Le rapport dual entre homme et nature

L’héritage des croyances judéo-chrétienne

Le Moyen-Âge est notamment marqué par l’éclosion de la vision judéo-chrétienne dans le monde occidental. Ces religions, basées sur des croyances monothéistes, aspirent à une conception linéaire et non répétitive du temps. Elles se détachent ainsi radicalement des anciennes croyances gréco-romaines et païennes en établissant une séparation franche entre l’Homme et la Nature. Ainsi, ses enseignements visent à définir l’Homme comme un être ayant été créé par Dieu à son image et après l’apparition des animaux. Il est donc une espèce à part entière, supérieure à la Nature.
White va définir cet avènement comme une révolution majeur de notre société actuelle. « The victory of Christianity over paganism was the greatest psychic revolution in the history of our culture »9. Bien que ces nouvelles pensées soient majoritairement répandues par la société chrétienne, c’est dans les campagnes que les premiers changements vont apparaître vers la fin du Moyen-Âge. Cela se matérialise notamment par une évolution des techniques et outils de travail. Les machines pour labourer la terre deviennent plus performantes et efficientes ce qui entraine un changement radical dans les façons de travailler des paysans. Les récoltes ne sont plus dictées par les besoins de la famille mais par la capacité de récolte des nouvelles machines. Les terrains exploités changent de forme pour faciliter et permettre une meilleure production. L’animisme païen paraît définitivement détruit, laissant la Nature sous la domination de l’Homme.
Cette corrélation entre l’évolution des techniques et le changement dans les méthodes d’exploitation de la Nature s’explique par le début de l’ère moderne. Cette nouvelle ère marque la ferme volonté de l’Occident de développer ses connaissances et compétences dans les domaines des sciences et des technologies. C’est d’ailleurs sous une forte influence de la doctrine chrétienne, que les grands scientifiques de l’époque mèneront leurs travaux de recherche. Impulsés par les enseignements chrétiens et profitants des nombreux travaux menés au Moyen-Âge et dans l’Antiquité par les civilisations grecques ou arabes, les scientifiques modernes vont placer l’Occident au centre des avancées scientifiques et technologiques. Ce rapprochement est d’ailleurs défini par Lynn White Jr. comme le point de rupture dans la relation entre l’Homme et la Nature. « Western Europe and North America arranged a marriage between science and technology, a union of the theoretical and the empirical approaches to our natural environment ».

Quand la science rencontre la technologie

L’influence des croyances judéo-chrétienne aura eu des répercussions directes sur le travail des scientifiques de l’époque. Cela se traduit notamment par la mise à disposition des sciences modernes dans le développement de nouvelles technologies.
La puissance occidentale dans ces domaines bénéficiera également de l’invention de l’imprimerie au milieu du XVe siècle pour se propager sur le reste du monde.
L’Occident devient ainsi le berceau et le centre des technologies modernes. Cette recherche constante d’évolution et de développement se fait au détriment de la Nature et les premières traces ne vont pas tarder à apparaître. La découverte de l’artillerie fait basculer l’art de la guerre dans une nouvelle dimension. Alors que les premiers canons voient le jour, ce sont des montagnes et des forêts entières qui sont exploités pour permettre l’approvisionnement en minerai de fer ou en charbon de bois. Les érosions, les déforestations ou les premiers nuages de pollution due à la combustion non réglementée du charbon apparaissent alors comme les premiers signes d’une mauvaise exploitation de la Nature. White nous parle ainsi du « smog problem arising from the burning of soft coal »11 survenu à Londres en 1285. L’évolution au dépend de la Nature est en marche et va s’accroitre de plus en plus au XVIIIe et XIXe siècle avec les Révolutions Industrielles qui se succèdent en Europe de l’Ouest. Cet essor de la production industrielle occidentale repose avant tout sur des secteurs clés ayant bénéficiés des progrès scientifiques. L’exemple le plus démonstratif de cette puissance scientifique au service de la technologie est sans aucun doute le développement des machines à vapeur. Avec l’utilisation de cette nouvelle énergie, ce sont tous les secteurs liés aux transports et à la mécanisation des machines qui ont évolué.

La seconde révolution industrielle sera celle de la maîtrise de l’électricité.

L’apport électrique dans l’industrie transforme l’image de la ville et des modes de vie.
Les usines s’implantent alors aux portes des grandes agglomérations et au plus près des populations devenues de plus en plus urbaines. En parallèle de cette embellie, les secteurs rattachés au pétrole, à l’automobile et à la chimie vont eux aussi connaître une importante mutation.
Couvée par les croyances chrétiennes venues d’Europe de l’ouest et d’Amérique du nord, cette rencontre entre les sciences et les technologies a fait basculer notre monde dans une nouvelle dimension. La course au progrès est lancée, la terre offre une matière en abondance et facilement exploitable, l’émergence de l’industrie et de la production à la chaîne favorise une production de masse toujours plus rapide et efficace. Si ce rapprochement, symbole de la victoire de l’Homme sur la Nature, est désigné par White comme l’instigateur des problèmes écologiques que nous commençons à subir aujourd’hui, il existe une autre donnée qui doit être prise en compte : la croissance exponentielle de la démographie humaine sur terre au cours de cette période.

QUAND L’HOMME EXPLOITE LA NATURE

Accroissement de la démographie

Le diagramme suivant (Fig.5) nous présente la courbe de croissance de la démographie humaine sur terre. Estimé à environ 170 millions à l’an 0, la population mondiale n’a jamais cessé de croître pour atteindre les 7,3 milliards en 2015. Au regard de ce graphique, on s’aperçoit que cette croissance s’est brutalement accéléré au fil des derniers siècles. « Progrès scientifiques et sanitaires aidant, la démographie humaine a ainsi pu être multipliée par 14 en à peine trois siècles. ».
La forte augmentation de la population additionnée aux différentes évolutions induites par les révolutions industrielles a eu une répercussion directe sur notre façon de construire et d’habiter. Ainsi, la mise en lumière de cette évolution entamée au début du XXe siècle correspond étroitement aux données illustrées dans les parties précédentes.
Dans l’objectif de répondre à cet accroissement phénoménal de la population, les méthodes de construction ont dû suivre le mouvement et embrasser la voie ouverte par l’industrie et la production de masse. L’architecture vernaculaire ne représente plus une solution viable face à ce défi planétaire. Il faut construire vite et en grande quantité pour répondre à une demande qui ne faiblit pas. Cette nouvelle donne suggère également de développer des méthodes de constructions plus générales et normalisées, pouvant être utilisées sur l’ensemble de la planète. Il s’agit là de l’émergence des matériaux issus de la filière pétrochimique et industrielle avec, en chef de fil, l’avènement d’un matériau phare : le béton.
Le recours à ce nouveau type de matériaux nécessite cependant l’exploitation et la transformation industrielle d’importantes ressources primaires. L’Homme se retourne alors une nouvelle fois vers la Nature et commence à puiser allègrement dans « le stock d’énergie solaire fossile élaboré et engrangé au long de millions de siècles de photosynthèse »13. Les gisements offerts par nos sous-sols semblent illimités et facilement exploitable, ce qui entrainera leurs exploitations sans limite. Cette solution hâtive ressemble à une voie de facilité pour pouvoir répondre favorablement à la demande, sur le court terme. Loin d’être une solution d’avenir, ce recours permanent aux ressources primaires de la Terre ne sera pas sans conséquences sur notre environnement et sur nos modes de vie.

Un trésor sous nos pieds

La découverte et l’exploitation de cette importante manne fossile présente sous nos pieds marque le début d’une nouvelle ère. C’est « l’entrée dans l’Anthropocène, l’ère nouvelle ouverte par l’entame du formidable capital d’énergie en sommeil dans les entrailles de la terre »14. Ce terme proposé par le chimiste et prix Nobel de chimie en 1995, Paul Crutzen, doit permettre d’isoler l’ère géologique qui a débuté lorsque les activités humaines ont commencé à engendrer un changement global sur l’écosystème de notre planète.
Le recours permanent et croissant à ces nouvelles sources d’énergies fossiles a ainsi permis de propulser notre civilisation dans l’ère moderne de l’industrie symbolisée par la période des Trente Glorieuses. « Durant les cinq premières années du XXIe siècle, le monde a ainsi consommé davantage d’énergie qu’au cours des cinquante premières années du siècle précédent »15 Ci-dessous (Fig.6), le diagramme illustre également le constat dressait dans la partie précédente concernant l’augmentation de la consommation d’énergie primaire générée par les progrès réalisés au cours des différentes Révolutions Industrielles.
Lynn White Jr. nous rappelle au début de son article: « we usually do not know exactly when, where, or with what effects man-induced changes came »16. Cette prise de conscience écologique portée par les effets engendrés par notre activité sur l’environnement n’est apparue que vers la fin du XXe siècle avec les Révolutions Industrielles. Le terme même d’ « écologie » fut lui utilisé pour la première fois en 1873 en Angleterre. Cette éclosion tardive s’explique notamment par l’évolution exponentielle des dégradations causées par l’Homme sur la Nature au cours de cette période. Nos actes ont dorénavant des conséquences bien plus importantes que dans le passé. On ne parle plus de simple brouillard de pollution, comme on a pu l’évoquer dans le paragraphe précédent, mais d’un probable dérèglement climatique à l’échelle planétaire.
Le désastre écologique engendré par notre surproduction a ainsi fait naître un mouvement écologique dans notre société. Si les premières propositions étaient généralement radicales et peu réalisables, cette idéologie a eu le mérite de placer la question liée à l’environnement au sein de notre réflexion de développement. Ce mouvement se traduit rapidement par la mise en place de « Sommets de la Terre » à partir de 1972. Ces rencontres décennales organisées par les Nations-Unies en collaboration avec les plus grands chefs d’Etat du monde ont pour objectif d’identifier
les moyens de promouvoir le développement durable dans le monde. Ces rencontres marquent le début d’une véritable prise de conscience écologique pour le futur de notre planète. Si elles ne furent pas toutes des succès, elles ont tout de même permis de mettre en place un programme commun comprenant des règles précises et les démarches à suivre pour améliorer la condition de notre monde. Toutefois, la situation d’urgence ne se faisant pas ressentir à l’époque, ces règles ont plus ou moins bien été respectées par les plus grandes puissances mondiales, nous entrainant ainsi dans une situation toujours plus délicate.
Aujourd’hui, la simple prise de conscience ne suffit plus et d’importants changements doivent être opérés pour maintenir l’espoir d’un avenir pour notre société. Dans la conclusion de son article, « Nous mangeons du pétrole », le géologue et écrivain Dale Allen Pfeiffer tire ainsi la sonnette d’alarme et ne laisse que très peu de place à l’incertitude concernant notre futur. Pour lui, seul trois alternatives sont envisageables.
La première concerne « la plus souhaitable »18 et vise à « choisir en conscience et sans contrainte de diminuer notre population de façon responsable ».19. Toutefois cette option se butte aux valeurs même de notre « impératif biologique de reproduction »20. De plus les progrès réalisés dans le domaine de la médecine ou les enseignements dictés par les différentes religions vont à l’encontre de cette alternative. Une seconde option, « la plus détestable »21 viserait à « imposer des réductions par des lois ». Cette hypothèse s’apparente « à un contrôle de la population par les principes de l’eugénisme »23 et il est difficile de concevoir que la société accepterait de se soumettre à une telle idéologie. Enfin, dans le cas où les deux premières solutions n’ont pas fonctionné ou n’ont pas été adoptées, Pfeiffer envisage une ultime issue à notre problème. « Ceci ne nous laisse qu’un troisième choix, qui présente un visage indicible de souffrance et de mort. »
Les visions présentées par Pfeiffer dans sa conclusion sont décrites comme de simples « conclusions évidentes [résultant] d’un rapport de fait »25. En confrontant le lecteur avec la dure réalité qui peut nous attendre, l’auteur cherche ainsi à le perturber pour l’inciter à réagir dans l’espoir de provoquer un débat autour des véritables questions qu’il faut nous poser pour notre avenir, questions auxquelles je vais essayer d’apporter des réponses dans la suite de ce mémoire.

SAUVONS LA MATIERE

En déroulant le fil de cette première partie, nous avons pu mettre le doigt sur les principaux éléments identifiés comme étant les responsables de notre crise écologique actuelle. Il apparaît assez nettement que les actions menées par l’Homme sur la Nature dictées par diverses croyances ou par simple besoin d’évolution sont à la base des maux écologiques que connait notre société actuelle. L’Homme apparaît ainsi comme le grand gagnant de ce rapport dual qu’il entretient avec la Nature. En l’exploitant abondamment, il a pu tirer profit de ses ressources naturelles pour évoluer et développer son habitat. Cette quête menée dans l’optique d’assouvir ses propres besoins immédiats n’a cependant pas été effectuée en pensant aux générations futures.
Ainsi, la période faste qui a suivi les Révolutions Industrielles semble arriver à son terme et les premiers signes d’épuisement de la Nature commencent à se faire sentir. Face à ce constat et aux conclusions énoncées précédemment, je souhaite aborder cette seconde partie en ciblant ma réflexion sur la source de toutes nos interrogations : les matières premières. La première sous-partie sera consacrée à la réalisation d’un état des lieux concernant ces précieuses ressources. Je m’intéresserai ensuite, dans une seconde sous-partie au secteur de la construction qui joue un rôle important dans l’utilisation de ces ressources. Enfin, la dernière sous-partie introduira ma réflexion sur le rôle que l’architecte peut avoir face à l’exploitation de cette matière.

UNE CRISE DE LA MATIERE

Les conséquences d’une production à outrance

« Les énergies fossiles ne sont pas renouvelables. Elles représentent un stock planétaire que nous pouvons utiliser à la vitesse que nous souhaitons mais qui un jour sera épuisé sans possibilité de renouvellement »26. Avec son article engagé, Pfeiffer mène une réflexion poussée sur la chaîne de production alimentaire des Etats-Unis au travers de l’utilisation et de l’exploitation des nouvelles énergies fossiles au service de l’agriculture dans les années 1950-1960. L’analyse menée sur cette « Révolution verte », m’intéresse particulièrement car elle illustre l’évolution de l’agriculture grâce à l’industrialisation du monde. Elle retranscrit ainsi la mutation dont on a pu observer les prémisses avec le texte de White.
En analysant l’agriculture intensive moderne des Etats-Unis, Pfeiffer s’attaque aux méthodes de production de l’un des plus gros producteurs mondiaux. Ainsi, cette analyse permet de mettre le doigt sur des phénomènes précis se répercutant à l’échelle mondiale. « L’utilisation d’énergies fossiles aux Etats-Unis a été multipliée par 20 durant les quatre dernières décennies »28 Si l’agriculture ne consomme que 17% de toute l’énergie produite grâce à ces ressources, elle représente néanmoins le secteur d’activité où l’impact écologique est le plus visible. L’auteur dresse un bilan peu élogieux : « érosion des sols, la pollution et la surexploitation des eaux souterraines et de surface, jusqu’à causer de sérieux problèmes environnementaux et de santé publique ». À trop vouloir exploiter la Nature, l’Homme se retrouve à être l’une des victimes directes de sa propre politique. La terre qu’il cultive n’est plus aussi riche que par le passé et a besoin de temps pour se régénérer naturellement. Par ricochet, l’eau et les sols souterrains se trouvent eux aussi affectés, ce qui engendre inexorablement une baisse de productivité et un risque important pour les populations dépendantes de cette agriculture.
« I personally doubt that disastrous ecologic backlash can be avoided simply by applying to our problems more science and more technology »30. En concluant sa thèse par le développement de cette idée, Lynn White Jr. affirme ainsi sa ferme opposition aux théories s’élevant pour un recours systématique à davantage de science et de technologie pour résoudre les problèmes. C’est pourtant ce qui va majoritairement se produire dans le domaine de l’agriculture. Face à une demande qui ne faiblit pas (constante augmentation de la démographie) et une chute de la productivité liée à la dégradation des sols agricoles, l’Homme se tourne une nouvelle fois vers les technologies pour combattre ses problèmes. Cela se traduit par une exploitation encore plus importante des énergies primaires pour mettre en place des systèmes d’irrigation toujours plus perfectionnés ou par le recyclage de produits dérivés du pétrole ou du gaz, en engrais ou pesticides pour booster la productivité. « La majeure partie des sols des grandes plaines ne vaut guère plus qu’une éponge que nous devons abreuver d’engrais pour produire des céréales »31. Par ces propos, Dale Allen Pfeiffer rejoint le point de vue exposé par White. A l’image de l’agriculture, le recours permanent à la technologie ne peut pas s’inscrire comme une solution pérenne pour l’avenir. La pollution des sols agricoles et des nappes phréatiques représente un danger que nous sommes capables de voir et d’appréhender, cependant il ne s’agit là que de l’arbre qui cache la forêt. En continuant d’exploiter sans relâche nos ressources souterraines nous nous dirigeons tout droit vers une pénurie des matières premières pour les prochaines générations. Sans alternatives concrètes, notre avenir repose sur la durée qu’il nous reste encore avant l’épuisement définitif de l’ensemble de ces ressources d’énergies fossiles.

Un système de production à revoir

L’épuisement des matières premières semble être d’ores et déjà acté, il ne s’agit maintenant plus que d’une question de temps avant de se retrouver devant le fait accompli. Si le recours à une telle richesse nous a permis de construire le monde comme nous le connaissons, avec l’ensemble des progrès technologiques modernes, c’est avant tout le système d’exploitation de cette matière qui semble nous être préjudiciable aujourd’hui.
« Nous ne sortirons pas le monde de la crise si nous ne changeons pas notre manière de penser. ».
En utilisant cette citation comme première phrase de leur ouvrage : « Cradle to Cradle – créer et recycler à l’infini »33, l’architecte américain William MCDonough et le chimiste allemand Michael Braungart s’inscrivent dans la lignée des idées développées par White et Pfeiffer sur la nécessité de changer notre manière de faire.
En défendant une volonté de « redéfinir la manière dont nous fabriquons les choses »34, les auteurs visent directement les « recettes universelles »35 de production en masse mises en place au cours des Révolutions Industrielles. Ils n’hésitent d’ailleurs pas à souligner le côté brutal et imposant de ces méthodes vouées à l’échec « « Si vous n’y arrivez pas par la force, c’est que vous n’êtes pas assez brutal. », telle pourrait être […] la devise de la première Révolution Industrielle ».
Avec ce livre, MCDonough et Braungart dénoncent également une maladie récurrente de notre société de consommation : « les élaborations « berceau à tombeau » » qui dominent la fabrication moderne et qui sont largement incitées par la politique d’obsolescence programmée. Ce système de conception, élaboré au cours de la Révolution Industrielle, a conduit à la production massive de « produits vulgaires »grâce aux richesses fossiles de nos sous-sols. Par produits vulgaires, les auteurs visent les produits « répondant aux normes, relativement faciles à fabriquer, et qui durent assez longtemps pour satisfaire les attentes du marché […] des produits mal conçus au regard de la santé humaine et environnementale […] inintelligents et inélégants. ». Ainsi, « selon certains bilans, plus de 90% des matériaux extraits pour la production de biens durables aux Etats-Unis sont presque aussitôt jetés. ».
Le système de production en question oblige la matière première à rentrer dans un cycle de vie non fermé. Une fois que celle-ci est extraite elle est acheminée vers des usines qui procèderont à sa transformation en utilisant d’importantes ressources en énergie grise dans le but de fabriquer un objet quelconque. Une fois le produit commercialisé et utilisé, il prend le chemin de la poubelle. Cette fin de vie ne permettant évidemment pas de valoriser la matière qui pourrait être réutilisée.

Une tyrannie intergénérationnelle

Résumons la situation, sous l’impulsion des Révolutions Industrielles notre civilisation est entrée dans une nouvelle dimension. Devant répondre à une croissance économique et démographique qui s’accroit de jour en jour, l’ensemble de notre infrastructure industrielle a été conçue dans l’optique d’assurer ce défi. Bien aidé par l’abondance des matières premières extraites de nos sous-sols, c’est l’ensemble de nos secteurs d’activité qui ont pu bénéficier de ces progrès, que ce soit dans le domaine de l’industrie, de la construction ou encore de l’agriculture.
Cette croissance laisse néanmoins derrière elle une importante zone d’ombre. « Elle le fait aux dépens d’autres préoccupations vitales, parmi lesquelles la santé humaine et écologique, la richesse culturelle et naturelle, l’amusement et le plaisir ». Cette phrase prélevée dans l’ouvrage de MC Donough et Braungart résume assez efficacement le fait, que dans cette évolution, il n’y aura finalement aucun vainqueur entre l’Homme et la Nature. Plus encore que dans le passé, c’est deux entités se retrouvent en danger et doivent combattre ensemble pour s’en sortir.
Les deux auteurs emploient notamment le terme de « tyrannie intergénérationnelle, la tyrannie des effets de nos actions actuelles sur les générations futures »43 pour décrire la situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement. Bien que les actions du passé n’aient pas été planifiées dans le but de détruire notre planète, elles vont avoir des répercussions inaltérables pour le futur.
Face à une pénurie des matières premières c’est l’ensemble de notre système de production qui est mis en danger. Par ricochet, cet épuisement menace également l’horizon de nos secteurs d’activité. Si nous avons pu voir les premiers effets et répercussions qui apparaissent sur l’agriculture, je vais à présent me tourner vers le domaine de la construction. Loin des premiers habitats préhistoriques entrevus en première partie, ce secteur a depuis bien évolué jusqu’à devenir l’une des activités au centre de toutes les préoccupations pour l’avenir.

LA CONSTRUCTION FACE AUX DOUTES

Premier secteur à avoir largement bénéficié des progrès industriels du début du XXe siècle, ce domaine est aujourd’hui pointé du doigt pour son implication dans la crise écologique que nous traversons actuellement. Généralement considéré comme l’un des plus gros consommateurs d’énergies primaires, ce secteur d’activité se fait également fortement remarquer par la quantité de déchets ou d’émissions qu’il produit. Le domaine de la construction se retrouve aujourd’hui face à une impasse.
D’un côté, une demande en logement liée à la croissance démographique, qui ne semble pas prête à décliner et d’autre part une source de matière première qui est en chute libre. Dans ces circonstances, il est temps de réagir et de trouver des alternatives crédibles pour faire bouger les lignes.

Un secteur en question

Pour revenir aux premières idées développées dans ce mémoire, construire et habiter à toujours fait partie de nos principales préoccupations humaines. Le contexte a cependant évolué, nous n’habitons plus un lieu juste pour se protéger mais pour pouvoir s’épanouir, grandir et faire partie d’une société. La diversification des besoins humains a ainsi engendré une multitude de nouveaux besoins en infrastructures. Autre caractéristique, le bâtiment présente la particularité d’être un secteur en constante mutation et qui regroupe un large panel d’activités : construction neuve, rénovation, démolition, production de matériaux bruts ou industriels. L’ensemble de ces activités ajoutées à une demande forte du marché (augmentation de la démographie – besoin de logements) a ainsi fait de ce secteur l’un des plus importants et des plus exposés face aux contraintes écologiques.
Au travers de ces valeurs c’est avant tout l’omniprésence des énergies primaires provenant de nos sous-sols qui pose problème. Si on ne peut que se réjouir d’une baisse de consommation du pétrole au cours de ces dernières années, il faut prendre conscience que cette baisse est avant tout imposée par l’épuisement de cette ressource primaire. En décryptant ce diagramme, nous ne pouvons que déplorer un constat déjà entrevu précédemment dans ce mémoire. Bien qu’en légère augmentation, la part prise par les énergies renouvelables est encore trop infime pour prétendre devenir une solution d’avenir. Les importantes consommations d’énergies décrites dans ces deux diagrammes illustrent le côté énergivore de ce secteur d’activité, toutefois lorsque l’on s’intéresse à la construction on s’aperçoit rapidement que l’énergie ne représente pas la seule source d’alimentation.

Un secteur qui consomme

Pour reprendre la définition du mot « construire », qui avait introduit la seconde partie de ce mémoire, « construire résulte d’un assemblage de différents matériaux suivant des techniques de construction appropriées dans le but de produire un édifice. ». Par conséquent, pour construire il faut indéniablement des matériaux ou de la matière plus ou moins modifiée dans le but d’obtenir un élément permettant la construction. Nous avons également pu voir que les matériaux de construction évoluent dans le temps et peuvent être utilisés différemment suivant la localisation.
Cependant, avec l’industrialisation de notre monde, les méthodes et matériaux de construction tendent à se généraliser et à se normaliser, quitte à perdre les propriétés et valeurs « locales » de certains matériaux.

Des répercutions sur l’environnement et la population

Tout au long de son existence, un bâtiment sera amené à consommer, plus ou moins directement, une grande quantité d’énergie primaire, de matières premières ou de différentes ressources que peut-nous offrir notre planète. Lors de sa construction, cette consommation passera avant tout par l’élaboration des matériaux et leur assemblage. Une fois sorti de terre, l’édifice devra consommer de l’énergie afin de satisfaire au bien-être de ses occupants. Enfin, une fois devenu vétuste, il nécessitera un nouvel apport d’énergie pour contribuer à sa démolition, désassemblage ou restauration. Le cycle de vie d’un bâtiment est donc sujet à un apport constant d’énergie et autres matières grises en tout genre. Toutefois, face à ces innombrables apports, nous allons retrouver de fortes émissions et rejets pouvant être pollués, comme on peut le lire sur la Fig.15.
Au regard de ce tableau et des informations précédentes, on constate que le bâtiment est un secteur d’activité qui a été développé selon le même modèle que l’ensemble des autres secteurs. On retrouve ainsi les mêmes problèmes et les mêmes préoccupations environnementales que dans l’agriculture, secteur qui m’a servi de fil conducteur dans ma première partie.
Face à ce constat et à ce sentiment d’impuissance devant toute cette mécanique bien huilée qui nous transporte à toute vitesse vers un avenir incertain, certains acteurs du bâtiment appellent au « lancement d’une nouvelle Révolution Industrielle »46 pour entrevoir un changement de mentalité. Bien que la proposition semble alléchante, elle semble difficilement envisageable dans l’immédiat. Contrairement à l’agriculture ou à l’industrie, où la machine et la technologie semble avoir pris le pas sur l’Homme, le secteur du bâtiment reste, pour le moment, un domaine d’activité où la notion humaine est encore bien ancrée.

L’ARCHITECTE MAITRE DE LA MATIERE GRISE

Dans une époque où son rôle est de jour en jour remis en cause et où son avenir est directement menacé par la technologie, j’aime à croire que l’architecte peut se révéler comme le garant de cette « notion humaine ». Premier décideur quant à l’implantation ou l’orientation d’un projet, il est également la personne chargée de choisir les matériaux qui composeront l’édifice. Son rôle de maitre d’oeuvre lui permet également de s’assurer que les choix décidés en amont seront bien respectés au cours de la construction. C’est par son travail et ses choix qu’il doit inscrire sa réalisation comme une offrande pour les générations à venir et l’environnement. Toutefois, dans l’immédiat et en attendant une hypothétique nouvelle Révolution Industrielle, l’architecte reste le seul à pouvoir oeuvrer pour faire changer les choses. Si la production industrielle des matériaux de construction peut sembler être une bataille bien trop grande pour lui seul, il peut néanmoins réfléchir à la reconversion ou à la réutilisation de ces matériaux en fin de vie.
Le tableau introduit précédemment (Fig.17) résume la répartition des déchets produits dans la construction. À première vue, le secteur du bâtiment produit, avec environ 40 millions de tonnes, quasiment cinq fois moins de déchets que le secteur des travaux publics. Toutefois, ces déchets proviennent de différentes branches de ce secteur, « 93% proviennent des démolitions et des réhabilitations, le reste étant issu de la construction neuve »47. Dans cette répartition, une nouvelle différenciation doit être faite entre les déchets selon trois catégories nécessitant des traitements particuliers et plus ou moins lourd.
Les déchets inertes caractérisent les déchets issus des matières minérales naturelles ou manufacturées. Représentant 72,4%, ces matériaux comme la pierre, le sable, la brique ou encore le béton, ne se décomposent pas naturellement et ne peuvent également pas être brulés. En seconde place, on retrouve avec 26,1% les déchets non dangereux et non inertes mais qui ont de grandes chances de s’altérer dans le temps. Enfin les 1,5% restant regroupent l’ensemble des déchets considérés comme dangereux tant pour l’environnement que pour les êtres humains.
Au regard de ces différentes catégories, les déchets considérés comme inertes représentent la plus large majorité et probablement la partie la plus facile à réemployer. On considère ainsi que près des deux tiers sont directement « utilisés comme remblaiement ou bien, une fois transformés en granulats après concassage, le sont en sous-couches routières sur un autre site que le chantier où ils ont été produits »48. Cependant, si une partie de ces déchets peuvent trouver un nouvel emploi sur le site même où ils ont été produits et sans nécessité une transformation particulière, cela n’est pas forcément le cas pour l’ensemble des déchets issus des autres catégories.
Comme en atteste les chiffres, l’ensemble des déchets non inertes est majoritairement issu des travaux réalisés en second oeuvre. Cette caractéristique induit que ces déchets, par leurs compositions ou leurs assemblages ne peuvent pas être traités de façon naturelle. Leur gestion en fin de vie doit donc être soumise à un travail spécifique en fonction de leurs provenances et de leurs compositions. Face à cette problématique et suite aux premiers mouvements écologiques prônant le développement durable, l’idéologie des 3R a bien souvent été montrée comme un exemple à suivre.

 

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela rapport-gratuit.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

1. TOUT VIENT DE LA TERRE
1.1 L’INFLUENCE DANOISE
1.2 TOUT EST UNE QUESTION DE MATIERE
1.3 ENTRE PASSE ET AVENIR : LE PRESENT
2. LES ORIGINES D’UNE CRISE 
2.1 L’HOMME PRE-ECOLOGIQUE
2.2 LE RAPPORT DUAL ENTRE HOMME ET NATURE
2.3 QUAND L’HOMME EXPLOITE LA NATURE
3. SAUVONS LA MATIERE
3.1 UNE CRISE DE LA MATIERE
3.2 LA CONSTRUCTION FACE AUX DOUTES
3.3 L’ARCHITECTE MAITRE DE LA MATIERE GRISE
4. RESTAURER LA MATIERE GRISE 
4.1 L’HERITAGE DU PASSE
4.2 EXPLORER LE POSSIBLE IGNORE
4.3 « CRADLE TO CRADLE »
5. … ET TOUT Y RETOURNE 
TABLE DES MATIERES 
INDEX DES FIGURES 
INDEX DES REFERENCES 
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES 

Rapport PFE, mémoire et thèse PDFTélécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *