Le pronom-déterminant lequel en français préclassique et classique (1580-1720)

Dans le champ de la phrase complexe, la subordination est un sujet d’étude particulièrement riche qui exige de manipuler plusieurs niveaux d’analyse, morphologique, syntaxique, sémantique… pour en faire une description acceptable. Pourtant, « rien de plus simple, du moins en apparence, qu’une phrase complexe », nous dit la Grammaire méthodique du français (Riegel et al., 2014:780) : il s’agit d’une phrase qui comprend un constituant ayant lui-même la structure d’une phrase de type [P → GN + GV]. Parmi les phrases complexes, dans lesquelles cette grammaire classe les phrases juxtaposées, coordonnées, insérées et subordonnées (op.cit., p. 780-782), ces dernières se distinguent par les connecteurs ou les mots qui permettent de les introduire. Ces mots, les termes qu-, ont fait l’objet d’études approfondies, notamment par Pierre Le Goffic, qui les définit comme une famille linguistique dont les membres partagent un certain nombre de points communs.

Si nous reprenons les analyses de la Grammaire de la phrase française (Le Goffic, 1993:40-41), les membres de cette famille sont les pronoms qui, que, quoi, les adjectifs QUEL et LEQUEL avec leurs variantes en genre et en nombre ([les]quels, [la]quelle, [les]quelles) et les formes prépositionnelles agglomérées avec à et de pour LEQUEL (auquel, auxquels, auxquelles, duquel, desquels, desquelles), les adverbes où, quand, comme, comment (= comme + ment, suffixe adverbial), combien (= comme + bien), que (homonyme du pronom, que l’on trouve dans l’exclamation : que c’est gentil !), pourquoi et dont . L’appartenance de ces différents termes à la même famille se fonde sur deux arguments :

– D’une part, leur origine étymologique commune. Ils sont tous issus d’une famille indo-européenne en *kw- et se caractérisent par le digramme qu- en français, à quelques exceptions près : où vient du latin ubi dans lequel l’initiale *kwest tombée, dont est un adverbe doublet de d’où, et comme et ses dérivés viennent du bas-latin *quomo, de quomodo (Le Goffic, 1993:40-41).

– D’autre part, leur « communauté de fonctionnement » (Le Goffic, 2007:7), plutôt que leur signifiant. Ce sont les seuls subordonnants du français, c’est-à-dire qu’ils sont les seuls mots qui permettent « d’enchâsser des structures de phrases comme termes de phrases » (Le Goffic, 1993:42) et, avec si, sont les seuls interrogatifs de la langue.

Dans cette famille, LEQUEL se distingue tout d’abord par sa morphologie : il est composé du déterminant défini LE et du marqueur qualitatif QUEL, association qu’il est seul à présenter. Ensuite, il se distingue par ses rôles syntaxiques : en plus d’être un pronom interrogatif (1) ou relatif (2), il est aussi un « déterminant relatif » (3) . Cela l’oppose notamment à QUEL qui ne peut être en aucun cas relatif (2 et 3).

(1) Lequel [de ces hommes] / Quel est ton frère ?
(2) Le chat de la voisine, laquelle (*quelle) est fort aimable
(3) Je dois respecter la loi, laquelle loi (*quelle loi) a été écrite pour mon bien.

Ces particularités sont sans doute liées à son origine étymologique. Selon les études de Pierre Kunstmann, le pronom-déterminant est de création romane et savante et non pas issu, comme les autres termes qu-, d’une évolution naturelle d’un conjonctif latin particulier.

L’innovation a consisté à utiliser le dérivé de qualis et à l’accompagner de l’article défini comme marque de genre grammatical pour les mots relatifs dans l’ensemble de la Romania ainsi que pour un certain type d’interrogatif en français […]. La séquence ille qualis « celui de quelle sorte » / « celui de telle sorte » n’a sans doute jamais existé en latin […] mais chacun de ses éléments se prêtait admirablement à la création romane. […] Il fallait, pour l’emploi relatif, un élément anaphorique devant le subordonnant qualis : les clercs ont retenu à juste titre le produit roman de ille, c’est-à-dire l’article défini, qui pouvait encore avoir valeur démonstrative. (Kunstmann, 1990:10-11) .

Nous pouvons nous demander ce qui a invité les clercs du Moyen-Âge à créer un nouveau pronom relatif-interrogatif en plus de ceux déjà existants. En se fondant sur les propriétés morphologiques de LEQUEL (marquage du genre et du nombre grammatical), Pierre Kunstmann considère que sa création permet de « résorber une exception dans le code roman (distinction du genre naturel) en revenant au système du code latin (distinction du genre grammatical) » (Kunstmann, 1990:12). Il fallait pour les locuteurs « revenir à une déclinaison normale » après le délabrement flexionnel du pronom latin qui, quae, quod, qui a donné les pronoms français qui, que et quoi. Ce délabrement n’a en revanche pas touché les pronoms objets le, la, les ou les pronoms démonstratifs celui, celle, ceux, celles, qui distinguent dès l’ancien français le genre et le nombre grammatical (Jokinen, 1978:120). Toujours selon Pierre Kunstmann, ce serait d’abord pour ses fonctions relatives que le pronom déterminant aurait été créé. Son emploi, par l’intermédiaire de son fonctionnement anaphorique* dans la subordination, se serait ensuite étendu à l’emploi interrogatif et permet aux locuteurs de faire une sélection d’un objet précis dans un ensemble composé de plusieurs d’entre eux (Kunstmann, 1990:10-11).

Cette analyse a depuis été contestée. Tout d’abord, elle ne correspond pas à l’évolution fonctionnelle naturelle des membres de la famille qu-, qui ont tous été intégratifs ou interrogatifs avant d’être, pour certains d’entre eux, relatifs comme l’indique Annie Kuyumcuyan (2012:214-215). Ensuite, l’emploi interrogatif de LEQUEL semble antérieur à l’emploi relatif dans les textes (début du XIIe siècle et fin du même siècle, respectivement), comme l’observe Gérard Moignet dans sa grammaire (Moignet, 1984:45) tandis que Claude Buridant, tout en faisant les mêmes remarques historiques, précise que LEQUEL relatif « semble apparaître, surtout, comme un outil propre au style juridique, comme celui des chartes, où il favorise l’identification [de l’antécédent] dans des phrases longues » (Buridant, 2000:588). LEQUEL aurait donc d’abord été employé comme interrogatif avant de l’être comme relatif, bien que les raisons ayant conduit à sa création soient encore mystérieuses .

De plus, tandis que les termes qu- se spécialisent dans une catégorie de «l’expérience humaine » (le lieu pour où, le temps pour quand, etc.) ou dans un emploi syntaxique spécifique, le pronom-déterminant LEQUEL fait doublon avec les pronoms qui, que et quoi dans le cadre de la relativation*. Autant ses emplois interrogatifs (1) lui sont spécifiques, autant ses emplois relatifs lui permettent, à l’instar des pronoms relatifs simples qu’il concurrence, de reprendre comme antécédent des référents animés et inanimés. En outre, il peut remplir toutes les fonctions occupées par les pronoms simples dans les relatives .

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Table des matières

Introduction
I – Cadre d’analyse
II – Études syntaxiques, sémantiques et référentielles
III – Organisation du continuum textuel
IV – Analyses stylistiques
V – Postérité du pronom-déterminant
Conclusion

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