Le rôle des pratiques spatiales des pêcheurs amateurs dans la construction de leurs savoirs locaux

Ces dernières décennies sont marquées par une prise de conscience mondiale des enjeux liés à la destruction de l’environnement, des ressources et de la biodiversité. En 1992, Rio de Janeiro au Brésil a accueilli le Sommet de la Terre, conférence organisée tous les dix ans par l’Organisation des Nations Unies qui rassemble les dirigeants politiques du monde entier autour des préoccupations environnementales. Cette année là, les parties ont adopté la Convention sur la Diversité Biologique. Elle constitue le premier traité visant à développer une coopération internationale pour une meilleure conservation de la biodiversité, un partage équitable des ressources génétiques et une utilisation durable des éléments de la biodiversité (espèces animales et végétales, milieux naturels). Les articles 8, alinéa j), , marquent un tournant dans la prise en compte officielle des savoirs naturalistes locaux en politique de gestion de l’environnement.

Si ces articles ne constituaient pas, au départ, les points les plus importants de la Convention, ils ont pris une place importante dans les débats politiques et scientifiques de ces dernières années quant à la protection de la biodiversité. En effet, ils remettent en question la notion de bien commun de l’humanité de la nature et de ces éléments constitutifs. Le regard sur les activités anthropiques change : si nous pouvons jouir de la biodiversité telle qu’elle est aujourd’hui, c’est que l’Homme a permis, par ses pratiques ou ses savoirs, son entretien et la conservation de ses éléments constitutifs (Barthélémy, 2005). La nature, telle qu’elle nous est offerte aujourd’hui, est donc considérée comme le produit de ces pratiques locales (Berard et al., 2005). La biodiversité, avec l’ensemble des enjeux économiques et politiques qu’elle sous-tend, prend là une dimension sociale. Elle devient, d’une certaine façon, le bien d’un territoire et d’une population. Vouloir protéger les éléments de la biodiversité revient alors à conserver l’ensemble des pratiques et des savoirs qui ont permis sa production et son entretien. Il n’existe plus une biodiversité mais bel et bien des biodiversités. Par la prise en compte des “connaissances, innovations et pratiques des communautés autochtones et locales “(article 8j) , et donc la notion de savoirs naturalistes locaux, dans les politiques de gestion environnementale de la CDB, de nouveaux acteurs prennent place sur la scène de la protection de la biodiversité : les populations locales (ancrées sur un territoire donné) et autochtones (en opposition aux étrangers, se dit d’un peuple “présent depuis toujours” sur un territoire et auquel on associe des coutumes, des pratiques, etc.) . Cela marque un premier pas vers la légitimation théorique des savoirs et savoir-faire des populations présentent “avant”, depuis longtemps, sur un territoire donné. L’Homme passe, dans l’imaginaire collectif, du statut de destructeur du milieu naturel à celui, par certaines de ses pratiques, de garant de l’environnement. Il n’est donc plus considéré à l’extérieur (ou en marge de la nature, comme incompatible avec celle-ci) mais bien comme un acteur de son façonnement. Ces pratiques dites “traditionnelles”, au delà de leur visée conservatrice du milieu, en font partie intégrante jusqu’à être hissées au rang de patrimoine immatériel (comme le sont certains modes de culture qui conservent les ressources biologiques agricoles). En France, cette conservation se matérialise par la création d’espaces au sein desquels diversité biologique remarquable et activités humaines coexistent. Les zones Natura2000, qui découlent d’une volonté de mettre en place les objectifs visés par la CDB, sont l’exemple concret d’une volonté de cogestion des espaces naturels et des activités anthropiques . Ces zones naturelles remarquables, dans lesquelles l’Homme pratique ses activités “traditionnelles” (chasse, pêche, agriculture … ), sont des espaces de confrontation des savoirs où savoirs savants (scientifiques, écologues, et autres gestionnaires) , savoirs et savoir-faire locaux se croisent. Elles sont donc au cœur des débats actuels liés aux savoirs locaux et à leur légitimité. Ces savoirs et savoir-faire traditionnels locaux constituent un champ de recherche de plus en plus étudié en France depuis les années 1960 (Barthélémy, 2005) afin d’en identifier les enjeux politiques, sociaux et écologiques mais aussi afin de mieux comprendre comment ils sont organisés, construits, transmis ou encore mobilisés par les populations locales. Si la place du sociologue et de l’anthropologue n’est pas à prouver dans ce champ disciplinaire, l’approche géographique, quant à elle, fait ses premiers pas dans la discipline en France. C’est dans ce contexte d’intérêt grandissant pour les savoirs et savoir-faire locaux que s’inscrit ce travail de recherche exploratoire.

Par leur diversité écologique et biologique, ainsi que par les activités anthropiques qui y sont associées, les milieux humides constituent un terrain propice aux questionnements liés aux problématiques des savoirs locaux. La plupart des zones humides du territoire métropolitain sont d’ailleurs concernées par la mise en place de zones d’intérêt écologique remarquables (carte en annexe 2). Une des activités, liée aux zones humides, que l’on pourrait qualifier de “traditionnelle” est la pêche. Cette activité puise son origine dans le paléolithique ( les premiers outils destinés à la pêche retrouvés datent de -40 000ans). Si, pendant des milliers d’années, la pêche avait pour seule vocation de subvenir aux besoins alimentaires des sociétés de chasseurs-cueilleurs, elle s’est démocratisée et est aujourd’hui une activité de loisir conjuguant plaisir, sport et intérêt culinaire – pour ceux qui le souhaitent – encadrée par des lois. En France, elle ne rassemble pas moins de 1 559 000 pêcheurs amateurs d’eau douce organisés en 3 800 Associations (Associations Agréées de Pêche et de Protection des Milieux Aquatiques). Même si ce nombre de pêcheurs amateurs n’augmente pas ces dernières années, la France, avec ses 500 000 kilomètres de cours d’eau et ses 83 espèces de poissons reste un pays où l’activité halieutique est un loisir non négligeable, voire très lucratif (2 milliards d’euros de retombée économique sur l’année 2014). Par leurs pratiques régulières des milieux aquatiques, il est possible de se questionner sur ce que savent les pêcheurs des lieux qu’ils fréquentent afin d’identifier d’éventuels “savants” qui se démarqueraient par des connaissances approfondies des espèces de poissons , d’amphibiens, de l’éthologie des oiseaux, etc. Dans leur pratique de pêche, certains passent plusieurs heures voire une journée complète au bord d’une rivière, d’un fleuve ou d’un lac. Qu’ils restent statiques ou qu’ils pratiquent une pêche itinérante, les pêcheurs s’inscrivent dans un espace “pêche” du milieu qu’ils fréquentent. De cette façon, ils peuvent observer, aménager, entretenir voire dégrader ce milieu : leur seule présence a une répercussion, quelle qu’elle soit, sur le milieu naturel. Le pêcheur, par sa pratique des milieux, est à même de posséder certains savoirs locaux propres au domaine halieutique qui peuvent être d’ordres différents. En effet, la carpe ne se pêche pas de la même façon qu’une truite, et il en est de même pour tout autre espèce. Cela sous-entend qu’un pêcheur adapte sa pratique en fonction de l’espèce recherchée et donc qu’il est en mesure d’acquérir ou de mobiliser des connaissances différentes selon le poisson qu’il cherche à attraper. Nous pouvons supposer que le niveau des connaissances peut varier d’un individu à un autre. Si certains s’intéressent à l’éthologie de l’espèce recherchée uniquement, nous remarquerons que d’autres s’intéressent à un plus grand nombre d’espèces de poissons, que d’autres encore s’intéressent à l’ensemble des espèces du cours d’eau (mammifères, amphibiens, reptiles …) et que parfois, le pêcheur ne s’intéresse absolument pas au milieu qu’il pratique. De la même façon, des techniques différentes sont employées lorsque l’on pêche au posé (terme employé pour définir une technique de pêche où les lignes sont figées, maintenues au sol par divers biais, en attendant une touche) ou que l’on pêche de façon itinérante en se déplaçant le long ou autour du plan d’eau. Lorsqu’il pratique une pêche itinérante, le pêcheur peut être sur les berges comme il peut se déplacer à l’intérieur du cours d’eau (c’est le cas pour certaines techniques de pêche à la truite et autres salmonidés) . Le type de pratique (statique ou itinérante) du plan d’eau ainsi que la position spatiale du pêcheur par rapport à celui-ci sont autant de facteurs qui peuvent avoir des répercussions sur la façon dont il va ajuster sa pêche. Il existe donc une palette très variée de techniques, de types de plans d’eau, de pêcheurs et donc de potentiels “savants” du milieu.

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Table des matières

INTRODUCTION
1. ÉTAT DE L’ART : LES SAVOIRS-LOCAUX, LÉGITIMITÉ ET APPROCHE SOCIOLOGIQUE
1.1. ÉLÉMENTS MÉTHODOLOGIQUES ET CONSTRUCTION DE LA BIBLIOGRAPHIE
1.1.1. Les ressources en ligne : la recherche par “mots clés”
1.1.2. L’arborescence bibliographique
1.2. LES SAVOIRS LOCAUX : QUELLE DÉFINITION ET QUELLE LÉGITIMITÉ ?
1.2.1. Les savoirs locaux: éléments de définition
1.2.2. La légitimité du local : rompre avec un dualisme classique savoirs experts / savoirs locaux
1.3. L’ÉTUDE DES SAVOIRS LOCAUX : UN DOMAINE DE RECHERCHE INTERDISCIPLINAIRE
1.3.1. Une thématique très souvent étudiée par les sociologues et les anthropologues
1.1.2. Quelques travaux relatifs à la pêche amatrice
1.1.3. La place du géographe : quel intérêt scientifique et méthodologique ?
2. DU LABORATOIRE AU TERRAIN : ELEMENTS METHODOLOGIQUES
2.1. LE GUIDE D’ENTRETIEN
2.1.1. Présentation du guide : développer le discours autour de l’espace de pêche
2.1.2. L’expérience cartographique
2.2. LA NÉCESSAIRE PRISE DE CONTACTS POUR LA CRÉATION D’UN RÉSEAU
2.2.1. Comment se créer un réseau et dans quel but ? Les premiers pas dans le monde de la pêche
2.2.2. Rencontre avec les acteurs institutionnels : les entretiens d’experts
2.2.3. Rencontre avec les pêcheurs : instaurer des rapports de confiance
2.3. DU LABORATOIRE AU TERRAIN : SORTIES PÊCHE, LIMITES ET REMISE EN QUESTION MÉTHODOLOGIQUE
2.3.1. Présentation des sorties : différentes techniques de pêche sur des plans d’eau variés
2.3.2. Difficultés de la prise de notes et abandon partiel de la grille d’entretien
2.3.3. Expérience cartographique : le respect de la confidentialité
3. LES SAVOIRS LOCAUX DES PECHEURS : ANALYSE DES DISCOURS ET PISTES DE RÉFLEXION
3.1. LE DISCOURS INSTITUTIONNEL : UN REGARD À DOUBLE ENTRÉE
3.1.1. Les acteurs du monde de la pêche posent un regard globalement négatif sur les pêcheurs amateurs
3.1.2. La transmission académique des savoirs halieutiques : les Ateliers-Pêche-Nature
3.1.3. La question des savoirs locaux : au delà de la simple considération écologique
3.2. LE DISCOURS DES PÊCHEURS : DÉTERMINER LES SAVOIRS LOCAUX
3.1.1. Observation de phénomènes en opposition avec ce que dit la science
3.1.2. Croire savoir : baser sa technique de pêche sur des savoirs erronés
3.1.3. Les carnets de pêche : matérialisation de savoirs empiriques
3.3. SAVOIRS LOCAUX ET ESPACES DE PÊCHE : LE LIEU CONDITIONNE-T-IL EN PARTIE LA CONSTRUCTION DE CERTAINS SAVOIRS ?
3.3.1. Le choix du lieu: la première étape construite avant de pêcher
3.3.2. Un rapport à l’espace différent selon le type de plan d’eau : la lecture du plan d’eau
3.3.3. L’appropriation de l’espace et le rapport aux autres espèces : “un prédateur dans son milieu naturel” ?
3.3.4. L’exemple du lac des carolins : “ce qui est vrai ici ne l’est pas forcément ailleurs”
CONCLUSION

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