Le rôle controversé des administrations fiscales dans la lutte contre l’évasion fiscale

Le rescrit fiscal, un outil potentiel de lutte contre l’évasion fiscale et la concurrence fiscale dommageable

De manière contre intuitive, le rescrit fiscal peut être envisagé comme un outil potentiel de lutte contre l’évasion fiscale. En effet, d’une part, il complète l’arsenal répressif (contrôle et redressement) de l’administration fiscale en ajoutant une dimension préventive et coopérative avec le contribuable. D’autre part, le rescrit étant une procédure obligeant les administrations à dévoiler de manière transparente leur compréhension de la loi fiscale au regard d’une situation de fait, il soumet également les administrations au contrôle et pourrait ainsi contribuer à la lutte contre la concurrence fiscale dommageable entre Etats membres.

Le rescrit soumet ab initio la transaction au contrôle de l’administration

Le renforcement des moyens de contrôle et de répression de l’administration est le moyen privilégié à disposition de l’administration fiscale pour lutter contre la fraude fiscale. Pour autant, il n’en est pas le seul. En effet, bien que lutte contre l’évasion fiscale et répression de l’administration sont généralement associés, notamment lorsque les finances publiques sont mises à mal, la répression du contribuable fautif d’une part n’exclue par la coopération avec le contribuable de l’autre. L’arsenal répressif de l’administration pour lutter contre l’évasion fiscale peut être complété par un dispositif visant à améliorer la coopération entre l’administration et le contribuable.
Au contraire, la promotion de la sécurité fiscale du contribuable et la lutte contre l’évasion fiscale peuvent être complémentaires. Ainsi, lorsque le contribuable, recherchant de son côté la sécurité fiscale, soumet une transaction à l’administration fiscale, celle-ci dispose d’un accès simplifié et coopératif aux éléments qui lui permettront d’évaluer la transaction en question. Les intérêts de l’administration fiscale et ceux du contribuable se rejoignent. Au contraire, le recours au contrôle et à la répression tend à détériorer les relations entre l’administration et le contribuable, ce qui rend le contrôle fiscal encore plus difficile.

Le rescrit favorise la transparence des administrations fiscales

L’adhésion des Etats membres de l’Union européenne à lutter contre la concurrence fiscale dommageable remonte à l’adoption d’un code de conduite en matière de fiscalité directe des entreprises. L’un des critères retenus par ce code de conduite pour évaluer si les pratiques fiscales d’une administration sont dommageables ou non est leur manque de transparence. Or, l’émission de rescrits fiscaux par une administration démontre sa volonté de transparence vis-à-vis de ses contribuables. En effet, la volonté d’une administration fiscale de dévoiler à l’avance sa position dans l’interprétation d’une règle fiscale, et de considérer par la suite cette position comme opposable par le contribuable bénéficiaire, est la caractéristique même d’une administration transparente. Cette transparence rend incompatible l’utilisation du rescrit fiscal à des fins discrétionnaires de la part de l’administration. Un professeur de droit néerlandais, Leo Stevens, va même jusqu’à conclure que la Commission européenne devrait encourager tous les Etats membres à adopter une politique du rescrit fiscal transparente.

Le rescrit prix de transfert, une mesure susceptible de contribuer à l’évasion fiscale

L’ensemble des pays membres de l’Union européenne se conforment aux Principes directeurs en matière de prix de transferts établis par l’OCDE, soit directement dans le dispositif règlementaire (par exemple aux Pays-Bas), soit par une circulaire (Allemagne, Belgique, Luxembourg…). Le principe de pleine concurrence est également repris à l’article 9 du Modèle OCDE de convention fiscale, qui permet l’élimination des doubles impositions. Cependant, le prix de pleine concurrence peut être déterminé par différentes méthodes, le choix de l’une d’entre elle plutôt qu’une autre offrant alors une certaine marge de manœuvre aux entreprises. Cinq méthodes sont en effet préconisées par l’OCDE :
d’une part, trois méthodes « traditionnelles », fondées sur les transactions : le prix comparable sur le marché libre, le prix de revente moins, et le prix de revient majoré ;
d’autre part, deux méthodes « transactionnelles », fondées sur les bénéfices : la méthode du partage des bénéfices et la méthode transactionnelle de la marge nette. Cette marge de manœuvre a été exploitée par certaines entreprises multinationales afin de réduire leur charge fiscale globale, et contribue à l’évasion fiscale. Ainsi, la commission « TAXE » a constaté l’utilisation parfois abusive de ces méthodes par les entreprises, en contradiction avec l’esprit du principe de pleine concurrence. De manière générale, il a été estimé que le transfert de bénéfices entre territoires d’imposition entraîne une perte moyenne de perception de l’impôt sur les sociétés par les administrations fiscales de près de 5%.
C’est pourquoi les prix de transfert constituent aujourd’hui l’élément clé de la lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, engagée depuis 2013 par l’OCDE– quatre des quinze actions analysées par l’OCDE portent ainsi sur les prix de transfert et leur documentation. Une proposition de révision des Principes OCDE en matière de prix de transfert a été présentée en octobre 2015. Tout en maintenant l’unique principe du prix de pleine concurrence, l’OCDE souhaite notamment que les prix de transferts soient conformes à la création effective de valeur. Cette révision permettra de s’assurer que les bénéfices opérationnels sont effectivement attribués aux activités qui les ont générées. Ainsi, la propriété légale d’un actif incorporel (tel qu’un brevet ou une marque) ne doit pas nécessairement donner droit à la totalité (ou même à une partie) du rendement généré par cet actif. En effet, certaines multinationales profitaient de la grande mobilité de ces actifs incorporels pour les localiser dans des pays où ils bénéficient d’une faible imposition (tel que le Luxembourg, qui exempte jusqu’à 80% les revenus de la propriété intellectuelle), et survalorisaient la redevance due par les sociétés opérationnelles pour l’utilisation de ce brevet ou de cette marque.

L’application du régime des aides d’Etat à la matière fiscale

Tout d’abord, il est nécessaire de rappeler que le régime des aides d’Etat relève du droit européen de la concurrence. Il vise à prévenir l’altération de la libre concurrence sur le marché intérieur du fait de mesures étatiques de soutien économique aux entreprises. Afin d’atteindre cet objectif, les articles 107 à 109 définissent d’une part la notion d’aide d’État, en précisant à quelles conditions ces dernières peuvent être compatibles avec le marché commun, et d’autre part prévoient les règles procédurales applicables en cas d’attribution de la qualification d’aide d’état à une mesure nationale.
Aux termes de l’article 107 (1) TFUE, une mesure étatique pourra être qualifié d’aide d’Etat par la Commission s’il répond aux quatre conditions suivantes:
Origine étatique : intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État, quelle qu’en soit la forme; Avantage : cette intervention procure un avantage à son ou ses bénéficiaires ; Sélectivité : cette intervention fausse ou menace de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ;
Affectation des échanges : cette intervention est en mesure d’affecter les échanges entre Etats membres.
Logiquement, il s’en déduit qu’afin de préserver la libre concurrence sur le marché intérieur, une aide illégale (c’est-à-dire qui n’a pas été notifiée à la Commission) et déclarée incompatible par la Commission devra être récupérée par l’Etat l’ayant accordée. La procédure relative à cette récupération est prévue par l’article 16, paragraphe 1, du règlement 2015/1589.
Ainsi, l’application des règles des aides d’Etat aux mesures à caractère fiscal répond donc à un double objectif, reconnu explicitement par la Commission : d’une part, la préservation de la libre concurrence sur le marché intérieur, et d’autre part, comme nous l’avons vu précédemment, la lutte contre la concurrence fiscale dommageable.

L’échange automatique d’informations concernant les rescrits fiscaux

La coopération administrative dans le domaine fiscal est prévue par la directive 2011/16/UE, qui a instauré des échanges automatiques et obligatoires d’informations entre les Etats membres. Cependant, cette directive n’a pas toujours été appliquée par les Etats membres aux rescrits fiscaux, et notamment ceux en matière de prix de transfert . C’est pourquoi la Commission européenne a proposé le 18 mars 2015 une directive modifiant la directive 2011/16/UE afin de la rendre effectivement applicable aux accords préalables en matière de prix de transfert. Cette directive a finalement été adoptée le 8 décembre 2015 par le Conseil ECOFIN77.
La directive prévoit l’échange d’informations relatives aux rulings au sens large, c’est-à-dire incluant les décisions fiscales anticipées en matière transfrontière et les accords préalables en matière de prix de transfert. Une condition essentielle pour définir le ruling est le « droit de s’en prévaloir » pour son bénéficiaire. Les informations échangées sont nombreuses, et comprennent notamment un résumé du contenu du ruling, l’identification des Etats membres susceptibles d’être concernés, le montant de l’opération et les critères utilisés pour déterminer la méthode de prix de transfert applicable.

L’harmonisation fiscale positive, seule véritable solution de long terme ?

Bien qu’une politique fiscale européenne ne soit pas prévue dans les traités, celle-ci reste possible à travers l’article 115 TFUE, qui permet au Conseil « d’arrêter des directives pour le rapprochement des dispositions législatives règlementaires, et administratives des États membres », lorsque celles-ci ont une incidence sur le marché intérieur. Comme nous l’avons vu précédemment, la politique fiscale peut donc entrer dans le champ d’application de cet article. C’est la raison pour laquelle la Commission peut aujourd’hui proposer des mesures relevant d’une véritable politique fiscale européenne, et donc d’une harmonisation positive des législations fiscales des Etats membres.
La recherche d’une harmonisation par la négative n’est en effet que l’un des deux niveaux de la stratégie mise en place par la Commission. En effet, dès sa communication de 2001 sur la réalisation d’un marché intérieur sans entraves fiscales, la Commission est d’avis que la coexistence d’autant de juridictions fiscales qu’il y a d’Etats membres au sein du marché intérieur est à l’origine des obstacles au marché intérieur. Ainsi, pour la Commission, seule une véritable harmonisation au niveau de l’Union permettrait à long terme la réalisation du marché intérieur. Pour cela, la Commission défend la solution d’une initiative « plus ambitieuse, qui assurerait la couverture de l’ensemble des activités des entreprises au niveau de l’UE par une assiette unique et consolidée de l’impôt sur les sociétés ». Une proposition de directive relative à l’assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés (ACCIS) a été présentée en mars 2011 par la Commission. L’ACCIS répond en effet à cette ambition d’harmonisation : elle a pour objet d’harmoniser l’assiette de l’impôt sur les sociétés au niveau communautaire. Après avoir arrêté une définition commune de la base imposable, l’application de l’ACCIS par les Etats membres aurait pour effet de consolider le bénéfice imposable des entreprises au niveau de l’Union, plutôt qu’au niveau de chaque Etat. Puis, dans un second temps, ce bénéfice consolidé serait réparti entre les différents Etats membres en fonction de certains critères (nombre d’employés, masse salariale, valeur du capital physique, chiffre d’affaires, etc.). En revanche, l’ACCIS ne vise pas à harmoniser le taux d’imposition : le bénéfice serait ensuite taxé dans chaque Etat membre au taux défini par ce dernier.

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Table des matières

I. LE RESCRIT FISCAL EN MATIÈRE DE PRIX DE TRANSFERT, UN DISPOSITIF AUX EFFETS DIVERGENTS DANS LA LUTTE CONTRE L’ÉVASION FISCALE ET LA CONCURRENCE FISCALE DOMMAGEABLE AU SEIN DE L’UNION EUROPÉENNE 
A. Le rescrit fiscal en matière de prix de transfert, un outil théorique de sécurité fiscale 
1. L’APA dans la législation française : un exemple de la sécurité juridique conférée par le rescrit fiscal en matière de prix de transfert
a) Le risque de redressement au titre de l’article 57 du CGI
b) L’adoption progressive d’un rescrit spécifique en matière de prix de transfert
2. Le rescrit fiscal, un outil potentiel de lutte contre l’évasion fiscale et la concurrence fiscale dommageable
a) Le rescrit soumet ab initio la transaction au contrôle de l’administration
b) Le rescrit favorise la transparence des administrations fiscales
B. La pratique du rescrit fiscal en matière de prix de transfert au sein de l’UE
1. Les limites de la pratique du rescrit fiscal en matière de prix de transfert en France
a) Le très faible nombre d’APP signés entre l’administration et le contribuable
b) Une alternative insoluble : subir un délai important ou s’exposer à un risque de double imposition
2. La pratique des rescrits fiscaux au sein de l’Union ne permet pas d’améliorer la transparence fiscale, et donc de lutter efficacement contre l’évasion fiscale
a) Des limites liées à la pratique unilatérale et opaque des APA par certains pays de l’UE
b) Le rescrit prix de transfert, une mesure susceptible de contribuer à l’évasion fiscale
II. LA LUTTE CONTRE LA CONCURRENCE FISCALE DOMMAGEABLE, LIÉE À L’OCTROI DE RESCRITS PRIX DE TRANSFERT, AU SEIN DE L’UNION EUROPÉENNE
A. Le régime des aides d’Etat, bras armé de la Commission européenne dans la lutte contre la concurrence fiscale dommageable entre Etats membres
1. L’essor du régime des aides d’Etat à la matière fiscale
a) Le principe de lutte contre la concurrence fiscale dommageable entre Etats membres
b) L’application du régime des aides d’Etat à la matière fiscale
2. L’application du régime des aides Etat aux rescrits prix de transfert
a) Les enquêtes de la Commission depuis 2013
b) Trois premières décisions de récupération suite à ces enquêtes
B. Les mesures complémentaires proposées par la Commission européenne pour mettre un terme définitif à l’évasion fiscale par le moyen des prix de transfert 
1. Améliorer la transparence des administrations et des multinationales
a) L’échange automatique d’informations concernant les rescrits fiscaux
b) La déclaration pays par pays
2. Harmoniser l’assiette de l’impôt sur les sociétés au niveau communautaire
a) Le choix d’une stratégie d’harmonisation fiscale négative par la Commission
b) L’harmonisation fiscale positive, seule véritable solution de long terme ?

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