison, en lui parlant des « nombreuses images » qu’ils se sont fait l’un de l’autre, qu’à son ethos : « nous partirons consternés, apathiques ». Il se projette dans le futur pour montrer que la voie proposée par Emmi aboutira à l’opposé du but qu’elle poursuit : « Nous serons embarrassés par ce qu’est devenu notre « nous », par ce qu’il en reste. Rien. Deux personnes étrangères l’une à l’autre, avec un simulacre de passé commun. » Enfin, nous notons que tout au long de son discours, Leo prend bien soin de ne pas blesser l’ego d’Emmi en faisant ressortir l’intensité de leur relation et en montrant qu’une rencontre risque de faire mourir cette « intensité ». Il utilise l’expression « dépouillé de toute poésie ».
L’attrait et l’attachement croissant, le désir inassouvi converge vers un seul point, réel en apparence seulement, une apothéose toujours repoussée, le rendez-vous ultime qui n’aura jamais lieu, car il dépasserait la dimension du bonheur humain, l’épanouissement parfait, sans fin ni date d’expiration, qui n’est possible qu’en imagination. Pétris par la passion qu’ils ont fait naître par leurs écrits, ils n’existent plus que pour leur monde virtuel. Ils sont l’illusion d’un bonheur éternel, un vertige hors du monde, une utopie amoureuse faite de mots. Leo se fait tout de même pressant malgré son ambivalence : « Je n’ai pas besoin de savoir à quoi vous ressemblez. Je veux respirer votre parfum, vous embrasser, vous sentir, tout près de moi » (p. 279). Ce discours suggestif relève du rapprochement sensuel. Il a pour dessein de faire fléchir Emmi par les sens. Cette dernière l’implore : « Je ne suis pas heureuse sans vous. Mon bonheur nécessite des courriels de Leo » (p. 295). Elle le supplie : « Je manque de Leo, le seul, l’unique. […] Le plus important est que vous recommenciez bientôt à m’écrire. […] Je pourrais vous embrasser les yeux bandés » (p. 297). Cette interpellation se fait sur le mode de la captatio benevolentiae, qui sollicite la bienveillance du destinataire par l’émotion. Cette figure s’adresse au coeur, aux affects, aux pathè et, par-delà le coeur, elle vise la tête, l’intellect, la réflexion, le logos. En donnant « à voir » le spectacle d’une femme amoureuse et, tout en projetant d’elle un ethos vulnérable, cette scène émet une rhétorique de la souffrance et de la désespérance.
Les épistoliers « mendient » entre les lignes des sentiments, des allusions, des non-dits; ils se suivent de page en page. La tension est palpable, dans un va-et-vient continuel. Les émotions s’entremêlent : la peur, l’angoisse, la crainte, la joie, l’admiration, l’amour, la colère, le désir et la tristesse. Ces deux inconnus s’invitent chacun dans la bulle de l’autre et partagent leur intimité, leurs doutes, leurs colères, leurs jalousies. Durant trois jours, Leo ne lui écrit pas. Emmi n’en peut plus : « Un seul mot de vous, et je m’endormirais tout de suite. […] Tout est permis, tout, sauf le silence » (p. 298). Leo prend la décision de partir à Boston et ne veut plus lui écrire. Il veut mettre fin à leur échange de courriels pour sortir Emmi de sa tête : « Vous ne pouvez pas être ma première et ma dernière pensée de la journée pour le restant de mes jours » (p. 299). Leo trouve que leur relation s’appuie sur un mirage : « Elle est source de confusion » (p. 300). Leo est un « temps mort » dans la vie d’Emmi et elle lui est « une alternative virtuelle ».
Leo ne souhaite pas vivre « toute sa vie avec une femme qui n’est disponible qu’à l’intérieur d’une boîte courriel » (p. 300). Il a « envie de rencontrer une femme, à l’ancienne : d’abord la voir, ensuite entendre sa voix, respirer son odeur, l’embrasser peut-être. Puis, plus tard, lui écrire un courriel » (p. 300). Le processus de la rencontre en ligne diffère de celui de la rencontre traditionnelle qui commence avec la proximité spatiale et l’attirance physique puis par la découverte de centres d’intérêt communs. La relation entre Leo et Emmi est faussée par le virtuel. Leo ne veut pas entretenir une relation « fantôme ». L’image qu’il s’est forgée d’Emmi est si parfaite qu’elle se serait « fissurée » sous son regard réel. « Cette Emmi illusoire […] n’était rien de plus que l’air entre les touches du clavier sur lequel, jour après jour, j’écrivais sa présence. […] je vais fermer ma boîte mails, je vais souffler sur mon clavier, je vais rabattre mon écran, Je vais prendre congé de vous » (p. 301). Emmi le supplie de revenir sur sa décision : « J’annule ici toute idée de dernier courriel » (p. 301). Elle lui intime l’ordre de continuer à lui écrire des courriels. Leo insiste pour un dernier rendez-vous. Il aimerait que leur échange épistolaire se termine par une rencontre.

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Table des matières

REMERCIEMENTS 
RÉSUMÉ
TABLE DES MATIÈRES 
INTRODUCTION 
PARTIE 1 – LA RHÉTORIQUE DE LA SÉDUCTION DANS LE DISCOURS ÉCRIT
CHAPITRE 1 – LA SÉDUCTION OU L’ART DE PERSUADER 
1.1 L’ART DE SÉDUIRE
1.2 L’INVENTIO AU COEUR DE LA SÉDUCTION
1.3 LES MOYENS DE COMMUNICATION
1.3.1 LA LETTRE D’AMOUR
1.3.2 INTERNET
CHAPITRE 2 – LE ROMAN ÉPISTOLAIRE PAR LETTRES 
2.1 TRAME DU ROMAN
2.2 PRÉSENTATION ET STRUCTURE
2.3 ANALYSE DE LA RHÉTORIQUE MISE EN OEUVRE
CHAPITRE 3 – LE ROMAN ÉPISTOLAIRE PAR COURRIER ÉLECTRONIQUE
3.1 TRAME ROMANESQUE
3.2 PRÉSENTATION ET STRUCTURE
3.3 ANALYSE DE LA RHÉTORIQUE MISE EN OEUVRE
CONCLUSION
PARTIE 2 – CRÉATION LITTÉRAIRE
INTRODUCTION
[email protected]
Vendredi 10 avril 2015
Samedi 11 avril 2015
Dimanche 12 avril 2015
Lundi 13 avril 2015
Mardi 14 avril 2015
Du vendredi 17 avril au jeudi 7 mai 2015
Vendredi 8 mai 2015
BIBLIOGRAPHIE

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