Le Propre et l’Etranger : le concept d’identité vécue en première personne

En philosophie, on désigne par identité personnelle l’ensemble des propriétés par lesquelles un sujet peut se définir comme un individu à la fois distinct de tous les autres (unicité ou identité synchronique) et identique à lui-même dans le temps (identité diachronique ; Locke, 1689 ; Hume, 1739 ). A cette définition ontologique de l’identité personnelle répond une perspective épistémologique, celle du sujet qui éprouve son identité. Le plus souvent, on considère que le vécu identitaire recouvre une dimension temporelle – par laquelle le sujet se rapporte à des formes passées de soi sur le mode d’une continuité autobiographique (soi narratif ; Gallagher, 2000 ) – et une dimension corporelle – par laquelle le sujet fait l’expérience en première personne d’une singularité propre (soi corporel ; Gallagher, 2005 ). La principale thèse défendue dans ce travail est que le vécu identitaire permet de redéfinir la notion plus traditionnelle d’identité personnelle en la concevant comme une expérience essentiellement dynamique et incarnée.

Le double but de ce travail est de déterminer ce à quoi se réfère cette identité – quels sont ses fondements objectifs au sein du sujet – et de comprendre comment elle fonctionne – c’est-à-dire comment le sujet se rapporte en première personne à sa propre identité. Dans cette introduction, nous présenterons, dans un premier temps, les présupposés qui ont guidé notre approche, puis la méthodologie particulière que nous avons adoptée, avant de rendre compte des principales thèses que nous y avons défendues et de présenter le mouvement général de l’argumentation.

Notre approche est caractérisée par un parti pris physicaliste, qui soutient qu’il est possible de rendre compte des vécus mentaux en première personne par une explication totalement physique. Cette étude cherche à rendre compte de l’identité, telle qu’elle est vécue en première personne, dans le cadre des sciences naturelles, ou, pour le dire autrement, à explorer les conditions physiologiques du sentiment, fait de familiarité et de cohérence, sur lequel repose l’intuition préthéorique du Moi dans le sens commun. Etre capable de me reconnaître face à un miroir ou simplement d’éprouver que ce bras est bien le mien, ou que cette maison dans laquelle je vis est mienne, tout cela ne serait pas possible sans un sentiment psychologique d’appartenance ou de familiarité que nous désignons ici par la notion conceptuelle de propre (ce qui est mien). Pour déterminer comment ce sentiment se constitue, nous tenterons de remonter aux conditions physiologiques qui soutiennent les fonctions liées à l’expérience de mon identité. Ainsi, en procédant de façon déductive du concept d’identité diachronique comme continuité autobiographique (Locke, 1689) à une possible fonction cérébrale sous-jacente, c’est la mémoire qui semble soutenir une partie du vécu identitaire, par accumulation linéaire de mon passé. Si je peux me sentir un et continu à travers le temps, c’est parce que ma mémoire conserve en moi ce que j’étais hier et me permet aujourd’hui de m’y reconnaître encore . Dans cette perspective, le vécu identitaire reposerait sur certaines fonctions cérébrales. Outre le fait qu’une interprétation physicaliste du concept d’identité répond à un souci de cohérence avec le contexte scientifique contemporain, elle présente aussi l’avantage de permettre l’expérimentation. Nous pourrons ainsi tester le fonctionnement de la mémoire comme premier « organe » de l’identité à travers les nombreux troubles qui, affectant la fonction mnésique, ont une répercussion immédiate sur le vécu identitaire du sujet comme capacité à s’éprouver identique à soi-même dans le temps. Notre approche de l’identité se singularisera donc d’abord par l’exigence de penser l’expérience identitaire au sein d’une théorie naturaliste. Cette approche répond donc d’emblée à l’impossibilité dualiste d’articuler causalement un principe identitaire immatériel et le corps (mind-body problem) en proposant d’intégrer l’explication des vécus mentaux au sein d’une théorie matérialiste globale.

Opposée à toute forme de dualisme, notre approche doit cependant se constituer comme théorie unifiée de l’expérience subjective d’être soi et de la connaissance objective de l’identité que l’on peut se forger en troisième personne si elle veut rendre compte de toutes les dimensions du concept d’identité. Ainsi, nous porterons une attention constante à la manière dont le sujet fait l’expérience, sur le plan psychologique, d’une capacité identitaire que nous rapporterons à une activité physiologique, persuadée que c’est dans la capacité d’un modèle identitaire à rendre compte de ces deux perspectives épistémiques que nous gagnerons en puissance conceptuelle. Il nous semble que cette exigence prend sens dans la structure même du sujet réflexif. En effet, parce que l’homme est doué de conscience réflexive, il est capable de se rapporter à lui-même en première personne – faisant alors l’expérience d’une modalité éminemment subjective et qualitative de ce que désigne pour chacun le fait de se rapporter à soi. Mais il est également capable de se rapporter à lui-même en troisième personne – cherchant alors à constituer une connaissance par concepts et objective de l’identité. Nous souhaitons ainsi donner un maximum la parole au sujet en première personne, non seulement pour rester au plus près du caractère intuitif de la notion d’identité, mais aussi, par suite, de notre approche de l’identité comme sentiment vécu du propre. Un tel sentiment, par définition, ne saurait s’interroger seulement en troisième personne. Pour autant, afin de maintenir le présupposé physicaliste qui est le nôtre, c’est à une réalité physiologique – telle qu’elle peut être élaborée conceptuellement en troisième personne – que nous rapporterons ce vécu psychologique donné d’abord en première personne. C’est dans le même souci d’unification théorique et de fidélité à la structure réflexive de l’expérience humaine que nous choisirons d’inscrire ces réflexions dans le cadre des philosophies non seulement de l’esprit mais aussi du corps et, par là, de la phénoménologie : non seulement parce qu’à travers la mémoire ou le sentiment d’appropriation nous recourrons à une connaissance cérébrale de l’identité, mais aussi parce qu’il nous semble qu’on ne saurait penser le concept d’identité sans l’inscrire au plus profond dans le vécu incarné de ce corps particulier qui est le mien.

De par les deux exigences rencontrées ci-dessus, notre effort de pensée s’est constitué dans un mouvement dialectique constant ente le vécu identitaire subjectif et sa conceptualisation dans un système physicaliste. C’est parce que nous maintenons simultanément ces deux objectifs que le travail de redéfinition opéré ici a pris une forme particulière : celle d’une épistémologie expérimentale. Nous entendons par là une méthode d’élaboration conceptuelle marquée par le désir de s’assurer que ses modèles théoriques rencontrent bien la réalité des situations dont ils sont censés rendre compte. Il nous semble, en effet, que la possibilité pour un concept épistémologique d’identité de s’inscrire dans un cadre de référence philosophique tout en se montrant opératoire dans l’explication de troubles empiriques du vécu identitaire, en accroît la puissance herméneutique et pratique. La philosophie des sciences présente une particularité en ce que ses concepts, en informant le sens commun, participent aussi de l’élaboration de modèles proprement scientifiques. Les troubles de l’identité, tels qu’ils sont conçus en neuropsychologie, ont d’abord été interprétés dans un vocabulaire conceptuel qui relève de la philosophie de l’esprit. Pour autant, le décalage entre les situations cliniques et le cadre conceptuel ne permet pas de prétendre à une efficacité thérapeutique immédiate des concepts épistémologiques. Il faut bien plutôt en passer par ce dialogue entre élaboration conceptuelle purement théorique et exigence thérapeutique pour que se constitue, de façon expérimentale, un concept d’identité tel qu’il permette une plus grande efficacité, tant spéculative que pratique, lorsqu’il est confronté à des situations pathologiques réelles.

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Table des matières

INTRODUCTION
1. PRESUPPOSES ADOPTES
1.1. Un parti pris physicaliste
1.2. Penser ensemble le vécu subjectif en première personne et la connaissance
objective en troisième personne
2. METHODOLOGIE
2.1. Une épistémologie expérimentale
2.2. Une approche interdisciplinaire
3. THESES DEFENDUES
3.1. L’identité dans le temps est plastique et dynamique
3.2. L’identité humaine est doublement corporelle
4. PLAN DE L’ARGUMENTATION
4.1. Première partie : Les trois grands problèmes de l’identité
4.2. Seconde partie : identité et temps
4.3. Troisième partie : identité et corps
CHAPITRE 1 : L’IDENTITE COMME RELATION D’INVARIABILITE A SOIMEME DANS LE TEMPS
1. REMONTER A L’IDENTITE LOGIQUE
1.1. Le principe d’identité
1.2. L’identité comme exclusion de toute altérité
1.3. Penser le devenir-autre, un problème épistémo-ontologique
2. LE PRIMAT DE L’ONTOLOGIE CONCEPTUELLE SUR LA MULTIPLICITE DU REEL
2.1. De l’usage du concept en ce qu’il introduit de l’identité dans le réel
2.2. La théorie idéaliste de l’identité selon Platon : le concept dépasse le réel
2.3. 1er enjeu : l’immortalité de l’âme comme postulat moral
3. PENSER LE DEVENIR AU SEIN D’UNE PHILOSOPHIE DE L’ETRE
3.1. Penser la plurivocité de l’être : une première identité plurielle
3.2. Trois limites potentielles à la théorie aristotélicienne
3.3. Le statut problématique de l’intellect comme fondement identitaire
CHAPITRE 2 : L’IDENTITE D’UN ESPRIT DANS UN CORPS QUI CHANGE
1. DESCARTES : UNE PHYSIOLOGIE DUALISTE DE L’IDENTITE
1.1. Un héritage complexe
1.2. Le mécanisme comme principe herméneutique
1.3. Vers une philosophie expérimentale ?
2. LE MECANISME ET L’AME
2.1. « L’âme ne sent qu’en tant qu’elle est dans le cerveau »
2.2. Le mécanisme réfute-t-il le dualisme ?
2.3. 2ème enjeu : la liberté de la volonté
3. LE CORPS ET L’IDENTITE VECUE
3.1. L’union de l’âme et du corps comme modalité identitaire
3.2. La nécessaire dualité cognitive d’un sujet doué de conscience réflexive
3.3. Le corps me signifie à moi-même comme identité singulière
CONCLUSION

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