Le réalisme magique en sol québécois

Le réalisme magique en sol québécois

LA VOIX ENFANTINE, INSTIGATRICE DU RÉALISME MAGIQUE

« Tout le monde peut voir une piastre de papier vert Mais qui peut voir au travers si ce n’est un enfant […]
Mais il voit par cette vitrine des milliers de jouets merveilleux
Et n’a pas envie de choisir parmi ces trésors
Ni désir ni nécessité
Lui
Mais ses yeux sont grands pour tout prendre77. »
Le narrateur-enfant et son utilité dans la fiction réaliste magique « Je vous raconte des histoires. Croyez-moi78. »
Afin d’éviter toute confusion, il est primordial de spécifier que la figure et la perspective de l’enfant présentées dans les fictions, qu’elles soient réalistes magiques ou non, sont de pures constructions. Gardons aussi en tête que ces fictions sont investies de la conscience de leur écrivain et que derrière les représentations de l’enfant en littérature « se cache très certainement l’adulte79 » :
En vérité, les enfances littéraires renvoient à une figure rhétorique très ancienne, la prosopopée, qui consistait à mettre en scène et à faire parler des absents, des morts, des choses, des êtres inanimés, à donner la parole à ce qui par nature en est dé-pourvue. Si l’enfance ne parle pas et que pourtant la littérature la fait parler, même écrire quelquefois, c’est qu’en elle quelque chose d’autre parle, que par un quelconque ventriloquisme on usurpe sa parole refusée80.
Déjà, l’idée d’un enfant endossant la narration d’une fiction « présente un problème de conquête de réalisme81 » parce qu’elle comporte une incohérence majeure. L’enfant réel ne maîtrise ni le langage ni l’écriture. Par conséquent, il ne peut être chargé de la transmission autonome et entière du récit. Un décalage se forme ainsi entre l’enfant véritable et le narrateur-enfant; entre l’enfant objectivé et l’enfant tel que perçu et décrit par l’adulte écrivain. Ce dernier est un étrange amalgame. Il est à la fois constitué de ce que représente l’enfant selon l’opinion commune et d’une part de l’esprit du créateur lui-même, tel un alter ego, un double enfantin :
Nos images de l’enfance sont sans doute, bien plutôt qu’en nous reflets plus ou moins positifs de l’enfance réelle, miroirs indirects de nous-mêmes en tant que nous les instituons, c’est-à-dire les imaginons. Largement engendrées par les matrices de la représentation elles ont toutes chances d’être, à maints égards, des sortes de “métaphores” de cette alchimie mentale et onirique qui les songe, les travaille, les construit82.
En ce sens, la manière dont Iode Ssouvie et Tinamer de Portanqueu sont mises en scène par l’écrivain, puis embrassées par le lecteur, n’est pas le produit d’éléments factuels, mais bien d’assomptions culturelles et sociales83. Ces enfants demeurent inévitablement des structures hyperboliques qui ne correspondent pas tout à fait à l’enfant référentiel. Ce sont des êtres manufacturés qui reprennent certainement quelques gestes ou paroles de l’enfant réel, mais qui possèdent aussi certaines particularités adultes, une précocité parfois déroutante, qu’explique la plurivalence symbolique de leur personnage84.
C’est pourquoi les théories rapportées dans le cadre de cette recherche ne devraient jamais être confondues avec des observations empiriques de la psychologie de l’enfance, et ce, malgré le fait qu’elles puissent montrer des affinités avec certaines études de ce domaine. Notre champ d’expertise se limite strictement à l’enfant en tant que construction littéraire au XXe siècle et en tant qu’outil littéraire déterminé par l’adulte écrivain.
Plus précisément, ce qui nous intéresse est la façon dont cet enfant littéraire peut soutenir la narration réaliste magique. Comme nous l’avons montré précédemment, l’autorité du narrateur joue un rôle capital dans l’abolition de l’antinomie entre le réel et le magique. La plupart des traits formels essentiels du réalisme magique tels qu’ils sont formulés par Chanady dépendent de la narration. Le narrateur réaliste magique est, soulignons-le, le représentant d’une vision inhabituelle de la réalité grâce auquel le lecteur accepte — ou refuse — d’ajuster son processus de lecture; grâce auquel le lecteur consent à modifier momentanément sa façon de percevoir la réalité. Dans un tel contexte, est-il judicieux de confier la narration d’une fiction réaliste magique à un personnage enfant ? La parole du narrateur-enfant possède-t-elle l’autorité nécessaire pour servir une esthétique aussi complexe que celle du réalisme magique ? Il est évident que l’ingénuité permettant à la fiction réaliste magique de dépeindre le monde magique est largement due à une manière impassible de narrer. Ce calme et cette indifférence devant l’étrange sont déstabilisants: ils trahissent la profonde différence des narrateurs réalistes magiques. Ils « sont des personnages qui peuvent être considérés en quelque sorte autres85 ». L’enfant pourrait-il correspondre à cette description près de la marginalité ? Tentons de répondre à ces interrogations et cernons, sans prétention exhaustive, quelques-uns des intérêts qui pourraient expliquer l’emploi de la voix enfantine dans les fictions réalistes magiques.
Quelques études se sont justement intéressées à cette figure idéelle de l’enfant pensée par l’adulte ainsi qu’à son lien avec l’esthétique réaliste magique. Dans l’article « Scheherazade’s Children : Magical Realism and Postmodern Fiction », Wendy Faris effleure le sujet en spécifiant que le narrateur réaliste magique possède souvent un regard « frais, puéril, même primitif86 ». Le narrateur décrit alors la part magique des choses « sans commentaire, d’une façon factuelle, acceptée comme un enfant l’accepterait, sans questionnement ou réflexion indus87 ». De leur côté, les chercheurs Michel Dupuis et Albert Mingelgrün avancent une brève hypothèse dans les pages de leur ouvrage collectif, Le réalisme magique : Roman, peinture, cinéma :
D’une part, il fallait que ces personnages [réalistes magiques] fussent traités avec un minimum de réalisme, rattachés au quotidien ; de l’autre, ils devaient être à même, en tant que témoins d’un mystère, de détendre leurs amarres, afin de susciter en eux, autour d’eux, le vide qui garantit leur réceptivité à l’aventure et au changement. Ceci explique en partie pourquoi ce sont souvent des enfants ou de grands enfants, que leurs dispositions ludiques, leur imagination, leur promptitude à apprendre à percevoir les indices magiques, messages que ne sauraient lire les gardiens du bon sens88.
Si plusieurs ont suggéré cette concordance, nul ne s’y est attardé de façon substantielle à l’exception de la théoricienne anglaise Anne Hegerfeldt. Dans un chapitre intitulé « Naturally magical : child(like) focalizers in magic realist fiction89 », elle formule l’hypothèse que l’enfant serait, en vérité, le narrateur de prédilection du réalisme magique. Hegerfeldt estime que son regard et ses dispositions s’harmonisent presque en tous points aux particularités narratives du réalisme magique. Elle expose, pour appuyer son propos, quatre postulats récurrents du discours commun qui soulignent la proximité entre la vision de l’enfant et celle du réalisme magique.
En premier lieu, Hegerfeldt remarque qu’il est courant d’estimer que l’enfant croit en la présence du surnaturel. Les occurrences merveilleuses sont intégrées naturellement à son quotidien et, comme Hegerfeldt le précise, « aucune quantité de raisonnement, que ce soit à propos des lois de la nature ou des inconvénients d’un déficit du sommeil, ne pourra le rendre moins réel90. » Il s’agit, pour l’enfant, d’une croyance ferme, d’un fait indiscutable. Ainsi, lorsque l’enfant prend en charge la narration, il n’éprouve pas le besoin de défendre la présence du surnaturel. Pour lui, quoi qu’il advienne, le surnaturel demeure un phénomène intrinsèque à la réalité, qui ne nécessite pas plus d’explication qu’un événement quelconque. Du point de vue de l’enfant, un arbre doté de la faculté de parole n’exige pas plus de commentaires qu’une voiture se déplaçant sur une voie asphaltée. Le lecteur — que le discours commun n’épargne pas — saisit cet état d’esprit emblématique de l’enfant et, dès lors, ne soumet pas la narration à des questionnements d’ordre ontologique. À défaut d’être véridique, la manière de voir le monde que dépeint l’enfant est, à tout le moins, concevable et intelligible. De plus, le narrateur-enfant a l’avantage d’exposer le surnaturel tout en passant sous les radars du doute parce que le lecteur ne s’attend à rien de moins de sa part : il sait que le monde de l’enfance est « mang[é] de merveilles91 ». À ce propos, Kenneth Meadwell a, en 1989, étudié la relation unissant Bérénice Einberg à Constance Chlore dans L’Avalée des avalés de Ducharme. Il s’agit de personnages très similaires à Iode et Asie. Meadwell fait dans cette étude une observation qui pourrait être transposée aux héroïnes de L’Océantume. Il affirme que le statut d’enfant de Bérénice et de Constance leur accorde « une grande latitude fictionnelle, car on reconnaît dans [leur] discours l’existence de quelques clichés, qui ont néanmoins subi une certaine dislocation et qui permettent au lecteur d’accepter l’irréalité du discours comme “ normale ”92 ». Cette particularité de l’horizon d’attente du lecteur offre au narrateur-enfant la possibilité de naturaliser le surnaturel tel que le réalisme magique le prescrit, c’est-à-dire sans attirer les soupçons.
Une autre assomption populaire veut que l’enfant perçoive des éléments et phénomènes de la vie quotidienne avec étonnement et admiration. Celui-ci possède un regard neuf et naïf « lié à une disponibilité sans bornes93 ». Il peut découvrir la merveille là où l’adulte ne discernerait, par exemple, qu’un simple objet ou un événement trivial. En effet, cette capacité de percevoir le monde comme pour la première fois serait, du moins « dans son état le plus pur, la prérogative de l’enfant et du fou94 » et, non sans hasard, la prérogative du narrateur réaliste magique. Toujours selon Hegerfeldt, les fictions réalistes magiques tendent à utiliser des narrateurs ex-centriques qui imposent un discours alternatif, à l’écart des assertions de facture référentielle. Il s’agit de narrateurs qui, le plus spontanément du monde, permettent la coexistence d’impulsions contradictoires dans leurs discours et leurs pensées :
Le magique provient d’une perception du mystère immanent des choses et perçant sporadiquement ou palpitant à la surface des choses. Un autre monde se trouve caché dans le monde ordinaire de façon à ce qu’il émerge d’un secret déjà contenu à l’intérieur, formant un aspect occulté et latent de la réalité. Cet autre monde est accessible à ceux qui, en raison de leur marginalisation ou de leur instabilité psychique, sont aussi capables de percevoir la face inférieure de la réalité95.
Le réalisme magique privilégie donc la parole des fous et des enfants, avant tout, parce qu’ils sont dépositaires de ce regard infiniment ouvert, perceptif et susceptible de discerner la part magique des choses :
Pour eux l’impossible n’existe plus, l’invraisemblable disparaît, le féérique devient constant et le surnaturel familier. Cette vieille barrière, la logique, cette vieille muraille, la raison, cette vieille rampe des idées, le bon sens, se brisent, s’abattent, s’écroulent devant leur imagination lâchée en liberté, échappée dans le pays illimité de la fantaisie, et qui va par bonds fabuleux sans que rien l’arrête. Pour eux tout arrive et tout peut arriver. Ils ne font point d’efforts pour vaincre les événements, dompter les résistances, renverser les obstacles96.
Sans doute, la fiction réaliste magique opte encore plus souvent pour le narrateur-enfant dans la mesure où son excentricité n’est ni permanente — puisque l’enfance est une période transitoire —, ni méconnue — car chacun en fait inévitablement l’expérience — , ni le produit d’une déséquilibre psychologique. Le lecteur peut ainsi se référer aux paroles du narrateur-enfant sans méfiance.
Il est aussi répandu de croire que l’enfant ne sait tout simplement pas distinguer ce qui relève de la réalité et ce qui relève de la fantaisie. C’est notamment ce qui expliquerait sa propension à accepter si aisément la présence du surnaturel dans son quotidien. Après tout, il n’est de « caution de l’impossible que par la lucidité et l’intelligence, par le recours à la raison97 », et l’enfant tel qu’on le conçoit n’y a pas encore accédé entièrement. Il est un être mis en corrélation avec le primitif, donc pré-rationnel. Il n’a pas encore intégré les repères conventionnels qui nous permettent de réagir à l’insolite, de repérer ce qui semble anormal. Ce trait — qui pourrait être considéré comme une tare pour les promoteurs d’une littérature plus pragmatique — semble grandement profitable à la fiction réaliste magique. Une telle fiction cherche justement à relativiser les conceptions dichotomiques de la réalité :
L’esprit et le corps, l’âme et la matière, la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, soi et l’autre, l’homme et la femme : ces frontières à effacer, transgresser, brouiller, rassembler ou, autrement, à refaçonner fondamentalement dans les textes réalistes magiques98.
Dans la mesure où l’enfant ne perçoit pas la différence entre ces codes, il ne peut percevoir leur hiérarchisation et encore moins révéler cette hiérarchisation dans le cadre d’une narration. Les frontières usuelles qui donnent un aspect binaire à la réalité, qui séparent le beau et le laid, le bien et le mal ou, dans ce contexte, le réel et le magique sont systématiquement dissoutes par le regard enfantin. Une fois cette dissolution mise en marche, le narrateur, délié des exigences d’une pensée bipartie dite contraignante, dispose d’un plus vaste terrain d’exercice.
Finalement, Hegerfeldt remarque l’hypothèse familière selon laquelle l’enfant aurait de la difficulté à saisir la différence entre le signifiant et le signifié, c’est-à-dire entre le langage littéral et le langage figuratif. Il montre alors une propension à mésinterpréter les métaphores ou, plus précisément, à « littéraliser » celles-ci. En fait, il existerait, dans l’esprit de l’enfant, un lien direct entre le langage et le monde référentiel, « ce qui signifie qu’il croit les mots capables d’exercer une influence directe sur la réalité physique99. Par exemple, comme nous l’avons constaté dans le premier chapitre de cette étude, les rêves d’Iode et de Tinamer ont la capacité de modifier le concret, de prendre chair. L’enfant met en pratique, peut-être plus ponctuellement que toute autre figure littéraire, l’idée selon laquelle la langue n’est pas l’outil, plus ou moins perfectionné, par lequel se dirait une réalité préexistante, mais constitue cette réalité autant qu’elle la transmet100.
La fiction réaliste magique sème volontairement la confusion entre ce qui existe hors du narrateur et ce qui existe seulement en fonction de celui-ci; entre ce qui est réellement objectif et ce qui n’est, sous les apparences du monde tangible, qu’une pseudo-matière, dotée d’une vérité purement subjective, psychique ou mentale. Dans la fiction réaliste magique, « le langage fusionne avec la réalité au point de devenir une substance solide101 », un phénomène palpable. Le narrateur-enfant représente ainsi le médiateur idéal pour mettre en scène ce mode de littéralisation.
Apportons aux observations d’Hegerfeldt d’autres conceptions de l’enfant et de ses qualités littéraires qui sont, d’ordinaire, présentées en dehors de leurs liens avec le réalisme magique. Tentons, en d’autres mots, d’identifier des caractéristiques avérées dans la littérature qui expliqueraient le choix de l’enfant comme narrateur dans la fiction réaliste magique. Comme nous l’avons mentionné plus tôt, Hegerfeldt soutient que le narrateur-enfant peut être reconnu comme étant ex-centrique. Elle signifie que l’enfant est systématiquement renvoyé hors du centre privilégié de la littérature et de ses genres canoniques déterminés majoritairement par la critique européenne. Relégué à des domaines autres, ceux de la puérilité, de la déraison ou de l’irrationnel, le personnage enfant est condamné à se maintenir en marge du discours admis et aux limites de l’invraisemblance puisqu’il « est étymologiquement celui qui n’a pas la parole : infantia, disaient les latins, littéralement ce qui ne parle pas, et à plus forte raison ce qui n’écrit pas102. » Bien sûr, dans la littérature contemporaine, il ne correspond plus tout à fait à sa description étymologique, car il s’avère non seulement qu’il a appris à parler, mais aussi à réfléchir : il est, a fortiori, un visionnaire103. Néanmoins, il conserve ce statut de marginal dont la parole est inéluctablement située hors du discours conventionnel et prisé des adultes.
Dès lors, il n’est pas étonnant d’observer des personnages enfants se montrant dans toute leur complexité, dans toute leur différence par rapport aux normes admises. Ils sont souvent décrits comme des êtres sensoriels et imaginatifs, mais aussi doués d’une intelligence qui se veut réfractaire aux règles adultes. Ils sont, en définitive, utilisés comme des protagonistes « autres », des marginaux qui promeuvent la différence et remettent en question l’ordre des choses. La pensée cartésienne et la logique — qui sont les indicateurs d’un discours usuel — leur sont toujours refusées. À ce propos, on sait que le réalisme magique interroge les structures et les paradigmes dominants en créant un « espace pour les interactions de la diversité104. » La valeur de l’excentricité est négociée puis promue à un rôle d’avant-plan. De plus, le narrateur réaliste magique, tout comme l’enfant, « est perçu d’emblée comme hautement fantaisiste, car il affecte d’ignorer qu’il y a antinomie radicale entre les codes réaliste et surnaturel du texte105. » C’est pourquoi la narration réaliste magique s’accorde si bien au mode de pensée de l’enfant ; c’est pourquoi l’enfant est prédisposé à accueillir le merveilleux en ses récits :
Le Merveilleux profite des points de faiblesse de l’intelligence organisatrice, comme le feu du volcan s’insinue entre les failles des roches ; il illumine les greniers de l’enfance ; il est l’étrange lucidité du délire ; il est la lumière du rêve ; l’éclairage vert de la passion ; il flambe au-dessus des masses aux heures de révolte106.
Il est aussi commun de penser et d’utiliser l’enfant littéraire comme porte-étendard de la liberté. L’enfant se situe au stade du pré-langage, du commencement de la vie. Il ne porte pas le fardeau des responsabilités « adultes ». Il ne redoute rien parce qu’il n’a pas encore fait l’expérience de la déception. Il ne connaît pas la transgression puisqu’il n’a pas encore conscience des principes et des lois. Il ne se tourmente pas avec les limites de son savoir ou de ses aptitudes, car il ne les a pas testées à ce jour. Pour lui, il n’existe pas de référence en ce qui a trait au Beau, au Vrai, au Juste, « ces fictions nécessaires, désormais renvoyées à un relativisme absolu107. » C’est dire que, pour lui, tout est neuf et donc possible. Même son langage est délié des convenances et des obligations de l’orthographe et des règles grammaticales. Le choix de confier la narration à un personnage enfant ne peut alors être fortuit :
Outre la liberté langagière qu’il octroie, ce choix narratif concède aux récits une liberté stylistique, structurale et sémantique qui les rapproche du réalisme merveilleux108.
On s’imagine par ailleurs l’enfant comme un être ne possédant ni histoire, ni religion, ni allégeance politique, ni identité culturelle propre — et même sexuelle, du moins en bas âge. Son esprit est libre de toute contrainte et son regard est « ouvert sur un futur toujours envisagé comme plénitude de l’être109 », ce qui fait de lui un personnage en constant processus de création. Il est donc possible, pour un personnage enfant, de mettre en valeur la différence sans attirer l’irritation des privilégiés, sans être réfractaire. Il ne choque pas. Il n’est, en fin de compte, qu’un enfant et son état, s’il est original, demeure inexorablement transitoire.
Par ailleurs, le personnage enfant peut se révéler un outil littéraire précieux puisque sa parole est gage de vérité. L’adage selon lequel la vérité sortirait de la bouche des enfants n’est pas anodin. Il témoigne d’une inclination répandue à percevoir les enfants comme l’incarnation de la pureté, comme la manifestation la plus avérée de l’innocence :
[L]e mythe rousseauien de l’innocence primitive de l’enfant a survécu au cours des générations : sans doute parce qu’aujourd’hui, face à la crise des valeurs et de l’individu, le monde des adultes cherche désespérément à retrouver dans l’univers enfantin ses fantasmes d’un paradis perdu, son rêve d’une intégrité individuelle110.
À cause de sa prétendue innocence, l’enfant est dès lors considéré comme le détenteur de la vérité. En ce sens, sa parole dispose d’un avantage considérable sur celle de l’adulte puisqu’elle se veut sincère. La littérature regorge d’exemples de récits où l’innocence et la sincérité de l’enfant sont comparées à la bassesse des adultes. Ducharme lui-même écrira à ce propos :
Ce qui est sûr, c’est que sauf exception, tous les adultes sont pris dans le mal, et que sauf exception, tous les enfants ne sont que des victimes du mal à retardement111.
Somme toute, l’enfant est celui qui « offre une vision apolitisée de la société, qui enregistre les sensations dans leur fraîcheur originelle et appréhende l’essence des mots, des choses et des actes112. » Il est, pour tout dire, celui qui offre une vision immaculée des choses. Son esprit est vide « un peu comme il n’y a que du néant dans un ciel serein. » (O, 72) Il est disposé à comprendre, à découvrir, à écouter : « Dis-moi quelque chose, n’importe quoi, [dit Iode à l’attention d’Asie Azothe]. Mets des mots dans mes oreilles : il y a tellement rien dedans qu’elles vont éclater. » (O, 71) L’adulte, au contraire, « a bien trop de mots dans la tête pour prendre la peine d’y recevoir » (O, 116) autre chose. C’est pourquoi la voix de l’enfant se veut si importante, si recherchée et prisée :
[Q]uand un enfant parle, on tend l’oreille…, on accepte ses maladresses, on sourit de ses hésitations, on excuse ses énormités bref, on s’ouvre à lui, tout prêt à recevoir sa parole, à plonger sans méfiance dans son univers113.
L’enfant littéraire bénéficie d’une certaine immunité lorsqu’il est question de mensonge, de tromperie ou d’hypocrisie. On estime immédiatement que sa parole, à défaut d’être crédible ou fiable, demeure, à tout le moins, profondément authentique.
Cette authenticité assurerait une certaine autorité à l’enfant lorsqu’il prend en charge la narration. Précisons d’abord que le narrateur réaliste magique ne peut jamais tout à fait répondre aux standards usuels de fiabilité. À cet égard, la fiction réaliste magique est profondément différente de son genre analogue, le fantastique. Il n’est pas indispensable que son narrateur soit un « homme moyen », un personnage honnête, scrupuleux et bien-pensant en qui la majorité des lecteurs pourraient se reconnaître. Les narrateurs réalistes magiques ne sont pas « fiable[s] dans la présentation de notre vision conventionnelle du monde, mais ils semblent donner un portrait précis d’une mentalité différente114. » Quoi qu’il advienne,

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Table des matières

Introduction
Corpus et visée
État de la question
Intérêt du sujet
Approche méthodologique
Chapitre I : Le réalisme magique en sol québécois
La nébuleuse réaliste magique
Un réalisme magique pour tous
Les manifestations du réalisme magique dans L’Océantume
Les manifestations du réalisme magique dans L’Amélanchier
Chapitre II : La voix enfantine, instigatrice du réalisme magique.
Le narrateur-enfant et son utilité dans la fiction réaliste magique
Les exemples d’Iode et de Tinamer
Chapitre III : Le réalisme magique, l’enfance et le geste fondateur.
Le peuple-enfant et sa littérature
Les temps ensoleillés de l’enfance
L’enfance et le réalisme magique au service de la société québécoise moderne
Conclusion
Bibliographie

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